«Le consumérisme est la
honte du marketing» P. Drucker
Le précédent papier portait sur les associations de défense des consom-mateurs, les domaines de revendication et les moyens d’action. (1) Ici, il s'agit de voir en quoi le marketing est coupable des dérapages et abus qui altèrent les échanges sur le marché.
Il y a lieu de préciser d'emblée que
le consumérisme ne s'oppose pas à l'entreprise. Il cherche, de manière directe
ou indirecte, à influer sur le système marketing afin d'obtenir une meilleure
réponse de celui-ci aux besoins exprimés sur le marché. Il trouve sa
justification dans les situations d’inégalité de puissance économique qui se
produisent le plus souvent entre les consommateurs et le monde des affaires. Producteurs
et distributeurs sont portés de la sorte à se montrer attentifs aux intérêts de
leurs clientèles.
Le marketing contesté
Au sein de l'entreprise, le
marketing est sans doute la fonction la plus controversée. Son caractère
équivoque et ambivalent est manifestement déconcertant : les
procédés et les techniques utilisés ont pour but à la fois de satisfaire les
désirs du consommateur et de répondre à la volonté de puissance des
producteurs. «Tel le dieu au double visage, le marketing présente
effectivement deux faces. Un aspect positif sans aucun doute, car l'emploi de
ces techniques dans les firmes permet d'intégrer la volonté des consommateurs
dans le processus d'apparition des biens nouveaux. [...] Mais, à
l'inverse, ces procédés conduisent aussi à la manipulation des consommateurs, à
l'usure programmée des produits, à la recherche chez les clients en puissance
des points vulnérables ; bref le marketing sert alors l'appétit de domination
des dirigeants des organisations». (2)
Le marketing dispose en effet de moyens
sans fin et n’a de cesse de développer des techniques de manipulation pour
appâter le client potentiel, l'inciter à dépenser toujours plus. Les astuces utilisées
dans les points de vente se banalisent : musique d’ambiance, prix en trompe-l'œil (199,95 dh), dégustations, friandises près
des caisses et à la portée des enfants, carte de fidélité, réductions factices…
(3)
Le consommateur n'est pas à même de
déjouer les manœuvres de vente et n'a souvent pas le temps de les détecter. Les fabricants de cosmétiques
savent tirer parti de la tendance «bio» ou «naturel». Il n'est
que de voir ce qu'on appelle le «greenwashing» : il consiste à donner à un produit une
apparence végétale alors qu'en vérité il est composé essentiellement de
dérivés pétrochimiques, à mettre en avant les ingrédients naturels alors qu'ils
sont en quantités extrêmement petites (en fin de liste des composants). «Quoi
de mieux pour rendre le consommateur confus que de mettre des images d'eau, de
plantes ou de fruits sur le packaging du produit ? » (4) Ils
sont légion les marques qui dissimulent
l'information, jouent sur les mots ou créent la confusion. «On vous annonce sur
le packaging que le produit contient du "beurre de karité bio", le
consommateur peut trop rapidement faire la déduction que le produit est bio,
alors que seul le beurre de karité l'est». (5)
Cela amène à se demander : le
marketing est-il voué d'avance à asservir le consommateur, peut-il être regardé
comme un instrument de pouvoir, comme un outil démoniaque ? Eu égard au credo
sur lequel il se fonde, n'est-il pas au contraire la manifestation du pouvoir
du consommateur ? La satisfaction légitime de celui-ci n'est-elle pas d'abord,
pourrait-on dire, une question de moralité, ne tient-elle pas au respect
d'un pacte, d'un engagement, d'une promesse ?
Si le marketing, ici ou là,
donne lieu à des excès, cela ne montre-t-il pas justement que son esprit n'a
guère été mis en pratique ? Dans nombre d'entreprises marocaines, le concept
est plus honoré en paroles qu'en actions. Ainsi, lorsque P. Drucker affirme que
«le consumérisme est la honte du marketing», il cherche à accuser, non
pas le marketing en lui-même, mais les manquements et les abus qui sont commis
en son nom.
La
communication sur les produits, indubitablement, peut être source de confusion
et de mécontentement. Selon une
enquête menée dans 40 pays, «la majorité des 38.000 consommateurs interrogés
estimaient que la publicité exagère les avantages procurés par le produit, ses
effets positifs sur la santé et que,
d'une manière générale, elle ne fournit pas d'informations
exactes». (6)
Se conformer aux revendications
Ainsi, en temps normal, tout
dépassement engendre une réaction, tout pouvoir suscite un contrepouvoir auprès
de ceux qui sont atteints dans leurs intérêts ou risquent de l'être. Il y eut
une époque où on disait des consommateurs qu'ils «sont les figurants muets
d’une pièce dont ils sont pourtant censés être le personnage central». (7)
Mais, comme le note Morald Chibout, la
donne a changé. «Après avoir accepté sans broncher d’être
le réceptacle silencieux du discours des marques, le consommateur, qui a pris
le pas sur le citoyen, relève la tête. Conscient de son pouvoir – la
consommation demeure le moteur de l’économie – déjouant avec un cynisme certain
toutes les prévisions, il attend des marques, des politiques, des médias, un
minimum d’écoute et de compréhension». (8)
Les consommateurs vont émerger comme
des acteurs pouvant influencer, tant bien que mal, directement ou
indirectement, les décisions stratégiques adoptées. C'est bel et
bien une partie prenante qui ne peut
être dédaignée. Dans cette notion, il y a l’idée d'un groupe étroitement
concerné par l’activité de l’entreprise et dont les attentes doivent
être considérées. Il se trouve que cette idée est plus accessible et plus
opérationnelle pour les dirigeants que la perspective d’une responsabilité
envers la société dans son ensemble.
Alors, quelles actions les producteurs
et distributeurs lucides peuvent-ils opposer aux reproches exprimés ?
Sous la pression du consumérisme, l'organisation
peut se montrer attentive et se conformer aux intérêts de l'acheteur. C'est le
cas des hypermarchés qui s'emploient à afficher le prix à l'unité et au kilo (Marjane
et Bim). Nombre de dirigeants s'efforcent de gérer la relation avec le
public cible d'une manière systématique et continue. Un service ad hoc
est ainsi mis en place. Regardé comme la conscience de l'entreprise vis-à-vis
de la clientèle, il est chargé de communiquer régulièrement avec celle-ci, en
participant aux actions de fidélisation. Il s'agit d'être attentif aux problèmes
soulevés avant et après l'achat. En ce sens, le
personnel mobilisé est amené à répondre aux appels téléphoniques, à traiter le
courrier reçu, à transmettre éventuellement des informations complémentaires
sur le produit...
L'entreprise cherche à rehausser son
image en jouant sur la notion de suivi des clients. Elle s'attache – idéalement
– à considérer leur bien-être à long terme et non pas seulement leur
satisfaction immédiate. Parallèlement à cela, le service concerné est engagé à
établir une relation directe avec le mouvement de consommateurs, devenu un
prescripteur puissant. Le but est de prévenir les réprobations et
de circonscrire les conflits.
A cet égard, le consumérisme – loin
d'être la mauvaise conscience du marketing – apparaît au contraire comme
l'expression ultime de la démarche. Le souhait exprimé par les individus de
consommer plus intelligemment, leur refus de la manipulation et des promesses
non tenues, conjugués à l'impératif écologique, poussent les professionnels à
réexaminer leur philosophie de gestion et leur vision des choses.
«Le consommateur ne veut plus réagir aux
réflexes pavloviens que le marketing provoque. Il se braque, trépigne devant
son chariot. Mais les marchands peuvent se rassurer : […] les
consommateurs veulent simplement se sentir un peu moins moutons». (9) L’entreprise est ainsi amenée à
prêter attention aux besoins et intérêts des consommateurs plutôt qu'à leurs
seuls désirs. Disposant d’une réactivité appropriée, «elle doit s’adapter
aux nouvelles exigences des groupes de pression, qui lui demandent de ne pas
s’intéresser à sa seule croissance et d’évoluer à l’instar de son environnement…».
(10) Elle est portée en somme à agir non pas dans une société de
consommation mais dans une société de consommateurs.
Ces considérations, on s'en doute,
ne sont pas vérifiables dans tous les contextes socio-économiques. Dans un pays
comme le Maroc, on ne saurait perdre de vue que le pouvoir d'achat est bas et
le taux d'analphabétisme élevé. Le citoyen moyen exprime des attentes bien plus
immédiates que la quête de produits parfaits. Le mouvement consumériste ne
saurait se développer pleinement là où les préoccupations prioritaires portent
sur les besoins primaires (besoins physiologiques), où le degré de citoyenneté
est faible, où les systèmes juridiques et réglementaires sont déficients, où le
pouvoir de coercition est rarement exercé...
A bien y réfléchir, un tel mouvement
gagnerait à être impulsé davantage par les pouvoirs publics que par la société
civile. Il devrait prendre la forme d’un bureau d’études à but non lucratif, disposant
du soutien effectif de l'Etat, testant et comparant les produits. Les entreprises
devraient se voir contraintes concrètement par un arsenal juridique à réguler
leurs relations avec le consommateur, à veiller à la qualité et la sécurité de
leurs produits… Au consommateur, l'Etat a pour mission de garantir le droit
d'être informé, le droit de choisir, le droit à la sécurité (produits
dangereux), le droit d'être entendu (par l'Administration et les tribunaux).
Thami
BOUHMOUCH
Janvier
2013
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(1)
Cf. http://bouhmouch.blogspot.com/2013/01/consumerisme-12-lemergence-dun-contre.html Janvier 2013.
(2)
J.-P. Helfer
et J. Orsoni, Marketing, éd. Vuibert Gestion, p. 34.
(3) Cf. Yves-Alexandre
Thalmann, Petit traité de contre-marketing – Faire ses courses sans se faire
manipuler, éd. Jouvence
2010. Au sujet des prix, on peut se référer à mon article http://bouhmouch.blogspot.com/2011/10/affichage-des-prix-pourquoi-comment.html Octobre 2011.
(4) Anonyme, http://naturellement-belle.blogspot.com/2012/09/le-greenwashing-ou-comment-tromper-ses.html Septembre 2012.
(5) Ibid.
(6)
Kent Grayson et Svetlana Kirillova, http://www.lesechos.fr/formations/marketing/articles/article_5_17.htm 2011.
(7) V. Giscard d’Estaing en 1972,
cité par Isabelle Van de Walle et Lucie Brice, Les attentes des
consommateurs en matière de responsabilité sociale des entreprises, CREDOC,
Cahier de recherche, Décembre 2011. Voir : http://www.credoc.fr/pdf/Rech/C289.pdf
(8) Morald Chibout, Le marketing
expliqué à ma mère, éd. Eyrolles 2007.
(10) I.
Van de Walle et L. Brice, op. cit.
bonsoir je suis en 3ème et je doit faire un exposer sur le consumériste puis je utilisé des information dans votre texte qui est très bien? merci
RépondreSupprimerVous pouvez le faire. Mes articles n'ont d'intérêt que s'ils sont appréciés et utilisés par les lecteurs.
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