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24 novembre 2011

NATIONS SUBALTERNES ET HYPOTHEQUE IMPERIALISTE

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Toutes ces nations d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine qui, dans l’ensemble, restent enlisées dans la pauvreté et l’immobilisme : comment les nommer ? Il y eut une époque où les termes « développement » et « pays en développement », en dépit de leur contenu équivoque et éminemment hypocrite, étaient utilisés à tout va dans tous les discours. Aujourd’hui, d’aucuns continuent de les employer comme des pis-aller, sous prétexte que l’usage a force de loi. D’autres, peut-être par goût de la concision et de l’euphonie, préfèrent le terme « pays du Sud », malgré là encore son acception discutable… Quoi qu’il en soit, il y a danger lorsque l’étiquetage des pays fait oublier la réalité effective, lorsqu’il classe ceux-ci dans des cases et déduit les caractères essentiels de la case qui leur est attribuée.
Un problème sémantique, diriez-vous ? Certainement pas. Si les vocables utilisés doivent avoir une signification, il faudrait qu’ils évoquent directement et strictement la réalité tangible. Un pays développé, c’est quoi ? C’est un pays qui satisfait les besoins essentiels de sa population (nourriture, santé, logement, travail, instruction, liberté). Son processus de développement concerne tous les secteurs (économie, politique, culture, santé...) et implique toute la population. Les pays « en retard » sont-ils sur la bonne voie ? Sont-ils susceptibles de « se développer » ? Vu la structure même du système-monde, cela est-il possible ?
Jamais les faits n’ont été aussi évidents que par les temps qui courent : les nations extra-occidentales sont soumises corps et âme à des intérêts exogènes impérieux. Par l’entremise de leaders aux ordres, des systèmes infâmes y sont maintenus au seul profit des oligarchies du capitalisme néolibéral mondialisé. Ces systèmes néocoloniaux permettent au grand jour une exploitation débridée des travailleurs et des richesses. Ils ne sont nullement contingents, ni transitoires. Il est établi que « l'intégration dans la mondialisation néolibérale n'a pas et n’apportera ni progrès ni développement mais plutôt l'enrichissement des uns et l'appauvrissement de la majorité ainsi que l'abandon de l'intérêt national à l'intérêt du capitalisme mondial ». (1)
Les lois économiques du capitalisme, à n’en pas douter, peuvent mener à la guerre et aux crimes les plus effarants. Regardons autour de nous : les maitres du monde se complaisent dans les agressions et la rapine. L’Otan, l’ONU, le FMI, la Banque Mondiale (et Israël) sont devenus les outils de l’asservissement et des forfaits. Des subterfuges économiques multiples enferment les pays pauvres dans une spirale d’endettement perpétuelle, permettent aux multinationales de s’approprier à vil prix les ressources naturelles disponibles. Le développement socio-économique et les restructurations indispensables ne sont-ils pas compromis par un service de la dette devenu insoutenable ? En Tunisie, l'échéance payée tous les ans représentait six fois le budget de la santé. Les intérêts étaient ainsi acquittés aux dépens de la santé des Tunisiens (surtout de celle des plus pauvres).
La nouvelle formule de pillage appelée « initiative PPTE » (pays pauvres très endettés) a repris l’essentiel des dispositions préconisées dans les fameux PAS (plans d'ajustements structurels). On connaît les ravages qu’a faits et continue de faire ces mécanismes imposés par des institutions financières dépourvues de sens moral. Le peuple marocain en paye encore le prix : des pans entiers de l’enseignement et la santé, entre autres, ont été privatisés. Il faut bien que l’Hôpital et l’Ecole soient rentables. La globalisation néolibérale et le néocolonialisme ont bel et bien enfoncé le Maroc dans le sous-développement. L’Iran est haï et puni pour avoir refusé de tomber sous le joug de cette prédation perfide et criminelle.


Vous dites « pays en voie de développement » ?
Dans le monde arabe, des régimes dociles et sans scrupule ont été maintenus en selle pendant très longtemps par les Etats-Unis et leurs comparses. L’Irak a été détruit et ne sera peut-être jamais reconstruit ; à voir le chaos qui y règne maintenant, même les plus farouches opposants à Saddam regrettent son régime. Dans les monarchies pétrolières d’opérette, le souci prédominant a toujours été le maintien du pouvoir des familles régnantes. Rien ne peut indisposer les colonisateurs du moment que « l’Arabie Saoudite n’investit rien localement, ni dans la région. A part, dans un minimum d’infrastructures. Ne cherchant, ni souhaitant, une interaction positive, dynamisant, favorisant le décollage des économies régionales et leur avenir [...]. Plongés dans le pillage de leurs ressources, maintenus dans le sous-développement, les pays voisins à forte population, tel l’Egypte, voient passer sous leurs nez les immenses revenus du pétrole et du gaz, s’investir en Occident ». (2)
En Libye, l’Otan s’est attaqué physiquement au chef de l’Etat, sous couvert d’un mandat soi-disant limité à la « protection des civils » (une supercherie parmi tant d’autres). Il est clair que les tueries et les violations du droit international ont été commises pour le compte des sociétés Total, BP et Exxon. Les bombardements autour de Tripoli par exemple visaient principalement les infrastructures et les cibles civiles. Comment le développement économique du pays ne serait-il pas désormais paralysé ? La presse a étalé beaucoup d’histoires malhonnêtes au sujet de Kadhafi. Elle ne dit pas qu’il « a réellement développé son pays, à la différence des despotes d’Afrique subsaharienne, même si lui et ses proches se sont considérablement enrichis depuis son arrivée au pouvoir. La redistribution de la rente, même inégalitaire, a permis d’assurer la paix sociale. [...] La Libye a été un acteur majeur du développement et de l’indépendance du continent africain. Kadhafi a permis à l’Afrique de connaître une véritable révolution technologique, grâce au financement du premier satellite africain de communications ». (3) Ce satellite permet d’assurer la couverture universelle du continent pour la téléphonie, la télévision, la radiodiffusion et de multiples autres applications telles que la télémédecine et l’enseignement à distance... (4)
La presse ne parle pas non plus des investissements libyens dans l’édification de trois organismes financiers : la Banque africaine d’investissement, le Fonds monétaire africain, la Banque centrale africaine. A cela, il convient d’ajouter le réseau de près de 4000 km de pipeline qui procure de l’eau à toutes les villes côtières libyennes et le projet à long terme de la monnaie unitaire Africaine... La libye est à présent mise en pièces et les préjudices sont incommensurables : les infrastructures sont saccagées ; l’argent du pétrole ne sera plus redistribué mais confisqué par les multinationales ; les ressources disponibles seront davantage exploitées par l’Occident ; l’aide libyenne au développement autonome de l’Afrique est paralysée ; les candidats africains à l’émigration seront plus nombreux, etc. (5)

Vous dites « pays en développement » ?
Le Soudan est menacé constamment de sanctions internationales. Sa partition et la poursuite des conflits dans la Corne de l’Afrique ne sont que le début de décennies de troubles fomentés par le tandem américano-israélien, dans le but de contrôler les ressources pétrolières et minières ainsi que les voies de transport commercial. Le Zimbabwe est également soumis à des sanctions. L’Erythrée s’est vu imposer une guerre terrible par l’Ethiopie, agent étasunien dans la région. La rapine mondiale n’épargne même pas les peuples sans ressources. Haïti en est un exemple poignant : en 1825, la France avait exigé un dédommagement financier exorbitant (21 milliards de dollars) en contrepartie de l’indépendance de ce petit pays misérable. Aujourd’hui, elle refuse de restituer l’argent extorqué. « C’est toujours la même vision féodale du monde, un monde d’inégalités, de brutalités, de domination où le prédateur en haut de la chaîne alimentaire a le droit de se servir : droit de vie et de mort, droit de cuissage, droit d’être au-dessus du droit ». (6) 
En Côte d’Ivoire, en avril dernier, une guerre civile a été créée de toutes pièces par le terrorisme impérial. Comme désormais tout est permis, la France a renversé et arrêté son président, lequel s’était mis dans la tête de refuser de lui livrer sans conditions ses richesses (pétrole, cacao). L’étouffement économique et financier de ce pays ne suffisait donc pas. « C’est qu’il s’agit non seulement de châtier, de faire gémir les ivoiriens d’avoir voulu l’émancipation, mais aussi de faire perdre conscience à la société ivoirienne, de la briser, de la modeler dans la terreur ; […] c’est qu’il s’agit de faire comprendre à tous les Africains que la liberté est cause de malheur, de grand malheur et que seule la servitude, que seul l’esclavage est porteur d’avenir ! » (7)

Allez parler de « développement » aux barons de l’impérialisme scélérat, eux qui regardent le monde comme une source de profits, qui veulent contrôler les matières premières, les continents et les voies stratégiques, qui considèrent que toute résistance à l’hégémonie doit être brisée (par la corruption, le chantage ou la guerre)... Décidément, si les mots sont aux antipodes de la réalité palpable, il n’y a pas lieu de les prendre pour argent comptant, encore moins de s’en gargariser.
Thami Bouhmouch
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(1) A. Albayaty, H. Al Bayati, I. Douglas, http://www.michelcollon.info/Le-Printemps-de-la-democratie.html Janvier 2011
(5) Appréciation empruntée à Michel Collon, http://www.michelcollon.info/Londres-flambe-la-Bourse-se-noie.html  Août 2011

18 novembre 2011

L’INFORMATION COMMERCIALE : RESISTANCES ET QUIPROQUOS



L'information est regardée de nos jours, à juste titre, comme le nerf de la guerre commerciale. Elle permet à l’entreprise de mettre à profit les opportunités qui se présentent et d’échapper aux menaces qui peuvent surgir. Bien maitrisée, elle contribue à la dimension stratégique des décisions, donne lieu bel et bien à un avantage compétitif. « Elle est  la matière première indispensable à toute décision, sans quoi les plans les plus beaux ne diffèrent pas de l’affabulation et sont irrémédiablement voués à l’échec ». (1) L’enjeu est capital : être bien informé, c'est obtenir l'information dont on a besoin au moment où on en a besoin. Quelle est, à cet égard, l’attitude adoptée sur le terrain par les professionnels ?

Comprendre l'environnement
Il y a tout d’abord les irréductibles : ceux qui comptent sur le flair et l’intuition, qui sont rétifs à l’idée de payer pour obtenir l’information requise. Tel cet industriel qui disait à ses collaborateurs qui proposaient de réaliser une enquête : « faites l’étude… mais je sais ce que vous allez trouver. Je connais très bien mes clients et le marché. L’étude montrera ce que je sais déjà ». Tel autre, qui avait pourtant placé des fonds importants dans une nouvelle activité, avouait ne pas avoir effectué d’étude de marché : « vu le contexte, ce n’est pas nécessaire. L’étude de marché n’a de sens que dans un secteur où la concurrence est dynamique et intense ». L’erreur ici est double : d’une part, une faible présence de la concurrence dans un secteur n’est nullement un fait perpétuel ; d’autre part, une étude de marché vise par-dessus tout à identifier les clients ciblés et leurs attentes (compte tenu bien sûr de l’action des concurrents). Etudier un marché, c'est comprendre l'environnement dans lequel vous comptez agir et évoluer
Que dire alors de ceux qui se croient tous seuls sur le marché ? Ils n’ont d’yeux que pour leur affaire, ne voient nulle rivalité dans les parages. Mais un tel simplisme n’est pas permis : « Si vous n'identifiez aucun concurrent qui fasse le même métier que vous, c'est que vous devez avoir des concurrents indirects, c'est-à-dire qui répondent aux mêmes besoins que votre offre, mais par des moyens différents. Il faut être plus averti et imaginatif pour détecter cette concurrence ». (2)
Il ne suffit donc pas de comprendre le client. L'entreprise qui réussit est celle qui ne perd de vue ni ses clients ni ses concurrents. Ces derniers luttent au sein du secteur pour améliorer leur position ou simplement la maintenir. Dans quelle mesure sont-ils dangereux ? Quels sont leurs produits ? Quelles sont leurs forces et faiblesses ? Il s'agit d'évaluer sa propre position par rapport aux compétiteurs les plus dangereux, de suivre attentivement leurs actions et performances : parts de marché, présence aux points de vente, lancement de produits, prix pratiqués, messages publicitaires, regroupements en vue.  
S'enfermer dans ses certitudes, c’est être incapable de réagir aux retournements du marché. Un dirigeant se doit d’examiner avec attention et en permanence la réalité sur le terrain. Une telle vigilance, il est vrai, tend à générer une pression psychologique considérable. L’entreprise tend à vivre continuellement en position défensive, sous la menace du court terme.
Les entreprises efficaces s’organisent pour acquérir l’information nécessaire. Elles se dotent pour cela d’une structure, de méthodes adéquates et d’un mode de fonctionnement, d’un système informatique et de logiciels pour traiter les éléments recueillis, d’une base de données pour les conserver (3). Rien en fait n’est facile : les projets d’informatisation ne sont jamais mis en place sans encombre. Les commerciaux, qui y voient un moyen de contrôle autoritaire et contraignant, sont les premiers à faire obstacle. Mais, avec le temps, ils comprennent que ce changement leur permet d’organiser efficacement leurs contacts avec la clientèle. Ces intervenants, en effet, sont amenés constamment  à recourir, depuis leurs ordinateurs (via Internet), aux données disponibles au sein de l’entreprise.


L’information partagée et divulguée
Se préparer à affronter ses concurrents, c’est comme dans un match de football : il faut connaître les objectifs (affichés) de l’adversaire et sa stratégie, son organisation et ses compétences distinctives. Le designer d’automobile H. Otto (marque Volvo) disait à peu près ceci : « étudier ce que fait le concurrent ne sert pas à grand-chose. Il est préférable de s’intéresser à ce qu’il ne fait pas ».
Une veille pointue et systématique de l'environnement est mise en œuvre. Elle apporte une visibilité nouvelle et tend à enrichir l’entreprise des connaissances indispensables à l’action. Plus les mouvements du marché sont erratiques, plus la concurrence est exacerbée, plus il est indispensable de tout savoir, mieux et plus vite que les autres. Le temps est un paramètre crucial : l’information collectée est une denrée périssable ; si elle est dépassée, elle n'est plus pertinente… « Construire une veille permanente, suppose que l’entreprise ait les moyens (ou ait l’intention de se donner les moyens) de réagir rapidement en fonction des informations recueillies, voire même d’anticiper l’action de la concurrence. La veille concurrentielle, bien organisée, est un phare que l’on allume pour mieux voir la route : elle est tournée vers le futur ». (4)

Une cellule de veille s’impose donc à l’esprit, mais qui est concerné ? En théorie, dans une entreprise, la veille est l’affaire de tous. L’idée (véhiculée par les Japonais) est acceptable par principe : l’employé qui tombe sur un renseignement majeur se fait un devoir de le transmettre à toute l’équipe. En pratique, les plus impliqués sont ceux qui sont mis en contact direct et régulier avec l’information : documentalistes, cadres du marketing, commerciaux, responsables du service-après-vente… Alors se pose la question du partage et de la communication.
L’information, en interne, est censée être transmise sans restriction à l’ensemble des collègues concernés. Une circulation fluide au sein de l’organisation est l’une des clés de l'efficacité. C’est d’ailleurs ce qui fonde l’intelligence marketing. Mais le partage et l’échange ne vont pas de soi : ils supposent que tous les collaborateurs adhèrent à l’idée et œuvrent réellement pour cela. Car des réticences coriaces persistent : l’information obtenue est perçue comme une source légitime de pouvoir, une propriété individuelle. De là, elle est maintenue soigneusement dans le secret. Chacun est tenté de s'en servir pour parvenir à ses fins propres. Celui qui sait plus que l’autre entend s’imposer, progresser dans la hiérarchie plus facilement.
Le fait est que le refus du partage nuit à l'efficacité collective et ainsi aux intérêts de l'entreprise. Revenons à l’exemple du football : imaginons un joueur qui refuserait de passer le ballon à ses partenaires… «La rétention d'information s'oppose au partage d'information, considéré comme l'un des trois piliers de l'ingénierie des connaissances. Elle a donc des conséquences négatives sur l'organisation en réseaux des entreprises. [Elle] a un coût financier, qu'il est difficile d'évaluer, mais qui est réel. Le coût de l'ignorance peut dépasser les dépenses liées à l'acquisition des informations et des connaissances nouvelles». (5) Voilà pourquoi d’aucuns tendent à faire du partage de l'information un critère d'évaluation de la performance individuelle.
L’information, en externe, est destinée à être divulguée. C’est là le second écueil : la divulgation de l’information en dehors de l'entreprise se heurte immanquablement à la culture du secret. Au Maroc, la règle de l’opacité prévaut déjà dans les administrations et les collectivités locales. Ce serait bien le diable si l’on obtenait des renseignements, même sur un sujet du domaine public. (6) L’opacité est également présente dans les statistiques officielles : par exemple, le site du ministère du commerce est mal structuré et les données présentées ne sont pas systématiquement mises à jour. Du côté des entreprises, la rétention de l’information est devenue un second réflexe de fonctionnement. D’ordinaire, il faut attendre le 30 septembre pour voir publier les chiffres du 1er semestre…
Ainsi se dégage un impératif majeur : l'information ne circule pas à sens unique ; si l'on s’emploie à l’acquérir, il faut accepter de la transmettre. « Je donne donc je reçois » : l’image de ce cercle vertueux gagne à être inculquée au sein de l'entreprise.
Thami Bouhmouch
14 novembre 2011
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(1) Charles Hunt, Vahé Zartarian, Le renseignement stratégique au service de votre entreprise, First 1990, p. 22.
(3) Selon une étude récente d’un cabinet d’enquêtes, à peine 27 % des PME au Maroc possèdent un outil de gestion informatisé. Source : www.marocwebo.com/economie/
(6) Au Maroc, on sait que les journalistes exigent le respect de leur droit de recueillir et diffuser l’information détenue par l’administration... Cf. www.right2info.org/resources/publications/

5 novembre 2011

LE TABLEAU DE BORD, OUTIL DE PILOTAGE



La planification est réactive, adaptative et flexible. (1) Le suivi de l’action marketing permet de remédier aux déviations possibles, de tirer parti des nouvelles tendances et opportunités. Il suppose à la fois un contrôle sur le terrain et l'utilisation d'indicateurs de gestion appropriés. D’où le sujet abordé ici : le tableau de bord commercial.


Mesurer la performance
On peut se faire une idée du tableau de bord et de son enjeu par l’exemple simple suivant : un automobiliste se rend de Casablanca à Agadir où il a un rendez-vous à une heure donnée. Imaginons qu’il a choisi de prendre la route nationale. Il conduit sa voiture en prêtant attention obligatoirement à la route, aux panneaux de signalisation et bornes kilométriques. Sur son combiné de bord, qu’il inspecte sans cesse, divers témoins sont affichés : jauge de carburant, régulateur de vitesse, compte-tours, compteur kilométrique, température d’huile moteur… Tous ces indicateurs l’aident à rester maître de son véhicule et à contrôler son parcours. Attentif à son objectif (heure d’arrivée), il pourra décider des actions correctrices éventuelles : accélérer, quitter cette route pour l'autoroute, téléphoner pour annoncer son retard ou au contraire s’offrir une pause…
Qu’en est-il de l’entreprise ?
Le tableau de bord (TdB) est un document permettant de visualiser en permanence l’évolution des résultats obtenus et les écarts par rapport aux objectifs prévus. Il permet de se représenter la réalité de façon simplifiée et synthétique. C’est un ensemble d'indicateurs de performance pertinents, établis et complétés périodiquement par les acteurs chargés de mettre en œuvre le plan. Un indicateur est une information chiffrée et standardisée, destinée à rendre compte de l'évolution d'un paramètre. Le tableau présente de façon synoptique (on voit d'un seul coup d'œil tous les éléments) le degré d’avancement des opérations et les conséquences des mesures prises. Il suscite des questions du type : « que se passera-t-il dans deux semaines si je n'interviens pas ? » C’est ce que dit l'automobiliste : « si je continue à cette allure, j'arriverai à l’heure prévue  ? ».
Le TdB permet aux décideurs d’identifier les défaillances et points faibles afin de prendre les mesures correctives nécessaires ; il est censé en même temps stimuler et impliquer les collaborateurs concernés. Ce n’est pas un outil coercitif mais un outil de dialogue, pouvant aider à comprendre les difficultés et carences, à les résoudre sur la base de données concrètes. Bien entendu, nous ne contrôlons que ce que nous mesurons. Ainsi, les objectifs et les budgets (annuels) sont fractionnés dans le temps. Les indicateurs doivent être bien compris et acceptés (considérés comme pertinents) par les parties prenantes, accessibles (d’usage facile) et significatifs. En nombre restreint (pas plus d’une dizaine), ils portent sur les stocks (telle valeur au temps t), les flux (tel mouvement dans une période donnée), les ratios (par exemple, frais généraux/chiffre d'affaires).
Nous parvenons ici à une première question majeure : le contrôle aurait-il pour but simplement de mesurer un état de choses, de rendre compte des résultats obtenus ?

Un outil d'aide à la décision
A l’origine, vraisemblablement, le TdB a été pensé et conçu pour permettre de réagir aux évènements et d’ajuster les processus en cours d’exécution. Ce sens initial de pilotage s’est estompé avec le temps. De l’outil d'amélioration de la performance, le TdB est devenu un outil de contrôle rétrospectif et plus ou moins passif, un support de compte rendu d'activités. Il permet de « constater » après coup la pertinence des choix effectués. La démarche est pour ainsi dire linéaire : l'entreprise établit les objectifs, élabore les plans, ensuite elle contrôle. Or un outil de constat, se limitant à une comparaison entre la ligne tracée et le travail réalisé, n’est pas propice à une réaction à temps, à des ajustements opportuns. « Au moment de la publication, l'activité a déjà produit ses résultats. Il est alors bien trop tard pour corriger. Prenant acte des niveaux de performance, la hiérarchie tend à féliciter les uns et à sermonner les autres ». (2)  


Tant que le marché est stable et les variations de faible amplitude, le manager a toujours le temps de réorienter sa stratégie et d'affiner ses plans. Mais le contexte mouvant et fortement évolutif auquel l'entreprise est confrontée aujourd'hui a modifié la donne. « Dans un environnement ouvert, complexe et changeant, il s'avère de plus en plus difficile de faire des prévisions à long terme. A la planification d'autrefois se substituent l'adaptation, la flexibilité, le pilotage ». (3) Il s’agit plus qu’avant de relever les défis, de s'adapter aux aléas, de réagir efficacement à l'imprévu. Cela implique de redonner au tableau de bord sa dimension initiale, afin d’en faire un véritable outil d’aide à la décision.
Un tableau de bord n’est pas destiné à être un outil de constat, ne doit pas favoriser une gestion au « rétroviseur ». On ne mesure pas pour contrôler (rétrospectivement) un processus mais pour le piloter, c'est-à-dire pour réguler et encadrer l’action, pour conduire/guider les équipes vers un but précis. Il est grand temps de réformer la vision des choses, de définir un instrument de progrès, destiné à améliorer la performance en connaissance de cause. « Il faut passer d'une logique de planification a priori et de constat a posteriori à une logique dynamique et réactive : mesure/action/réaction. Bref, il faut piloter ! ». (4) Le TdB de pilotage est un outil proactif parce qu’il permet un suivi permanent, donne lieu à des décisions en temps réel, permet de rectifier l'action durant l'exécution.

T. Bouhmouch
3 novembre 2011
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(3) E. Fontana, Points de vente, n° 369, 1/09/89.
(4) Alain Fernandez, www.journaldunet.com