Mon exposé comporte 3 axes :
-
L'entreprise, loin de se réduire à un système physico-technique, est un système
ouvert ;
-
Face aux incertitudes de l'environnement, la maîtrise de l'information est un atout décisif ;
- Au Maroc, la circulation de l'information se
heurte à la culture du secret.
Le marché, selon la conception traditionnelle, est
le lieu de rencontre entre un offreur et un demandeur... Il tombe sous le sens
que c'est la rencontre d'une multitude d'offres et de demandes différentes qui
tendent à s'ajuster. Les professionnels du Marketing agissent dans un univers
de concurrence : ils sont tenus de centrer leur réflexion et leur action sur le
consommateur. Il s'agit de découvrir, d’anticiper et d’analyser
ses attentes pour réaliser le produit adéquat. Qui peut croire encore qu’on peut vendre
n’importe quoi à n’importe qui à l’aide d’une action promotionnelle tapageuse ?
La logique du marketing est bel et bien une logique du besoin. La coïncidence entre l'intérêt de la firme et
celui du client n'est possible que si on se rallie à ce credo.
Bien plus, les organisations sont soumises immanquablement
aux influences inhérentes à leur milieu d’action. Ces influences ne cessent de
s'accentuer, au point de déborder sur leurs possibilités de réaction. Outre la
concurrence, elles sont en relation avec un environnement économique,
juridique, technique, sociopolitique,
culturel. Ce qui implique une recherche d’informations sur quantité de
paramètres : la conjoncture générale et sectorielle, l’évolution de la
consommation, les lois et règlements, les nouveaux procédés de fabrication, la
politique étrangère, l’évolution des styles de vie, etc.
La veille est née de cette prise de conscience. On peut la
qualifier de concurrentielle, de
commerciale, de technologique, et d'environnementale. C'est un mode de recherche
tous azimuts de l'information, un processus permanent par lequel
l'organisation vise à réduire son incertitude, en anticipant les ruptures.
[...]
Ainsi, l’activité marketing s’exerce
obligatoirement dans une triple perspective : analyser les besoins du marché
(exprimés et latents), chercher à découvrir les faits et gestes des
concurrents, surveiller les composantes de l’environnement. Il s’agit d’être en
permanence à l’écoute des changements, de saisir les opportunités éventuelles
et de réagir aux menaces pouvant provenir de divers intervenants.
Les cellules de veille sont logiquement rattachées
à la direction du marketing. C'est le radar de l'entreprise. Elles détectent
tous les signaux en provenance de l'environnement. Bien entendu, la tâche n'est
pas facile : les éléments susceptibles de justifier une modification majeure
sont souvent perdus parmi d'autres. Toutes les données n'étant pas pertinentes
pour la prise de décision, il est nécessaire de les sélectionner avant de les
saisir.
2. Maitrise
de l'information : un atout décisif
Lorsque les décisions
engagent l’avenir de l’organisation, il est clair qu’on ne saurait continuer à
reproduire les démarches du passé. Le système pyramidal, longtemps en vigueur
dans les entreprises, est de moins en moins adapté au paysage actuel. Il doit
faire place à une organisation en réseau.
Celle-ci comprend, en interne, tous les collaborateurs qui détiennent des
informations sur le micro et le macro-environnement. En externe, les clients,
les fournisseurs, les intermédiaires peuvent aussi contribuer au réseau de
veille.
Une fois collectée, l'information doit être
ordonnée et facilement accessible. Elle nécessite une gestion à grande échelle
de bases de données, c'est-à-dire, au sens informatique du terme, un ensemble
de données mémorisées par l'ordinateur. La base de données (BdD) commerciale a
pour première fonction de mémoriser les éléments les plus significatifs de la
relation entre l'entreprise et le consommateur (prospect ou client). Une donnée
ne doit figurer et être conservée dans la BdD que si elle est susceptible d’être utilisée ultérieurement
dans l’action commerciale. De là, le fichier doit être régulièrement purgé des données obsolètes.
Quant aux banques de données externes, elles
permettent de fournir à distance des informations (numériques ou textuelles)
sur des thèmes très divers. Le Réseau
National Spécialisé, par exemple, permet l'accès à des données bibliographiques,
des indicateurs économiques, des textes législatifs et fiscaux, des données
statistiques...
Savoir obtenir l’information à la bonne source, au
moment voulu et l’utiliser à bon escient : cela tient d’abord au credo du marketing
et c’est l’un des secrets des entreprises performantes. Il ne suffit pas
d’innover ou de fabriquer de « bons » produits. Il importe de garder
l’œil ouvert, se renseigner sur la concurrence, connaître ses forces et ses
faiblesses, anticiper les évolutions et les innovations. C’est précisément le sens qui
est donné depuis peu au concept d’intelligence économique. […]
Ressource précieuse, cependant, l’information est
en même temps une source de problèmes, en raison des difficultés d’accès, de
traitement et de circulation des informations. Celles-ci sont souvent de nature
hybride et difficilement structurables. S'agissant des concurrents, en
particulier, il faut recourir à des sources non coopératives, voire hostiles. L'information
occasionne ainsi des dépenses dont on aurait tort de s’alarmer outre mesure. On
se doit au contraire de comparer coût et valeur (perçue) de l’information, en
regard de l’enjeu des décisions prévues.
De nos jours, le monde des affaires fait face à au
moins trois incertitudes : la progression rapide du savoir technologique,
l’intensification de la compétition internationale, l’évolution capricieuse de
la demande. Le défi lancé à l’entreprise - désormais en
l’absence de l’Etat Protecteur - est celui de l’excellence. [...]
3. La
réalité marocaine : des réticences coriaces
A cet égard, la situation au Maroc laisse beaucoup
à désirer.
Les besoins d’information, mal
identifiés, sont en règle générale exprimés de manière ponctuelle, à l’occasion
d’événements particuliers. L’information est perçue comme une arme à double tranchant. De temps à
autre, on voudrait bien l’obtenir, mais celle dont on dispose est mise sous
clef. Et lorsqu’il est question de chercher à l’acquérir, on supporte difficilement
de devoir la payer.
La transmission de l’information - à l'heure où l'accès au savoir se fait de plus en
plus à travers les terminaux - se heurte inexorablement à la culture du secret. A la moindre approche, les services sollicités
se ferment
comme une huître en invoquant des
contraintes hiérarchiques ou des impératifs stratégiques. Les étudiants en
Gestion en savent quelque chose, eux qui s’épuisent à quémander des
renseignements pour leurs exposés, leurs rapports de stage, ou leurs mémoires. « Nous n'avons pas
l'habitude d'étaler nos secrets », fait savoir le cadre contacté (par
personne interposée). Le goût du
"verrouillage" est quasi-obsessionnel même dans les PME qui n’ont pas
grand-chose à cacher.
Aujourd'hui, l'Université se fait un devoir d'aller
vers l'entreprise. L'apprenant en Gestion et Commerce doit acquérir, à coté du
savoir théorique, un savoir-faire et une pratique qui ne peuvent être dispensés
que si un contact direct avec la réalité professionnelle est possible.
Il faut bien l'admettre : le système d'enseignement
a besoin régulièrement d'accéder à des données de terrain. Il ne sera
réellement efficient que si l'entreprise se reconnaît comme instance de
formation, autant que de production de biens et services. Elle est tenue, dans
une certaine mesure, de s'impliquer dans le processus de formation. Le stage,
par exemple, loin d'être une formalité ou un usage en trompe-l'œil, est une
étape obligatoire dans les formations dispensées, il permet une immersion
nécessaire dans le réel.
L'Ecole et l'Entreprise entretiennent des relations
de méfiance, au moment où elles pourraient concevoir un véritable partenariat.
Une collaboration entre l'une et
l'autre sphère s'impose à l'esprit. Il est beaucoup question de réforme de
l'enseignement, peut-être faudrait-il parallèlement amener les hommes de
terrain à changer d'attitude.
Je parviens là à un point essentiel : l'information
n'est pas un flux à sens unique, si l'on cherche à la recevoir, il faut aussi consentir à la fournir. La mauvaise circulation des connaissances
est un mal endémique. Il semble bien qu’au-delà des aspects objectifs et matériels,
l’information comporte des aspects culturels et psychosociologiques.
L’intention n’est-elle pas ici ou là de se donner une façade de légitimité
ou/et de compétence par une rétention excessive d’informations ? Sans l'implication
forte des managers et sans leur volonté
de mettre fin
à la règle
de l'opacité, le Maroc restera en
marge de l'âge moderne.
Merci de votre attention.
Communication à Table Ronde Economie des réseaux d'information / Banque
Populaire, Casablanca, le 29/11/1996.
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