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26 mars 2016

GERER LE PORTEFEUILLE D’ACTIVITES STRATEGIQUES


Série : Marketing stratégique 

  A vous de comprendre ce que vous faites mieux que quiconque et d’y concentrer résolument vos efforts.
A. Grove, Intel


Un produit, on le sait, est toujours destiné à une cible déterminée. Produits et marchés existent les uns par rapport aux autres. Que voulons-nous vendre et à qui ?… De fait, toute entreprise est amenée à proposer une offre adaptée à la diversité de sa clientèle. Ses activités sont définies par un croisement entre des familles de produits et des catégories de clients (ou besoins). C’est ce qu’on appelle les domaines d’activité stratégiques (DAS) – que l’on se doit de choisir, une fois la mission définie, dans le cadre de la politique générale.
Que signifie au juste un DAS, quel est l’enjeu de son identification ?

Les domaines d’activité

Le domaine d’activité stratégique ou strategic business units (SBU) est une partie de l’activité exercée par une organisation ; c’est un ensemble de produits ayant des caractéristiques spécifiques, issus d'une base de compétence technologique commune, répondant aux besoins d’une clientèle particulière. Il est défini en effet en fonction de 3 dimensions : la catégorie de clientèle, les besoins visés, la technologie utilisée. Ainsi, les DAS d’un hôtel sont l’hébergement et éventuellement la restauration. Une banque cible à la fois les particuliers, les PME et les Grandes entreprises. Telle maison d’édition se compose de 3 unités : le scolaire, la fiction et les encyclopédies.

Hormis le cas des PME, les entreprises ne se limitent pas à une seule famille de produits, une seule catégorie de marchés. Elles gèrent un portefeuille d’activités regroupant plusieurs domaines, au sein de chacun desquels elle propose un ou plusieurs couples produit-marché. C’est donc un ensemble comprenant les unités d’activités stratégiques et tous les produits qui les composent. Chacune des unités a ses propres concurrents et peut-être sa mission spécifique. Elle est gérée par un responsable et dotée d’un plan stratégique distinct. Elle doit concourir à la réalisation de l’objectif global et dispose pour cela (indépendamment des autres unités) des ressources adéquates. Les 8 pôles du groupe 3M, présentés sur sa page web « Produits et services » sont : Signalisation & Communication Graphique ; Electronique, Electrique & Communications ; Santé ; Maison & Loisirs ; Production & Industrie ; Bureau ; Sécurité & Protection ; Industrie du transport. (1)

On notera ici que le découpage du champ d’activités global en DAS correspond à la segmentation stratégique ou macro-segmentation. Un domaine équivaut à un segment stratégique et peut comprendre plusieurs micro-segments ou segments de marché… Considérons le cas de l’automobile. A l’intérieur du macro-segment des voitures pour particuliers, il y a plusieurs micro-segments, selon les catégories de clientèle. Tous les modèles ou versions (selon la taille, la motorisation, etc.) sont fabriqués dans les mêmes usines et vendus dans le même réseau de distribution. S’agissant des boissons non alcoolisées, on peut distinguer deux DAS : sodas et eaux de table. A partir de là, plusieurs micro-segments sont visés selon les arômes des sodas, la propriété de l’eau (pétillante, plate, minérale), le packaging (verre, PET, carton, métallique) et les clients (GMS, traditionnels, CHR, export).
La segmentation stratégique ne doit donc pas être confondue avec la segmentation marketing (de marché) bien connue – laquelle a pour but de réaliser un ciblage, en répondant aux besoins par un couple produit-marché et un mix appropriés. La première notion inclut la seconde… Une telle distinction est délicate en pratique, car elle dépend de la définition du produit (large, étroite, au sens technique…) et de celle du marché. Illustrons cela par un exemple révélateur.
Le groupe Vivendi Universal opère dans 5 grandes divisions : Musique, Edition, Cinéma & télévision, Téléphonie, Internet. A première vue, on pourrait considérer que chacune de ces activités constitue un DAS spécifique. Or, dans la division Edition on distingue les magazines, les livres et les jeux vidéo, qui pourraient constituer des DAS distincts. Il en va de même du téléphone fixe et de la téléphonie mobile composant la division Téléphonie. Réciproquement, avec la convergence des nouvelles technologies, la télévision interactive constituerait une activité commune aux divisions Cinéma & télévision et Internet. On constate ainsi que la définition des DAS, non seulement dépend de celle des produits, mais elle évolue au cours du temps… (2)

Gestion du portefeuille d’activités
Une entreprise ne saurait définir une ligne stratégique globale sans tenir compte de ses différents domaines d’activité (à moins de se limiter à un seul). Le portefeuille de domaines est la pierre angulaire de l’activité ; son choix constitue l’élément de base de la planification, une option stratégique capitale qui contribue à la politique générale. Dès lors, il doit être analysé, évalué et bien géré. Sa configuration souhaitable est arrêtée au plus haut niveau. Le manager raisonne à partir de ce qui est disponible, de ce qui risque d’arriver, de ce qui doit être fait. L’idée est de consacrer les efforts financiers et commerciaux aux produits qui s’inscrivent le mieux dans la ligne tracée. C’est un problème d’équilibre et de pondération. Il s’agit d’identifier les segments porteurs de croissance, de décider de l’importance relative à accorder à chacun d’eux (ressources), de formuler une stratégie spécifique, de définir un avantage distinctif effectif ou potentiel – et s’employer à le développer.
Les produits toutefois ne sont pas immuables : leurs caractéristiques, les perceptions que le marché peut en avoir évoluent dans le temps. Une activité peut voir sa position s’affaiblir progressivement. Pour échapper à un tel déclin, l'organisation évalue les domaines actuels en fonction de sa situation sur le marché. De là, elle décide d’augmenter ou de réduire le nombre de DAS, retient les plus intéressants ou/et ceux présentant le moins de risques. Lequel renforcer, lequel conserver, lequel abandonner ? Elle peut être amenée à redéfinir sa mission ou même à la refondre.
Dans le cadre d’une stratégie de diversification, le manager peut décider de conquérir tel marché, d’investir dans un nouveau domaine (pour remplacer celui qui est abandonné). La nouvelle activité, plus ou moins liée à celle d’origine, requiert forcément l’acquisition d’un nouveau savoir-faire, voire d’un nouveau métier. (3) C’est ainsi que le fabricant d’aliments pour bébés Gerber, dont le slogan était « Gerber prend soin des bébés, rien que des bébés » s’est lancé dans l’imprimerie et l’assurance. De son côté, l’opérateur de tabac Reynolds Tobacco (Marlboro) a opté pour l’agroalimentaire (rachat de Nabisco) et le vêtement…

Encore faut-il prendre garde aux périls du métier mal connu. La société Sapak, spécialisée en charcuterie et volaille (marque Koutoubia), s’est implantée contre toute attente dans un domaine totalement nouveau : l’immobilier. Le groupe a investi lourdement dans un domaine inaccoutumé. La décision comporte le risque de s’aventurer sur un terrain insuffisamment maîtrisé. (4) On ne choisit pas un domaine par hasard ou parce que le marché est prometteur. Afin de mesurer ses chances dans un DAS donné, l'entreprise doit être consciente de ses possibilités et particularités.
La gestion du portefeuille d’activités est bien un problème de politique générale qui dépasse la responsabilité de l’équipe marketing. Pour autant, si les directions financière, industrielle et des ressources humaines sont impliquées, la contribution du service marketing est primordiale. Ce service a pour mission d’examiner la situation effective et le potentiel du marché. C’est lui qui évalue l’intérêt des activités actuelles, l'attrait des produits de l’avenir, l’enjeu et la faisabilité des domaines les plus prometteurs. Ses recommandations sont de fait décisives. N’oublions pas que les objectifs commerciaux, en plus d’être assignés globalement à la fonction marketing, sont établis au niveau spécifique du domaine d’activité (par le service qui en est chargé). (5)
Sous l’angle du marketing, plusieurs méthodes d’évaluation du portefeuille d’activités ont été développées. C’est le thème du papier suivant.

Thami BOUHMOUCH
Mars 2016
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(3) Cf. article : L'entreprise définit sa mission, choisit son domaine http://bouhmouch.blogspot.com/2015/05/lentreprise-definit-sa-mission-choisit.html
(4) Cf. article ibid.
(5) Voir sur ce point, les deux papiers précédents : Il n’y a pas de stratégie sans objectifs http://bouhmouch.blogspot.com/2015/09/il-ny-pas-de-strategie-sans-objectifs.html ; Un objectif commercial doit être opérationnel http://bouhmouch.blogspot.com/2015/09/un-objectif-commercial-doit-etre.html


8 mars 2016

IDENTIFIER ET ANALYSER LA CHAINE DE VALEUR


Série : Marketing stratégique 


Toute entreprise se livre à une série d’activités ou fonctions interdépendantes afin de créer, fabriquer et commercialiser des produits en réponse aux attentes du marché. Ces activités/fonctions s’attachent chacune immanquablement à créer de la valeur pour le client final. C’est là où pourrait se situer la compétence distinctive qui donnerait une supériorité sur les concurrents. (1)
L'ensemble de ces fonctions est appelé chaîne de valeur – à la suite de l’approche systématique introduite en 1980 par Michael Porter. (2) Il s’agit d’un outil d’analyse stratégique permettant d’identifier les activités clés créatrices de valeur pour le consommateur et – ipso facto – génératrices de marge pour l’entreprise.

Ci-après, le modèle analytique (retouché) de Porter :








La filière créatrice de valeur

La chaîne de valeur apparaît comme une filière intégrée des activités nécessaires à la bonne marche de l'entreprise. Elle se compose de 9 pôles ou maillons successifs, considérés à la fois comme des centres de coût et des sources potentielles de différenciation.
Ces pôles se divisent en deux catégories : les activités de base ou fonctions opérationnelles et les activités de soutien ou fonctions de support. Les unes ou/et les autres aboutissent à la valeur totale fournie par l’organisation. Le client est situé en fin de chaîne : il est le payeur, le juge final.

1. Les activités de base
Ces activités sont la raison d’être de l’entreprise. Elles concourent au premier chef à la création matérielle du produit et à sa vente, sont impliquées directement dans le processus de création de valeur. 
Il y en a cinq :
- Logistique entrante (ou interne) : c’est la fonction d’approvisionnement, c’est-à-dire l’ensemble des moyens techniques organisés permettant la réception, la manipulation, le contrôle, le stockage des matières premières et autres marchandises, puis leur transfert à l’appareil de production.
- Production : ce pôle désigne l’ensemble des moyens et processus qui assurent la fabrication ou l’assemblage donnant lieu aux produits finis.
- Logistique sortante (ou externe) : c’est la fonction de commercialisation qui prend en charge l’acheminement des marchandises vers les distributeurs (canal court ou long) ou/et directement vers les consommateurs (canal direct).
- Marketing  et vente : cette fonction a trait à toutes les actions ayant pour but d’adapter l’offre aux exigences du client cible, aussi bien que d’inciter celui-ci par divers moyens (prix, publicité, promotions, force de vente…) à acheter le produit.
- Services : ce maillon désigne les actions en aval visant à accroître ou à maintenir la valeur du produit, tels pour l’essentiel la livraison, l'installation et le service après-vente.
On constate ainsi que l’activité de production stricto sensu n'est qu'un élément parmi d'autres dans la chaîne de valeur.


2. Les activités de soutien
Ces activités permettent le fonctionnement des précédentes, leur apportent l’appui nécessaire et contribuent indirectement à la création de valeur. 
Il y en a quatre :
- Infrastructures et Systèmes : une fonction comprenant la direction générale, les finances, le système de planification, le contrôle de qualité, la comptabilité…
- Gestion des Ressources Humaines : qui porte sur le recrutement, la rémunération, la motivation, la formation de l’ensemble du personnel de l'entreprise.
- Développement technologique : une fonction qui désigne les efforts d’innovation (R&D) que l’entreprise est tenue de fournir afin de réduire les coûts, se protéger et maintenir son avance sur les concurrents. En plus de la production, sont concernées les activités marketing et la relation avec le client (CRM).
- Achats : c’est l’activité chargée des approvisionnements dans les meilleures conditions (rapport qualité/prix, délais…) en matières premières, moyens de production, services et fournitures diverses… Ici, la création de valeur repose sur la sélection des intrants qui seront valorisés par le client final.

Mettre à plat la chaîne de valeur

On sait que le consommateur cherche le produit lui assurant la plus forte valeur. Cette valeur est matérialisée par la somme qu’il est prêt à débourser pour acquérir ce produit. On dira que l’entreprise a réussi si la valeur créée correspond à une attente déterminante de l’acheteur. Elle est ainsi rentable – comme l’indique la marge au bout de la chaîne.
L’organisation s’attache à mettre en évidence les activités ayant un impact réel en termes de coût ou/et de qualité et qui lui permettront de disposer d’un avantage concurrentiel. Ce faisant, elle est à même de savoir à quel maillon de la séquence elle doit parfaire ses atouts pour créer corrélativement de la valeur pour ses clients
L'examen systématique de toutes les fonctions et leurs interactions vise justement à identifier/situer l’avantage acquis, à le diagnostiquer et comprendre ses sources, à examiner son développement et le consolider. Il s’agit aussi de repérer les activités qui, au contraire, n'apportent rien, voire induisent des coûts. L’idée est d’arriver à optimiser les efforts fournis : qu’est ce qui apporte réellement de la valeur au client ; tel attribut doit-il être amélioré ; le client acceptera-t-il d’en assumer le prix ?…

Un tel examen permet au manager de comprendre l’évolution des coûts et d’identifier les performances – compte tenu des coûts des concurrents. L'entreprise détient un avantage si un écart est détecté en sa faveur, c’est-à-dire si l’activité exercée crée de la valeur à un coût inférieur à celui des marques rivales. Elle peut alors concentrer les efforts sur les fonctions décisives, introduire des améliorations, créer ou maintenir une avance sur la concurrence, allouer les ressources nécessaires…
Pour  bénéficier d’un avantage, il s’agit d’être plus compétitif sur au moins un maillon de la chaîne de valeur et de mieux coordonner l’ensemble. L’efficacité de l’approche en effet repose essentiellement sur la coordination des différents acteurs impliqués et leur capacité à former un réseau cohérent et solidaire. Un système d’information performant garantit l’échange de données nécessaire à une collaboration efficiente.

Thami BOUHMOUCH
Mars 2016
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(1) Ce point a déjà été évoqué dans l’article : Les sources de l’avantage compétitif http://bouhmouch.blogspot.com/2016/02/les-sources-de-lavantage-competitif.html  
(2) Voir des exposés succincts sur les sites suivants :