L'entreprise
- unité économique
- évolue dans un macro-environnement dont le
contexte socioculturel constitue une composante de poids. Tout individu fait
partie d'une communauté humaine ; il baigne dans un ensemble complexe de
valeurs, de croyances, et de traditions qui façonnent ses relations avec le
monde qui l'entoure... Aussi bien, un responsable de marketing se préoccupe
normalement des styles de vie, du niveau d'éducation, des pratiques
religieuses, de l'éthique, des mouvements de mode, etc.
Les décisions de l'acheteur sont largement
influencées par sa culture et c'est toujours à travers celle-ci que la
définition de ses besoins s'effectue. Simple autant que crucial, ce fait
d'expérience a donné matière à une abondante littérature. Pour F. Colbert, « les
valeurs d'une société jouent un rôle de
premier plan dans la mise en marché d'un
produit car lorsqu'elles évoluent, elles entraînent un changement d'habitudes
chez les citoyens » 1. Dans le même sens, Helfer et Orsoni
soulignent que « les valeurs
culturelles dont hérite chacun constituent de puissants facteurs explicatifs de
l'achat ou du non-achat : individualisme, importance de la mère, matérialisme,
convictions morales ou religieuses sont autant de traits culturels qui
orientent la consommation » 2.
On conçoit dès lors que la promotion de
l'entreprise, au travers notamment de l'action
publicitaire, soit à un degré ou à un autre, affectée par le substrat
culturel. C'est l'un des principes majeurs sur lesquels reposent particulièrement
les stratégies visant des marchés extérieurs, donc des cultures dissemblables.
L'entreprise exportatrice, en effet, ne saurait perdre de vue le champ de
référence culturel. Elle « devra
étudier les caractères distinctifs d'une culture et ses conséquences d'un point
de vue marketing. A cet égard, l'adaptation du marketing (sa différenciation
par culture) ou sa globalisation est un enjeu stratégique majeur » 3.
L'impact des différences culturelles sur la
politique de marketing s'impose à l'esprit. Une mésaventure de Général Motors, dans un temps passé,
faisait bien sourire : si la firme transnationale ne parvenait pas à diffuser
son modèle de voiture « Nova »
en Amérique Latine, c'est tout simplement parce que les décideurs avaient perdu
de vue, qu'en espagnol « no va »
signifie « ne marche pas »
! Cet exemple d'apparence anecdotique, vise à faire sentir une vérité
fondamentale : la réalisation des études de marché, la conception des produits
et les politiques de communication exigent certes la maîtrise des techniques de
marketing, mais aussi la connaissance profonde des singularités culturelles du
milieu considéré.
Au Maroc, tout porte à penser que dans les écoles
supérieures privées l'enseignement du marketing ne met pas suffisamment
l'accent sur ce fait décisif. Au surplus, bon nombre d'agences publicitaires, en transposant in extenso les significations et les
idéaux occidentaux, ne semblent pas réaliser que certains messages, thèmes ou
slogans ne riment en rien avec les spécificités culturelles endogènes. De fait,
plutôt que de reproduire les arguments éprouvés ailleurs, il importe de se
référer à l'imaginaire et aux sensibilités locales du groupe social visé.
Faut-il s'attendre, par exemple, à ce que le consommateur africain s'identifie
à l'Européen et réagisse comme lui ? Comme le note avec raison J. Séguéla,
« la publicité est le reflet des
peuples. [...] A chaque pays sa culture publicitaire. Nous avons déjà vingt ans
d'audiovisuel dans la tête, l'Afrique découvre à peine le petit écran »
5.
La culture, si elle influe sur les transactions
entre un détaillant et son client, elle agit de même sur les négociations en
milieu industriel. « Elle
affecte tout autant les antécédents de la négociation (les caractéristiques des
négociateurs) que les conditions dans lesquelles s'effectue la négociation ou
le processus de négociation. Ainsi, elle influence la durée de la négociation
et les stratégies de négociation utilisées » 6. Si bien que
les négociations sont relativement courtes dans les sociétés où l'on fait grand
cas de la loi et des textes.
Bien plus, d'un pays à l'autre, le milieu culturel
d'appartenance influe sur la façon dont les individus s'insèrent dans
l'entreprise et vivent leurs relations de travail. Il exerce une action directe
sur la dynamique interne de l'entreprise, sur l'action collective de ses
membres, sur leur perception de l'entité elle-même, bref sur la culture de
l'entreprise. S'agissant des pratiques managériales, il n'y a pas à proprement
parler de typologie universelle. L'entreprise est un construit humain et social
où les interactions ne sont pas seulement rationnelles mais aussi affectives. Les comportements sont
pluridéterminés : rationalités diverses, intérêts immédiats, passions,
dispositions d'esprit, références culturelles se combinent de manière continue.
Les processus décisionnels sont concrètement marqués par les représentations
que se font les acteurs des rapports hiérarchiques, par leur conception du
temps, leur vision des choses et des hommes.
L'entreprise africaine ne ressemble pas à
l'entreprise européenne, laquelle diffère sensiblement de l'entreprise
américaine, qui à son tour se distingue de l'entreprise japonaise. Cette
dernière se fonde sur un ensemble de normes et de valeurs particulières, elle
fonctionne selon un mode de gestion
propre. Nulle part ailleurs qu'au Japon on n'est prêt à se conformer à la
gymnastique matinale, aux chants collectifs à la gloire de l'entreprise.
Farouchement individualiste, le cadre français, par exemple, ne peut consentir à s'effacer devant
le groupe, à s'assujettir à ses exigences.
Les attitudes à l'égard de l'entreprise diffèrent
d'un ensemble culturel à un autre parce que chacun d'eux a sa vision des
choses, ses significations, ses idéaux propres. « Le Japonais est voué corps et âme à son entreprise, c'est par elle que
passe l'essentiel de sa vie, et son attachement est de type féodal. Pour l'Américain,
l'entreprise est le lieu où l'on peut se réaliser, exprimer ses capacités,
entrer en compétition avec les autres membres de l'organisation, et finalement
réussir ou échouer [...] Pour le
Latin, l'entreprise est surtout un gagne pain. L'essentiel de sa réalisation
personnelle est ailleurs... » 7.
L'analyse de H. Bourgoin sur le management en
Afrique est significative à cet égard 8. Selon lui, l'entreprise
africaine doit être regardée comme un village, afin de lui donner une dimension
affective et communautaire propre à l'environnement culturel local. Il importe
alors d' « adopter »
l'employé dans la « famille »
de l'employeur, d'assurer la cohésion du personnel et de le motiver par des
performances envisagées comme des succès collectifs. Ici, les motivations
sociales, les besoins de relations et d'amitié passent avant le besoin
d'accomplissement individuel, comme c'est le cas notamment aux Etats-Unis.
B. Ponson, examinant lui aussi l'impact des
ancrages culturels sur le management en Afrique, adopte un point de vue
semblable9. Un sentiment d'appartenance communautaire
particulièrement fort imprègne le corps social dans sa totalité. C'est ce
sentiment qui, au sein de l'entreprise, explique le rôle joué par la famille
élargie et les liens de solidarité (d'où utilisation collective des revenus),
la portée de l'âge en tant que symbole de la sagesse et de l'autorité, la
position du patron, considéré comme un chef de village ou de clan, etc. De là
l'idée de recréer l'entreprise africaine en y reproduisant l'atmosphère et la
solidarité du village : « des
entreprises homogènes ethniquement sont ainsi tout à fait efficaces et performantes,
par exemple des entreprises Bamileké au Cameroun. Le manager sera tout naturellement
un chef de type paternaliste à l'écoute de ses salariés en lequel ceux-ci ont
confiance (du fait de la communauté qui les unit) » 10.
C'est un fait avéré qu'en Afrique les transferts de
pratiques managériales échouent dans la plupart des cas. La question de
l'adéquation de telles pratiques au milieu d'application se pose donc avec
acuité. Certes, il faut bien en l'occurrence que des règles soient applicables
dans des circonstances les plus larges possibles. Et il tombe sous le sens que
toute entreprise, où qu'elle soit, a en vue de parfaire son efficacité et sa
compétitivité... Il n'en demeure pas moins que les méthodes et principes,
quelque rationnel que soit leur contenu, ne saurait tourner le dos aux
singularités culturelles du milieu dans lequel opère l'entreprise. Les pays
africains sont donc portés à concevoir un style de management propre, intégrant
certaines valeurs mobilisatrices, certains traits originaux de leur génie
social.
On s'aperçoit de nouveau qu'il y a une spécificité
africaine dans l'approche du management, ce qui amène à contester
l'universalité des théories américaines. Celles-ci, en effet, reposent sur des
valeurs culturelles qui sont loin d'être universelles, comme par exemple la
compétition entre individus, l'acceptation du risque ou la recherche du succès
individuel. Les managers africains - de même d'ailleurs que leurs confrères
d'Europe du sud et d'Amérique Latine - qui cherchent à
s'attribuer des notions comme the self
achievement (accomplissement de soi) ou the
commitment (responsabilité, devoir, engagement personnel) se plient
inéluctablement à un effort d'acculturation.
Thami
Bouhmouch, professeur de Marketing
Article paru in le périodique L'Economiste du 20/02/1997. Texte retouché.
Article paru in le périodique L'Economiste du 20/02/1997. Texte retouché.
1 F. Colbert, in M. Filion et F. Colbert, Gestion
du marketing, Gaëtan Morin Ed. 1990, p.11.
2 J. P. Helfer et J. Orsoni, Marketing, Librairie
Vuibert, 1981, p. 100.
3 P.-L. Dubois et A. Jolibert, Le marketing,
fondements et pratique, Economica 1989, pp. 637.
4 Cf. P. Kotler et B. Dubois, Marketing
management, Publi-Union Ed. 1992, pp. 167, 168.
5 J. Séguéla, Fils de
pub, éd. Flammarion 1986, p. 86.
6 P. L. Dubois et A. Jolibert, op. cit., p. 455.
7 STRATEGOR (collectif d'auteurs), Stratégie, structure,
décision, identité. Politique générale d'entreprise, Inter Editions 1991, p.
235.
8 H. Bourgoin, L'Afrique malade du management, éd.
J. Picollec 1984.
9 Cf. B. Ponson, Individualisme ou communauté...
in G. Henault et R. M'Rabet, L'entrepreneuriat en Afrique francophone... éd. John Libbey 1990,
pp. 18 à 20.
10 B. Ponson, ibid, p. 24.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire