« Nous
ne sommes plus à l'époque des guerres de position mais à celle des guerres de
mouvement » Ch. Michon
Par
les temps qui courent, le monde des affaires doit compter avec au moins trois
incertitudes : le progrès rapide du savoir et des applications technologiques, l’évolution
incertaine de la demande, la montée de la concurrence à une grande échelle. Le
progrès des transports et surtout des télécommunications réduit les
distances ; les personnes, les biens, les capitaux et l'information
(données, parole, image) circulent rapidement d'un bout à l'autre du globe. Un
ordre économique nouveau, à la fin du siècle dernier, a fini bel et bien par se
dessiner. Sur l'échiquier de la compétition globale, les problèmes se
multiplient et se compliquent : lutte entre les firmes présentes sur le marché,
pénétration impérieuse de nouveaux entrants, modification du rapport de force
entre l'offre et la demande (le client étant mieux renseigné, plus exigeant)…
Ces
vérités, pour avoir été souvent dites, n'en doivent pas moins être soulignées. Le
phénomène appelé « globalisation » canalise depuis longtemps les
discours. Il désigne
un mouvement qui se veut imparable d'interdépendance des marchés, d'interpénétration des
économies et des sociétés. (1)
La
mondialisation, notre pire ennemi ?
Le
Maroc est de facto irréversiblement engagé dans l'ouverture de son
commerce extérieur. Dans le cadre de sa
stratégie d'ouverture et de libéralisation, il a conclu plusieurs accords de libre-échange, au
niveau bilatéral ou régional. La
signature de l’accord d'association avec l'Union Européenne a conduit le pays
dans un processus de démantèlement tarifaire graduel. En mars 2012, date marquant la fin
du démantèlement douanier progressif, la zone de libre échange pour les
produits industriels est devenue effective. Maintenant
que les barrières douanières sont presque complètement abolies, une nouvelle
dynamique vient de s'enclencher.
La vie des entreprises marocaines
n'est plus un long fleuve tranquille. Désormais, elles sont confrontées à un
mouvement où tout est interactif. Nul n'est en mesure de tracer avec certitude
le paysage industriel de demain. Des produits
compétitifs s'introduisent de plus en plus nombreux sur le marché national. Vu la jeunesse
et la fragilité du tissu productif, on perçoit aisément l'issue de la
confrontation.
Les
« avantages comparatifs » ne sont ni déterminés dans l'absolu,
ni figés dans le temps. Sous ce rapport, le Maroc a déjà perdu presque toutes
les batailles (cherté du terrain industriel, coûts de l'argent et de l'énergie,
hausses du salaire minimum...). Les avantages en termes de coût de main-d'œuvre,
en tout cas, sont bel et bien révolus. De nouveaux paramètres sont venus compliquer
le puzzle, notamment l'émergence des débats sur les normes de production (souvent,
une forme dissimulée de protectionnisme), les normes sociales (les dispositions
de l'OIT), la sauvegarde de l'environnement, le commerce électronique, la
propriété industrielle, etc.
Les « darwinistes »
pensent qu'il y a une sélection naturelle, que le marché sanctionne les
éléments déficients. L'entreprise marocaine, surtout petite et moyenne, non
encore prête à affronter les défis de l’extérieur, est poussée à entrer dans
une course probablement perdue d'avance. Il n’y a pas longtemps, un chef
d'entreprise disait : « la mondialisation, c'est notre pire ennemi.
Elle risque de nous balayer tous. Je crains que si elle continue de cette manière,
nous deviendrons tous des employés de multinationales ». (2)
On se rappelle que, par le passé, la CGEM a milité pour un
ralentissement de l'érosion des droits de douane…
Gardons à l'esprit que la plupart
des entreprises marocaines, appelées aujourd'hui à remonter le courant, sont
nées et se sont développées (à un degré ou à un autre) dans un environnement
protégé. Celles qui continuent de ramer au coup par coup, qui persistent
à faire peu les secousses ambiantes ne courent-ils pas à leur perte ? Le
temps n'est plus de bâtir des édifices, d'importer des outils, de recruter des employés
et de se mettre à gagner de l'argent en un rien de temps. Comme le relevait un dirigeant,
« nous sommes en train de passer d'une société de rente à une société
de compétition et d'effort ». En ce sens, les réactions frileuses de
nombre d'opérateurs, bénéficiaires du système bienfaiteur d'antan, sont aux
antipodes de la raison.
Certes,
la mondialisation ne profite guère aux pays pauvres (plus exactement aux couches sociales les plus démunies). Mais peut-on réellement aller
dans le sens contraire du mouvement ? A court terme certes, il faudra
sauvegarder l'emploi ; mais à moyen terme, les patrons savent bien qu'ils n'ont
d'autres choix que de s'intégrer dans les circuits internationaux. La réponse
au désordre du changement sera apportée par la volonté de dépassement des
anciennes cohérences.
L'instantanéité des échanges et
l'extension des rivalités imposent de penser et d'agir différemment. La
réaction lente et le relâchement sont un luxe qui appartient au passé. Le défi
lancé au système productif est celui du perfectionnement et de l’excellence. La
survie de l'entreprise va dépendre de sa capacité à digérer les ouvertures. La
zone de libre-échange représente un péril, mais en même temps une chance ; elle
développe le champ d'action et le potentiel des unités performantes, comme elle
apporte de plus grandes possibilités de coopération. Elle doit être regardée
comme un vecteur de progrès, un espace où les avantages l'emportent sur les inconvénients.
Ne dit-on pas que la concurrence crée l'émulation ?
L'entreprise du nouvel âge est vouée
à être flexible, son point fort est la progression non la stabilité, sa cible
est internationale et pas seulement nationale. Si les accords ont été appliqués
par degrés, laissant le temps aux uns et aux autres de se préparer, l'impératif
du changement s'impose à l'esprit aujourd’hui plus que jamais. Un nouveau champ
de réflexion s’est instauré.
On le sait maintenant : la
solution ne réside pas dans la révision de la parité du dirham (demandée jadis
par les patrons du textile). La protection monétaire permet certes de rendre
les produits nationaux plus compétitifs aussi bien sur le marché domestique que
sur les marchés internationaux. Mais, à
long terme, rien ne protège moins que cette prétendue protection. Quelle que
soit sa forme, elle conduit à l’inertie, dispense les opérateurs économiques de
l’effort et l'efficacité. Après tout, les secteurs qui réclamaient hier une dévaluation n’étaient-ils pas
ceux qui avaient bénéficié, à plusieurs reprises, de la baisse de la valeur de
la monnaie nationale, sans pour autant pouvoir s'imposer sur le marché
international ?
Dans la nouvelle perspective, le monde
professionnel s'était mobilisé autour des concepts (très médiatisés) de mise
à niveau et de restructuration. (3) Il s'agissait
d'amener le système productif (textile, agroalimentaire, pêche, NTIC) à être
compétitif au sein de l'économie mondiale. L'ajustement rassemble tous les
espoirs en un produit local de qualité, une économie moderne, créatrice de
prospérité et de richesses. Or – c'est le point primordial – l'attention se focalisait
sur le renforcement de l'appareil de production et des ressources humaines, sur
la maîtrise technologique et les structures d'appui appropriées. (4)
« L'entreprise doit mieux produire et pouvoir exporter », tel était
le manifeste patronal que l'on ressassait à l'envi… Le fait est qu'il ne suffit
pas de savoir fabriquer un produit, de saisir les opportunités, de pouvoir
réduire les coûts ; il faut en même temps s'employer à satisfaire la demande, à
favoriser l'instauration d'une culture client.
Le propos d'un homme d’Etat, il y a
dix ans, mérite mention : « Etre entrepreneur, c'est aussi être sensible
aux demandes du marché et surtout faire évoluer le marché vers d'autres
produits qui n'existaient pas auparavant ». (5) Ce
responsable tenait à préciser, à juste titre, que « la mise à niveau
consiste à produire un bien ou un service au moindre coût, pour
satisfaire les besoins du marché ». (6) La notion de reengineering
(reconfiguration des processus) doit être comprise dans ce sens : elle se fonde
sur la logique du client roi.
Aujourd'hui donc, l’intensification
de la compétition internationale et le mouvement instable de la demande exigent
une nouvelle vision. Les défis actuels doivent être relevés. Dans quelle mesure
le marketing est-il impliqué ? Qu’en est-il au Maroc ?... Tel est l'objet du prochain papier.
Thami
BOUHMOUCH
Février
2013
______________________________________
(1)
Les faits
donnent à penser que la mondialisation profite surtout aux pays du Nord... Rappelons à ce titre le propos que Kofi
Annan, Secrétaire général des Nations Unies, a tenu à La Havane en avril 2000 :
« plusieurs millions d'individus en sont exclus. [... Pour eux] la
mondialisation n'est pas un instrument de progrès mais une force perturbatrice,
capable de détruire des emplois, des traditions, voire la cohésion d'une
société ».
(2)
Houcine
Benjelloun, président du groupe Forafric (minoterie). Propos rapportés
par le quotidien ALM du 7/10/03.
(3)
Il est aisé
de faire observer que la mise à niveau concerne, non pas les entreprises
structurées et de grande taille, mais les PME et les petites affaires
familiales, c'est-à-dire la grande masse. En réalité, en dehors des unités
exportatrices, ce processus n’a pas été engagé d'une manière résolue et
systématique.
(4)
C’est ce qui
ressortait des actes du séminaire organisé par le CMC et la CGEM
sur « La zone de libre échange : quelle stratégie de survie pour
l'industrie marocaine ? », Casablanca, le 24/02/99.
(5)
Déclaration de
l’ex-ministre Abderrazaq El Mossadeq, rapportée par le quotidien ALM du
18 juin 2003.
(6)
Cité in
l'hebdomadaire La Vérité du 27/12/02. Je souligne.
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