«De quels droits dispose un consommateur au
Maroc ? Aucun, ou presque. L’opérateur économique, petit ou grand, est toujours
en position de force» Un journaliste
Outre les préoccupations environne-mentales
et l'enjeu de l'écomarketing (1), des mouvements de protection des
consommateurs prennent forme face au pouvoir abusif des entreprises… De quoi
s'agit-il ?
Le consumérisme est souvent compris,
à tort, dans le sens de création de nouveaux besoins poussant à la consommation.
(2) Le terme désigne en fait l'ensemble des actions destinées à la
défense et la promotion des intérêts des consommateurs. C'est un mouvement
sociétal majeur, dont la vocation est de soutenir les consommateurs – qui par
nature sont des profanes – face au pouvoir des producteurs et des
distributeurs, de favoriser une rationalisation du comportement d'achat. Il est
apparu d'abord aux Etats-Unis dès les années 30 (sous l'appellation «consumerism»)
et a connu une forte expansion, à partir des années 60, dans ce pays et en
Europe.
Alors que le mouvement écologiste se focalise sur les
problèmes de pollution atmosphérique et de gaspillage des ressources, le
mouvement consumériste se préoccupe de tout ce qui peut nuire à la santé ou la
sécurité de l'individu, comme de tout ce qui peut l'affaiblir ou l'induire en
erreur. Si l'on considère par exemple les sacs en plastique, bien connus au
Maroc, les écologistes les décrient parce qu'ils ne sont ni recyclables, ni
biodégradables ; les consuméristes, eux, s'interrogent sur leur origine
douteuse, leur composition (présence de métaux toxiques) et leur aptitude au
contact alimentaire.
Les
domaines de revendication
Dans le contexte marocain, le
défaut d'affichage des prix est parmi les types d'infractions les
plus rencontrés dans le système de distribution. Même si la population paraît
se résigner ou ne pas en être consciente, le problème n'est nullement anodin.
L'acheteur, à un degré ou à un autre, en subit les inconvénients : demandes
orales contraignantes et répétitives, tarifs «à la tête du client»,
hausses fantaisistes et dissimulées, erreurs d'additions non contrôlables, contestations
et pertes de temps... Qui plus est, ce travers fâcheux ne se limite pas au
commerce dit traditionnel (le plus affecté par l'analphabétisme). Tout se passe
comme s'il faisait partie intégrante du fonds culturel. Les autorités
publiques, de temps à autre, prennent des mesures de rétorsion, mais elles ont
tôt fait de baisser les bras. C'est là un objet de revendication de premier
plan : comment concevoir une économie basée sur la liberté de choisir, sans donner
aux consommateurs les moyens d'exercer leur choix en parfaite
connaissance de cause ?
Au Maroc, un second problème épineux
auquel se heurtent les consuméristes est la vente en vrac des
produits alimentaires. (3) Cette pratique, répandue dans les
épiceries et les marchés populaires, altère la valeur nutritive des produits exposés,
peut avoir des répercussions négatives sur la santé de l'acheteur. De là, le
conditionnement retient l'attention : le problème de la compatibilité
contenu/contenant est souvent négligé, sauf si le produit est destiné à
l'exportation. On sait par exemple que le mono-chlorure de vinyle du PVC est
cancérigène ; sa migration de l'emballage vers l'aliment constitue un danger
certain pour le consommateur. De même, une pratique courante dans le commerce
traditionnel consiste à utiliser des emballages inappropriés, non alimentaires,
tels le papier journal (avec encres toxiques), les feuilles de cahiers
d'écoliers et divers papiers imprimés. A cela il faut ajouter les fameux
sachets de plastique noirs dont l'utilisation a des conséquences négatives sur
les denrées alimentaires.
La question de l'insécurité n'échappe
pas naturellement au champ d'action du consumérisme. Il s'agit d'améliorer la
prévention des risques et des accidents liés à l'utilisation des produits. Les
objets dits domestiques sont parfois dangereux pour les adultes non avisés et a
fortiori pour les enfants.
Diverses autres irrégularités ou
anomalies font normalement partie des récriminations consuméristes :
étiquetages trompeurs ou illisibles (pour lire les indications microscopiques, il
faut souvent s'armer d'une loupe), assertions publicitaires équivoques ou
contestables, date de péremption dépassée, mise en vente de produits avariés,
procédés de brouillage des prix (odd pricing), diminution préméditée de
la durée de vie des produits, innovations illusoires, coût excessif des
conditionnements, comparaison rendue malaisée entre marques, ventes sous
pression, clauses de contrats ambiguës ou abusives (banques, organismes de
crédit, assurances), dossiers validés en moins d'une heure (avant que l'acheteur
à crédit ne change d'avis), etc.
Contexte
et moyens d’action
En Europe, les mouvements de défense
des consommateurs sont devenus populaires et puissants. Dans quelles conditions
particulières ces mouvements se sont-ils développés ?
L'essor du consumérisme est dû pour l'essentiel à trois
mobiles déterminants :
- La prolifération et la
sophistication des produits sur le marché – l'individu se trouvant ainsi dans
l'impossibilité de s'informer sur toutes les variantes proposées. Qui plus est,
la complexité croissante des techniques et des procédés industriels accentue
les difficultés au moment de l'achat (information, décision) et après l'achat
(utilisation).
- Le perfectionnement des moyens
d'action marketing – une tendance qui rend l'entreprise encore plus percutante
et le consommateur plus vulnérable.
- La déshumanisation des relations
commerciales – du fait que les firmes de grande taille sont devenues
impersonnelles et de plus en plus éloignées du client.
A cela, il faut ajouter une
influence concomitante favorable : le niveau élevé d'éducation du consommateur
– les catégories instruites étant à même de comprendre les revendications
consuméristes, de les soutenir ou même de les déclencher.
Quels sont alors les moyens
d'action envisageables ? Les associations (organisées et dotées de ressources)
recourent à cinq modalités majeures :
- L'information critique – notamment
par le biais des tests comparatifs – permet au consommateur d'effectuer des
choix clairs et rationnels.
- La contre-publicité vise à mettre
en garde le public contre tel produit ou telle marque.
- Le boycottage, i. e.
l'exhortation au refus systématique d'acheter un produit dans le but d'exercer
des pressions ou des représailles, voire de paralyser l'activité du fabricant
incriminé.
- La voie réglementaire : des
démarches sont entreprises pour engager les autorités publiques à promulguer
des textes en faveur du consommateur.
- L'action judiciaire : dans les cas
extrêmes, le différend est soumis aux tribunaux compétents.
Qu'en est-il au Maroc ?
L'Association Marocaine des Consommateurs
est le premier mouvement consumériste. Créée en 1993, elle se fait le porte-parole du
consommateur et le défenseur naturel de ses droits légitimes ; elle a pour rôle
principal d'informer, sensibiliser, dialoguer et dénoncer le cas échéant. L'AMC
œuvre pour être perçue comme un intervenant auxiliaire et complémentaire au
rôle confié légalement à l'Etat. Elle aspire à être considérée par les
producteurs comme un moyen d'information et de concertation leur permettant
d'améliorer la qualité de leurs produits et leurs relations avec le
consommateur.
Plusieurs textes législatifs et
réglementaires ont été adoptés pour protéger le consommateur : en particulier,
les dispositions concernant la répression des fraudes, les unités de poids et
mesures, le contrôle des produits et des prix, l'hygiène et la salubrité. En
juin 1982, les pouvoirs publics ont renoué avec la hisba en promulguant un dahir relatif aux attributions du Mouhtassib. Cet agent de
l'Administration est chargé du contrôle de la qualité et des prix des denrées
alimentaires, des articles de l'artisanat, des produits d'hygiène et des
services. Il a recours aux autorités techniques compétentes et peut faire
opérer des prélèvements ou des saisies conservatoires en vue de faire procéder
aux analyses nécessaires. Le cas échéant, il peut ordonner la fermeture d'un
établissement. (4)
La loi 31-08, adoptée en mars 2011,
comporte des dispositions de nature à protéger le consommateur en réponse aux
revendications des associations. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, quelque
30.000 plaintes ont été enregistrées auprès de ces associations (2.300 en 2010).
Les plaignants ont dénoncé en particulier la qualité des produits, les
problèmes de facturation et de surfacturation, l’absence d’information sur les
clauses abusives des contrats. (5) Par
ailleurs, la mise en place récente par ces associations de guichets de
consommateurs, a touché 6 villes. «Leur rôle est d'abord d'informer les
consommateurs qui s’estiment lésés de leurs droits et se proposent aussi comme
des palliatifs à la justice en matière de prévention de la phase contentieuse».
(6)
Pour autant, les associations sont
conscientes, que le consumérisme au Maroc est confronté à des contraintes
relevant de l'environnement sociétal, de sa culture et de l'état de son
économie. Un fait, en tout cas, parait certain : les associations sont peu
organisées, mal encadrées, sous-équipées et manquent de ressources. Même la
possibilité d’ester en justice qui leur est accordée en cas d’infraction ou
d’abus est annihilée, du fait des conditions imposées par la loi.
Quant au consommateur, à bien y
réfléchir, peut-on le défendre s'il ne se défend pas lui-même ?
Thami
BOUHMOUCH
Janvier
2013
____________________________________
(1)
Cf. mon article : Le marketing
se porte sur l'écoproduit, http://bouhmouch.blogspot.com/2012_12_01_archive.html Décembre 2012.
(2)
Cf. à ce sujet un article récent http://www.alterinfo.net/Le-consumerisme-a-t-il-gagne-l-Algerie_a78203.html#last_comment Juin
2012.
(3)
Ne pas
confondre avec le mode du vrac adopté couramment dans les grandes surfaces :
les produits – qui sont conditionnés – sont présentés hors des gondoles, dans
des corbeilles ou des paniers, dans le but de créer un effet de masse.
(4)
Cf. Charif Madih, Le
consumérisme au Maroc. Le cas du crédit à la consommation, thèse de
doctorat ès Sciences économiques, 2003, FSJES de Casablanca, pp. 34 et s.
(5) Cf. http://www.cabinetbassamat.com/actualite-sv.0.html?&tx_ttnews%5Btt_news%5D=1056&tx_ttnews%5BbackPid%5D=4&cHash=bd1249d140 Décembre 2012.
(6)
http://www.lesechos.ma/index.php?option=com_content&view=article&id=7842:fin-de-lanarchie-&catid=51:focus
Avril 2011.
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