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26 mai 2016

L’ECONOMIQUE ET LE POIDS DU FACTEUR HUMAIN


Série : Le culturel au cœur du changement social


S’il est vrai que le développement économique requiert un contexte de relations internationales expurgé de toute forme d’exploitation (1), il n’est pas moins vrai qu’il dépend essentiellement des efforts fournis par les hommes, de leur détermination et de leur faculté créatrice. Il est clair que le changement ne s’exécute pas de lui-même ; il exige une volonté et un besoin de réussite.

L’économique n’explique pas tout  
L’étude de la mentalité sous-développée se justifie par le rôle déterminant de la pensée dans l’approche du réel et la formation du comportement. L’esprit humain, s’il est entaché d’inertie, constituerait immanquablement une entrave sérieuse aux efforts de progrès matériel. Le sous-développement est à n’en pas douter un style de vie décelable dans toute action, toute conduite.
Soulignant avec force le rôle joué dans l’essor de l’industrie par l’esprit humain, l’initiative, le travail et l’éducation, Ch. Rist écrivait jadis : « C’est là qu’il faut chercher aujourd’hui l’influence décisive qui imprime à l’économie ses traits les plus originaux ». Il ajoutait : « En définitive, le facteur essentiel du progrès économique c’est la valeur intellectuelle des hommes appelés à y coopérer, leur initiative, leur formation méthodique, leur goût de la recherche du mieux, leur habitude de résoudre les problèmes techniques ou économiques, constamment posés par l’évolution de la production ». (2)
Le mode conventionnel de pensée, reposant sur une « abstraction unidimensionnelle » (Y. Raj Isar, infra) qui est l’homo œconomicus, semble faire l’impasse sur les hommes concrets qui, par leurs vertus et leur imagination, composent le paysage économique, font l’histoire. (3) Les prédispositions et les attitudes des agents impliqués expliquent largement les grandes réalisations dans le domaine économique. N’oublions pas que le sujet économique est avant tout une personne ayant des traits psychiques.
L’économique n’explique pas tout ; elle ne rend pas compte des dispositions intellectuelles des acteurs sociaux… « Là où il [le développement] a pris, le qualitatif a soutenu et inspiré le quantitatif, les valeurs ont dicté les finalités et les formes de celui-ci. Ce n’est donc pas selon une logique purement économique que ce processus peut se dérouler ailleurs ». (4) Le progrès économique ne se produit pas sans l’homme ; il se produit bien dans une économie à base de composantes matérielles, mais une économie « dont le cadre est humainement tracé et le fonctionnement humainement surveillé » (5)



Facteurs essentiels et facteurs associés
Au niveau de l’individu, la seule croissance physique n’est pas un signe de maturité ; si le corps est imposant mais l’esprit restant puérile, l’individu serait insuffisamment mature. Cette métaphore vise à faire sentir, s’agissant d’un groupe social, que le développement ne signifie pas uniquement un accroissement du revenu national, ni uniquement une élévation de sa spiritualité. En effet, comme le note M. El Jabiri avec raison, « le développement n’est réel et authentique que s’il est en même temps un développement de l’économie, un développement de l’esprit, un développement de la manière de vivre. Le développement économique est bien la base, mais il ne constitue le moteur d’un développement général, il ne devient le fondement de l’édification de l’avenir que s’il a lieu en harmonie et s’il est compatible avec les autres aspects, spirituels, scientifiques, sociaux. Ces aspects – en particulier spirituels – qui paraissent être une conséquence dans des cas déterminés peuvent même être une cause dans d’autres cas. Ils s’avèrent en fait en même temps une cause et une conséquence, comme le développement économique lui-même ». (6)
M. Hijazi va dans le même sens : « l’homme sous-développé, depuis qu’il naît suivant une structure sociale donnée, devient une force active qui agit sur elle. Il consolide cette structure et renforce sa stabilité, en résistant à son changement […]. Il y a donc une relation dialectique entre la cause et l’effet […], ce qui nous oblige à nous intéresser aux deux lors de l’étude d’une société sous-développée ». (7)
De même pour R. Lucchini et Ch. Ridoré, ce qui est tenu pour une cause dans telle optique peut être un effet dans telle autre optique. « Eu égard à la complexité de la réalité socioculturelle et à son caractère systématique, on a rarement affaire à des séquences unilatérales cause-effet, mais plus souvent à des systèmes de causes et d’effets ». (8) En fait, précisent-ils, « il n’y a pas de déterminisme unilatéral dans les relations entre structure sociale et culture » (9)

Prenant acte de la dialectique du changement économique et de l’épanouissement culturel, on peut ainsi faire une distinction entre les facteurs essentiels au déclenchement d’un processus réussi et les facteurs qui lui sont associés (les uns et les autres étant liés). Par exemple, le fait de posséder une voiture est associé à la faculté de se déplacer. Il ne s’agit pas toutefois d’un facteur essentiel ; il est simplement associé au conducteur qui, lui, est un élément essentiel de la mise en marche et de la conduite de la voiture. Cette seconde métaphore élémentaire vise à faire ressortir que les moyens d’action matériels ne sont que des facteurs associés à la genèse de nouvelles structures ; c’est l’homme avec ses qualités intrinsèques qui en est le facteur essentiel.
Il devient dès lors évident que nous ne pourrions nous dispenser de faire état des freins humains et des pesanteurs culturelles. P. Bairoch donne à penser que ces facteurs, qui caractérisaient jadis les diverses sociétés traditionnelles européennes, ne sont pas après tout spécifiques aux pays sous-développés actuels. Il se garde néanmoins de les tenir pour négligeables : « cela n’implique nullement qu’ils ne représentent pas des freins  […]. Le véritable problème du Tiers-Monde est qu’à ces freins de toujours s’ajoutent des obstacles nouveaux à caractère économique, technique, démographique que n’ont pas connu les sociétés européennes… ». (10)
Les freins évoqués sont de nos jours particulièrement cruciaux dans nombre de pays, où de multiples blocages sont largement et foncièrement dus à des résistances extra-économiques. C’est le constat que fait G. Myrdal : « les facteurs non économiques ont moins d’importance dans l’analyse, du fait qu’ils sont suffisamment adaptés ou susceptibles de s’adapter aux impulsions d’ordre économique. Il en va tout autrement dans les pays sous-développés ». (11) Ces derniers ont sans doute beaucoup moins besoin de disposer d’une comptabilité nationale sophistiquée que d’acteurs ayant le sens du rationnel et le goût de la progression.

Le progrès économique, ce n’est pas uniquement des programmes d’investissements ; c’est aussi un changement durable des motivations et comportements. Il n’y a pas lieu d’examiner les grandeurs mesurables d’une façon abstraite, de perde de vue les relations dialectiques qui se nouent entre l’économique et le fait culturel. En aucune manière, le travail de l’économiste ne devrait être effectué en vase clos.

Thami BOUHMOUCH
Mai 2016
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(1) Voir sur ce point l’article : L'ankylose du sous-développement, le jeu de l’exploitation impérialiste http://bouhmouch.blogspot.com/2013/01/lankylose-du-sous-developpement-13-le.html
(2) Charles Rist, Précis des mécanismes économiques élémentaires, Librairie du Recueil Sirey 1947, pp.36-37. Je souligne.
(3) Sur ce point, voir l’article : Le fait économique ne se produit pas sans l'homme, http://bouhmouch.blogspot.com/2011/06/le-fait-economique-ne-se-produit-pas.html
(4) Yudhishthir Raj Isar, Les enjeux d’une décennie de développement culturel à l’échelle planétaire, Après-demain n°322, mars 1990.
(5) François Perroux, Le capitalisme, PUF Que sais-je 1969, p. 130.
(6) Mohamed A. El Jabiri, Ro’ya takaddoumia li baad machakilina al fikri wa tarbawiya, éd. Maghrébines 1982, p. 205. Je traduis et souligne.
(7) Mostapha Hijazi, At-takhallouf al-ijtima’i Sikologia al-issane al-maq’hor, Maahad al-inma’e al-arabi, 1984, p. 7. Je traduis et souligne.
(8) Riccardo Lucchini, Charles Ridoré, Culture et société. Introduction à la sociologie générale, Ed. Univers. Fribourg, 1983, p. 79.
(9) Ibid, pp. 150-151.
(10) P. Bairoch, Le Tiers-monde dans l’impasse, Gallimard 1971, p. 308.
(11) Gunnar Myrdal, Le défi du monde pauvre, Gallimard 1971, p. 38.

19 mai 2016

REINTRODUIRE L’HUMAIN DANS LES SCHEMAS ECONOMIQUES


Série : Le culturel au cœur du changement social


L’avènement de ce qu’il est convenu d’appeler le développement (1) est appréhendé d’abord à travers ses manifestations les plus évidentes, celles qui se prêtent à la quantification. On le réduit tout de go à une question de croissance matérielle, de capitaux, de technologies, d’échanges commerciaux. La réduction quantitativiste de cette notion n’a-t-elle pas été pendant longtemps à l’origine des malentendus et impasses ?
Un observateur attentif, s’il prend quelques libertés à l’égard des conventions et s’il vit la situation du sous-développement (SD) de l’intérieur, ne manquera pas de réagir contre la tradition économiciste. Les explications proprement économiques en effet ne suffisent pas à rendre compte des exigences du changement social. L’économiste lui-même pourrait convenir que les causes des transformations apportées au système économique peuvent se situer en dehors de celui-ci(2)

Particularisme et ressorts propres

Dans le passé, les facteurs culturels ont toujours été absents des fameux « modèles de développement ». Il paraissait insolite de centrer l’attention sur des phénomènes qui ne pouvaient être évoqués à l’aide de grandeurs comptables. Par ailleurs, malgré le caractère fondamental de l’approche qui fait des « pays du Sud » des victimes historiques de l’exploitation internationale, celle-ci ne lève pas toutes les incertitudes et ne fournit pas une réponse convaincante à des problèmes qui se posent de manière récurrente depuis des décennies. Or, parce que les phénomènes sociaux n’obéissent pas à des lois de causalité mécanique, l’investigation se doit de tenir compte des facteurs endogènes constitutifs.
La réflexion s’était quelquefois portée sur la place et l’importance de la problématique culturelle. L’idée était d’introduire une nouvelle approche, de promouvoir une interprétation élargie du développement… (3) Encore faut-il s’entendre sur le sens des mots : la culture fait référence au comportement de l’homme, à ses systèmes de valeurs, à sa façon de se percevoir et de percevoir le monde qui l’entoure. C’est la sphère à partir de laquelle les membres d’une collectivité sont en mesure d’orienter leurs attitudes et conduites. Son influence est perceptible à tous les paliers de la réalité sociale. Si la culture « est conditionnée par le social et les structures qui le composent, elle possède également une grande force de conditionnement ». (4)


Lprogrès économique, dont l’homme est la finalité, revêt une dimension culturelle capitale, pose en fait un choix de société. Les principes sur lesquels il se fonde sont porteurs d’une signification essentiellement éthique. Cela suppose pour les sociétés la possibilité de préserver et de promouvoir les valeurs qui leur sont propres, de revendiquer et d’obtenir le droit à la différence.
Il est clair que le processus de changement ne doit pas se réduire à une modernisation à l’occidental – une modernisation qui serait d’ailleurs caricaturale et profondément aliénante. C’est dans la conciliation créatrice des différences et dans la reconnaissance de l’altérité qu’il peut avoir lieu. Il se conçoit dans un système ouvert et pluraliste qui tient compte de la diversité du monde.
En contrepartie, nul ne peut faire abstraction des impératifs à caractère universel, de la nécessité absolue de passer à de nouvelles cohérences, à de nouvelles structures génératrices de progrès. On s’aperçoit dès lors que l’immobilisme social peut bel et bien être dû à des obstacles à caractère social et humain.

Les facteurs socioculturels inhibiteurs

Les réalités humaines vivantes débordent le cadre de l’analyse économique conventionnelle. (5) Elles ne suscitent pas le même intérêt qui est porté aux structures économiques, politiques et sociales. Alors que le SD technique, industriel, économique est saisissable dans ses indices, le SD psychosociologique existentiel est abusivement laissé dans l’ombre. On croit fermement que ce qui est mesurable est l’essentiel, que le qualitatif doit obligatoirement suivre. Or, comme l’écrit A.-M. M’bow, « le critère de tout développement est d’être qualitatif et non seulement quantitatif : pour l’homme, il ne s’agit pas seulement d’avoir plus, mais d’être plus » (6)
On ne saurait séparer l'économique de l’ordre humain et culturel, comme si « la gestion de la maison » (c’est le sens étymologique du mot économie) pouvait se passer de la connaissance des hommes qui l'occupent, de leurs facultés créatrices, de leurs vertus sociales. L’isolement d’un facteur constitue toujours un appauvrissement du schéma explicatif. L’économique, justement, ne cherche-t-elle pas à étudier un secteur isolé de la réalité observée, un aspect particulier des conduites humaines ? Les démarches refermées sur elles-mêmes empêchent d'appréhender l'interaction de l'économique et de ce qu'on appelle l'extra-économique.

L’approche communément adoptée perd de vue un fait crucial : à savoir que les grandeurs et mécanismes sont avant tout le fait d’hommes. L'économique ne peut se ramener à une science des quantités, ne peut se désolidariser des autres sciences humaines. Comme le note A. Piatier, « le destin des nations dépend beaucoup des mœurs et des sentiments sociaux de ses habitants. Vis-à-vis d’eux la recherche opérationnelle et l’économétrie sont inopérantes ; elles font un peu penser  aux armes modernes qui sont inefficaces dans la guérilla ». (7) Que dire des réactions de l’individu au changement : sont-elles hors du territoire de l’économiste ? La perspective purement économique est-elle suffisante en elle-même ?
Certes, tout processus de changement social repose indiscutablement sur des bases matérielles, mais celles-ci une fois posées, il demeure nécessaire de mettre l’accent sur l’interrelation entre le fait économique et le fait foncièrement humain. La réalité vécue sur le terrain devrait éclairer et guider la réflexion. Il importe de comprendre le rôle décisif joué par les dispositions d’esprit. Au delà des grandeurs comptabilisables, le manque de dynamisme et d'actions méthodiques, les rigidités mentales, l’indiscipline sociale sont à la fois cause et résultat de l'immobilisme général. (8) Les « dynamiques de développement » sont une chimère tant qu’elles ne seront pas intégrées dans les schémas mentaux de la masse comme des élites.

De fait, l’économique gagne à être comprise comme une perspective sur le phénomène humain. Placée sans équivoque dans le champ socioculturel, la notion de développement prendrait alors tout son sens. C’est en fin de compte sur la dialectique de l’universel et du spécifique que l’analyse se doit de reposer.

Thami BOUHMOUCH
Mai 2016
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(1) Les vocables « développement » et « sous-développement », en dépit de leur contenu équivoque et éminemment hypocrite, ont été utilisés pendant longtemps dans tous les discours. Ils sont employés ici comme des pis-aller et par soumission à un usage répandu. Cf. sur ce point deux papiers précédents : Nations subalternes et hypothèque impérialiste http://bouhmouch.blogspot.com/2011/11/nations-subalternes-et-hypotheque.html  et L'état de sous-développement est-il explicable ? http://bouhmouch.blogspot.com/2012/05/letat-de-sous-developpement-est-il.html
(2) Voir sur ce point l’article : Le fait économique ne se produit pas sans l'homme http://bouhmouch.blogspot.com/2011/06/le-fait-economique-ne-se-produit-pas.html
(3) Cf. Guide pratique de la Décennie mondiale du développement culturel 1988-1997, UNESCO 1987, pp.14-16.
(4) R. Lucchini, Ch. Ridoré, Culture et société, Introduction à la sociologie générale, Ed. Univers. Fribourg, 1983, p. 103.
(5) Cf. sur ce point l’article L'ankylose du sous-développement [2/3] : les facteurs inhibiteurs http://bouhmouch.blogspot.com/2013/01/lankylose-du-sous-developpement-33-une.html
(6) Amadou-Mahtar M’Bow, Les aspects culturels du nouvel ordre économique international, Annuaire du tiers-monde, tome II 1975-1976, Berger-Levrault, p. 12.
(7) André Piatier, Préface à l’ouvrage de J-P Courthéoux, Attitudes collectives et croissance économique, éd. Marcel Rivière 1969, p.16.

(8) Voir à cet égard l’article L'état de sous-développement est-il spécifique ? [2/2]. http://bouhmouch.blogspot.com/2012/05/letat-de-sous-developpement-est-il_26.html

5 mai 2016

LE MODÈLE DE PORTEFEUILLE DE BCG [3/3] : QUELLES STRATÉGIES ENVISAGER ?


Série : Marketing stratégique 


Chaque domaine d’activité, nous l’avons vu, a ses contraintes propres et concourt à la réalisation de l’objectif global de l'entreprise. De là les questions : quelles sont les activités d’avenir, lesquelles peut-on maintenir, lesquelles doit-on éliminer ? Lesquelles rapportent de l’argent en permettant de financer d’autres activités ? Quel poids accorder à chacune d’elles ?
L’analyse du portefeuille de domaines à l’aide du modèle de BCG facilite la définition de la stratégie de marketing. Toutes les activités étant placées sur la matrice, une vue d’ensemble permet de tirer des recommandations stratégiques. Il est ainsi possible à la fois d’analyser la situation présente (vision photographique) et d’envisager une évolution future (vision cinématographique). Ce qui montre bien l’aspect dynamique de la matrice – désigné par les flèches dans le schéma rappelé ci-après.


Vedettes
Ces domaines prometteurs génèrent des bénéfices et contribuent à la rentabilité (néanmoins, cash flow faible ou neutre). L'entreprise se doit de les dynamiser, de les renforcer pour suivre la croissance de leur marché et assurer la continuité. Elle est amenée à investir dans les capacités de production, en s’employant à fidéliser la clientèle ou même à élargir le marché.
On peut chercher au moins à maintenir les domaines bien implantés, à conserver la position acquise. Ils deviendront à terme, une fois arrivés à maturité (croissance ralentie), des vaches à lait (voir flèche).

Vaches à lait
Ces domaines assurent le profit immédiat et génèrent un surplus de liquidités (cash flow > 0) ; ils financent les produits destinés à prendre la relève, c’est-à-dire les dilemmes et dans une moindre mesure les vedettes. Tant que l’avenir est encore assuré, il convient donc de les « traire », les optimiser, les protéger, les maintenir dans cette position le plus longtemps possible.
L'entreprise doit toutefois songer au déclin prévisible de ces domaines. Comme ils n’offrent aucun potentiel de croissance, il s’agit de les exploiter, pour en tirer le maximum de profit, avant de s’en défaire une fois devenus des poids morts (voir flèche). D’où des investissements restreints et des efforts de rationalisation de la production (amélioration de la productivité à CT).  

Dilemmes
Ils réclament des liquidités (cash flow < 0). Faut-il les renforcer, faut-il les abandonner (d’où le terme dilemme) ?
Scénario de succès : si leur potentiel est élevé, l'entreprise décide de les développer, en dépit de leur handicap face à la concurrence ; ils seront financés par les vaches à lait. Grâce à une stratégie offensive, ils peuvent bénéficier d’un nouvel élan, voir leur PM augmenter et devenir à terme des produits vedettes (flèche). L’opération est onéreuse : il faut investir beaucoup dans les capacités de production, la qualité du produit, l’action publicitaire et l’équipe de vente. S’agissant de Gillette par exemple, les liquidités excédentaires des lames de rasoir (vaches à lait) ont été réinvesties dans les briquets jetables (dilemmes), lesquels sont devenus des vedettes. (1)
Scénario d’échec : lorsque la croissance tend à diminuer, l'entreprise est incapable d’atteindre une PM suffisante pour générer des profits – les dilemmes dégénèrent en poids morts, puis sont rapidement abandonnés (voir flèche). Si ces domaines en effet n’ont aucun avenir, il est préférable de les liquider (céder à un concurrent), car le cash flow qu’ils utilisent serait plus utile ailleurs. Le principe est simple : il n’y a pas lieu de saupoudrer des fonds sur un trop grand nombre de dilemmes. Il vaut mieux sacrifier quelques-uns, pour ne pas les condamner tous à l’échec (faute de liquidités).

Poids morts
Ces activités sont situées sur un marché déclinant et en plus très concurrentiel (PM réduite). Elles ne rapportent rien ou presque. La stratégie envisageable – défensive – consiste à piloter leur déclin. On pourrait en conserver quelques-unes, les maintenir en stricte survie ; il est même possible, si elles dégagent suffisamment de ressources pour s’autofinancer (si la demande décolle), de les faire migrer vers les dilemmes.
La plupart du temps, leur avenir est compromis et il convient de s’en débarrasser (les céder) au plus tôt, de réduire leur nombre dans le portefeuille. Il n’y a pas lieu d’investir dans un produit sans avenir, de s’engager dans des « plans de secours coûteux », de livrer une bataille désespérée…
Au Maroc, l’ONCF a pendant longtemps conservé une activité structurellement déficitaire : la gestion des hôtels (Moussafir notamment). Il a bien fallu un jour s’en défaire définitivement (vente au groupe Accor) et se recentrer sur le transport, le métier de base. De même, les parfums Bic avaient jadis coûté beaucoup d’argent à la marque. L’activité a fini par être abandonnée.


Observations
Le modèle de BCG fournit une base d’action aux dirigeants. On ne saurait exiger le même taux de croissance et la même PM de tous les DAS. Chacun d’eux est soumis à des impératifs et une dynamique propres. A cet égard, le marketing joue un rôle majeur : « C’est dans l’évaluation de l’intérêt relatif des différentes activités actuelles et potentielles de l'entreprise que la contribution des services de marketing à la définition de la politique de portefeuille d’activités est essentielle » (2)
L’idée de base est qu’il faut équilibrer le portefeuille d’activités : renforcer ou maintenir les vedettes pour assurer la continuité ; s’appuyer sur les liquidités excédentaires des vaches à lait pour financer les produits destinés à prendre la relève (les dilemmes éventuellement) ; transformer les dilemmes en vedettes puis en vaches à lait ; garder les poids morts tant qu’ils ne font pas perdre de l’argent et ne nuisent pas à l’image, les liquider au fur et à mesure.
Un portefeuille d’activités équilibré permet de compenser les risques. Il est équilibré lorsqu’il contient des domaines dans 3 quadrants (en dehors des poids morts). Ce qui permet d’assurer les transferts financiers nécessaires entre les divers domaines (un peu comme entre les rayons d’une grande surface).
Dans le cas d’un portefeuille anémique, une entreprise disposant d’une seule vache à lait pour financer ses vedettes et dilemmes devient vulnérable et devrait s’interroger sur l’avenir de ces derniers. A l’inverse, un portefeuille obèse est alourdi par trop de vaches à lait et ne contient pas assez de dilemmes et de vedettes ; la rentabilité à CT est acquise mais l’avenir n’est pas assuré. (3)
En somme, une situation favorable serait d’avoir beaucoup de vedettes, peu de dilemmes et des vaches suffisamment « grasses ». Mais rien n’est simple. La liquidation d’un domaine risque d’affecter un autre domaine et la concurrence peut empêcher l'entreprise de réaliser l’équilibre de son portefeuille… C’est dire qu’un outil ne peut jamais supplanter la clairvoyance du dirigeant et sa parfaite compréhension de l'environnement.

Thami BOUHMOUCH
Mai 2016
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(1) Cf. A. Hiam et Ch. Schewe, « MBA Marketing – Les concepts », éd. Maxima, p. 51.
(2) J. Lendrevie et D. Lindon, « Mercator », éd. Dalloz, p. 529.
(3) Cf. J.-P. Sallenave et Alain d'Astous, Le marketing de l'idée à l'action, éd. Simex, pp. 277-279.