Série : Compréhension du consommateur
Toute société est
hiérarchisée, stratifiée en catégories ou subdivisions distinctes, que l’on
appelle classes sociales. L'inégalité est une réalité humaine et sociale
incontestable. Elle touche à la fois la possession de
biens, le pouvoir et le prestige. Au Maroc, on peut
parler d'une société à plusieurs vitesses. Il y a un
clivage certain entre ceux qui habitent des villas cossues et ceux qui vivent
dans les quartiers dits populaires. A Casablanca, entre les citoyens vivant au
Maârif, à Derb Soltane ou à Aïn Diab, il y a peu de points communs. Manifestement,
les catégories sociales n'intègrent pas les mêmes registres de pensée et
d'action.
Jadis, les
Marocains « vivaient au même rythme, envoyaient leurs enfants au même
m'sid, se retrouvaient au même hammam et s'asseyaient sur les mêmes nattes de
la mosquée chaque vendredi. Ils célébraient les mêmes fêtes, de la même façon
et se nourrissaient de la même manière. […]. En un mot, on ne notait pas
les grandes disparités que l'on relève aujourd'hui dans ces domaines. Il n'y
avait pas, comme de nos jours, de quartiers nettement différenciés du fait du
revenu, de la fonction ou de la profession »… (1)
Ce sujet, disons-le,
s’avère assez embarrassant (on ne peut se satisfaire de l'inégalité) ; en quoi peut-il
intéresser l'entreprise ?
Hétérogénéité du
champ social
Il convient
d’emblée de mettre en lumière le concept de classe sociale.
« L’idée de
base est que le champ social n’est pas homogène et que l’on peut procéder à des
regroupements qui autorisent une meilleure prise en compte de la diversité des
individus ». (2) La classe sociale désigne un ensemble de
personnes ayant en commun une certaine conscience collective et des intérêts
particuliers. Les classes sont ordonnées les unes par rapport aux autres,
chacune adoptant un mode de vie, des normes de conduite et des opinions distinctifs.
C’est ce qui ressort de cette définition : « Les classes sociales sont
les divisions hiérarchiques relativement homogènes et durables d'une société,
et dont les membres partagent des valeurs, des intérêts et des comportements
similaires ». (3) L’idée de hiérarchie sociale transparaît déjà dans la notion de standing utilisée couramment dans le secteur de
l’immobilier, où l’intérêt est accordé à certains attributs comme le marbre à
l’entrée, les caméras de surveillance, la climatisation, le parcours de golf,
etc.
La classe sociale, notons-le,
constitue un agrégat plus large que le groupe de référence. (4)
En outre, « les individus qui appartiennent à une même classe sociale
ne sont pas nécessairement en interaction les uns avec les autres. Il s’agit
davantage d’un groupement latent ». (5) L’appartenance
à une classe peut donc être définie d’une façon subjective « par
la façon dont les membres d’une même communauté sociale se considèrent les uns
les autres ». (6) En ce sens, une classe sociale est une sous-culture
particulière et doit être regardée en tant que telle. Ses membres ont
tendance à avoir les mêmes aspirations, à valoriser les mêmes occupations ou
pratiques, à développer leurs propres préférences – pour ce qui est des vêtements,
des meubles, des loisirs, des médias utilisés. Il suffit d'observer à
Casablanca l'ambiance populaire des grandes surfaces Marjane ou Alpha
et de la comparer à l'atmosphère affectée d’Anfaplace ou de Morocco Mall. A Paris en France, les Galeries Barbès s'adressent notoirement aux couches
modestes.
Les produits en
tant que signe
La consommation
appartient à la vie quotidienne de chacun et a ainsi une dimension sociale. C’est
le moyen d'expression d'une différenciation sociale patente. Dans
la société, l'individu occupe une position donnée ; il est censé
avoir telles motivations, s'adonner à telles activités, conformément à son statut.
Position et statut exercent une grande influence sur le comportement d'achat.
Jean Baudrillard a écrit en 1976 : « Les objets, comme l’argent,
ont une fonction première de signification du statut de leur possesseur, avant
même leur fonction de satisfaction des besoins ». (7) La plupart du
temps, en effet, le consommateur n’utilise pas les produits en soi (pour leur
valeur d’usage) mais en tant que signe. Il consomme consciemment ou
inconsciemment leur signification sociale – laquelle va au-delà de leur destination fonctionnelle. C’est dire que les
produits achetés sont à la fois utiles (pour répondre à un besoin) et futiles
(pour être vus).
L’influence
de la classe sociale – comme celle des groupes de référence – revêt un intérêt
majeur lorsque les produits ont une grande visibilité sociale. Dans un
tel cas, le consommateur préfèrera toujours la marque la plus prestigieuse, celle
dont le prix est le plus élevé. « Achèteriez-vous
un Dior, nécessairement de bonne qualité, si personne ne sait – ou saura – que
c’est un Dior ? ». (8) Cette question suffit à montrer à
quel point sont
sensibles les produits à signification symbolique élevée. En 1998, la décision prise par la marque Chanel de réduire la
taille de son logo a eu des effets néfastes sur les ventes. La marque, l’année
suivante, a dû réintroduire une collection avec un logo bien visible.
Il n’est que de
voir au Maroc les cérémonies de mariage et
autres grandes occasions pour toucher du doigt l'importance de ce
phénomène. Le choix des plats,
boissons et gâteaux proposés est soumis à des contraintes sociales bien réelles.
De fait, les aliments perdent leur fonction nutritive, pour n'être considérés
que comme des objets d'appartenance et d'affirmation. Ils sont pour l'hôte une
façon de montrer à ses invités ses « capacités » et sa position au
sein de la société.
Les
gens ont tendance à se rapprocher des catégories les plus élevées, à essayer de
leur ressembler en achetant les mêmes produits. Pour T. Veblen, la
consommation ostentatoire a pour finalité la démonstration du statut de
l'individu. Ostentation vient du mot latin ostentio ;
c’est « l’action de montrer avec insistance, avec excès ». De là, « la consommation ostentatoire a comme utilité la valorisation
sociale, sans qu’il y ait nécessairement un intérêt fonctionnel à la chose :
instaurer une bonne image de lui-même dans son entourage ». (9)
Les voitures de marques prestigieuses n’ont-elles pas une
valeur de signe importante, ne
sont-elles pas achetées en tant que symbole ? La mode n’est-elle pas une
façon privilégiée de montrer aux autres, par des signes extérieurs, notre
position sur l'échelle sociale ?...
Le
concept de classe offre une perspective sociologique indéniable à l’approche du
comportement d’achat. Le marketing est amené bel et bien à tenir compte des phénomènes
d'ostentation, à concevoir des réponses appropriées au besoin de valorisation
sociale… Pour cela, il doit être en mesure d’appréhender la classe sociale et
de la mesurer correctement. C’est le
point qui sera abordé dans le prochain article.
Thami
BOUHMOUCH
Août 2014
_______________________
(1) Yahia Benslimane, Nous Marocains,
éd. Publisud, p. 144.
(2) Richard Ladwein, Le comportement
du consommateur et de l’acheteur, éd. Economica, p. 79.
(3) Kotler, Di Maulo, McDougall,
Amstrong, Le Marketing de la théorie à la pratique, Gaëtan Morin, p. 65.
(4) Cf. un article précédent : Pressions
comportementales : le poids du groupe de référence, http://bouhmouch.blogspot.com/2014/07/pressions-comportementales-le-poids-du.html
(5) R. Ladwein, op. cit., p. 79.
(6) J. Lendrevie et D. Lindon, Mercator,
éd. Dalloz, p. 158.
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