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2 mai 2013

NULLE ENTREPRISE N’EST HORS DU CHAMP MARKETING




Au Maroc, la protection étatique et les situations de monopole qui ont prévalu de par le passé ont freiné les initiatives de changement, contrecarré toute possibilité d'amélioration des produits nationaux. Elles ont bloqué l'émergence d'une clientèle exigeante, comme elles ont donné assise au « profil bas » des producteurs. Dans une économie timorée et à l'abri de la compétition, il est évident que le marketing ne pouvait se révéler et s'imposer...
Aujourd’hui, la culture commerciale (au sens restrictif) prédomine encore. Là où le marketing prend forme, il a du mal à s'imposer en tant qu'outil stratégique. Souvent, il est confondu avec communication. Or, les défis de la mondialisation sont depuis longtemps visibles et prégnants. L'entreprise qui veut survivre et prospérer est portée à s'attribuer les outils modernes du marketing, à être à l'écoute en permanence du marché et à adapter son offre en conséquence. Disons, pour reprendre le mot d'un cadre bancaire, « si le marketing ne se développe pas par conviction, il se développera par obligation ». (1) Le succès commercial, on ne le répétera jamais assez, passe toujours par le respect des clients ; ce sont eux qui font vivre l'entreprise. L'obligation de les écouter et d'évaluer leur satisfaction est le meilleur levier du progrès ; c'est l'aiguillon de la performance. Seul le marché oriente les décisions... qu'on le veuille ou non.
Les études de marché et la veille concurrentielle ne sont pas réservées aux grandes entreprises, inaccessibles aux petites. Celles-ci ne sauraient être exclues du champ du marketing sous prétexte qu'elles sont en butte à des contraintes matérielles et organisationnelles (moyens limités, pouvoir centralisé...). N’oublions pas que, par leur dimension, elles jouissent d’une certaine souplesse d'adaptation et de cette tendance qui fait que tout le monde « tire sur la même corde ». Les PME-PMI, si elles n'ont pas besoin du même degré de rigueur que les grandes organisations, doivent adopter la même approche. Le marketing est sans contredit l'affaire des petites unités – compte tenu de leur envergure et de leurs caractéristiques propres. Il doit y être présent par une attitude et pas obligatoirement par une structure formelle.  
La réalité sur le terrain démontre que l'intuition et la chance sont souvent prises en défaut. Les PME sont bien conscientes de l'importance de l'écoute du client, mais les procédés sont mal identifiés et mal maîtrisés. Peu nombreuses sont celles qui mesurent la satisfaction de leurs clients, qui mettent en place des dispositifs de repérage des attentes exprimées. L'attention est consacrée aux aspects techniques de la production et encore trop peu au suivi de la relation client. Les reproches ont trait couramment au traitement des réclamations, aux erreurs de communication, au manque de suivi, au non-respect des délais... Le problème est d’impliquer résolument le personnel, de le pousser à mieux tenir compte des désirs des clients, à identifier les causes de non-fidélité et même à détecter les besoins latents ou émergents.
Tenant pour acquis que des défis sont à relever, l'esprit client doit surmonter l'inertie des habitudes. Il n'est que de voir les produits d’artisanat au Maroc (poterie, vannerie, cuir, cuivre, broderie…). Ils ont un impact certain sur l’emploi (près de 20% de la population active) et sur l'équilibre de la balance commerciale. Le plan « Vision 2015 » mis en place par l’Etat en a fait une de ses priorités. Divers aspects de la question ont été considérés : production, formation, certification, circuits de distribution.
Or, ce secteur aujourd'hui est desservi par une image négative – celle d'une activité inorganisée et peu innovante. Il souffre du désintérêt quasi-total du système bancaire et de l’handicap d’impôts trop lourds. A Salé par exemple, « il y a plus de 40.000 artisans, mais seulement 12.000 sont inscrits en tant que tels sur les listes professionnelles. La majorité travaille dans des conditions difficiles et surtout dans la clandestinité pour échapper au fisc ». (2)
L'objectif est de rompre avec cette situation végétative, de rendre ce secteur compétitif, de transformer l'artisan en entrepreneur ayant le souci d'améliorer ses techniques de production. En fait, ce n'est pas sur ce plan que se situe le problème décisif. La mise en place de toute stratégie d'amélioration ne peut se faire sans au préalable une mise à niveau de la commercialisation. A titre d'exemple, la plupart des articles en cuir, tapis et autres céramiques, conservent la même physionomie depuis des décennies. Mais les goûts évoluent, la demande n'est pas figée... Les problèmes techniques et structurels doivent être résolus, mais sans pour cela perdre de vue la contrainte majeure : la nécessité d’adapter le produit aux goûts du consommateur. C’est dans ce sens que la créativité artistique et les efforts de modernisation doivent absolument s’orienter.
L'artisan marocain est tenu de se mettre dans la peau d'un manager moderne, de celui qui écoute attentivement ses clients, les comprend et évalue leur satisfaction. Il est appelé à adopter des technologies plus évoluées, tout en restant réceptif aux changements des attitudes et des désirs. Il gagnerait à la fois à renouer avec les consommateurs nationaux et à s'ouvrir davantage sur l'export. Dans le contexte actuel de mondialisation de l’économie, il est impératif que les produits s’imposent sur le marché mondial. La participation aux salons et expositions tant dans le pays qu’à l’étranger est, à n’en pas douter, une source d’inspiration et d’ouverture incontournable. L'essentiel est d'accepter le changement (adaptation des designs) et d’œuvrer pour le mener à bien.
Afin d’impliquer davantage l’artisan, on pourrait créer des circuits touristiques intégrant l’offre artisanale. A cet égard, la Maison de l’Artisan, selon les responsables, n’est pas destinée seulement à la promotion des produits. Elle a une mission d’expertise marketing et s’engage à « acquérir une meilleure connaissance sur les marchés cibles et les attentes des clients […], acquérir une meilleure connaissance de l’offre marocaine et les capacités commerciales des entreprises d’artisanat du Maroc, développer une expertise sur les filières prioritaires et les marchés cibles, développer des offres sur mesure en fonction des besoins et attentes des différentes cibles ». (3)
Observons le cas de Aït Manos, une PME créée à Casablanca (en 1995) et spécialisée dans la faïence peinte à la main. L’idée est née du constat d’une forte demande étrangère que n’arrivait pas à satisfaire l’offre classique. Seulement les techniques de fabrication et de pigmentation n'ont pas évolué depuis bien longtemps. Peu à peu, les produits ont cessé d'être utilisés comme vaisselles de table pour devenir uniquement des objets décoratifs, en particulier à l'étranger où les pigments à base d'oxydes sont interdits par la loi. Aussi l'idée de départ est-elle de concilier les techniques modernes avec l'art marocain traditionnel. « La démarche consistait à connecter les deux univers en adaptant les savoir-faire ancestraux aux exigences techniques, visuelles et esthétiques des marchés étrangers ». (4) Il s'agit de proposer des articles qui répondent aux normes internationales en matière d'hygiène alimentaire. La peinture des carreaux et assiettes est toujours effectuée à la main par de vrais mâallems (50 actuellement). L'originalité du concept a dû séduire les banquiers, car dès 1996 ils ont consenti à financer l'opération.

Le secteur des fruits et légumes mérite aussi mention. Pour dynamiser les exportations, nombre de mesures sont à envisager. La plus évidente, en dehors de l'impératif de compétitivité, consiste à tenir compte de l'évolution des habitudes et désirs du consommateur. S’agissant de l’Europe, le consommateur est de plus en plus âgé et de plus en plus préoccupé par les questions de santé. Il importe donc, conformément à la réglementation en vigueur dans l'Union Européenne, de s'assurer de l'absence de substances malsaines ou du moins ne pas dépasser les doses admissibles.
A la fin des années 80, les producteurs européens ont commencé à adopter une nouvelle méthode de culture exigée par les consommateurs, appelée « culture intégrée ». Il est question désormais de n'utiliser les engrais et les pesticides que lorsque cela est réellement inévitable, de planifier les cultures selon une rotation permettant de restreindre la consommation d'engrais et de pesticides, afin de mieux protéger l'environnement. Le respect de ces principes est devenu un argument de vente sur les marchés européens et l'exportateur marocain ne saurait les ignorer. Pour celui-ci, les produits dits biologiques (près de 30 % de la consommation alimentaire dans certains pays européens) présentent des potentialités importantes.
L'offre agro-industrielle marocaine est insuffisamment valorisée. Or les habitudes alimentaires se diversifient : les couples travaillent à l'extérieur et le temps passé dans les activités domestiques est de plus en plus réduit. D'où les besoins en repas précuits ou préparés, en légumes surgelés ou simplement épluchés et emballés – des produits dits de seconde génération. Plutôt que de continuer d'exporter des denrées à l'état brut, l'objectif est d'opter résolument pour ce nouveau créneau... S'il faut s'implanter sur les marchés étrangers avec ses propres marques (et ses labels de qualité), le savoir-faire marketing devient ainsi primordial.

De nos jours, l’intensification de la compétition internationale et l’évolution incertaine de la demande imposent une nouvelle vision. L'entreprise est tenue à la fois de moderniser son management et de renforcer la fonction marketing. Car, c'est au marketing assurément qu'il incombe de transformer les attentes du marché en produits appropriés.

Thami BOUHMOUCH
Mai 2013
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(1) Cité in Economie & entreprises, avril 2000.