Série : Compréhension du consommateur
La classe sociale, outre
que son interprétation met un peu dans l’embarras, est un concept empirique, complexe,
difficile à saisir. Il renvoie, on l’a vu, à la fois à la richesse matérielle
de l'individu et son pouvoir, à son statut social et son prestige. (1)
Or pour pouvoir parler de l’impact de la classe sur la consommation, il importe
de l’appréhender et la mesurer correctement.
Un concept difficile
à saisir
L’appartenance à
une classe constitue un des critères essentiels de subdivision des marchés. Mais
comment déterminer raisonnablement la place d’un individu dans la
hiérarchie sociale ? La frontière entre les classes est-elle bien
définie ? Les sociétés, après tout, ne seraient-elles pas plus divisées
par l'argent que par les classes ? « Les chercheurs en comportement du
consommateur, qui utilisent de plus en plus ce concept, sont perplexes
lorsqu'il s'agit de savoir quand et comment l'utiliser. [...] Cependant, en
dépit de toutes ces difficultés, la proposition continue d'être valable : la
classe sociale vaut la peine qu'elle cause parce qu'elle permet d'éclairer le
comportement des consommateurs composant une nation ». (2)
Le repérage de
l'appartenance à une classe sociale est complexe dès lors que la mesure
empirique de celle-ci est difficile à mettre en œuvre. En fait, la CS n'est pas
définie au moyen d'un indicateur unique mais fait appel d’ordinaire à
la combinaison de plusieurs indicateurs.
Certains ne sont pas du tout mesurables, tels le prestige de l’emploi occupé, la
tenue vestimentaire, les manières, le langage... D'autres le sont facilement,
tels le degré de scolarisation (instruction), la profession ou PCS (profession et catégorie socioprofessionnelle), le revenu et parfois même l’aire de résidence.
- Le niveau
d'instruction influe sans contredit
sur le choix et l'utilisation de nombre de produits. La scolarisation,
l'éducation, le diplôme constituent une frontière, un facteur important de
différenciation sociale… Pour autant, cet indicateur ne peut suffire de manière
isolée à établir l'appartenance réelle à une classe.
- La profession
est un indice important, mais n’est pas non plus suffisant pour distinguer les
classes. « Il existe d’importantes différences
entre le patron d’une entreprise de 500 salariés et un artisan boulanger indépendant ».
(3)
Convenons-en : « Il ne suffit pas d’être chef d’entreprise pour être
bourgeois. Il faut assimiler les manières de vivre et de penser de la
bourgeoisie : il faut l’habitus
de classe ».
(4)
- Le
revenu,
en tant qu’indicateur isolé, s’avère également insuffisant et peut même fausser
le classement. Assurément, « la classe sociale et le revenu ne sont que
faiblement corrélés et le revenu, à lui seul, n'est pas un indicateur fiable de
la classe sociale à laquelle appartient un consommateur ». (5) Les
athlètes professionnels, par exemple, ne sont-ils pas catalogués dans une CS
inférieure à celle des enseignants du supérieur, bien que les premiers gagnent
plusieurs fois le salaire des seconds ? On peut avoir un revenu voisin de
ceux des membres d’une classe supérieure sans pour cela y appartenir ; on peut à
l’inverse gagner moins que les membres de sa classe. « Les revenus des
consommateurs ne servent plus vraiment à distinguer les classes sociales sauf
si on compare les moyennes. En effet, à l'intérieur d'une même classe il est
possible que les revenus varient grandement ». (6)
Il existe des
oppositions qualitatives dans le comportement d’achat qui se manifestent à
niveau de revenu identique. Un éleveur de bovins peut avoir le même niveau de
revenu qu'un notaire ou un pharmacien, mais son mode de vie sera totalement
différent de celui de ces derniers. Il apparaît ainsi que les produits
consommés sont également des supports de distinction, des indices de
classement. Les habitudes de consommation sont un signe d'appartenance à un
milieu social. « Ce n'est pas tant l'argent que nous gagnons que la façon dont nous le dépensons qui renseigne les
sociologues, les chercheurs en comportement du consommateur et tout observateur
attentif qui comprend le concept de classe sociale ». (7) En ce sens, s’il est vrai que les différences de pouvoir d'achat donnent
une idée de la hiérarchie sociale, on ne peut nier que les produits de luxe
sont achetés parfois par des consommateurs de toutes les classes. L’être social
aspire à élever son rang social et se donne l'illusion d'appartenir à une
classe supérieure.
En fin de compte, les indices de
détermination de la classe sociale incluent le revenu conjointement avec
d'autres variables, telles la profession et le degré d'instruction – jamais
de manière isolée. La
pondération entre ces indicateurs offre une
partition hiérarchisée de la population, permettant de différencier
les pratiques de consommation beaucoup mieux que les seuls revenus du ménage. Des études sociologiques mettent d’ailleurs en évidence la corrélation
étroite qui existe entre PCS, revenu et diplôme.
On s’aperçoit
justement que la nature multidimensionnelle de ce concept rend difficile
le classement des individus. Ceux-ci peuvent, selon tel indicateur être
répertoriés dans une classe et par un autre s'en éloigner. Les différences à
l'intérieur d'une classe peuvent parfois l'emporter sur les différences entre
les classes. De plus, répétons-le, les individus appartenant à une classe
peuvent adopter le comportement de consommation des membres d'une classe
supérieure… A ces difficultés viennent s'ajouter les phénomènes de mobilité
sociale. Les classes sociales, en effet, ne sont pas rigides et le passage
de l’une à l’autre est toujours possible.
Typologies et implications marketing
Si donc les CS ne sont pas homogènes et les frontières entre elles pas nettes, une typologie est-elle possible ?
Divers chercheurs, malgré la complexité du
concept, ont établi des typologies en quatre,
cinq ou huit classes.
L'indice de
Hollingshead, combinant la profession et le niveau d'instruction, permet de
construire 5 classes. Lors d’une enquête par questionnaire, on attribue à
l'individu interrogé un score de 1 à 7, pour chacun des deux critères. Ensuite,
l'indice de classe est obtenu en faisant la somme pondérée des scores : [score
profession x 7] + [score instruction x 4]. Les classes sont ainsi désignées par
des fourchettes d'indices. (8)
En France, la
classification en 4 classes est fondée sur le revenu : A (aisée), B (moyenne supérieure), C (moyenne inférieure), D (modeste). Des plus et des moins
permettent de dédoubler chacune de ces classes. On obtient alors 8 classes
: A+, A-, B+, B-, etc. Cette classification est utilisée dans le milieu des
annonceurs, des agences de publicité, des médias.
« Les consommateurs refusent de parler
de classe mais ils y pensent certainement lorsqu'ils prennent la décision
d'acheter quelque chose ». (9) Le marketing des produits de
grande consommation se doit donc d’en tenir compte et d’appréhender son impact.
De quelle manière ?
- Lors d’une enquête
par questionnaire, le recours au concept de classe permet de
différencier les individus, d’identifier la stratification sociale de la
clientèle cible. « L’une des principales questions qui se posent est de
savoir si les classes sociales peuvent expliquer des différences quant à
l’utilisation des revenus en matière de consommation ». (10)
L’appartenance à une classe permet en outre d'expliquer la réponse
aux stimuli commerciaux,
de prévoir/annoncer un comportement. De nombreux
marchés peuvent être ainsi segmentés sur la base des classes sociales. Les dirigeants ont
besoin de ces données pour élaborer leur stratégie de marketing. Des
indicateurs sont construits à partir des informations fournies en réponse aux questions
sur la profession, le revenu et le niveau d'instruction. Ces données – à
l’étape du traitement – permettent de classer les répondants dans l’une ou
l’autre classe… Ajoutons qu’en contrepartie, la typologie en diverses classes est
utilisée lorsqu'il s’agit d'assurer la représentativité socioprofessionnelle
de l'échantillon interrogé.
- Pour communiquer
avec sa clientèle, l'entreprise tient compte également de la stratification
sociale. Selon la classe à laquelle ils appartiennent, les individus n'ont pas
la même attitude face aux médias. Dans telle classe, on lit les périodiques et
on s'intéresse aux émissions télévisées d'information, dans telle autre on
regarde plutôt les séries et feuilletons. L'audience d'une chaîne de télévision
se mesure en fonction les classes A B C D. D’ordinaire, le mailing est réservé surtout
à la classe A, les prospectus aux classes A et B. Le langage non plus n'est pas
le même d'une classe à l'autre. Le publicitaire doit pouvoir créer le dialogue
adéquat et choisir le vocabulaire adapté à la classe cible.
Thami
BOUHMOUCH
Août
2014
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(1) Cf. mon article
précédent : Classe sociale : les besoins en symbole,
http://bouhmouch.blogspot.com/2014/08/classe-sociale-les-besoins-en-symbole.html
(2) R. Coleman, cité par Carole Duhaime, Gurtrit Kindra et
al., Le Comportement du Consommateur,
éd. Gaëtan Morin, p. 374.
(3) Richard Ladwein, Le comportement
du consommateur et de l’acheteur, éd. Economica, p.
80.
(5) C. Duhaime, G. Kindra, op. cit.,
p. 377.
(6) Jean-Paul Sallenave et Alain
d'Astous, Le marketing de l'idée à l'action, éd. Simex, p. 70.
(7) C. Duhaime , G. Kindra, op. cit.,
p. 377.
(8) Cf. J.-P. Sallenave & A.
d'Astous, op. cit., pp. 72-73. Notons le poids important attribué à la
profession.
(9) Alexander Hiam et Charles Schewe, MBA
Marketing - Les concepts, éd. Maxima, p. 258.
(10) Richard Ladwein, op. cit.,
p. 82.
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