Au Maroc, la protection étatique et
les situations de monopole qui ont prévalu de par le passé ont freiné les
initiatives de changement, contrecarré toute possibilité d'amélioration des
produits nationaux. Elles ont bloqué l'émergence d'une clientèle exigeante, comme
elles ont donné assise au « profil bas » des producteurs. Dans
une économie timorée et à l'abri de la compétition, il est évident que le
marketing ne pouvait se révéler et s'imposer...
Aujourd’hui, la culture commerciale
(au sens restrictif) prédomine encore. Là où le marketing prend forme, il a du
mal à s'imposer en tant qu'outil stratégique. Souvent, il est confondu avec
communication. Or, les défis de la mondialisation sont depuis longtemps visibles
et prégnants. L'entreprise qui veut survivre et prospérer est portée à
s'attribuer les outils modernes du marketing, à être à l'écoute en permanence
du marché et à adapter son offre en conséquence. Disons, pour reprendre le mot
d'un cadre bancaire, « si le marketing ne se développe pas par
conviction, il se développera par obligation ». (1) Le succès
commercial, on ne le répétera jamais assez, passe toujours par le
respect des clients ; ce sont eux qui font vivre l'entreprise.
L'obligation de les écouter et d'évaluer leur satisfaction est le meilleur
levier du progrès ; c'est l'aiguillon de la performance. Seul le marché oriente
les décisions... qu'on le veuille ou non.
Les
études de marché et la veille concurrentielle ne sont pas réservées aux grandes
entreprises, inaccessibles aux petites. Celles-ci ne sauraient être exclues du
champ du marketing sous prétexte qu'elles sont en butte à des contraintes
matérielles et organisationnelles (moyens limités, pouvoir centralisé...). N’oublions pas que, par leur dimension, elles jouissent d’une certaine
souplesse d'adaptation et de cette tendance qui fait que tout le monde « tire
sur la même corde ». Les PME-PMI, si elles n'ont
pas besoin du même degré de rigueur que les grandes organisations, doivent adopter
la même approche. Le
marketing est sans contredit l'affaire des petites unités – compte tenu de leur
envergure et de leurs caractéristiques propres. Il doit y être présent par
une attitude et pas obligatoirement par une structure formelle.
La
réalité sur le terrain démontre que l'intuition et la chance sont souvent
prises en défaut. Les
PME sont bien conscientes de l'importance de l'écoute du client, mais les
procédés sont mal identifiés et mal maîtrisés. Peu nombreuses sont celles qui mesurent
la satisfaction de leurs clients, qui mettent en place des dispositifs de
repérage des attentes exprimées. L'attention est consacrée aux aspects
techniques de la production et encore trop peu au suivi de la relation client. Les
reproches ont trait couramment au traitement des réclamations, aux erreurs de
communication, au manque de suivi, au non-respect des délais... Le problème est
d’impliquer résolument le personnel, de le pousser à mieux tenir compte des désirs
des clients, à identifier les causes de non-fidélité et même à détecter les besoins
latents ou émergents.
Tenant pour acquis que des défis
sont à relever, l'esprit client doit surmonter l'inertie des habitudes. Il n'est que de voir les produits d’artisanat
au Maroc (poterie, vannerie, cuir, cuivre, broderie…). Ils ont un impact certain
sur l’emploi (près de 20%
de la population active) et sur l'équilibre de la balance commerciale. Le plan « Vision 2015 » mis en
place par l’Etat en a fait une de ses priorités. Divers aspects de la question ont
été considérés : production, formation, certification, circuits de
distribution.
Or, ce
secteur aujourd'hui est desservi par une image négative – celle d'une
activité inorganisée et peu innovante. Il souffre du désintérêt quasi-total du système
bancaire et de
l’handicap d’impôts trop lourds. A Salé par exemple, « il
y a plus de 40.000 artisans, mais seulement 12.000 sont inscrits en tant que
tels sur les listes professionnelles. La majorité travaille dans des conditions
difficiles et surtout dans la clandestinité pour échapper au fisc ». (2)
L'objectif est de rompre avec cette
situation végétative, de rendre ce secteur compétitif, de transformer l'artisan
en entrepreneur ayant le souci d'améliorer ses techniques de production. En
fait, ce n'est pas sur ce plan que se situe le problème décisif. La mise en
place de toute stratégie d'amélioration ne peut se faire sans au préalable une
mise à niveau de la commercialisation.
A titre d'exemple, la plupart des articles en cuir, tapis et autres céramiques,
conservent la même physionomie depuis des décennies. Mais les goûts évoluent,
la demande n'est pas figée... Les problèmes techniques et
structurels doivent être résolus, mais sans pour cela perdre de vue la contrainte
majeure : la nécessité d’adapter
le produit aux goûts du consommateur. C’est
dans ce sens que la créativité artistique et les efforts de modernisation doivent
absolument s’orienter.
L'artisan marocain est tenu de se
mettre dans la peau d'un manager moderne, de celui qui écoute attentivement ses
clients, les comprend et évalue leur satisfaction. Il est appelé à adopter des
technologies plus évoluées, tout en restant réceptif aux changements des
attitudes et des désirs. Il gagnerait à la fois à renouer avec les
consommateurs nationaux et à s'ouvrir davantage sur l'export. Dans le contexte actuel de mondialisation de
l’économie, il est impératif que les produits s’imposent sur le marché mondial.
La
participation aux salons et expositions tant dans le pays qu’à l’étranger est, à
n’en pas douter, une source d’inspiration et d’ouverture incontournable. L'essentiel est d'accepter le
changement (adaptation des designs) et d’œuvrer pour le mener à bien.
Afin d’impliquer davantage l’artisan, on pourrait créer des circuits touristiques intégrant l’offre
artisanale. A cet égard, la Maison
de l’Artisan, selon les responsables, n’est pas destinée seulement à la
promotion des produits. Elle a une mission d’expertise marketing et
s’engage à « acquérir une meilleure connaissance sur les marchés cibles
et les attentes des clients […], acquérir une meilleure connaissance de
l’offre marocaine et les capacités commerciales des entreprises d’artisanat du
Maroc, développer une expertise sur les filières prioritaires et les marchés
cibles, développer des offres sur mesure en fonction des besoins et attentes
des différentes cibles ». (3)
Observons le cas de Aït Manos,
une PME créée à Casablanca (en 1995) et spécialisée dans la faïence peinte à la
main. L’idée est née du constat d’une forte
demande étrangère que n’arrivait pas à satisfaire l’offre classique. Seulement
les techniques de fabrication et de pigmentation n'ont pas évolué depuis bien
longtemps. Peu à peu, les produits ont cessé d'être utilisés comme vaisselles
de table pour devenir uniquement des objets décoratifs, en particulier à
l'étranger où les pigments à base d'oxydes sont interdits par la loi. Aussi
l'idée de départ est-elle de concilier les techniques modernes avec l'art
marocain traditionnel. « La démarche
consistait à connecter les deux univers en adaptant les savoir-faire ancestraux
aux exigences techniques, visuelles et esthétiques des marchés étrangers ».
(4) Il s'agit de proposer des articles qui répondent aux
normes internationales en matière d'hygiène alimentaire. La peinture des
carreaux et assiettes est toujours effectuée à la main par de vrais mâallems
(50 actuellement). L'originalité du concept a dû séduire les banquiers, car
dès 1996 ils ont consenti à financer l'opération.
Le secteur des fruits et légumes mérite aussi mention. Pour dynamiser les
exportations, nombre de mesures sont à envisager. La plus évidente, en dehors
de l'impératif de compétitivité, consiste à tenir compte de l'évolution des habitudes et désirs du consommateur. S’agissant de l’Europe, le consommateur
est de plus en plus âgé et de plus en plus préoccupé par les questions de
santé. Il importe donc, conformément à la réglementation en vigueur dans
l'Union Européenne, de s'assurer de l'absence de substances malsaines ou du
moins ne pas dépasser les doses admissibles.
A la fin des années 80, les
producteurs européens ont commencé à adopter une nouvelle méthode de culture
exigée par les consommateurs, appelée « culture intégrée ». Il
est question désormais de n'utiliser les engrais et les pesticides que lorsque
cela est réellement inévitable, de planifier les cultures selon une rotation
permettant de restreindre la consommation d'engrais et de pesticides, afin de
mieux protéger l'environnement. Le respect de ces principes est devenu un
argument de vente sur les marchés européens et l'exportateur marocain ne
saurait les ignorer. Pour celui-ci, les produits dits biologiques (près de 30 %
de la consommation alimentaire dans certains pays européens) présentent des
potentialités importantes.
L'offre agro-industrielle marocaine est
insuffisamment valorisée. Or les habitudes alimentaires se diversifient : les
couples travaillent à l'extérieur et le temps passé dans les activités
domestiques est de plus en plus réduit. D'où les besoins en repas précuits ou
préparés, en légumes surgelés ou simplement épluchés et emballés – des produits
dits de seconde génération. Plutôt que de continuer d'exporter des denrées à
l'état brut, l'objectif est d'opter résolument pour ce nouveau créneau... S'il
faut s'implanter sur les marchés étrangers avec ses propres marques (et ses
labels de qualité), le savoir-faire marketing devient ainsi primordial.
De nos jours, l’intensification de
la compétition internationale et l’évolution incertaine de la demande imposent
une nouvelle vision. L'entreprise est tenue à la fois de moderniser son
management et de renforcer la fonction marketing. Car, c'est au marketing assurément qu'il incombe de transformer
les attentes du marché en produits appropriés.
Thami
BOUHMOUCH
Mai 2013
_______________________________________
(1) Cité in Economie &
entreprises, avril 2000.
(3) Cf. http://www.mda.ma/?Id=16&lang=fr
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