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28 août 2014

CLASSE SOCIALE : PROBLEMATIQUE DE LA MESURE


Série : Compréhension du consommateur


La classe sociale, outre que son interprétation met un peu dans l’embarras, est un concept empirique, complexe, difficile à saisir. Il renvoie, on l’a vu, à la fois à la richesse matérielle de l'individu et son pouvoir, à son statut social et son prestige. (1) Or pour pouvoir parler de l’impact de la classe sur la consommation, il importe de l’appréhender et la mesurer correctement.

Un concept difficile à saisir
L’appartenance à une classe constitue un des critères essentiels de subdivision des marchés. Mais comment déterminer raisonnablement la place d’un individu dans la hiérarchie sociale ? La frontière entre les classes est-elle bien définie ? Les sociétés, après tout, ne seraient-elles pas plus divisées par l'argent que par les classes ? « Les chercheurs en comportement du consommateur, qui utilisent de plus en plus ce concept, sont perplexes lorsqu'il s'agit de savoir quand et comment l'utiliser. [...] Cependant, en dépit de toutes ces difficultés, la proposition continue d'être valable : la classe sociale vaut la peine qu'elle cause parce qu'elle permet d'éclairer le comportement des consommateurs composant une nation ». (2)
Le repérage de l'appartenance à une classe sociale est complexe dès lors que la mesure empirique de celle-ci est difficile à mettre en œuvre. En fait, la CS n'est pas définie au moyen d'un indicateur unique mais fait appel d’ordinaire à la combinaison de plusieurs indicateurs. Certains ne sont pas du tout mesurables, tels le prestige de l’emploi occupé, la tenue vestimentaire, les manières, le langage... D'autres le sont facilement, tels le degré de scolarisation (instruction), la profession ou PCS (profession et catégorie socioprofessionnelle), le revenu et parfois même l’aire de résidence.
- Le niveau d'instruction influe sans contredit sur le choix et l'utilisation de nombre de produits. La scolarisation, l'éducation, le diplôme constituent une frontière, un facteur important de différenciation sociale… Pour autant, cet indicateur ne peut suffire de manière isolée à établir l'appartenance réelle à une classe.
- La profession est un indice important, mais n’est pas non plus suffisant pour distinguer les classes. « Il existe d’importantes différences entre le patron d’une entreprise de 500 salariés et un artisan boulanger indépendant ». (3) Convenons-en : « Il ne suffit pas d’être chef d’entreprise pour être bourgeois. Il faut assimiler les manières de vivre et de penser de la bourgeoisie : il faut l’habitus de classe ». (4)
- Le revenu, en tant qu’indicateur isolé, s’avère également insuffisant et peut même fausser le classement. Assurément, « la classe sociale et le revenu ne sont que faiblement corrélés et le revenu, à lui seul, n'est pas un indicateur fiable de la classe sociale à laquelle appartient un consommateur ». (5) Les athlètes professionnels, par exemple, ne sont-ils pas catalogués dans une CS inférieure à celle des enseignants du supérieur, bien que les premiers gagnent plusieurs fois le salaire des seconds ? On peut avoir un revenu voisin de ceux des membres d’une classe supérieure sans pour cela y appartenir ; on peut à l’inverse gagner moins que les membres de sa classe. « Les revenus des consommateurs ne servent plus vraiment à distinguer les classes sociales sauf si on compare les moyennes. En effet, à l'intérieur d'une même classe il est possible que les revenus varient grandement ». (6)  
Il existe des oppositions qualitatives dans le comportement d’achat qui se manifestent à niveau de revenu identique. Un éleveur de bovins peut avoir le même niveau de revenu qu'un notaire ou un pharmacien, mais son mode de vie sera totalement différent de celui de ces derniers. Il apparaît ainsi que les produits consommés sont également des supports de distinction, des indices de classement. Les habitudes de consommation sont un signe d'appartenance à un milieu social. « Ce n'est pas tant l'argent que nous gagnons que la façon dont nous le dépensons qui renseigne les sociologues, les chercheurs en comportement du consommateur et tout observateur attentif qui comprend le concept de classe sociale ». (7) En ce sens, s’il est vrai que les différences de pouvoir d'achat donnent une idée de la hiérarchie sociale, on ne peut nier que les produits de luxe sont achetés parfois par des consommateurs de toutes les classes. L’être social aspire à élever son rang social et se donne l'illusion d'appartenir à une classe supérieure.
En fin de compte, les indices de détermination de la classe sociale incluent le revenu conjointement avec d'autres variables, telles la profession et le degré d'instruction – jamais de manière isolée. La pondération entre ces indicateurs offre une partition hiérarchisée de la population, permettant de différencier les pratiques de consommation beaucoup mieux que les seuls revenus du ménage. Des études sociologiques mettent d’ailleurs en évidence la corrélation étroite qui existe entre PCS, revenu et diplôme.
On s’aperçoit justement que la nature multidimensionnelle de ce concept rend difficile le classement des individus. Ceux-ci peuvent, selon tel indicateur être répertoriés dans une classe et par un autre s'en éloigner. Les différences à l'intérieur d'une classe peuvent parfois l'emporter sur les différences entre les classes. De plus, répétons-le, les individus appartenant à une classe peuvent adopter le comportement de consommation des membres d'une classe supérieure… A ces difficultés viennent s'ajouter les phénomènes de mobilité sociale. Les classes sociales, en effet, ne sont pas rigides et le passage de l’une à l’autre est toujours possible.

Typologies  et implications marketing

Si donc les CS ne sont pas homogènes et les frontières entre elles pas nettes, une typologie est-elle possible ?
Divers chercheurs, malgré la complexité du concept, ont établi des typologies en quatre, cinq ou huit classes.
L'indice de Hollingshead, combinant la profession et le niveau d'instruction, permet de construire 5 classes. Lors d’une enquête par questionnaire, on attribue à l'individu interrogé un score de 1 à 7, pour chacun des deux critères. Ensuite, l'indice de classe est obtenu en faisant la somme pondérée des scores : [score profession x 7] + [score instruction x 4]. Les classes sont ainsi désignées par des fourchettes d'indices. (8)
En France, la classification en 4 classes est fondée sur le revenu : A (aisée), B (moyenne supérieure), C (moyenne inférieure), D (modeste). Des plus et des moins permettent de dédoubler chacune de ces classes. On obtient alors 8 classes : A+, A-, B+, B-, etc. Cette classification est utilisée dans le milieu des annonceurs, des agences de publicité, des médias.
« Les consommateurs refusent de parler de classe mais ils y pensent certainement lorsqu'ils prennent la décision d'acheter quelque chose ». (9) Le marketing des produits de grande consommation se doit donc d’en tenir compte et d’appréhender son impact. De quelle manière ?
- Lors d’une enquête par questionnaire, le recours au concept de classe permet de différencier les individus, d’identifier la stratification sociale de la clientèle cible. « L’une des principales questions qui se posent est de savoir si les classes sociales peuvent expliquer des différences quant à l’utilisation des revenus en matière de consommation ». (10) L’appartenance à une classe permet en outre d'expliquer la réponse aux stimuli commerciaux, de prévoir/annoncer un comportement. De nombreux marchés peuvent être ainsi segmentés sur la base des classes sociales. Les dirigeants ont besoin de ces données pour élaborer leur stratégie de marketing. Des indicateurs sont construits à partir des informations fournies en réponse aux questions sur la profession, le revenu et le niveau d'instruction. Ces données – à l’étape du traitement – permettent de classer les répondants dans l’une ou l’autre classe… Ajoutons qu’en contrepartie, la typologie en diverses classes est utilisée lorsqu'il s’agit d'assurer la représentativité socioprofessionnelle de l'échantillon interrogé.
- Pour communiquer avec sa clientèle, l'entreprise tient compte également de la stratification sociale. Selon la classe à laquelle ils appartiennent, les individus n'ont pas la même attitude face aux médias. Dans telle classe, on lit les périodiques et on s'intéresse aux émissions télévisées d'information, dans telle autre on regarde plutôt les séries et feuilletons. L'audience d'une chaîne de télévision se mesure en fonction les classes A B C D. D’ordinaire, le mailing est réservé surtout à la classe A, les prospectus aux classes A et B. Le langage non plus n'est pas le même d'une classe à l'autre. Le publicitaire doit pouvoir créer le dialogue adéquat et choisir le vocabulaire adapté à la classe cible.

Thami BOUHMOUCH
Août 2014
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(1) Cf. mon article précédent : Classe sociale : les besoins en symbole, http://bouhmouch.blogspot.com/2014/08/classe-sociale-les-besoins-en-symbole.html
(2) R. Coleman, cité par Carole Duhaime, Gurtrit Kindra et al., Le Comportement du Consommateur, éd. Gaëtan Morin, p. 374.    
(3) Richard Ladwein, Le comportement du consommateur et de l’acheteur, éd. Economica, p. 80.
(5) C. Duhaime, G. Kindra, op. cit., p. 377.
(6) Jean-Paul Sallenave et Alain d'Astous, Le marketing de l'idée à l'action, éd. Simex, p. 70.
(7) C. Duhaime , G. Kindra, op. cit., p. 377.
(8) Cf. J.-P. Sallenave & A. d'Astous, op. cit., pp. 72-73. Notons le poids important attribué à la profession.
(9) Alexander Hiam et Charles Schewe, MBA Marketing - Les concepts, éd. Maxima, p. 258.
(10) Richard Ladwein, op. cit., p. 82.

1 août 2014

CLASSE SOCIALE : LES BESOINS EN SYMBOLE


Série : Compréhension du consommateur


Toute société est hiérarchisée, stratifiée en catégories ou subdivisions distinctes, que l’on appelle classes sociales. L'inégalité est une réalité humaine et sociale incontestable. Elle touche à la fois la possession de biens, le pouvoir et le prestige. Au Maroc, on peut parler d'une société à plusieurs vitesses. Il y a un clivage certain entre ceux qui habitent des villas cossues et ceux qui vivent dans les quartiers dits populaires. A Casablanca, entre les citoyens vivant au Maârif, à Derb Soltane ou à Aïn Diab, il y a peu de points communs. Manifestement, les catégories sociales n'intègrent pas les mêmes registres de pensée et d'action.
Jadis, les Marocains « vivaient au même rythme, envoyaient leurs enfants au même m'sid, se retrouvaient au même hammam et s'asseyaient sur les mêmes nattes de la mosquée chaque vendredi. Ils célébraient les mêmes fêtes, de la même façon et se nourrissaient de la même manière. […]. En un mot, on ne notait pas les grandes disparités que l'on relève aujourd'hui dans ces domaines. Il n'y avait pas, comme de nos jours, de quartiers nettement différenciés du fait du revenu, de la fonction ou de la profession »… (1)
Ce sujet, disons-le, s’avère assez embarrassant (on ne peut se satisfaire de l'inégalité) ; en quoi peut-il intéresser l'entreprise ?

Hétérogénéité du champ social
Il convient d’emblée de mettre en lumière le concept de classe sociale.
« L’idée de base est que le champ social n’est pas homogène et que l’on peut procéder à des regroupements qui autorisent une meilleure prise en compte de la diversité des individus ». (2) La classe sociale désigne un ensemble de personnes ayant en commun une certaine conscience collective et des intérêts particuliers. Les classes sont ordonnées les unes par rapport aux autres, chacune adoptant un mode de vie, des normes de conduite et des opinions distinctifs. C’est ce qui ressort de cette définition : « Les classes sociales sont les divisions hiérarchiques relativement homogènes et durables d'une société, et dont les membres partagent des valeurs, des intérêts et des comportements similaires ». (3) L’idée de hiérarchie sociale transparaît déjà dans la notion de standing utilisée couramment dans le secteur de l’immobilier, où l’intérêt est accordé à certains attributs comme le marbre à l’entrée, les caméras de surveillance, la climatisation, le parcours de golf, etc.
La classe sociale, notons-le, constitue un agrégat plus large que le groupe de référence. (4) En outre, « les individus qui appartiennent à une même classe sociale ne sont pas nécessairement en interaction les uns avec les autres. Il s’agit davantage d’un groupement latent ». (5) L’appartenance à une classe peut donc être définie d’une façon subjective « par la façon dont les membres d’une même communauté sociale se considèrent les uns les autres ». (6) En ce sens, une classe sociale est une sous-culture particulière et doit être regardée en tant que telle. Ses membres ont tendance à avoir les mêmes aspirations, à valoriser les mêmes occupations ou pratiques, à développer leurs propres préférences – pour ce qui est des vêtements, des meubles, des loisirs, des médias utilisés. Il suffit d'observer à Casablanca l'ambiance populaire des grandes surfaces Marjane ou Alpha et de la comparer à l'atmosphère affectée d’Anfaplace ou de Morocco Mall. A Paris en France, les Galeries Barbès s'adressent notoirement aux couches modestes.

Les produits en tant que signe
La consommation appartient à la vie quotidienne de chacun et a ainsi une dimension sociale. C’est le moyen d'expression d'une différenciation sociale patente. Dans la société, l'individu occupe une position donnée ; il est censé avoir telles motivations, s'adonner à telles activités, conformément à son statut. Position et statut exercent une grande influence sur le comportement d'achat.
Jean Baudrillard a écrit en 1976 : « Les objets, comme l’argent, ont une fonction première de signification du statut de leur possesseur, avant même leur fonction de satisfaction des besoins ». (7) La plupart du temps, en effet, le consommateur n’utilise pas les produits en soi (pour leur valeur d’usage) mais en tant que signe. Il consomme consciemment ou inconsciemment leur signification sociale – laquelle va au-delà de leur destination fonctionnelle. C’est dire que les produits achetés sont à la fois utiles (pour répondre à un besoin) et futiles (pour être vus).
L’influence de la classe sociale – comme celle des groupes de référence – revêt un intérêt majeur lorsque les produits ont une grande visibilité sociale. Dans un tel cas, le consommateur préfèrera toujours la marque la plus prestigieuse, celle dont le prix est le plus élevé. « Achèteriez-vous un Dior, nécessairement de bonne qualité, si personne ne sait – ou saura – que c’est un Dior ? ». (8) Cette question suffit à montrer à quel point sont sensibles les produits à signification symbolique élevée. En 1998, la décision prise par la marque Chanel de réduire la taille de son logo a eu des effets néfastes sur les ventes. La marque, l’année suivante, a dû réintroduire une collection avec un logo bien visible.
Il n’est que de voir au Maroc les cérémonies de mariage et autres grandes occasions pour toucher du doigt l'importance de ce phénomène. Le choix des plats, boissons et gâteaux proposés est soumis à des contraintes sociales bien réelles. De fait, les aliments perdent leur fonction nutritive, pour n'être considérés que comme des objets d'appartenance et d'affirmation. Ils sont pour l'hôte une façon de montrer à ses invités ses « capacités » et sa position au sein de la société.  


Les gens ont tendance à se rapprocher des catégories les plus élevées, à essayer de leur ressembler en achetant les mêmes produits. Pour T. Veblen, la consommation ostentatoire a pour finalité la démonstration du statut de l'individu. Ostentation vient du mot latin ostentio ; c’est « l’action de montrer avec insistance, avec excès ». De là, « la consommation ostentatoire a comme utilité la valorisation sociale, sans qu’il y ait nécessairement un intérêt fonctionnel à la chose : instaurer une bonne image de lui-même dans son entourage ». (9) Les voitures de marques prestigieuses n’ont-elles pas une valeur de signe importante, ne sont-elles pas achetées en tant que symbole ? La mode n’est-elle pas une façon privilégiée de montrer aux autres, par des signes extérieurs, notre position sur l'échelle sociale ?...

Le concept de classe offre une perspective sociologique indéniable à l’approche du comportement d’achat. Le marketing est amené bel et bien à tenir compte des phénomènes d'ostentation, à concevoir des réponses appropriées au besoin de valorisation sociale… Pour cela, il doit être en mesure d’appréhender la classe sociale et de la mesurer correctement. C’est le point qui sera abordé dans le prochain article.

Thami BOUHMOUCH
Août 2014
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(1) Yahia Benslimane, Nous Marocains, éd. Publisud, p. 144.
(2) Richard Ladwein, Le comportement du consommateur et de l’acheteur, éd. Economica, p. 79.
(3) Kotler, Di Maulo, McDougall, Amstrong, Le Marketing de la théorie à la pratique, Gaëtan Morin, p. 65.
(4) Cf. un article précédent Pressions comportementales : le poids du groupe de référence, http://bouhmouch.blogspot.com/2014/07/pressions-comportementales-le-poids-du.html
(5) R. Ladwein, op. cit., p. 79.
(6) J. Lendrevie et D. Lindon, Mercator, éd. Dalloz, p. 158.