Série : Compréhension du consommateur
Au sein du groupe,
certains individus, les mieux informés et les plus actifs sur le plan social, jouissent
d'un pouvoir d'influence particulièrement élevé. Ce sont les leaders d'opinion. En servant de base
de comparaison, ils influent sur le choix du consommateur –
en particulier lorsque le produit est visible socialement et l’achat à
forte implication. Ils sont influents en raison de leur position sociale élevée
ou de leur statut professionnel. De là, « on distingue les leaders
d’opinion de fait (personnes ayant par leur expérience, par une expertise
particulière, par leur autorité naturelle, une influence sur leur entourage) et
les leaders d’opinion dans l’exercice de leur profession : journalistes,
éducateurs, hommes politiques ». (1) Dans l’un et l’autre cas, leur
rôle moteur est essentiel.
Un rôle moteur
essentiel
Le leader d'opinion
influe sur les comportements, avant tout en tant que source d'informations
crédible. Il en est ainsi du journaliste dont la compétence est reconnue
(à juste raison ou pas) quant à une catégorie particulière de produits. On peut
obtenir de lui une évaluation favorable (ou défavorable) du produit désiré. Son
opinion est recherchée par des consommateurs peu ou mal informés, lorsque
l'achat est perçu comme risqué (dans le sens matériel, financier ou
social).
Un individu qui projette
d’acheter une voiture pourra consulter la brochure de la revue Auto Magazine Maroc intitulée « Comment acheter
intelligemment votre voiture ». Il y trouvera diverses indications pratiques et des conseils fiables. L’impact
sur son attitude sera positif ou négatif selon les prises de
position parues dans la presse. Tel journaliste écrira par exemple : « Comment
faire pour conduire tout en étant heureux ? C'est simple, achetez une Audi » ;
tel autre notera à propos de Honda Civic : « une tenue de route
quelque peu défaillante... Le levier de vitesse est d'une extrême rigidité, ce
qui rend la manipulation agaçante ».
D’un autre côté, le
leader influe sur les comportements en tant que modèle ou pôle de
référence. C’est le cas en particulier des célébrités engagées par les
publicitaires. Ceux-ci se fondent sur un constat simple : l'attitude
envers une personne admirée et celle envers le produit qui lui est associé ne
peuvent d’ordinaire se contredire (théorie de la congruence).
Dans cette optique, l’idée
a prévalu de ne pas confondre leader d'opinion et prescripteur. Le premier, a priori, ne cherche pas
expressément à convaincre ; il exerce sur l'achat une influence indicative, informelle. Souvent, il donne l'exemple en consommant
lui-même le produit (voir plus bas : politique des locomotives). A
l’opposé, le prescripteur influe de façon impérieuse, impérative
sur l’acheteur potentiel ; il précise le type de produit (la marque) à
acheter et précise les spécificités. Il en est ainsi du pédiatre pour les
aliments infantiles… (2) La distinction en réalité n’est pas claire ;
au point que
certains auteurs, comme
Ladwein, font
l’amalgame :
« Les leaders d’opinion disposent d’un certain pouvoir de prescription ». (3) De même lorsque tel manuel, à propos du leader d’opinion, évoque le cas de la
marque Evian (France) qui propose
aux médecins et diététiciens des
documents et films « vantant
les mérites de l'eau », alors que ceux-ci sont des prescripteurs. (4)
En tout état de cause, l'entreprise
est portée à utiliser les leaders
d’opinion à
son avantage. Lors du lancement d’un produit nouveau, ce sont des
clients-pilotes dont elle doit emporter l’adhésion en priorité…. Comment s’y
prendre ? Il s’agit d’abord de repérer les membres du groupe de
référence les plus influents, c'est-à-dire dont le comportement a beaucoup de
chances d'être imité par d'autres. Ensuite, il y a lieu de déterminer leur
impact sur le processus d'achat. (5) Enfin, il faut parvenir
à les atteindre, à les convaincre et les intégrer dans l’action marketing.
La politique des locomotives
Le leader d’opinion
est donc intégré dans l’action marketing. Grâce à lui, le produit est
connu bien avant qu'une campagne de communication ne soit lancée. L'efficacité
du message publicitaire augmente si l'on montre que le produit est accepté par ce
personnage de référence. Celui-ci étend le champ d'influence de la
communication de masse et est ainsi en mesure de jouer un rôle clé dans la
diffusion d'un produit.
Lorsqu’un produit
nouveau est mis sur le marché, le leader constitue une cible privilégiée ;
l'entreprise pourrait le lui offrir gratuitement. Des milliers de
stylos à encre Eraser Mate de Gillette ont été envoyés aux
Etats-Unis à des sénateurs, professeurs d'anglais, joueurs de base-ball,
banquiers, journalistes de télévision et directeurs d'agences de publicité. (6)
A Marrakech, lors des manifestations organisées par l'ONMT et la RAM, des
personnalités et la presse européennes sont parfois invitées. L’idée est que de
telles manifestations auront des retombées positives sur les voyages d'agrément
à destination de la ville. C’est ce qu’on appelle la politique des
« locomotives ».
L'entreprise peut
offrir son produit nouveau au leader à des conditions préférentielles.
C’est ainsi que Métrovision (matériel d'ophtalmologie, France) a vendu
d'abord son appareil de mesure de la vision à un des hôpitaux américains les
plus renommés, afin de bénéficier ensuite d'un « bouche à oreille »
favorable. La même démarche est employée par K. Way (vêtements de ski, France)
pour rendre ses nouveaux produits crédibles. « Nous avons décidé de
soigner les leaders d'opinion dans le ski : les moniteurs. Ce sont eux qui
conseillent les skieurs, c'est à eux que les vacanciers veulent s'identifier.
Nous les avons équipés de vêtements spéciaux… aujourd'hui dans 32 stations,
soit 2800 moniteurs. Une telle promotion ne coûte pas moins cher qu'une
campagne d'affichage, mais elle est plus efficace... » (7)
L'entreprise peut
s’adresser directement aux journalistes pour mettre en avant son produit. A
l'occasion de l'ouverture du magasin du prêt-à-porter Flachy à Casablanca, un
mailing a été envoyé à toute la presse locale… Lorsqu’un concessionnaire met sur le marché marocain un nouveau
modèle, il convie différents supports de presse et leur propose de tester le
nouveau produit. Par la suite, ces derniers sont amenés à en parler dans des
articles élogieux. C’est le cas il n’y a pas longtemps de Fiat et de Renault… McDonald’s a organisé, en novembre 2006, une
journée portes ouvertes à l’attention de la presse nationale. Dans le site de
Nouaceur, l’ensemble du processus a été passé en revue : réception des
produits, transport, conditionnement, gestion du cycle du froid, stockage et
livraison aux restaurants. On devine aisément le rôle des journalistes
invités, surtout que le géant du fast-food fait l'objet parallèlement d'une
communication publicitaire.
Publicité
testimoniale
L’entreprise
cherche aussi à s'associer à des célébrités en les intégrant expressément dans
son action publicitaire. « L'approche testimoniale s'inspire du
phénomène de leadership d'opinion en faisant cautionner le produit par une
personne bien connue dont l'image s'associe favorablement au produit proposé :
des pots d'échappement vendus avec le concours d'un célèbre pilote de
formule 1 ou encore des marques de sport utilisant l'image de grands
sportifs jouissant d'une immense popularité ». (8)
Les publicitaires
recourent aux personnages détenant un fort capital de sympathie auprès
du public. L’entreprise Les Domaines Agricoles
(Meknès) a axé sa politique de communication sur la construction
de sa nouvelle marque « Les Domaines »
et sur sa gamme de produits 100% naturels (fruits, légumes, poissons, viandes,
soins corporels…). A cet effet, elle a signé un accord de partenariat avec Choumicha, la
star de la gastronomie marocaine – un partenariat en accord avec
le slogan « consommer bon, sain et
juste ». La vedette de télévision était présente au Salon Siagrim sur le stand de
l'entreprise. Ses fiches de recettes, exposées devant les visiteurs, étaient
marquées de la nouvelle identité
visuelle. Cette action a été suivie d'une campagne publicitaire… D’autres
cas viennent à l’esprit : telle animatrice de télévision s’est affichée dans
la publicité pour un détergent ; telle star de la musique andalouse, tel
champion de tennis ont été utilisés dans le message d’un modèle de voiture,
etc.
Ces personnages en
l’occurrence sont-ils des leaders d'opinion ? Au sens strict, on est tenté de
dire non puisqu'ils sont payés… « Le leader d’opinion ne cherche pas à
contrôler son action sur les autres : en ce sens, il se différencie d’un
vendeur qui cherche à persuader l’acheteur. C’est une source d’information
considérée comme plus fiable que la publicité, parce qu’elle émane de quelqu’un
reconnu comme impartial et compétent ». (9) Le
recours aux célébrités dans les messages publicitaires contredit la conception initiale
du leader d’opinion : pour que ce personnage soit crédible, il est
censé être désintéressé, objectif par rapport au sujet
présenté
et pour ainsi dire neutre. Il est donc clair qu’il y a eu un glissement de
sens.
Thami BOUHMOUCH
Juillet 2014
________________________________________
(1) J. Lendrevie et D.
Lindon, Mercator, Dalloz, p. 44.
(2) Cf. article
précédent : « Achat, consommation : l’enjeu de la
prescription », http://bouhmouch.blogspot.com/2013/08/achat-consommation-lenjeu-de-la.html
(3) Richard Ladwein, Le
comportement du consommateur et de l’acheteur, éd. Economica, p. 129.
(4) Cf. Y.
Cordey et B. Perconte, Connaître le
marketing, Bréal, p. 20.
(5) NB : en dehors des célébrités
(chanteurs, sportifs), des journalistes et des experts professionnels, il n’est
pas facile d'identifier un leader d'opinion et ceux qu'il peut influencer.
(6) Cf.
Alexander Hiam et Charles Schewe, MBA Marketing - Les concepts, éd.
Maxima, p. 259.
(7) M. Dekerle,
directeur commercial, cité par B. Prouvost, Innover dans l'entreprise, les
clés pour agir, Dunod, p. 73.
(8) Dubois et Vanhuele http://www.universalis.fr/encyclopedie/consommation-comportement-du-consommateur/
(9) Eric Vernette, Marketing
fondamental, Ed. Eyrolles, p. 54
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire