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26 mai 2012

L'ETAT DE SOUS-DEVELOPPEMENT EST-IL SPECIFIQUE ? [2/2]



« Aucune influence intéressée ne pèse plus lourdement sur nous que celle de nos théories et de nos idées préconçues » Gunnar Myrdall

Voici bien longtemps que les faits vécus nous ont portés à renoncer aux illusions sur l'indépendance et le développement. L'esprit éclectique et simplificateur qui a présidé jusqu'ici à la saisie de l'état de sous-développement faisait sienne une approche nettement technocratique du problème. A l'origine de cette approche, on trouve les préceptes du paradigme régnant qui constituaient la boite à outils de tout « expert international en développement ». Que n'a-t-on pas dit et répété sur ce mode pendant des décennies ?
La conférence du PNUD, tenue à Marrakech en mars 2010, était placée sous le thème « Capacity is Development ». Il était question de « renforcer les capacités des pays partenaires […], de favoriser l’établissement de cadres institutionnels généraux, de façon à ce qu’ils soient propices aux changements de la société ». (1) Cela voulait-il dire quoi au juste ? Les mêmes prémisses semblent être reprises, à chaque fois sous une coloration différente… Soyons réalistes : dans un pays comme l'Algérie, le système de rente favorise « les convoitises, l’incompétence, la collusion et la paresse ». Il annihile l’effort, incite à l’importation au détriment des projets locaux. « L'esprit rentier a toujours été réfractaire à l’esprit d’initiative. […] Combien de cadres expérimentés et de valeur ont dû subir les pires humiliations et frayeurs pour se voir, à la fin, victimes de manipulations visant à saper leur bonne volonté ». (2)
Le sous-développement, échec de développement, ne serait que la conjugaison d'une série de déséquilibres et d'écarts jugés temporaires. La démarche repose sur l'idée implicite qu'il existe un mode unique de changement, se réalisant suivant le même parcours. Rappelons-nous la fameuse théorie évolutionniste de Rostow, cette fantaisie historique qui place à son sommet la société industrielle à accumulation rapide. La philosophie du retard qui fonde le développement sur le postulat de la prééminence de l'économie, ne laisse pas de place à l'homme et au social. Dans cette perspective, la lutte contre la pauvreté apparait comme une affaire technique : les nations opulentes sont supposées aider à mettre en mouvement le « décollage » des nations démunies par l'envoi d'experts chargés de projets et par le financement de ceux-ci…
Une double méprise tient à la référence systématique au prototype occidental, à la fois dans l'explication des causes du marasme et dans la formulation des mesures à prendre. Une crise latente, à cet égard, continue d'altérer le mode conventionnel de pensée. Les pays qui avaient opté pour la politique de substitution à l'importation (dont le Maroc), loin d'atténuer l'emprise externe, ont eu plutôt tendance à l'accentuer. (3) A une dépendance commerciale se sont superposées une dépendance technologique et une dépendance financière.
L'endettement, nul n'en doute maintenant, est devenu un phénomène d'ordre structurel. N'est-ce pas avant tout l'aboutissement d'une vision inadéquate, de la corruption et du gaspillage généralisés ? Il est avéré que les fonds empruntés sont retournés aux prêteurs du Nord en paiement de factures le plus souvent gonflées. On emprunte pour rembourser en permanence. « Bien qu’ils aient déjà remboursé plus de 12 fois le montant dû en 1980, les pays en développement continuent de supporter à l’heure actuelle une dette extérieure plus de cinq fois supérieure à celle due au moment de leur contraction. La dette fonctionne comme un mécanisme auto-entretenu d’aggravation de la pauvreté… ». (4) Une déroute qu'est venue aggraver l'augmentation des transferts de ressources au titre du rapatriement des profits. En effet, « si l’on se réfère à la balance des transactions courantes, comme le font le FMI et l’ONU, les pays en développement considérés globalement sont aujourd’hui des exportateurs nets de capitaux, certains pays industrialisés étant des importateurs nets ». (5) Le Sud finance donc le Nord.

Quant aux crises alimentaires, elles sont largement explicables par la ruée vers les cultures d'exportation au détriment des cultures vivrières. Pendant longtemps, ces deux secteurs formaient une paire antagoniste dans les discours, s'inscrivaient dans deux visions elles-mêmes antagonistes, « la première privilégiant la dimension sociale, la seconde la dimension économique (même si dans la pratique l'une et l'autre sont inséparables) ». (6)
Tout se passait comme si les sociétés nanties étaient disposées à « transmettre » la croissance qu'ils ont connue au monde pauvre, à supprimer les blocages au développement et en particulier à atténuer la pénurie de certains facteurs de production. De là l'idée mythique des « transferts de capitaux et de technologie »… L'ordonnance a toujours été conséquente avec le diagnostic, comme avec les schémas conventionnels. Exporter les matières premières, quémander davantage d'aide et de crédits : telle est en deux mots l'ordonnance que les pays pauvres appliquent plus ou moins avec dévouement depuis 50 ans. De nos jours, la réduction techniciste du problème, somme toute bien commode, n'est pas sans faire sourire. Lorsqu'on se cantonne à une simple énumération des moyens matériels qui font défaut, on se réduit à une saisie déficiente de l'objet étudié. C'est souvent la porte ouverte aux mystifications et aux mirages.
Le FMI et la Banque Mondiale, qui sont sous le contrôle strict des Occidentaux, appliquent des mesures injustes et malhonnêtes… Les nations subordonnées sont partout contraintes et forcées de courber l'échine. Le Président équatorien Rafael Correa disait : « Cela ne surprenait personne qu’un bureaucrate du FMI vienne nous dire ce que nous devions faire, vienne réviser nos comptes. […] On avait perdu jusqu’à notre dignité. Notre estime de soi était ravagée ». (7)
Certes il y a bien une logique économique qu'on ne saurait réfuter… Mais est-il permis de penser qu'un pays se développe lorsque / parce que son taux de croissance augmente ? Les méthodes de repérage chiffré réduisent nécessairement les processus à leur plus simple expression, ne rendent pas leur signification et leur nature profondes.
Le discours a longtemps été focalisé sur la rationalisation des investissements, la réforme agraire, l'amélioration des méthodes de production, la création d'une infrastructure bancaire, les moyens d'agir sur les exportations, etc. Mais quant à s'interroger sur la spécificité sociale, sur les habitudes mentales des hommes, sur leurs attitudes à l'égard des exigences du changement, ce sont là des questions que l'économiste a d'ordinaire à peine effleurées. Se voulant « technique », la démarche conventionnelle s'interdit toute réflexion sur les hommes qui font la société, sur leurs prédispositions à la recherche du mieux. Or – il faut bien le souligner – les cohérences ne valent que ce que vaut l'ordre culturel et humain qui les conditionne.


Peut-être faut-il convenir que la perspective économique n'est pas universellement valable. Le sous-développement est un état spécifique, qui requiert un effort d'élaboration théorique autonome. Le manque de créativité et de dynamisme, d'actions méthodiques et de compétences techniques sont à la fois cause et résultat de l'immobilisme général. Néanmoins, il apparait que la valeur des hommes prime sur le capital et l'instrumentation.
Comment résister à la tentation de se référer – implicitement ou explicitement – aux caractéristiques des pays riches ? « L'attraction exercée par la chose arrivée » (dixit J. Austruy) est si forte que la compréhension de la réalité tangible est compromise. Au Maroc, observez tous ces automobilistes qui arborent naïvement sur leurs plaques minéralogiques le drapeau marocain accolé à celui de l'Europe. Faire comme si le pays était amarré à l'Europe est une incongruité qui trouve son assise dans le subconscient collectif. La réalité observée regorge d'exemples de la même eau.

L'approche adoptée ici est trop malaisée pour donner matière à une quelconque conclusion. Du moins, elle ne doit pas prêter à équivoque : entre repérer les défaillances et leur trouver des causes ethniques (sui generis) il n'y a qu'un pas, qu'il ne faudrait en aucun cas franchir. Par le passé, la longue léthargie des sociétés européennes au moment où le monde musulman était à son apogée sur le plan scientifique ne nous permet pas de faire le moindre amalgame. Les Arabes – aujourd'hui peuples globalement déshérités – avaient fait des découvertes scientifiques qui n'ont été atteintes par l'Europe que bien des siècles après (par exemple, la forme sphérique de la Terre et sa révolution autour du Soleil). Les Européens au Moyen Age allaient en terre d'Islam (Andalousie en particulier) pour apprendre, auprès des savants arabes, les arts, les sciences (physique, mathématiques, astronomie, médecine) et les préceptes de philosophie… (8)

Thami BOUHMOUCH
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(3) Notons au passage que le Japon est le modèle historique de cette stratégie.
(5) Bruno Gurtner, http://aspd.revues.org/121
(7) R. Correa, interviewé par Ignacio Ramonet, http://www.medelu.org/spip.php?article698  janvier 2011
(8) Bien entendu, les érudits arabes ont beaucoup emprunté aux civilisations indienne, perse et grecque… Mais ce n'est pas le lieu d'en parler.


21 mai 2012

L'ETAT DE SOUS-DEVELOPPEMENT EST-IL EXPLICABLE ? [1/2]



« Il n'est pas facile de comprendre la nature du sous-développement ; ses dimensions sont multiples et celles qui paraissent le plus facilement dépistables ne sont pas toujours les plus significatives » Celso Furtado


Le sous-développement, en tant qu'objet d'étude, n'est manifestement plus en vogue depuis plus de deux décennies. Le fait est assez curieux, parce que, en tant que réalité effective et tangible, il est toujours d'actualité. Laissons de côté les termes non compromettants, tels que pays en développement, pays émergents ou pays les moins avancés. Appelons le chat par son nom. Le sous-développement est certes un vocable réducteur et ambigu, mais il sera utilisé ici en raccourci et par soumission à un usage répandu.

Sur quelles bases doit-on considérer que tel pays est sous-développé ? Les valeurs auxquelles on se réfère pour émettre ce jugement sont-elles les valeurs du monde développé ? Le terme de sous-développé est avant tout un comparatif : telle nation a atteint un niveau inférieur non au possible ou au nécessaire, mais à d'autres que l'on qualifie de développées. L'expression pays sous-développés ne sert qu'à dire ce que les pays en question ne sont pas, plutôt que ce qu'ils sont. C'est une catégorie fourre-tout où se trouve rangé tout ce qui n'est pas la société occidentale, à partir de « critères négatifs du non moi » (dixit J. Austruy).
Le sous-développement est une réalité complexe, mouvante, extrêmement variée et en pleine ébullition. Nombre d'aspects de la question restent dans l'ombre et le foisonnement d'explications parfois contradictoires ajoute à la confusion. Alors que le Nigeria, par exemple, dispose aujourd'hui de plus d'ingénieurs que la Grande Bretagne des années 1950, il n'arrive pas à produire les locomotives que celle-ci produisait en ce temps-là. Le pays se borne à importer ad vitam aeternam la technologie conçue par d'autres et se cantonne aux aspects périphériques de cette technologie, comme le maniement et la maintenance. (1)
On ne saurait étudier isolément les grandeurs objectivement mesurables. Une analyse d'ensemble est dès lors absolument nécessaire, analyse où interfèrent l'économique, le champ de référence et les dispositions d'esprit. La réalité économique n'est pas une réalité abstraite, indépendante de l'environnement humain et socioculturel dans lequel elle s'inscrit et auquel elle se rattache.
Le fait est qu'il y a dans la situation du sous-développement un ensemble de causes et de caractéristiques tellement imbriquées qu'on ne peut aisément les distinguer. Il serait vain de tenter une synthèse entre les diverses analyses, en réalité inconciliables, dont la notion du sous-développement a fait l'objet. On ne saurait rendre compte d'une manière incontestable de la situation végétative du monde pauvre, en raison même du désordre des acceptions divergentes.

Une vision sommaire d'un phénomène complexe
Le sous-développement est-il un phénomène économique ? Faut-il s'en remettre aux outils proposés par le PNUD, tels l'Indicateur de Développement Humain (IDH) ou l'Indicateur de Participation Féminine à la vie économique et politique (IPF) ? Le fait est que toutes les disciplines ou presque entendent prendre part à l'identification de ce mal insaisissable. L'économie n'a plus le monopole du sujet : sociologues et politologues, historiens et géographes, ethnologues et psychologues sont entrés dans la place.
Les problèmes du sous-développement ne peuvent être réduits aux catégories de l'économie conventionnelle et les considérations habituellement sous-estimées doivent être pleinement intégrées dans le champ de l'investigation.
Considérons en peu de mots deux typologies controversées.
« Les populations déshéritées, dit-on, ne peuvent pas élever leur niveau de vie : ils font trop d'enfants ! ». Des taux de croissance démographique très élevés peuvent-ils être retenus comme un élément explicatif ? Il est bien sûr facile de trouver des exemples de concomitance de la pauvreté et d'une forte natalité. Pour autant, il n'y a pas de relation simple entre l'une et l'autre. Une population en surnombre, en provoquant une charge considérable, peut a priori annuler les progrès réalisés et empêcher les niveaux de vie moyens de s'élever. Mais si un programme d'action est entravé par une forte poussée démographique, c'est que les hommes dont le nombre augmente n'ont pas les qualités et les attitudes favorables à la progression et au changement.
Que dire du déterminisme géographique, de l'influence des conditions climatiques ingrates ? Dans notre milieu social, on tend à excuser le manque d'énergie et d'ardeur au travail en période de chaleur oppressante. F. List disait en 1857 : « La zone tempérée est la région des efforts intellectuels et physiques ». (2) La quasi-totalité des pays sous-développés se situent dans les aires tropicales, intertropicales ou désertiques. Un tel clivage ne peut être le fruit du hasard. Le climat et le milieu géographique seraient donc responsables de la léthargie qui afflige ces régions, car les conditions naturelles y seraient peu propices à l'effort générateur de  progrès. Cette assertion a été entérinée en 1980 par le Club de Rome. (3)
La vieille théorie des climats n'est pas nécessairement à mettre au rebut… Pour autant, les déductions sur lesquelles elle se fonde ne sont pas partout confirmées par les faits. D'abord, il est clair que la distinction entre pays du Nord et pays du Sud ne signifie nullement que le Nord est uniformément riche et que le Sud est totalement pauvre.
L'explication des traits fondamentaux des civilisations à partir des conditions naturelles n'est ni rigoureuse, ni cohérente. L'Islam qui a rayonné sur le monde du 8ème au 14ème siècles n'avait-il pas pris son essor dans une zone torride (Irak, Syrie, Egypte) ? Le climat de l'Italie du Nord était-il devenu tout à coup plus propice à l'action et au dynamisme sous la Renaissance ? De quelles modifications climatiques décisives, les cités de la Grèce classique ont-elles pu bénéficier durant leur prodigieuse apogée intellectuel ? A l'inverse, le déclin scientifique du monde musulman avait-il résulté d'une transformation défavorable du milieu physique ?
Nul doute qu'un climat aride ne peut que rendre la tâche difficile, « mais, comme Lacoste le notait jadis, ces difficultés sont aussi celles que connaissent les prospères agriculteurs australiens comme les cultivateurs et les éleveurs du Texas. Il faut aussi se rendre compte que dans les régions arides se trouvent tout à la fois les populations les plus misérables et celles qui jouissent des revenus agricoles les plus élevés ». (4) Le climat n'explique pas pourquoi le processus de changement économique se produit plus rapidement dans un espace plutôt que dans un autre, dès lors que tous deux sont situés dans la même aire climatique. De plus, s'il est évident que la sécheresse et la chaleur tropicale ne facilitent pas le labeur humain, il en va de même pour les neiges et les températures hivernales qui bloquent la végétation dans les régions froides.
Les tentatives d'explication causale se doivent de demeurer extrêmement prudentes. Le climat constitue sans doute un facteur non négligeable mais son influence ne peut être considérée comme décisive, ni irrévocable. Ce n'est qu'un facteur limitatif général de l'essor des sociétés.

Causes ou symptômes ?
Le sous-développement ne s'explique pas aisément : c’est le fait d'une combinaison de facteurs variés et d'influence inégale. Une multitude de causes et de conditions se présentent à l'esprit. La tentation est grande de renoncer à rendre compte, par une démarche raisonnée, de tout ce « fouillis inextricable » (Y. Lacoste). Le principal écueil des typologies et autres classements d’indices est qu’ils font peu la distinction entre les causes et les symptômes, les mettant tous sur le même plan. En fait, pour tenter une explication réfléchie, le mieux est de convenir de la pluralité de causes et de conséquences qui interfèrent les unes avec les autres, mais qui ne peuvent être organisées en une représentation simple. C'est que les changements sociaux sont cumulatifs, de sorte que les divers facteurs, conditions et agents se renforcent mutuellement.
L'esprit humain est enclin à chercher un rapport de causalité entre deux phénomènes. Il s'efforce de mettre en évidence la cause et son effet. Mais il est bien entendu que les relations de cause à effet ne sont pas les seules possibles, en particulier entre des phénomènes économiques. Ceux-ci peuvent être placés les uns par rapport aux autres dans une relation de dépendance mutuelle, de sorte qu'il n'est pas possible de dire avec assurance où est la cause et où est l'effet.
Démographie et climat, religion et mentalités, histoire, domination externe, structures… chacun de ces facteurs conditionne le processus de changement économique, mais aucun d'eux n'exerce son influence d'une façon simple et invariable. Les catégories de problème sont difficilement dissociables dans la réalité que vivent les gens.
L’histoire métaphore que rapporte Idriès Shah est significative à cet égard : des aveugles voulurent connaître la forme d’un éléphant. Chacun toucha une partie et rapporta à ses semblables ce qu’il a appris. L’un décrivait l’oreille, l’autre la trompe, l’autre encore les pattes. Chacun n’avait senti qu’une partie du tout, tous se trompaient. (5)
On s’aperçoit vite qu’il n’y a pas d’une manière générale et dans l’absolu un modèle de causalité qui soit universellement valable. Mais il est possible de relever, dans chaque situation concrète, une ou des caractéristiques privilégiées. Le changement ne saurait se réduire à une évaluation des modifications quantitatives. Les grandeurs que cette évaluation isole n'ont de sens que dans un contexte donné qui leur confère une efficience socioéconomique. L’analyse conventionnelle s’interdit toute réflexion sur les problèmes de différenciation humaine et socioculturelle. C’est l’objet du prochain article.

Thami BOUHMOUCH
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(2) Frédéric List, Système national d’économie politique, éd. Capelle 1857, p. 104.
(3) Cf. Maurice Guernier, Tiers-monde, trois quarts du monde. Rapport au Club de Rome, Dunod 1980, p. 26.
(4) Yves Lacoste, Les pays sous-développés, éd. Que sais-je 1979, pp. 53, 55.
(5) Cf. Les contes de derviches, cité par D. L. Meadows, Dynamique de la croissance dans un monde fini, Economica 1977, p. 20.







15 mai 2012

ASSIMILER LE CREDO DU MARKETING



« On ne fait rien de bon si on ne parvient pas à toucher le client »
E. Woolard, DuPont de Nemours



L'entreprise, on le sait, adopte une démarche dynamique dans le but d'atteindre (de façon rentable) la satisfaction du client. L'écoute du marché, c'est par-dessus tout un travail de terrain constant, une relation de proximité avec les consommateurs. Ceux-ci se trouvent ainsi au cœur de l'activité commerciale… Dans quelle mesure et de quelle manière ?



Bâtir une relation à long terme

Un point vaut d'être reformulé : la démarche marketing est la traduction opérationnelle (outils et procédés) du principe de souveraineté du client.
Le pouvoir s'est déplacé du producteur vers le consommateur, du vendeur vers l'acheteur. Aujourd'hui, l'entreprise opère dans un système pluraliste qui admet et reconnaît la diversité des préférences. Une concurrence intense, mondiale donne aux consommateurs un choix de plus en plus large. Ceux-ci, d'ordinaire, sont désormais en mesure de dicter leur volonté.
La question banale au point d'être fréquemment oubliée est : que veut le client ? L'entreprise centrée sur le client, comprend qu'elle doit se régler sur ses attentes – formellement exprimées ou inconscientes – et adhère volontiers à l'idée. Elle engage un processus d'interaction intelligente avec le public cible. Celui-ci est l'objet de tous ses soins.

Les producteurs de cinéma étasuniens ont réussi à mettre le contenu de leurs films en harmonie avec les attentes du public international. L’un d’eux a déclaré : « En Europe, on commence par le scénario, puis on cherche un producteur prêt à investir dans le projet. Mais aux Etats-Unis, on cherche d'abord une cible. Les Américains sont plus pragmatiques et plus réalistes sur le plan commercial que les Européens. Ils disent "voilà un film pour l'été" ou "ce film marchera bien dans le sud", plaira particulièrement aux femmes célibataires autour de la trentaine qui vont beaucoup au cinéma, etc. ». (1) Au Maroc, l'essor du secteur cinématographique n'aura lieu que si l'on se conforme aux aspirations du public. Pour faire revenir celui-ci devant le grand écran, il est nécessaire de lui proposer des films « de proximité » (pour reprendre la formule consacrée), des films où il se reconnaît et se retrouve. Le succès, entre autres, de « A la recherche du mari de ma femme » (réalisé en 1993 par A. Tazi) est assez révélateur de l'orientation qu'il s'agit impérativement d'adopter.


Satisfaire le client, c'est donc là le credo du management moderne. De plus en plus d'entreprises le mettent en exergue. Qu'on en juge par le message publicitaire de la marque Siera (électroménager) « Apprenez à reconnaître nos clients... ils sont souriants ». Celui de la société Wincor Nixdorf (matériel informatique) est axé sur la même idée : « Quand expérience et vision convergent vers un même objectif, celui de la satisfaction du client, c'est là l'esprit Wincor Nixdorf ».
De nombreuses études (aux Etats-Unis, en Angleterre, en Suisse...) ont démontré l'incidence de l'orientation client sur la performance de l'entreprise. Comme le relèvent Kotler et Dubois, « c'est la satisfaction du client qui assoit la position commerciale, beaucoup plus durablement que la taille du budget publicitaire ou l'astuce du vendeur ». (2) 
Un point est hors de doute : il est plus coûteux d'attirer un nouveau consommateur que de garder un ancien. (3) Faut-il dépenser de l'argent à profusion pour conquérir de nouveaux clients (difficiles à séduire) alors que les clients actuels sont déjà acquis à la marque ? Nombre de dirigeants se portent volontiers sur l'idée que « ailleurs l'herbe est plus verte » – et les directives destinées à la force de vente entretiennent une telle obsession. Il est tout à fait légitime de chercher à élargir la surface de clientèle, mais certainement pas au détriment des clients existants.
L'entreprise centrée sur le marché cherche à bâtir une relation à long terme. Le taux de rétention de la clientèle est essentiel ; ses effets sur les résultats sont patents. La transmission des matchs de football coûte aux chaînes de télévision des sommes colossales. Pour le directeur général de TVM, la dépense est justifiée : « Le football, c'est important pour nous. Nous couvrons les championnats étrangers, parce que si nous ne le faisons pas, les gens zappent. Et dès que tu perds l'auditoire, il n'y a plus de télé ». (4)
Un client réellement satisfait achète le produit de nouveau (et peut-être d'autres produits de même marque), diffuse une information favorable sur l'entreprise (à un coût nul) et n'est pas tenté de se tourner vers les concurrents. A l'inverse, un client mécontent n'hésite pas à parler autour de lui de sa déception et de son indignation. Lui transmettre trois fois par an des messages de vœux, à la manière de Maroc Telecom, sera-t-il suffisant pour se faire pardonner ?     
Comme le note plaisamment un professionnel, la relation qui existe entre le produit et le consommateur est de même nature que la liaison amoureuse entre deux personnes. Qu'est-ce qu'un succès commercial, un produit réussi, une marque adulée, si ce n'est l'histoire d'une relation très spéciale ? Un produit « désire » un client et doit de ce fait le séduire. Il doit se différencier dynamiquement de celui du concurrent dans la promesse d'une satisfaction durable. Cette vision est admissible par l'esprit autant que pratique.
Le concept de marketing, répétons-le, déborde largement le cadre de l'activité de vente. La vente n'est que l'une des composantes de l'action marketing. C'est le sommet de l'iceberg. C'est une étape critique certes, mais elle est de facto mise au second plan – puisqu'on offre à la clientèle un bien conforme à ses désirs. « Le but du marketing est de rendre la vente superflue ; il consiste à connaître et comprendre le client à un point tel que le produit ou le service lui conviennent parfaitement et se vendent d'eux-mêmes ». (5)
Une telle vision procède-t-elle à proprement parler d'un champ de réflexion nouveau ?

Satisfaire le client : un vieux précepte commercial

Le marketing peut être considéré comme un terme nouveau que l'on a appliqué à une réalité et des usages anciens. L'approche moderne en effet s'appuie sur des pratiques et des techniques utilisées depuis longtemps, comme la réclame, les relations publiques, la promotion des ventes... (6) Nombre d'auteurs soutiennent que « les Chinois avaient déjà cette fibre commerciale axée sur une satisfaction de leurs clientèles ». (7)
Se préoccuper des attentes du marché s'avère un vieux précepte de l'activité commerciale. Les tâches que cela suppose ont toujours été assumées, d'une manière ou d'une autre, là où ont prévalu l'échange volontaire et le jeu concurrentiel. Producteurs et commerçants savaient viscéralement que si le client n'est pas satisfait, il aura tôt fait de s'adresser ailleurs. Ils avaient certainement du bon sens, mais ils ne savaient pas formaliser. C'est la formalisation du bon sens qui a donné lieu au marketing sous sa forme actuelle.
Mais peut-être faut-il remonter aux économistes classiques pour trouver une formulation explicite de la nouvelle conception. Ceux-ci étaient convaincus de la nécessité d'orienter la dynamique de production vers les biens réclamés par le marché. (8) Pour eux, l'entreprise – en déterminant « l'allocation et la combinaison de ressources rares » – a pour rôle de produire des biens et services destinés à satisfaire des besoins.
Le marketing, en effet, est la traduction en règles opérationnelles de gestion des principes énoncés à la fin du XVIIIème siècle. Rappelons-les en peu de mots :
- Le consommateur (« l'homo economicus ») poursuit son intérêt personnel et égocentrique qui l'incite à dépenser. Etant libre et souverain, il procède à des choix individuels. Ces choix varient selon les goûts et les systèmes de valeurs.
- Les choix individuels, impliquant un échange volontaire, se réalisent dans un espace concurrentiel.
- L'échange concurrentiel et volontaire est géré par la « main invisible », qui fait naturellement converger la somme des intérêts individuels vers le bien-être général. La recherche de l'intérêt personnel est le moteur de la croissance. (9)


Telle est l'idéologie qui fonde la démarche marketing. De là, toute organisation économique est amenée à satisfaire les besoins du public, parce que c'est le meilleur moyen d'être rentable et de prospérer. L'économiste J.-B. Say affirmait clairement que les besoins exprimés par les consommateurs « déterminent en tout lieu les créations des producteurs »...
En fait, l'apport du marketing est de tirer de cette idée fondamentale les conséquences – de façon pratique – dans l'action de l'entreprise. Les problèmes sont ainsi résolus de façon méthodique, les tâches sont accomplies et les outils utilisés en harmonie. L'originalité du concept, pour reprendre le néologisme d'origine américaine, réside dans sa formulation managériale, une formulation qui a évolué parallèlement à la transformation progressive et phénoménale du monde des affaires. C'est le constat que fait Flipo : « La nouveauté du XXème siècle consiste seulement en l'utilisation de techniques de plus en plus sophistiquées rendues nécessaires par la complexification impressionnante des relations sociales ». (10)

Le client est le véritable patron

En 1912, un dirigeant américain avait saisi d'instinct le sens du marketing. Lui qui répétait à son personnel que le client est le véritable patron de l'entreprise, affichait dans son catalogue le message suivant : « Pour moi, un article n'est définitivement vendu que lorsqu'il est usé sans que le client ait eu à s'en plaindre. Je remercierai quiconque me retournera un article qui n'a pas donné entière satisfaction... Nous voulons qu'aucun de nos clients n'ait à se plaindre de nous ». (11)
Les passagers de l'avion de la compagnie Lufthansa font l'objet de beaucoup d'attention de la part de l'équipage et le pilote se confond en excuses si l'horaire a subi une minute de retard. La satisfaction du client provient de facteurs multiples, majeurs ou mineurs mais toujours importants. « Si nous faisons ce qu'il faut pour le client, nous n'avons pas de souci à nous faire pour nos parts de marché et nos bénéfices ». (12)
Examinons le cas des pharmacies au Maroc. Vis-à-vis des clients, en règle générale, les employés sont blasés et distants. On connaît bien la scène : un client entre dans l'officine, l'un des vendeurs se rue sur l'ordonnance, apporte les médicaments, bafouille à la hâte la posologie, transmet à la caisse la somme à payer. Soigner l'accueil, répondre aux questions, être aimable : des exigences qui ne viennent pas à l'esprit, étant donné que l'acheteur est censé ne pas avoir le choix...
Aujourd'hui, les choses ne semblent plus ce qu'elles étaient : le chiffre d'affaires des officines a baissé de manière considérable. Dès lors, pour assurer des ventes régulières et sauvegarder leur rentabilité, les pharmaciens sont irrésistiblement portés à développer des actions à destination de la clientèle. D'aucuns l'ont bien compris. Témoin cette pharmacienne à Casablanca : « Pour réaliser un chiffre d'affaires moyen de 1,8 million de dirhams par an, nous sommes obligés de choyer nos clients ». Ainsi, l'accent est mis sur l'accueil, le conseil et l'orientation, les facilités de paiement (allant jusqu'à 30 jours) et la livraison à domicile pour la clientèle régulière. (13)

S'adapter à un public veut dire satisfaire ses goûts, se conformer à ses habitudes et exigences, parler un langage auquel il est sensible. Si la société UPS (messagerie) a mis au point un système informatique sophistiqué, c'est pour permettre à ses clients d'accéder rapidement à toutes les informations relatives aux colis expédiés. Si Toyota a proposé un modèle de voiture doté d'un système combinant le moteur à essence et l'énergie électrique, c'est en réponse à une préoccupation écologique qui s'amplifie... La marque Honda opte résolument pour une politique de « zoning » : chacune des zones géographiques retenues reçoit le modèle qui lui est adapté. Ainsi la version du modèle Accord vendue en Angleterre est plus petite que celle retenue pour le Japon. La City (dérivée de la Civic), commercialisée dans les pays asiatiques, est plus robuste et sensiblement moins chère.
Satisfaire le client n'est pas un devoir, dans le sens de besogne ou pensum, comme semblait le clamer, il y a dix ans, une publicité de IMTC (société de transport maritime, Casablanca) : « Vous satisfaire est notre devoir ». Ce n'est pas non plus un simple slogan. Tel banquier, par exemple, affirme que « la satisfaction du client est une priorité » ; mais la promesse doit être obligatoirement avalisée par la majorité des employés. De plus, lorsqu'un client bénéficie d'un accueil cordial et attentionné, c'est beaucoup plus en raison de l'importance des actifs détenus que la traduction d'une politique réellement raisonnée.
Il va sans dire que l'essentiel n'est pas de construire des phrases, d'agencer des mots alléchants... Revoyons cette annonce: « Quand on s'appelle Crédit Agricole, on a des devoirs d'optimisme envers chacun de vous, où que vous soyez. [...] Chaque jour, le Crédit Agricole est encore plus proche de chez vous, encore plus proche de vous. Vous êtes le futur, vous êtes l'avenir, vous êtes le progrès ». Les discours regorgent de dispositions à bien faire, font preuve de beaucoup de bonne volonté. Ce qui compte toutefois pour la clientèle, c'est la réalité de tous les jours, c'est la qualité du service rendu, la relation de confiance, le contact avec le personnel et la direction.
Mais il y a plus : lorsqu'une publicité fait des promesses simplement pour appâter le client potentiel, la relation est viciée et s'établit sur une sorte d'immoralité. Nombre d'établissements supérieurs privés proclament leur « passion de l'excellence », se targuent d'une « pédagogie proactive », promettent des stages ou/et la poursuite du cursus « à l'étranger »... Mais les bacheliers inscrits ne tardent pas à déchanter. Une école à Casablanca a poussé la témérité jusqu'à annoncer « la garantie d'emploi dès les premiers mois d'obtention du diplôme ».
La satisfaction et la conservation des clients exigent enfin une certaine constance. Il ne s'agit pas de répondre aux moindres « caprices » détectés, de gonfler d'une manière disproportionnée le service marketing, de multiplier anarchiquement les marques, les gammes de produits et les options. On aurait tort de perturber le public cible et les distributeurs en introduisant des changements incessants, sous prétexte de suivre au plus près l'évolution du marché. Certes, l'action marketing ne rime pas avec immobilisme, mais elle a besoin de durée. Il faut au besoin rectifier le tir tout en préservant l'essentiel, c'est-à-dire la personnalité d'une marque, le positionnement choisi...

Thami BOUHMOUCH
Mai 2012
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(1) Cité in L'Economiste du 15/2/96.
(2) P. Kotler et B. Dubois, Marketing management, éd. Publi-Union.
(3) Comme le note C. Demeure, fidéliser un client déjà acquis revient en moyenne six fois moins cher que de transformer un prospect en client. Cf. son ouvrage Marketing, éd. Dalloz.
(4) F. Laraichi, cité in Economie & Entreprises, janvier 2002.
(5) Peter Drucker, cité par Ph. Kotler et B. Dubois, ouvrage op. cit. Ce propos doit être nuancé. Voir l'importance accordée à la vente par les sociétés Xerox Maroc et Marocaine-vie, in article « Le consommateur sous pression » http://bouhmouch.blogspot.com/2012/02/33-le-consommateur-sous-pression-vendre.html
(6) En 1881 la société américaine Procter & Gamble a lancé sa première réclame concernant le savon Ivory. Soixante ans plus tard, ce savon est le premier produit à faire l’objet d’un message publicitaire à la télévision. Ce qui montre bien que le marketing ne saurait être réduit à sa composante publicitaire.
(7) J.-J. Croutsche, Marketing opérationnel : liaisons et interfaces dans l'entreprise,  éditions Eska.
(8) Cf. J. P. Helfer et J. Orsoni, Marketing, éd. Vuibert gestion.
(9) On peut se référer, parmi bien d'autres, à Richard Vairez, Mercatique, éd. Techniplus .
(10) J.-P. Flipo, Les paradoxes du marketing, Revue Française de Gestion sept.-oct. 1982.
(11) Léon Bean, cité par Hiam et Schewe, MBA Marketing – Les concepts, éd. Maxima.
(12) Paul Allaire, patron de Xerox, cité par Hiam et Schewe, ibid.
(13) Cf. à ce sujet Economie & Entreprises, décembre 2000.












8 mai 2012

L'ECHANGE EST L'ABOUTISSEMENT DU MARKETING



Sur le marché, la rencontre de l'offre et de la demande détermine les conditions de l'échange de produits. Ce constat banal amène à considérer trois notions constituant l'essence du marketing : la demande, l'échange, le marché. Il s'agira de comprendre que l'expression d'un besoin conduit idéalement à une relation d'échange sur un marché, que celui-ci est une donnée inhérente à la démarche marketing. Qu'en est-il ?


La demande, un concept économique

Satisfaire des besoins, satisfaire la demande : dans le langage courant, les deux propositions sont souvent confondues. Besoin et demande ne sont pourtant pas des termes équivalents.
Le désir, nous l'avons vu dans un écrit antérieur, est l'expression individuelle d'un besoin. (1) S'il donne lieu à l'achat d'un produit particulier, il se traduit par une demande. Ce sont les achats des individus qui engendrent la demande.


La demande correspond à la quantité d'un produit, achetée dans un espace géographique donné, au cours d'une période déterminée. Elle s'exprime en unités physiques ou en unités monétaires. Pour les économistes, elle signifie « désir et capacité d'acheter. La demande est un barème qui relie les quantités demandées aux différents prix ». (2) C'est donc un concept économique. C'est l'expression de la volonté et de la capacité de l'acheteur potentiel à acquérir une certaine quantité d'un bien à un prix donné. Elle désigne les produits que le consommateur est disposé à acheter, compte tenu de son revenu. Elle est ainsi soutenue par un vouloir d'achat et un pouvoir d'achat.
Or, si les individus dans leur vécu expriment des désirs d'une façon illimitée, ils disposent de ressources nécessairement limitées.
Au Maroc, les revenus sont faibles en règle générale et l'exclusion est une réalité sociale patente. S'agissant des besoins comme la nourriture, le logement, l'habillement et la santé, la pauvreté affecte directement la demande sur le marché. Il en est ainsi de la consommation de médicaments, qui s'apparente à une activité cyclique. Curieusement, elle tend à diminuer pendant le mois de Ramadan et l'Aid El Adha – périodes où les dépenses de circonstance augmentent. En revanche, elle augmente aux moments des récoltes et du retour des MRE. On comprend dès lors l'adage selon lequel « les Marocains ne se soignent pas quand ils sont malades mais quand ils ont de l'argent ». En raison du pouvoir d’achat faible, des prix élevés et d’une couverture sociale déficiente, la consommation moyenne par an/habitant de médicaments est de 21 dollars (517 en France). (3)
Il ne suffit pas, de toute évidence, qu'un individu désire un produit ; encore faut-il qu'il ait la possibilité de l'acheter. L'inverse est tout aussi vrai. Par son action sur le marché, l'entreprise engage le client potentiel à transformer son désir en décision d'achat. Elle doit être en mesure d'agir sur l'orientation, l'intensité et le rythme de la demande. « Le passage de la satisfaction d'un besoin à la création d'une demande, du psychologique à l'économique, doit être à l'origine d'une première interrogation sur la définition du marketing ». (4) La réalisation d'un tel passage est au cœur de la démarche et de la logique du marketing.

La relation d'échange

Le marketing – dans la sphère marchande – apparaît lorsque l'individu décide de satisfaire ses désirs à travers l'échange. Il requiert une relation d'échange entre une organisation qui offre une marchandise et un acheteur qui lui remet de l'argent en paiement de celle-ci. En d'autres mots, l'échange est l'aboutissement du marketing.
Ni l'autoproduction (produits du sol, élevage, bricolage), ni la contrainte (stratagème, extorsion), ni la supplication (appel à la charité d'autrui) n'entrent dans le champ du marketing – parce qu'elles ne donnent pas lieu à un échange.
De là, trois points méritent d'être explicités :
  • L'échange implique une relation, l'existence de deux parties (personne physiques ou organisations). Ce qu'on appelle communément vente est un échange entre deux intervenants.
  • L'échange est l'acte qui consiste à obtenir quelque chose de quelqu'un (l'argent, ordinairement), en « compensation » d'une autre chose (bien ou service). Il implique donc l'existence d'une convention et d'une contrepartie. Chacune des deux parties possède une entité qui a de la valeur pour l'autre.
  • C'est un échange volontaire et concurrentiel. Chaque partie est libre d'accepter ou de rejeter l'offre de l'autre. Les risques d'abus de pouvoir sont limités. Une transaction  –échange de valeurs entre deux parties – a lieu s'il y a accord sur les termes de l'échange, si ceux-ci sont générateurs d'utilité pour les deux partenaires. Si l'acheteur estime que le prix du produit est trop élevé au regard des avantages qu'il procure, la transaction ne se réalisera pas.

L'idée courante est que l'acheteur et le vendeur, se répartissant un gâteau déterminé, essayent tous deux d'en avoir la plus grosse part. Le premier veut obtenir le prix le plus bas (mis à part les produits ostentatoires ou à implication affective forte), le second essaye de récupérer ses coûts et réaliser un profit satisfaisant... D'aucuns adhèrent à une autre vision, qui leur paraît plus féconde : l'entreprise tend à augmenter le volume du gâteau afin de procurer des avantages supplémentaires aux deux parties en présence. L'imagination commerciale, en renouvelant sans cesse le produit et les services qui l'accompagnent, permet de conquérir et de fidéliser l'acheteur, tout en améliorant la rentabilité. Le producteur crée la relation d'échange et fait le nécessaire pour que celle-ci soit reconduite. C'est là que se trouve l'essence même du marketing.
Les notions d'échange et de transaction conduisent naturellement à celle de marché. Ces trois notions sont indissociables. Qu'est-ce que le marché ?... A question simple, réponse complexe.

Le marché, objet de référence

L'échange se concrétise sur un marché. Le marché est l'un des mots les plus utilisés, mais dont les définitions sont fluctuantes. Il désigne parfois la demande, parfois la clientèle (on dira un marché de 30 millions d'individus). D'un point de vue économique, il est appréhendé comme le « lieu de rencontre » entre l'offre et la demande d'un bien dans un secteur déterminé. Mais cette vision spatiale, quoiqu'admissible, est trop simpliste pour expliquer le terme et saisir son importance dans la perspective du marketing.
Le marketing est fondé sur la connaissance du marché. Les deux notions ne peuvent être considérées séparément (comme l'indique le radical anglais market). Le marché est une donnée pré-requise, inhérente à tout acte d'entreprendre ; il constitue l'étalon de référence pour toute prise de décision majeure. Identifier son marché revient implicitement à opérer un choix stratégique.+000000000 Il importe donc de bien saisir la notion.
Sur le plan conceptuel, des problèmes de définition se posent. Voici une proposition sans risque : le marché « est constitué de personnes ou de groupes de personnes ayant des besoins à satisfaire, de l'argent à dépenser pour satisfaire ces besoins et la volonté de dépenser cet argent ». (5) Cela nous renvoie au sens donné plus haut par les économistes à la notion de demande (« désir et capacité d'acheter »). En somme, la taille d'un marché dépend du nombre de personnes intéressées par le produit, ayant la volonté de l'acquérir (vouloir d'achat) et disposant pour ce faire des ressources nécessaires (pouvoir d'achat). (6)
On se doit tout de suite de préciser : le marché désigne un ensemble d'agents exprimant des besoins et des attentes, capables et désireux d'acquérir des produits pour les satisfaire, dans un espace et à un moment donnés. Outre l'indication du territoire et de l'intervalle de temps, il se définit aussi par rapport à un produit ou une catégorie de produits. On dira par exemple : le marché marocain des médicaments en 2011.
Mais il ne faut pas s'y tromper : en réalité, le marché est une notion abstraite, vide de toute référence géographique (au sens de lieu public où des marchandises sont offertes à la vente). Il met en jeu un ensemble de partenaires, de forces et de produits destinés à faire l'objet d'échanges.
Il s'ensuit que là où existe une possibilité d'échange, il y a un marché. Ce qui revient à dire que celui-ci ne se limite pas aux clients acquis à un moment donné. Il inclue aussi les non-consommateurs relatifs, i. e. ceux qui sont susceptibles de devenir des clients (à court ou moyen terme). Ces deux catégories de publics sont désignées respectivement par le marché actuel (réel, effectif) et le marché potentiel.
En conséquence, les notions de marché et de demande, bien qu'elles soient étroitement liées, ne doivent pas être prises l'une pour l'autre. Tout entrepreneur désireux de lancer un produit se pose la question : y a-t-il un marché ? Seulement, l'existence d'un marché est une condition nécessaire mais non suffisante. La demande pour un produit ne va pas de soi, il faut faire l'effort de la susciter et de la soutenir. C'est plus facile à dire qu'à faire... Pour un produit donné, le marché est convoité par de nombreux intervenants, lesquels s'appuient tendanciellement sur une définition similaire des attentes et utilisent, à un degré ou à un autre, les mêmes moyens d'action.
Le propos ici n'engage en aucune manière à restreindre le champ du marketing. L'échange, rappelons-le, n'est pas exclusivement de type commercial, n'implique pas forcément la vente d'un produit – dans le sens de cession contre de l'argent. Il peut s'agir de susciter l'adhésion à une idée, à une cause sociale ou morale, à un programme politique. (7)

Récapitulons. Si le désir exprimé aboutit à l'achat d'un produit particulier, il se traduit par une demande. Une demande rencontre une offre dans le cadre du marché. Celui-ci suppose une relation d'échange et une transaction. Ces notions sont inséparables.

Thami BOUHMOUCH
Mai 2012
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(1) Cf. article « Le besoin : stimulé, canalisé ou manipulé ? », in http://bouhmouch.blogspot.com/2012/04/le-besoin-stimule-canalise-ou-manipule.html
(2) Robert L. Heilbroner et Lester C. Thurow, Comprendre la macro-économie, Economica. Je souligne.
(3) Cf. http://www.marocnursing.com/wp/actualite/industrie-pharmaceutique-le-generique-au-centre-des-priorites.html  Mars 2012. Afin de faciliter l’accès aux soins aux plus démunis, l’Etat s’est engagé récemment dans une série de réformes qui placent le générique au centre des priorités.
(4) J. Hoflack et P.-L. Dubois, Les métamorphoses du marketing, Revue Française de Gestion, jan-fév. 1983, p. 4.
(5) Jeffrey Seglin, Cours pratique de marketing en 12 leçons, InterEditions.
(6) Claude Demeure propose une définition très contestable : « le marché d'un produit regroupe l'ensemble des marques évoquées par le consommateur à propos de ce produit ». Cf. son ouvrage : Marketing, éd. Dalloz.
(7) Cf. article « Le produit, une notion disparate », in http://bouhmouch.blogspot.com/2012/05/le-produit-une-notion-disparate.html



5 mai 2012

LE CLIENT S'ATTACHE AUX SOLUTIONS, PAS AUX PRODUITS



La notion de produit, on l'a vu, n'est simple qu'en apparence. (1) Même un bien tangible n'est pas ce que l'on peut penser. La notion fait intervenir une autre variable majeure : la fonction. Voyons cela dans le présent article.

Considérons une scène ordinaire : dans une station-service, un automobiliste demande qu'on lui fasse le plein de carburant. Il tend la clé au pompiste (ou ouvre la trappe à distance), le dos tourné au poste d'essence. Une fois le travail effectué, il paye et s'en va. Il n'a pas vu le produit qu'on a introduit dans son réservoir, ne connaît ni sa couleur ni son odeur. Pourquoi une telle « indifférence » ? La raison est aussi simple qu'évidente : ce n'est pas le carburant en lui-même qui l'intéresse. Levitt (qui m'inspire cet exemple) l'explique en ces termes : « En réalité, on n'achète pas de l'essence. [...] Ce que l'on achète, c'est le droit de continuer à conduire sa voiture. La station-service est une sorte de précepteur à qui il faut payer une taxe proportionnelle aux kilomètres parcourus ». (2)
Ce constat, apparemment banal, vaut d'être formulé et souligné : un produit est un moyen, pas une fin. C'est un vecteur porteur d'utilités.
En marketing, il est important de distinguer un produit de la fonction qu'il remplit. Cela est vrai pratiquement pour tous les secteurs d'activités. Ainsi, il est possible de dire qu'un individu n'achète pas un lecteur DVD – boîtier de plastique, de transistors et de fils électriques – mais un instrument de divertissement (ou de travail). Les gens n'ont pas besoin de cartes de crédit mais de moyens commodes permettant d'effectuer des achats et de retirer de l'argent dans un guichet automatique. De même, il va de soi qu'on n'achète pas une perceuse pour elle-même, mais pour ses capacités à percer le bois, le ciment ou les métaux. D'où le témoignage plaisant de ce professionnel : « Les  consommateurs  n'achètent  pas des mèches [forets pour perceuses] de 6 mm, mais des trous de 6 mm ». (3)
Une telle conception a des implications majeures sur la politique du produit. L'élément clé d'un produit réside en effet dans la fonction qu'il remplit. C'est cette fonction que l'entreprise cherche à mettre en valeur et à vendre. Celle-ci ne doit pas être obnubilée par les caractéristiques physiques du produit et oublier que le consommateur cherche avant tout à satisfaire un besoin spécifique. Dans le cas contraire, elle serait victime du syndrome de la myopie marketing, évoqué dans un article antérieur. (4)
Le couple besoin-fonction est beaucoup plus large et plus évolutif que le couple produit-marché. Le public achète les avantages tirés de l'emploi des produits. Il n'achète pas toujours ce que vous croyez lui offrir. « N'oublions pas, dit un professionnel, que le client n'achète pas notre produit mais l'idée que ce produit ou service va améliorer sa situation. Le client achète des solutions qui vont résoudre ses problèmes… ». (5)
Que demandent en effet les clientes d'une parfumerie ? Elles cherchent de l'évasion, de l'émotion, du glamour, etc. Voilà pourquoi le packaging et la publicité représentent près de 80 % du prix des produits. Une femme n'achète pas une crème antirides ou un fard à joues mais de l'espoir et de la séduction. « Elle essaie de résoudre un problème, éventuellement de transformer un rêve en réalité ». (6) Elle achète des solutions (sensation spécifique sur la peau, jeunesse, esthétique, standing) qu'elle s'attend à trouver dans les produits – alors qu'elle ignore tout des ingrédients entrant dans leur composition. Ce constat avéré, le fondateur de la marque Revlon l'a exprimé d'une manière frappante : « A l'usine, nous fabriquons des cosmétiques, dans les parfumeries, nous vendons du rêve ». (7)

DIGRESSION
Les montres Swatch “à même la peau”
On peut vendre un produit en faisant valoir ses qualités propres (performances, prix) ou bien son image, sa part de rêve. Chaque secteur utilise préférentiellement un registre d'appel. L'horlogerie joue plutôt du premier et la parfumerie du second. Mais en passant d'un registre à l'autre, il est possible, en surprenant les consommateurs, de redessiner un marché.
C'est ce qu'a fait Swatch avec le succès que l'on connaît dans le domaine des montres à petit prix. Sur ce marché, les leaders – Citizen et Seiko – se concurrençaient en améliorant sans cesse la fonctionnalité : précision avec la technologie à quartz, lisibilité avec l'affichage numérique. Sans sacrifier la fiabilité traditionnelle de l'horlogerie suisse, Nicolas Hayek a transformé la montre en accessoire de mode. Il a [...] axé ses campagnes de publicité sur l'émotion (“Portez une montre à même la peau !”).
W. Chan Kim et R. Mauborgne, in L'essentiel du Management, avril 1999.

Quels sont les problèmes que l'organisation se propose de résoudre ? Quelles solutions apporte-t-elle ? Quelle est la clientèle visée ? C'est justement à ces questions que doit répondre, au départ, la formulation de la mission. La mission montre dans quelle direction une organisation doit se développer. C’est l’énoncé de ce qu’elle veut et peut accomplir. C’est sa raison d’être.
Il importe de découvrir ce qui compte le plus pour les clients cibles. « Allez au cœur de ce qu'ils achètent réellement, non de ce que vous pensez vendre ». (8)  Même un bien tangible n'est pas acquis pour lui-même mais pour les « bénéfices » objectifs et subjectifs qu'il procure. Pour les créateurs de la marque Ralph Lauren, les personnes aisées ne fréquentent pas les grands couturiers pour les vêtements eux-mêmes, mais pour pouvoir affirmer par-dessus tout : « Je suis différent, j'aime les belles choses de la vie ». (9)
Ce qui revient à dire qu'à un même produit peut correspondre des attentes différentes. Comme les consommateurs diffèrent les uns des autres, leurs problèmes sont forcément différents. Une voiture, dont l'achat répond avant tout à un besoin de locomotion, constitue un symbole de prestige ou de séduction, un reflet de la personnalité (amour de soi, virilité, autorité), peut-être un moyen d'évasion... 
Mais il y a plus : un fabricant de lunettes par exemple doit comprendre que son métier est l’amélioration de la vue ; il ne saurait faire abstraction des lentilles de contact (cornéennes) qui, elles aussi, répondent au besoin de corriger les troubles de la vision. De même, la peinture et le papier peint répondent à un même besoin : embellir les murs et les mettre en valeur. La règle à calcul a depuis longtemps disparu du marché, mais le besoin qui conduisait à son achat est inchangé. Aujourd'hui, il y a les calculettes (calculateurs de poche). De la planchette allongée à graduation logarithmique, nous sommes passés à la machine électronique. Dans l'un et l'autre cas, ce qui est vendu c'est un instrument servant à effectuer des calculs.

Il se révèle en conséquence que la notion de fonction attribuée au produit tend à élargir le champ concurrentiel de l'entreprise. Elle est à la base de la distinction entre concurrence directe et indirecte. Pour corriger les fautes de frappe, à l'époque des machines à écrire (il y a plus de trente ans), on utilisait les petites feuilles Kores (recouvertes d'un enduit blanc). Ce produit a été supplanté par le correcteur liquide Blanco ou Balance et a fini par disparaître du marché. L'utilisateur n'a pas rechigné à adopter la substance liquide au détriment des feuilles correctives. Ce qui l'intéresse c'est le résultat : rectifier les fautes. Autre exemple : la lame « Sensor pour elle » de Gillette sert à supprimer les poils des jambes ; c'est pour cela qu'elle est concurrencée par la crème dépilatoire – relevant d'une activité et de procédés dissemblables.
Une nouvelle perspective est ainsi introduite : le métier gagne à être défini, non en termes de technologie (feuilles correctives ou correcteur liquide, crème ou rasoir), mais en termes de service rendu (effacer les fautes de frappe, éliminer les poils). Le marché de référence lui-même doit être délimité par rapport à la fonction recherchée plutôt que par rapport à un savoir-faire technique particulier et restreint. Ce qui signifie que les producteurs opèrent sur un marché à géométrie variable.
Revenons à l'exemple du pompiste. Que veut l'acheteur de carburant ? Il veut une substance dont la combustion fournirait l'énergie nécessaire au moteur de sa voiture. D'où une question cruciale : les sociétés pétrolières sont-elles destinées à satisfaire ce besoin générique (faire tourner un moteur) ou à raffiner et vendre du pétrole ? En d'autres mots, appartiennent-elles à l'industrie énergétique ou à l'industrie du pétrole ? Le pétrole, on le sait, est une ressource épuisable. Aujourd'hui, ces sociétés ont intérêt à se dégager de l'emprise que le produit exerce sur elles. Les piles à combustible chimique, les batteries ou l'énergie solaire annoncent – à terme – la mort du produit actuel. L'objectif est de se tourner vers ces sources d'énergie avant que la technologie ne rende sa sentence.
Nombre de constructeurs d'automobiles ont pris acte de la menace, les Japonais en particulier. La voiture Toyota Prius est dotée de deux moteurs, thermique (essence, 72 chevaux) et électrique (45 chevaux). Lancée en 1997 au Japon (puis en Europe et aux Etats-Unis après 2000), elle constitue la première brèche dans la domination quasi-absolue du moteur à explosion. Lorsqu'on saura stocker suffisamment d'électricité, le moteur thermique pourrait disparaître au profit du seul moteur électrique. (10)
Un bon fabricant ne crée donc pas des produits mais des solutions. Autant dire que si la concurrence est forte pour un produit donné, les entreprises peuvent être amenées à concevoir un produit différent mais qui remplit la même fonction. Les produits de substitution ne font pas partie du marché, mais s'ils rivalisent avec les produits du marché, c'est parce qu'ils apportent une solution alternative. Il peut s’agir de produits différents ou de produits issus d’une évolution technologique. Les lecteurs MP3 ont remplacé les baladeurs-cassette, qui s'en plaint aujourd'hui ?
L'exemple de l'insecticide est assez révélateur : les spots de télévision montrent rarement la bestiole. Filmer l'élimination de celle-ci n'est pas pertinent. Le client n'est aucunement focalisé sur la mise à mort de l'intrus. Il souhaite simplement qu'on le débarrasse du « problème insecte » ; le moyen et les procédés lui importent peu. On conçoit alors que des produits très divers puissent être imaginés pour répondre à cette attente : pulvérisateur de liquide toxique (appareil manuel ou bombe à aérosol), papier imbibé d'une substance collante, tablette branchée sur une prise, etc.  

DIGRESSION
Assurance ou élimination de parasites ?
Prism Inc., une filiale de Johnson Wax, a appris de ses clients que son activité relevait de l'assurance plus que de l'élimination des parasites (blattes, araignées, souris, rats, etc.). En effet, ses clients, restaurateurs et hôteliers notamment, ne craignent pas tant les parasites eux-mêmes [...] qu'une baisse de leur chiffre d'affaires. Insectes et rongeurs font fuir les clients et indisposent les services du contrôle d'hygiène.
Ayant compris cela, Prism mit au point une extraordinaire garantie de service qui fonctionne essentiellement comme une police d'assurance. Elle garantit aux clients l'absence de parasites. Un point c'est tout. Si des parasites apparaissent chez un client en dépit des efforts de Prism pour les éliminer, l'entreprise, non contente de rembourser intégralement ses prestations pour la période en cause, réglerait les notes d'hôtel et de restaurant des clients mécontents et leur adresserait à chacun une lettre d'excuses. [...]
Extraits de R. Whiteley et D. Hessan, Les avantages compétitifs de l'entreprise orientée clients, éd. Maxima.
      
« Les marchés ne sont plus régis par l'offre de produits, mais par l'offre de solutions : pour continuer d'exister, il ne suffit plus de sophistiquer les produits que l'on sait faire, mais d'imaginer les produits de demain ». (11) A cet égard, il ne s'agit pas de se décharger sur le client, dont le manque d’imagination est compréhensible. Le fondateur d’Orange précise : « Il ne faut pas interroger les clients sur ce qu’ils veulent, mais sur les problèmes qu’ils rencontrent dans leur vie de tous les jours. C’est en les aidant à résoudre ces problèmes que l’on invente les solutions de demain ». (12)
La société 3M (bureautique, chimie, informatique...) vend ses produits justement comme  des solutions. Ce principe est mis en avant par les collaborateurs de la filiale marocaine. Chacun admet que c'est aux solutions que les consommateurs sont attachés, pas aux produits. Ceux-ci, disons-le de nouveau, « n'achètent pas des choses, mais des outils pour résoudre des problèmes ». (13)


Récapitulons. Un produit n’est pas une fin, mais un moyen. C'est un ensemble d'avantages perçus par le consommateur. Il y a donc lieu de distinguer un produit de la fonction qu'il remplit. C'est cette fonction que le producteur s’attache à mettre en valeur et à vendre. On se doit de découvrir ce qui compte le plus pour le consommateur. Celui-ci n'achète pas un produit, mais la satisfaction qu'il espère en retirer, la solution à un problème spécifique. 

Thami BOUHMOUCH
Mai 2012
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(1) Cf. article « Le produit, une notion disparate », in http://bouhmouch.blogspot.com/2012/05/le-produit-une-notion-disparate.html
(2) Th. Levitt, Le marketing à courte vue, Encyclopédie du marketing, Editions Techniques. Je souligne… Curieusement, un quotidien a pu affirmer à propos du carburant que « les produits importés sont deux fois meilleurs que les produits locaux ». Quelle est la signification véritable d'une telle comparaison pour l'automobiliste moyen (mis à part les écologistes) ?
(3) Léo McGinneva, cité par T. Levitt, L'imagination au service du marketing, Economica. Voir également A. Hiam et Ch. Schewe, MBA Marketing - Les outils, éd. Maxima.
(4) Cf. article « Le syndrome de la myopie marketing », in  http://bouhmouch.blogspot.com/2012/01/23-le-syndrome-de-la-myopie-marketing.html
(6) T. Levitt, Réflexions sur le management, Dunod.
(7) Ch. Revson, cité par J. Lendrevie et D. Lindon, Mercator, Dalloz.
(8) R. Whiteley et D. Hessan,  Les avantages compétitifs de l'entreprise orientée clients, éd. Maxima.
(9) Cf. L'essentiel du Management, avril 1999.
(11) A. Mezouar, du cabinet LMS Conseil, in L'Economiste du 5 février 1998. Je souligne.
(12) Hans Snoock, cité par Morald CHIBOUT, Le marketing expliqué à ma mère, Ed. d’Organisations.
(13) T. Levitt, L'imagination au service du marketing, op. cit.