Résumé de la communication
L'entreprise est une société d'hommes, un construit humain où les interactions ne sont pas seulement rationnelles mais aussi affectives.
L'entreprise est une société d'hommes, un construit humain où les interactions ne sont pas seulement rationnelles mais aussi affectives.
Une
entreprise doit sa puissance moins à ses capacités organisationnelles qu'à sa
philosophie fondamentale, à la force de ses croyances et à l'impact de
celles-ci sur la mobilisation de son capital humain.
Les
DRH sont irrésistiblement portés à gérer le qualitatif, à compter avec les
représentations, les façons de penser et d'agir. Gérer les ressources humaines,
c'est gérer la culture de l'entreprise. Gérer la culture consiste à engager
l'ensemble des acteurs à se rallier à la vision stratégique adoptée et à atteindre
les résultats escomptés.
La
gestion des ressources humaines ne saurait être abordée dans une perspective
mécaniste. Le milieu culturel d'appartenance influe nécessairement sur la
culture d'entreprise. On s'aperçoit vite qu'il y a à l'œuvre simultanément un
principe de spécificité et un principe d'uniformisation des modes d'organisation
des entreprises.
L'entreprise, aujourd'hui très présente sur la
scène médiatique, est analogue à une montagne : elle comporte plusieurs versants
qui sont plus ou moins visités, selon le champ de réflexion et d'action de
chacun. Si l'on cherche à en faire le tour, la vision de l'ensemble se modifie,
bien qu'il s'agisse toujours de la même montagne.
Cette comparaison me permet, d'entrée de jeu, de
faire remarquer que l'analyste est dans l'incapacité de rassembler en un tout
assimilable (par l'esprit) tous les facteurs qui conditionnent la vie en
entreprise. S'il décide de privilégier une dimension particulière, il gagne
peut-être en profondeur mais se heurte à l'objection de méconnaissance de telle
ou telle force en jeu. S'il entreprend d'aborder plusieurs variables à la fois,
le voilà en face d'un faisceau compliqué de connexions et de liaisons entrecroisées.
Mon propos est articulé autour de 4 points. Je les
examinerai l'un après l'autre sans perdre de vue qu'ils sont étroitement
corrélatifs.
L'entreprise est perçue, au premier abord, comme une unité économique, un lieu de production, une organisation de vente. Qu'elle soit un microcosme humain semble moins s'imposer à l'esprit. Le mot "société", notons-le, renvoie d'ordinaire à une association de capitaux. « Or, une entreprise, c'est d'abord une société d'hommes. [...] Une entreprise est toujours une société à entreprendre, un groupe à constituer » 1.
Il ne suffit pas d'acquiescer à cette vérité
première. Il faut désormais ajouter que les sujets impliqués sont des êtres
concrets, dotés d'une psyché et d'un esprit. Ils sont mus par des intérêts, des
passions, des préjugés. Ce sont eux qui règlent le cours de l'entreprise et
façonnent son destin. La valeur de leur travail dépend de leurs qualités
intrinsèques et de la formation qu'ils ont reçue ; elle dépend aussi de leurs
habitudes mentales, de leur engagement vis-à-vis de l'entreprise, du genre de
rapports qu'ils entretiennent avec elle.
Leur prédisposition au travail et les efforts fournis sont concrètement
marqués par leur vision même de l'existence.
Retenons donc ce premier point : l'entreprise est
une société d'hommes, un construit humain où les interactions ne sont pas
seulement rationnelles mais aussi affectives.
2. La
philosophie de l'entreprise
Face à une entreprise en déclin, la tentation est grande d'incriminer l'environnement, d'invoquer sa rigueur et ses volte-face... Nul doute que tous les agents économiques sont soumis, plus ou moins directement, à l'influence des facteurs externes. Ce n'est pas à dire pour cela qu'une telle influence soit par elle-même décisive. Le rôle des hommes est essentiel. Les faits donnent à penser que, par dessus tout, la réussite ou l'échec d'une entreprise découle de la façon dont celle-ci met en valeur le génie et les prédispositions de son personnel.
Sur le terrain, le discours s'appuie sans relâche sur des grandeurs mesurables : part de marché, marge brute, retour sur investissement, etc. Bien entendu, la nécessité du repérage chiffré ne prête pas à discussion et nul ne prétendra être gêné de travailler pour une part de marché. Toutefois, si l'on considère la vérité ultime des choses, on s'aperçoit que les hommes ne se battent pas, ne s'engagent pas pleinement pour un chiffre d'affaires ou un ratio financier. « La réussite économique [...] ne sera obtenue qu'au prix d'une grande motivation et d'une grande implication. Elle sera donc fondée sur des sentiments humains forts » 2. Ce qui compte en profondeur pour l'individu, c'est le sentiment de participer à une œuvre commune, de créer un produit de qualité, de trouver dans l'accomplissement de son travail une légitime fierté professionnelle, une fierté qui donne un sens à sa vie...
On objectera avec raison que les sentiments, les
aspirations, les dispositions d'esprit ne font pas partie de « l'ossature » comme les systèmes de
gestion, les méthodes de travail et les budgets. D'où la question latente et
inévitable : à l'heure où, au Maroc, des efforts sont déployés pour consolider
la viabilité macro-économique, il est question de mise à niveau et de
restructuration, à l'heure des pragmatismes et des quantifications, y a-t-il
place pour un tel débat ?...
Entendons-nous bien : il ne s'agit ici en aucune
façon de faire l'impasse sur les principes de rationalité développés dans les
manuels de gestion, de s'hypnotiser de manière dogmatique sur les conduites
humaines. Il n'est pas douteux que pour aller au-devant de la pratique
matérielle il faut disposer d'une puissance matérielle. Mais les valeurs, les
idéaux et les croyances deviennent une puissance matérielle dès qu'ils
s'emparent de l'ensemble des acteurs et déterminent leur comportement. Que les
capacités techniques, les structures et modes d'organisation aient un rôle
crucial, qui peut le nier ? Peters et Waterman affirment cependant qu'ils sont « dépassés par la force de l'adhésion
du personnel aux principes de base de l'entreprise et par la fidélité avec
laquelle chacun les applique » 3.
Si les employés sont convaincus de la prééminence
du client et en font leur credo, s'ils croient aux vertus d'une qualité sans
cesse renouvelée, s'ils ont le respect de la fonction accomplie, si les
dirigeants tiennent un langage de vérité, s'ils admettent que des cadres debout
valent mieux que des cadres courbés, alors l'entreprise est en état de faire
face aux vicissitudes de l'environnement.
De là, un second point vaut d'être souligné : une
entreprise doit sa puissance autant, sinon moins, à ses capacités
organisationnelles ou à sa surface financière qu'à sa philosophie fondamentale,
à la force de ses croyances et à l'impact de celles-ci sur la mobilisation de
son capital humain.
3. Gestion
qualitative des RH
Les ressources humaines, après avoir été tenues longtemps pour une « variable molle » ou une variable d'ajustement, entrent en ligne de compte comme un paramètre stratégique. L'attention est encore accaparée par les problèmes de gestion administrative, de réduction des effectifs et de maîtrise de la masse salariale. Néanmoins, des voix s'élèvent pour affirmer que les hommes doivent être regardés non pas comme une charge au compte d'exploitation mais comme une ressource au bilan. Ce qui semble être une formule incantatoire véhicule une vérité qui est en train de s'imposer.
Gérer les ressources humaines, c'est gérer la
culture de l'entreprise. Gérer la culture consiste à engager l'ensemble des
acteurs à se rallier à la vision stratégique adoptée, à s'y attacher vivement
et à atteindre les résultats escomptés. Ces résultats feront eux-mêmes partie
de la culture. Il s'agit d'inventer de nouveaux liens entre l'individu et son
entreprise, des liens fondés sur la coopération et l'intelligence de tous.
A cet égard, il se révèle que l'investissement dans
la qualité exige un changement radical des états d'esprit. A commencer par
celui du manager en personne : dans sa quête de l'efficacité, plutôt que de
s'entourer d'employés accommodants et maniables, il est porté à instaurer un
management participatif. Les objectifs gagnent à être définis, autant qu'il est
possible, en concertation avec toutes les personnes concernées.
Quant à l'innovation, elle n'est pas l'apanage
d'une cellule isolée et omnipotente. Chacun
dans l'entreprise doit se sentir investi du pouvoir et du devoir de contribuer
à l'innovation. L'idéal serait que les solutions adoptées soient intégrées par
le groupe en un tout acceptable par toutes ses composantes. C'est ainsi que la
créativité devient un élément de sa culture.
Ici, il y a
lieu d'insister sur la nécessité d'un système de communication interpersonnelle
efficace. C'est dans les ateliers, dans les bureaux, dans les réseaux
commerciaux que les résistances au changement apparaissent. Lorsque l'information
passe mal, le changement se fera contre le système et non pas en harmonie avec
lui. L'employé a besoin de savoir pourquoi l'entreprise est contrainte de
modifier son orientation ; le changement met en cause sa manière de travailler,
voire sa fonction.
Ainsi se dégage la troisième proposition : la GRH n'est pas seulement une
affaire de quantités. Il s'agit de bâtir et de propager un ensemble cohérent de
codes et de significations que tout membre du groupe doit posséder pour être
intégré.
4. Le spécifique et l'universel
Cela étant, le contexte socioculturel global - une donnée inexorable - interdit d'aborder la question des ressources humaines dans une perspective mécaniste.
Au Maroc, on notera avant tout que le tissu
économique est composé pour l'essentiel de petites entreprises. Nombre d'entre
elles sont très vulnérables, acculées à vivre au jour le jour. Dans bien des
cas, elles ont un caractère résolument « militariste ». Les méthodes et principes, quelque rationnel
que soit leur contenu, ne sauraient tourner le dos au substrat socioculturel.
N'est-il pas vain de vouloir rassembler Orient et Occident, le Sud et le Nord
sous la bannière de valeurs identiques ? On est ainsi tenté d'affirmer que
l'entreprise, ses modes d'organisation et de fonctionnement ne sont que
l'émanation du milieu d'appartenance. Faut-il
alors renoncer à la « boite à outils »
conventionnelle ? Doit-on rejeter l'idée de l'entreprise dépositaire de la
rationalité universelle ?
La réponse s'impose à notre esprit : sur le marché
international se trouvent confrontées des entreprises appartenant à des
ensembles culturels très divers et c'est en fonction de leurs résultats que les
économies nationales sont comparées les unes aux autres. La mondialisation de
la concurrence, c'est la fin de l'insularité des économies protégées (ce qui
n’est pas une bonne nouvelle pour les pays du Sud). Face à une globalisation
croissante, les entreprises sont partout appelées à relever des défis
semblables : la difficulté de se situer dans l'environnement, la volonté de
s'assurer de la participation de tous...
On s'aperçoit, en définitive, qu'il y a à l'œuvre
simultanément un principe de spécificité et un principe d'uniformisation des
modes d'organisation. L'entreprise au Maroc participe de deux mondes : celui de
l'ordre culturel local, celui des normes et modèles exogènes. L'objectif est de
concilier des valeurs contradictoires. Tel est le quatrième point qu'il
convient de retenir.
Je
vous remercie de votre attention.
Thami BOUHMOUCH
Communication au Colloque international Capital humain et croissance économique, Ecole EDHEC – Casablanca, 10-11 avril 1997.
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1 Alain Etchégoyen, Les entreprises ont-elles une âme
? éd. François Bourin 1990, p. 121.
2 Jean-Philippe Pecoul & Michel Santi, Fortune
faite, l'expérience des grands créateurs
d'entreprises français du XXè siècle, Dunod 1991, p. 49.
3 Thomas Peters & Robert Waterman, Le prix de
l'excellence, InterEditions 1983, p. 279.
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