-
Toutes ces nations d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine qui, dans
l’ensemble, restent enlisées dans la pauvreté et l’immobilisme : comment
les nommer ? Il y eut une époque où les termes « développement » et « pays
en développement », en dépit de leur contenu équivoque et éminemment
hypocrite, étaient utilisés à tout va dans tous les discours. Aujourd’hui,
d’aucuns continuent de les employer comme des pis-aller, sous prétexte que
l’usage a force de loi. D’autres, peut-être par goût de la concision et de
l’euphonie, préfèrent le terme « pays
du Sud », malgré là encore son acception discutable… Quoi qu’il en
soit, il y a danger lorsque l’étiquetage des pays fait oublier la réalité
effective, lorsqu’il classe ceux-ci dans des cases et déduit les caractères
essentiels de la case qui leur est attribuée.
Un problème sémantique, diriez-vous ?
Certainement pas. Si les vocables utilisés doivent avoir une signification, il
faudrait qu’ils évoquent directement et
strictement la réalité tangible. Un pays développé, c’est quoi ? C’est
un pays qui satisfait les besoins essentiels de sa population (nourriture,
santé, logement, travail, instruction, liberté). Son processus de développement
concerne tous les secteurs (économie, politique, culture, santé...) et implique
toute la population. Les pays « en retard » sont-ils sur la bonne
voie ? Sont-ils susceptibles de « se développer » ? Vu la structure même du
système-monde,
cela est-il possible ?
Jamais les faits n’ont été aussi évidents que
par les temps qui courent : les nations extra-occidentales sont soumises corps
et âme à des intérêts exogènes impérieux. Par l’entremise de leaders aux ordres, des systèmes infâmes y sont maintenus au seul
profit des oligarchies du capitalisme néolibéral
mondialisé. Ces systèmes néocoloniaux permettent au grand jour une exploitation débridée des travailleurs et des richesses. Ils ne
sont nullement contingents, ni transitoires. Il est établi que « l'intégration dans la mondialisation néolibérale n'a pas et n’apportera
ni progrès ni développement mais plutôt l'enrichissement des uns et
l'appauvrissement de la majorité ainsi que l'abandon de l'intérêt national à
l'intérêt du capitalisme mondial ». (1)
Les lois économiques du
capitalisme, à n’en pas douter, peuvent mener à la guerre et aux crimes les
plus effarants. Regardons autour de nous : les maitres du monde se complaisent dans les agressions et la rapine. L’Otan, l’ONU, le FMI,
la Banque Mondiale (et Israël) sont devenus les outils de l’asservissement
et des forfaits. Des subterfuges
économiques multiples enferment les pays pauvres dans une spirale d’endettement
perpétuelle, permettent aux multinationales de s’approprier à vil prix les
ressources naturelles disponibles. Le développement socio-économique et les restructurations
indispensables ne sont-ils pas compromis par un service de la dette devenu
insoutenable ? En Tunisie, l'échéance payée tous les ans représentait six fois le
budget de la santé. Les intérêts étaient ainsi acquittés aux dépens de la santé
des Tunisiens (surtout de celle des plus pauvres).
La nouvelle formule de
pillage appelée « initiative PPTE » (pays pauvres très endettés) a
repris l’essentiel des dispositions préconisées dans les fameux PAS (plans d'ajustements structurels). On connaît les ravages
qu’a faits et continue de faire ces mécanismes
imposés par des institutions financières dépourvues de sens moral. Le peuple
marocain en paye encore le prix : des pans entiers de l’enseignement et la
santé, entre autres, ont été privatisés. Il faut bien que l’Hôpital et l’Ecole
soient rentables. La globalisation néolibérale et le néocolonialisme ont bel et
bien enfoncé le Maroc dans le sous-développement. L’Iran est haï et puni pour avoir refusé
de tomber sous le joug de cette prédation perfide et criminelle.
Vous dites
« pays en voie de développement » ?
Dans le monde arabe, des régimes dociles et sans scrupule ont été maintenus en selle pendant très longtemps par les Etats-Unis et
leurs comparses. L’Irak a été détruit
et ne sera
peut-être jamais reconstruit ; à voir le chaos qui y règne maintenant, même les
plus farouches opposants à Saddam regrettent son régime. Dans les monarchies
pétrolières d’opérette, le souci prédominant a toujours été le maintien du
pouvoir des familles régnantes. Rien ne
peut indisposer les colonisateurs du moment que « l’Arabie Saoudite n’investit rien localement, ni dans la région. A
part, dans un minimum d’infrastructures. Ne cherchant, ni souhaitant, une
interaction positive, dynamisant, favorisant le décollage des économies
régionales et leur avenir [...]. Plongés
dans le pillage de leurs ressources, maintenus dans le sous-développement, les
pays voisins à forte population, tel l’Egypte, voient passer sous leurs nez les
immenses revenus du pétrole et du gaz, s’investir en Occident ». (2)
En Libye, l’Otan s’est attaqué physiquement au chef
de l’Etat, sous couvert d’un mandat soi-disant limité à la « protection
des civils » (une supercherie parmi tant d’autres). Il est clair que les
tueries et les violations du droit international ont été commises pour le
compte des sociétés Total, BP et Exxon. Les bombardements autour de Tripoli par exemple visaient
principalement les infrastructures et les cibles civiles. Comment le
développement économique du pays ne serait-il pas désormais paralysé ? La
presse a étalé beaucoup d’histoires malhonnêtes au sujet de Kadhafi.
Elle ne dit pas qu’il « a réellement
développé son pays, à la différence des despotes d’Afrique subsaharienne, même
si lui et ses proches se sont considérablement enrichis depuis son arrivée au
pouvoir. La redistribution de la rente, même inégalitaire, a permis d’assurer
la paix sociale. [...] La Libye a été un acteur majeur du développement et de l’indépendance du
continent africain. Kadhafi a permis à l’Afrique de connaître
une véritable révolution technologique, grâce au financement du premier
satellite africain de communications ». (3) Ce
satellite permet d’assurer la couverture
universelle du continent pour la téléphonie, la télévision, la radiodiffusion
et de multiples autres applications telles que la télémédecine et
l’enseignement à distance... (4)
La presse ne parle pas
non plus des investissements
libyens dans l’édification de trois organismes financiers : la Banque africaine
d’investissement, le Fonds monétaire africain, la Banque centrale
africaine. A cela, il convient d’ajouter le réseau de près de 4000 km de pipeline qui procure de l’eau à toutes
les villes côtières libyennes et le projet à long terme de la monnaie unitaire Africaine... La libye est à
présent mise en pièces et les préjudices sont incommensurables : les infrastructures
sont saccagées ;
l’argent
du pétrole ne sera plus redistribué mais confisqué par les
multinationales ; les ressources disponibles seront davantage exploitées
par l’Occident ; l’aide libyenne au développement autonome de
l’Afrique est paralysée ; les candidats africains à l’émigration seront plus
nombreux, etc. (5)
Vous dites
« pays en développement » ?
Le Soudan est menacé constamment de sanctions
internationales. Sa partition et la poursuite des conflits dans la Corne de
l’Afrique ne sont que le début de décennies de troubles fomentés par le tandem
américano-israélien, dans le but de contrôler les ressources pétrolières et
minières ainsi que les voies de transport commercial. Le
Zimbabwe est également soumis à des sanctions. L’Erythrée s’est vu imposer une
guerre terrible par l’Ethiopie, agent étasunien dans la région. La
rapine mondiale n’épargne même pas les peuples sans ressources. Haïti en est un
exemple poignant : en
1825, la France avait
exigé un dédommagement financier exorbitant (21 milliards de dollars)
en contrepartie de
l’indépendance de ce petit pays misérable. Aujourd’hui, elle refuse de restituer l’argent
extorqué. « C’est toujours la même
vision féodale du monde, un monde d’inégalités, de brutalités, de domination où
le prédateur en haut de la chaîne alimentaire a le droit de se servir :
droit de vie et de mort, droit de cuissage, droit d’être au-dessus du droit ».
(6)
En Côte d’Ivoire, en avril dernier, une guerre civile a été créée de toutes
pièces par le
terrorisme impérial. Comme désormais tout
est permis, la France a renversé et arrêté son président, lequel s’était mis
dans la tête de refuser de lui livrer sans conditions ses richesses (pétrole,
cacao). L’étouffement économique et
financier de ce pays ne suffisait donc pas. « C’est qu’il s’agit non seulement de châtier, de faire gémir les
ivoiriens d’avoir voulu l’émancipation, mais aussi de faire perdre conscience à
la société ivoirienne, de la briser, de la modeler dans la terreur ; […] c’est qu’il s’agit de faire comprendre à
tous les Africains que la liberté est cause de malheur, de grand malheur et que
seule la servitude, que seul l’esclavage est porteur d’avenir ! »
(7)
Allez parler de « développement » aux
barons de l’impérialisme scélérat, eux qui regardent le monde comme une
source de profits, qui veulent contrôler les matières premières, les continents
et les voies stratégiques, qui considèrent que toute résistance à l’hégémonie doit
être brisée (par la corruption, le chantage ou la guerre)... Décidément, si les mots sont aux
antipodes de la réalité palpable, il n’y a pas lieu de les prendre pour argent
comptant, encore moins de s’en gargariser.
Thami Bouhmouch
23 novembre 2011
Publié in :
- http://www.alterinfo.net/NATIONS-SUBALTERNES-ET-HYPOTHEQUE-IMPERIALISTE
- http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/nations-subalternes-et-hyp
- http://jacques.tourtaux.over-blog.com.over-blog.com/article-nations-subalternes-et
Publié in :
- http://www.alterinfo.net/NATIONS-SUBALTERNES-ET-HYPOTHEQUE-IMPERIALISTE
- http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/nations-subalternes-et-hyp
- http://jacques.tourtaux.over-blog.com.over-blog.com/article-nations-subalternes-et
______________________________________________________________
(1) A.
Albayaty, H. Al Bayati, I. Douglas, http://www.michelcollon.info/Le-Printemps-de-la-democratie.html
Janvier 2011
(2) Georges Stanechy, http://www.legrandsoir.info/l-arabie-saoudite-un-allie-de-choix.html Juillet 2011
(3) Serge Charbonneau, http://www.legrandsoir.info/libye-un-rapport-passe-inapercu.html
Juin 2011
(4) Cf.
Jean-Paul Pougala, in http://beteo.blog4ever.com/blog/lire-article-155247-2383198-pourquoi_la_communaute_internationale_ne_veut_pas_.html Mars 2011
(5) Appréciation empruntée à Michel Collon, http://www.michelcollon.info/Londres-flambe-la-Bourse-se-noie.html Août 2011
(6) Agnès Maillard, http://blog.monolecte.fr/post/2011/05/17/DSK-ivresse-du-pouvoir Mai 2011
(7) David Gakunzi, http://www.michelcollon.info/Cote-d-Ivoire-crimes-d-Etat.html Mai 2011
Remarquable article, à relayer partout ! eva
RépondreSupprimerBonsoir Monsieur BOUHMOUCH,
RépondreSupprimerAvez-vous eu connaissance de mon livre sur mes souvenirs d'appelé Anticolonialiste en Guerre d'Algérie?
Il relate le vécu très dur d'un jeune homme qui ne voulait pas participer à cette guerre coloniale et y tuer de pauvres gens.
Ce jeune homme a fait le choix difficile et dangereux de militer au sein de son unité contre la guerre. Il est rentré de là-bas très marqué par ce qu'il a vu et subi.
Ce n'est pas par hasard s'il fut incorporé direct en Algérie, a connu les sections disciplinaires et même le bagne militaire. Ce jeune homme savait les risques encourus d'autant que l'armée l'exposait dangereusement par brimade. Il en est revenu, a végété, la traversée du désert, une pauvre vie gâchée.
Après avoir rudement trimé durant des années de labeur, le brave homme a été mis à la retraite pour Invalidité.
Des amis l'ont incité à ester contre lEtat Français devant les juridictions concernées pour faire valoir ses droits à pension d'invalidité de guerre, pour blessure et maladie contractées lors de la Guerre d'Algérie.
Il a gagné un très gros procès contre lequel le ministre socialiste de l'époque a fait appel. L'Etat a eu gain de cause et du même coup a privé des milliers de justiciables d'une jusrisprudence qui leur aurait été très favorable.
Vous voyez monsieur, vous qui êtes Marocain, que la justice de classe qui a frappé vos aînés, via la critallisation de leurs pensions de guerre obtenues lors des deux guerres mondiales notamment, cette justice de classe, dis-je, est aussi assénée aux citoyens de France.
Incité par des amis à relater son vécu très dur d'appelé anticolonialiste, l'ex-jeune homme qui n'a pas eu la chance de faire des études, a écrit un livre, rédigé très simplement.
Aujourd'hui âgé de plus de 70 ans, l'ancien a créé un blog très engagé, "Le Sangler Rouge" sur lequel il passe des heures à chercher les articles pertinents pour les publier en indiquant bien sûr la source.
Ce blog est un blog de luttes de classes, l'expérience militante du syndicalisme ouvrier n'étant plus à démontrer.
Ce blog permet à ce militant intègre de s'exprimer mais aussi de revenir souvent, par des témoignages, sur l'évocation du douloureux conflit colonial dans lequel il a été jeté contre son gré.
Jamais cet homme n'aurait du créer un blog. Ces articles et ses liens sont pillés et plagiés chaque jour par des gens qui n'ont même pas l'honnêteté de dire sur quel blog ils ont fait leur trouvaille.
Bien à vous.
Jacques Tourtaux
Militant des Justes Causes
Monsieur Tourtaux,
RépondreSupprimerPour oser exprimer son refus de servir dans une armée coloniale, il faut faire preuve d'une honnêteté intellectuelle assez rare, avoir une haute idée de la dignité humaine et surtout avoir beaucoup de courage.
Vous dites très modestement que vous n'avez "pas fait des études". Votre engagement est exprimé avec clarté, force et humanité ; vos lecteurs sont attirés par la portée particulière de votre témoignage et la qualité de première main de vos écrits. Votre blog est important pour les jeunes et moins jeunes qui voudraient se pencher sur le passé colonial de la France à partir du vécu d'un homme intègre.
Un Etat qui entreprend une action violente contre un peuple ne peut qu'être hostile à quelqu'un qui s'y oppose. D'où l'injustice dont vous avez fait l'objet.
Je me renseignerais ici sur le livre que vous avez rédigé.
L'impact d'Internet est prodigieux : il permet le contact entre des gens très éloignés et accélère la diffusion de l'information. L'auteur d'un texte engagé ne peut pas se sentir seul.
Cordialement.
Merci Monsieur de votre Solidarité, je dirais
RépondreSupprimerFRATERNELLE et ANTICOLONIALISTE qui me va droit va coeur.
Concernant mon livre dont l'Avant-Propos est rédigé par Henri Alleg, l'auteur de La Question, si des personnes sont intéressées, je vends moi-même mes livres que je ne veux par mettre en librairie car ma vente est avant tout une vente militante.
L'an dernier, un couple d'enseignants Tunisiens ou Marocains, je ne me souviens plus, de l'Université de Reims, m'a acheté ce livre.
Je parlais avec le monsieur qui tout de go m'a dit : "auriez-vous un stylo monsieur?
Je lui donne donc un stylo et lui dit que j'ai oublié de dire que l'Avant-Propos était rédigé par Henri Alleg. Sa réponse fut : "Ce qui m'intéresse monsieur, c'est que dans le titre de votre livre, il y a le mot anticolonialisme". Il a ajouté : " Je serais très honoré qu'un authentique anticolonialiste me dédicace son ouvrage."
Je souhaiterais monsieur, avoir un contact avec vous par mail.
Cordialement.
Jacques Tourtaux
Voici mon mail : jacques.tourtaux@orange.fr
Je vais publier votre excellent article et notre échange de commentaires.