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23 avril 2011

L'INNOVATION [1/2] : UNE RÉPONSE AUX BESOINS LATENTS



L'entreprise, comme chacun sait, est un centre d'innovation. C'est le support essentiel du progrès technique. L'innovation crée de nouveaux marchés, apporte des produits que le public n'est pas en mesure de réclamer, ni même d'imaginer.
Par contraste, tous les manuels répètent à l'envi que l'entreprise doit être centrée sur le client plutôt que sur la technologie. Ne s'agit-il pas là d'une vision idéale du marketing ? Le fait de focaliser l'attention sur la satisfaction des besoins immédiats des consommateurs, ne risque-t-il pas de figer l'innovation ?
Sur ce point, Lambin écrit : «Le risque que peut présenter une adoption trop enthousiaste de l'optique marketing est d'inciter l'entreprise à mettre exagérément l'accent  sur des produits demandés par le marché au détriment de produits inconnus du marché mais poussés par la technologie. Une stratégie marketing exclusivement guidée par les vœux du marché tend fatalement à favoriser les innovations mineures et moins révolutionnaires que celles proposées par le laboratoire». (1)
D'autres auteurs se rangent à cet avis : «Une entreprise orientée exclusivement vers le marketing risque de négliger des dimensions importantes de son avenir». (2)
De fait, le problème paraît se poser en ces termes : faut-il se conformer à l'investigation et aux directives du marketing ou emboîter le pas au chercheur comme force de proposition autonome ? Ne peut-on imaginer que l'entreprise puisse chercher un marché pour un produit qu'elle a déjà conçu ?

Les produits issus de l'imagination

Que la perception d'un besoin sur le marché soit un puissant facteur d'innovation technologique, qui peut le nier ? Cependant, il ne s'agit pas d'une règle absolue. En réalité, la source première de l'innovation diffère selon les industries considérées.
Dans les secteurs de haute technologie (informatique, biotechnologie...), il est manifeste que les facteurs techniques constituent les causes premières du déclenchement de l'innovation. L'entreprise est dominée par les scientifiques et ingénieurs ; elle se persuade qu'un produit supérieur se vendra tout seul et tend à se focaliser sur l'activité de production au détriment du marketing.

La complexité croissante de la technologie semble donc paradoxalement conduire à l'adoption de la conception centrée sur le produit. L'idée est que le consommateur n'est pas en mesure de préciser ses attentes et, de là, l'intérêt des études de marché serait fort limité.
C'est le point de vue adopté par un économiste : «A l'instar du politicien esclave de "l'opinion publique" et qui vit toujours dans le passé, les entreprises qui se tournent vers la demande créent rarement de nouveaux produits car il n'existe aucune demande mesurable pour des produits encore inconnus. La plupart des innovations échappent aux études de marché». (3)
Etre à l'écoute du consommateur ne suffit pas. Il est des cas – nombreux – où c'est l'imagination qui crée les produits. Il faut pressentir ce dont le public a besoin. Le télécopieur (fax), le micro-ordinateur, le Walkman, la fermeture centralisée des portes des voitures, le post-it, le laser, le four à micro-ondes, les lentilles de contact jetables, la messagerie rapide... sont le fait des inventeurs. On n'aurait vraisemblablement jamais pu concevoir ces produits sur la base d'une étude de marché.
Lorsque l'innovation porte sur les procédés de fabrication, le rôle de la fonction production est décisif, celui du marketing périphérique. D'aucuns semblent même convaincus de l'inanité d'un service marketing. Témoin ce dirigeant de Verreries Cristalleries d’Arques (France) : «Nos innovations ne sont pas issues de recherches marketing sur les consommateurs. Les consommateurs ne connaissent rien à l’innovation, ils ne jugent que par le passé. Il faut des visionnaires pour innover, et les visionnaires, on ne les trouve pas dans la rue». (4)
L'entreprise paraît ainsi adopter une démarche inversée lorsqu'elle suggère des produits avant de les soumettre au marché. Aux débuts, l'ordinateur était un phénomène totalement nouveau. Le fabricant, contrairement au client, avait une idée précise de son utilité et de ses usages possibles. Le fard à paupières : il fallait au début créer des stands de démonstration pour apprendre aux femmes comment l'utiliser. Autours de nous d’innombrables produits voient le jour. L'entreprise s'efforce de transformer les produits existants ou d'en créer de nouveaux. C'est à cette condition qu'elle maintient son dynamisme. Le moment venu, il faut aller très vite, sinon la place est prise.
Est-ce à dire pour cela que le créateur dans son laboratoire tourne le dos aux attentes du marché ? Une telle éventualité est-elle envisageable ?

Le chercheur répond à des besoins non exprimés

Il est souhaitable que soit levée l'équivoque : l'entreprise qui innove n'est pas déconnectée des tendances du marché ; elle prête attention aux besoins des consommateurs — lesquels ne sont pas toujours exprimés. Innover, aujourd'hui, c’est savoir répondre (le premier) aux attentes cachées des clients. Le savant dans son laboratoire ne travaille pas pour «passer le temps», pour la recherche pure et désintéressée. Loin d’être un «chercheur fou», il choisit sa voie : il répond à des besoins latents.
La réalité observée nous fournit quantité d'exemples.
Depuis sa création, l'entreprise 3M a basé sa culture d'entreprise sur l'innovation, ce qui en fait une des plus dynamiques du monde. Les idées nouvelles, suscitées par des discussions avec des clients, sont savamment étudiées et exploitées. Ce sont les besoins identifiés qui incitent l'entreprise à créer des produits novateurs dans des domaines divers : articles de bureau, signalisation routière, médecine, pharmacie, industrie automobile, électronique et télécommunication. La force de vente est à l'écoute permanente et attentive des clients pour découvrir les problèmes éventuels et les communiquer aux équipes de développement. Elle a pour mission de déceler les besoins exprimés et non exprimés. Grâce à cette approche, 3M trouve des solutions précieuses et novatrices. Les produits 3M sont les produits dont les clients ont besoin même s'ils ne peuvent l'expliquer. […]
On peut dire autant du matelas Beautyrest de Simmons. Celui-ci est adapté à chaque partie du corps en soutenant point par point la colonne vertébrale ; il favorise la circulation sanguine et la relaxation musculaire. De plus, le tissu traité antibactérien et le système d'aération anti-acariens protègent d'un grand nombre d'allergies.
Ainsi se dégage un point majeur : à la base de toute technologie réside un besoin réel, même s'il n'est pas formulé de manière explicite. Cela revient à dire non seulement que le besoin crée le moyen mais aussi et surtout qu'un moyen sans besoin est inutile.
De toute évidence, l’innovation n’est pas une fin en soi. Elle vise à assurer les objectifs de croissance et de rentabilité de l’entreprise, lesquels ne sont réalisés qu'à travers la satisfaction du marché-cible.
Lorsqu'un fabricant affirme qu'il n'effectue pas d'étude de marché, cela  ne veut pas dire qu'il méconnaît les besoins qu'il est censé satisfaire. Celui qui introduit une innovation est fortement imprégné de son marché et de son évolution. Il se fait une idée des attentes du marché (feeling, flair).
Les consommateurs, certes, n'ont jamais éprouvé le désir d'utiliser une télécommande de téléviseur avant sa mise sur le marché. Pour autant, l'ingénieur qui l'a conçue a cherché à répondre à un besoin. Le téléspectateur apprécierait beaucoup de pouvoir changer de chaîne, de modifier le son, etc. sans se déplacer. C'est un besoin de confort réel qui s'affirme avec la multiplication des chaînes. Répondre à un besoin est une donnée incontournable quelle que soit la façon de procéder.
Eclairons cela par d'autres exemples. 
Trarem Afrique, leader national dans le mobilier de bureau, apporte souvent des réponses nouvelles aux besoins de sa clientèle. Sur un marché fortement concurrentiel, l'entreprise anticipe les attentes et s'inscrit en avance par rapport au marché. Des concepts bureautiques originaux sont régulièrement proposés (comme l'ensemble Arela).
Que dire de la peinture Artilin 3A ? Ce produit nouveau se veut d'abord au service des asthmatiques. Il a été mis au point pour lutter contre les acariens, ces araignées microscopiques qui prolifèrent et émigrent en surnombre dans les murs, plafonds, draperies, rideaux... Des tests ont montré que les acariens, mis au contact de cette peinture, étaient détruits à 100 % au bout de 15 minutes. Les besoins, en l'espèce, n'ont pas été formulés explicitement par le public, mais n'en sont pas moins réels.

Dans le prochain papier, par un retour du balancier, il faudra se poser cette question inévitable : le producteur qui se fie à son imagination, ne court-il pas des risques de rejet élevés ?

Thami BOUHMOUCH
Extraits de l'article paru dans Revue Marocaine de Droit et d'Economie, Faculté de Sciences juridiques, économiques et sociales, Aïn Chock - Casablanca, n° 47, 2002.
____________________________________________
(1) J-J. Lambin, Le marketing stratégique, Mc Graw Hill 1991, p. 22. Souligné par l'auteur. 
(2) Kotler, Di Maulo, McDougall, Amstrong, Le Marketing de la théorie à la pratique, Gaëtan Morin 1991, p. 13.
(3) George Gilder, Richesse et pauvreté, Albin Michel 1981, p. 53.
(4) Ph. Durand, cité par Bernard Prouvost, Innover dans l'entreprise, les clés pour agir, Dunod 1990, p. 59.




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