Série : Compréhension du consommateur
Le comportement d’achat
est conditionné par des facteurs relevant pour l'essentiel de la famille
d'appartenance, du groupe de référence, de la classe sociale et du contexte
culturel. (1) Le présent article vise à bien comprendre ce qu'est la
culture, à situer l’acheteur cible par rapport à celle-ci. L’article qui suivra
traitera de son impact sur les choix de consommation et de là sur l'action
marketing.
Culture et processus
de socialisation
L’homme n’agit pas
par le seul instinct. Il se différencie de l'animal par la culture.
Celle-ci est considérée
comme un ensemble complexe de représentations, de croyances, de règles de
conduite, de connaissances et de traditions communément admises – à un temps donné
– par une communauté humaine. Elle résulte des efforts passés de la société
pour s'adapter à son environnement. La langue, l'art, les convictions morales
ou religieuses en font partie. « La culture constitue un programme
psychologique collectif, un système partagé d'interprétations. Elle détermine
les principales différences non biologiques chez l'être humain ». (2)
La culture définit les valeurs fondamentales
des membres d'une société : esprit de famille, charité, sens du rationnel, volonté de changement, discipline… « Nous
appelons valeurs les goûts et aversions du public, les penchants et préjugés
qui colorent sa vision du monde et marquent ses comportements. En filigrane,
les valeurs sont la source des besoins et désirs que l'entreprise doit
satisfaire ». (3)
Il en est ainsi de l’individu
qui désire acheter un ordinateur : sa décision « résulte de son
appartenance à une société moderne dans laquelle la technologie est valorisée. […]
Il sait que la société d’aujourd’hui apprécie la compétence technique. Pour
un aborigène d’Australie, un tel objet peut n’avoir aucune signification
fonctionnelle et ne représenter qu’une curiosité ». (4)
La culture est une force complexe, acceptée souvent inconsciemment. Elle détermine si l’individu est ponctuel, matérialiste, exigeant en matière d'hygiène, respectueux de l'environnement… (5) Elle conditionne donc son comportement d'achat. « Lorsqu’on compare des individus issus de milieux culturels différents, les contrastes sont souvent frappants et toute la richesse et l’importance de la culture comme variable explicative du comportement des consommateurs apparaissent ». (6)
Il y a culture
parce que les hommes vivent en communauté. Ils apprennent à vivre et à fonctionner en société. Leurs attitudes et
leurs choix sont façonnés par le processus de socialisation – un long
processus au cours duquel ils assimilent les normes qui caractérisent la
société d'appartenance. Une telle assimilation s’effectue par le biais des agents
de socialisation que sont la famille, le système éducatif, le milieu
religieux et les médias. La culture n'est donc pas innée mais acquise ; elle
s'acquiert tôt dans l'enfance. Les valeurs sont transmises de génération en
génération. C'est l'héritage social de l'individu. « A la
manière d'un codage génétique, chaque individu recevrait un capital culturel
qui le définirait au même titre que son héritage morphologique ». (7)
La
culture n'est pas figée
Les normes
culturelles, les valeurs, les attitudes sont variables. Elles évoluent
au cours du temps… La vie dans les villes marocaines est, à beaucoup d'égards,
très différente de ce qu'elle était dans les années 50 ou 60. La place de la
femme était au foyer et la famille nombreuse constituait une norme valorisée.
Aujourd'hui, l’irruption massive de la femme dans le monde du travail est en
train de bouleverser la vie familiale. Les couples ont peu d'enfants.
Vu les moyens de
communication en expansion rapide, l'émergence de nouvelles valeurs risquent de
modifier encore plus notre manière de vivre. Des motivations comme la
simplification de la vie, le matérialisme, l'importance du loisir, le désir de
rester jeune... donnent naissance à de nouvelles exigences (fours micro-ondes,
hypermarchés, parcs de jeux, centres d'amincissement…).
La « Khattaba »
traditionnelle n'est plus d'actualité et des agences matrimoniales entendent
investir le créneau du mariage ; des rencontres sport et loisirs sont
organisées, parallèlement à des entrevues individuelles. De même, des sociétés
d'aide aux personnes seules (Union 3000, Unicis) sont installées à Rabat et
Casablanca… Une coupure s'est opérée avec les mœurs d'antan… Le mode de vie
d'une famille des quartiers huppés de Casablanca, notons-le, n'a rien à voir
avec celui des habitants d’Ouezzane ou de Tiznit et se rapproche beaucoup de
celui des Européens. Ainsi, il y a entre les membres d’une société et ceux
d’une autre société à la fois des différences et des ressemblances.
Eu Europe, on
connaît le phénomène du retour au naturel et la tendance au non-chimique. Au
Japon, les rôles traditionnels de l'homme et de la femme sont remis en cause.
Les jeunes, qui ont moins le culte du travail, veulent consommer davantage… (8)
Notons que le marketing
ne s’attache pas seulement à s’acclimater au contexte culturel ; il
cherche aussi à l’influencer. Au Maroc, le déferlement de produits occidentaux
permet l'entrée en filigrane d'idées et d’aspirations d'un autre monde. La
pilule et le préservatif masculin ont modifié les valeurs les plus
fondamentales de la société (sexualité dans le mariage, sexualité pour la
procréation). La chaîne de restauration McDonald’s a introduit (dès 1992)
des normes de conduite et un mode de consommation inconnus jusque-là. L’introduction
du téléphone portable et des tablettes a altéré la vie sociale et l’interaction
entre les individus...
N’oublions pas les
sous-cultures
La notion de
culture ne saurait être réduite à l'espace national. Les sociétés sont rarement caractérisées
par une culture monolithique. Au sein d'une même collectivité, outre la culture
dominante, plusieurs sous-cultures peuvent être distinguées.
Une sous-culture est un ensemble de
normes et croyances propres à une communauté particulière et qui la caractérisent
au sein d'une société. Elle est définie en termes de style de vie : c’est un particularisme culturel, « une constellation d'attitudes,
d'opinions et de centres d'intérêt qui se traduisent par des comportements
distinctifs ». (9) En d’autres termes, c’est « un
groupe qui, tout en cherchant à s’intégrer aux valeurs et aux normes de la
culture dominante, préserve des caractéristiques qui lui sont propres ».
(10)
Les communautés se
distinguent notamment par l’ethnie, la localisation géographique, la religion
et la nationalité.
- Les particularismes
ethniques : au Canada, nombre d'études ont porté sur les différences
de consommation entre les anglophones et les francophones. Les goûts diffèrent
pour les soupes en sachet, les légumes surgelés, les boissons alcoolisées, la
fréquentation des magasins… Les deux groupes ethniques n'ont pas les mêmes intérêts,
les mêmes attitudes, les mêmes activités. Par exemple, la jeune fille
francophone est plus portée sur la famille, la maison et la cuisine. (11)
Notons qu’aux Etats-Unis, la communauté hispanique n'achète pas les mêmes
cigarettes que la communauté anglo-saxonne.
- La consommation
diffère également suivant les régions. Les disparités régionales sont
parfois fortes et la vente de produits typés ne peut pas s'étendre à l'ensemble
du territoire. Les migrations tendent à atténuer ces différences sans pour
autant les éliminer. Au Maroc, les populations sahraoui et rifaine ont chacune
leurs traditions, leurs langues et leurs coutumes propres. De plus, le mode de
vie à la campagne est manifestement différent de celui des citadins. Aux Etats-Unis, « les chips
vinaigrées se vendent mieux dans le Nord-est, celles aux herbes dans le
Sud-ouest et celles à la crème dans le Midwest ». (12) Au Canada, les
Acadiens ont des formes de logique à part. En France, les Alsaciens, les
Bretons et les Corses ont des modes de vie distinctifs. On boit surtout de la
bière dans le Nord, le pastis et le vin dans le Sud.
- S’agissant des communautés
religieuses, on sait que les Juifs au Maroc ont leurs croyances, normes
et tabous particuliers. Il en est de même des citoyens musulmans en Europe
(respect des interdits alimentaires)…
- Quant aux groupes
de nationalités, les expatriés européens vivant au Maroc, aussi bien que
les immigrés maghrébins et les
Chinois résidant en Europe, ont des goûts et des besoins spécifiques...
Culture et sous-culture offrent à la fois des contraintes et des opportunités – comme il sera
vu dans l’article qui suit.
Thami BOUHMOUCH
Septembre 2014
____________________________________
(1) Voir mes 5 articles
précédents : n° 114 à 118, publiés en juin, juillet et août 2014.
(2) J. Denfeld Wood, L'Economiste du
16/3/99.
(3) Alexander Hiam et Charles Schewe, MBA
Marketing - Les concepts, éd. Maxima, p. 80.
(4) Philip Kotler et
Bernard Dubois, Marketing management, Publi-Union, p. 182
(5) Cf. mon article : Le culturel n’est pas hors du territoire du marketing, (n° 107, mars 2014) http://bouhmouch.blogspot.com/2014/03/le-culturel-nest-pas-hors-du-territoire.html
(5) Cf. mon article : Le culturel n’est pas hors du territoire du marketing, (n° 107, mars 2014) http://bouhmouch.blogspot.com/2014/03/le-culturel-nest-pas-hors-du-territoire.html
(6) Jean-Paul
Sallenave et Alain d'Astous, Le marketing de l'idée à l'action,
éd. Simex, p. 65.
(7) Geneviève de Béco, Discours
universaliste ou miroir des particularismes..., Management interculturel,
mythes et réalités, F. Gauthey et D. Xardel (sous dir. de), Economica, p.
46.
(8) Cf. Hiam et
Schewe, op. cit., p. 80.
(9) P. Kotler et B. Dubois, op. cit., p. 167.
(10) Kotler, Di Maulo,
McDougall, Armstrong, « Le Marketing de la théorie à la pratique »,
éd. Gaëtan Morin, p. 64.
(11)
Cf. Kotler, Di Maulo et
al., ibid., pp. 60-61.
(12)
Hiam et Schewe, op. cit., p. 250.
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