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7 décembre 2012

LE MARKETING SE PORTE SUR L'ECOPRODUIT



«Le seul objectif d'une entreprise est d'augmenter ses bénéfices. En d'autres termes, toute décision favorable à l'environnement, mais préjudiciable aux résultats financiers est à éviter» Milton Friedman (en 1970)




La pollution de l'air, des eaux, du milieu urbain, des océans et même de l'ionosphère, la déforestation et la désertification... sont toutes liées directement ou indirectement à la consommation. Les petits sacs en plastique qui pullulent au Maroc sont certes pratiques et répondent aux besoins immédiats des consommateurs ; ils posent cependant un problème écologique sérieux : ils ne sont pas recyclables et leur biodégradation nécessite près de 400 ans. «Nous ne pouvons pas, dit un haut fonctionnaire, nous attaquer aux entreprises qui produisent ces sachets puisqu’elles travaillent majoritairement dans l’informel». (1) De même le conditionnement des boissons gazeuses dans des bouteilles en plastique non consignées et non destructibles aboutit à un gaspillage (sauf si la matière est recyclée), comme à l'amplification malavisée du volume des détritus impérissables.
Concevoir des voitures très puissantes, pour satisfaire les tendances du marché, se traduit par une surconsommation de carburant, une pollution plus accentuée et des accidents plus meurtriers. A Casablanca, circulent chaque jour quelque 596.000 véhicules (non compris les 149.000 motocyclettes non immatriculées). Tous ces engins consomment une moyenne de 766.960 m3 de produits pétroliers, essentiellement du diesel. (2)  Le gaz rejeté par les échappements est le responsable principal de la pollution. Le carburant commercialisé au Maroc (mis à part le gazole 350) contient une dose excessive de plomb et d'oxyde de souffre. A eux seuls, les véhicules consommant du diesel rejettent annuellement des centaines de tonnes de poussières de particules de plomb dans l'air de la ville.  En juin 2012, le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC) a fini par classer les gaz d'échappement diesel parmi les substances cancérigènes.

L'enjeu environnemental
Au Maroc, la dégradation écologique et l’épuisement des ressources naturelles ne font que croître au fil du temps. «Le constat est alarmant : seulement 100 entreprises ont la certification ISO 14.001 relative au système management de l’environnement». (3) Un rapport du Conseil National de l'Environnement (CNE), daté de mai 2009, estime le coût annuel de dégradation de l’environnement à 3,7% du PIB (8 % en 2000), soit 13 milliards de dh (20 milliards en 2000) et le coût de remédiation à 1,8% du PIB, alors que la dépense publique effective en faveur de l’environnement ne dépasse guère 0,7% du PIB par an. (4) «L’analyse de la fiscalité marocaine montre que le système actuel a une finalité budgétaire prépondérante et peu de taxes et de redevances ont un objectif d’orientation de comportement visant à préserver l’environnement». (5)
L'Office Chérifien des Phosphates (OCP) et les industries pétrochimiques sont parmi les principaux pollueurs. Le grand public devient un peu plus sensible au problème et une conscience collective des enjeux de la préservation de la nature se développe. (6) Les signes de cette sensibilisation ont été perçus déjà en 1998, lorsque le Projet de Gestion de l'Environnement (PGE) a été mis en œuvre.
Un mouvement de prise de conscience finit normalement par susciter une action rectificatrice. Un marketing éthique, responsable et sensible aux préoccupations humaines ne saurait faire abstraction de la détérioration de l'environnement. Déverser des produits polluants dans l'océan ou les rivières s'accorde certes avec l'exigence de rentabilité, mais le milieu naturel en subit lourdement les conséquences. Le «coût environnemental», qui n'est pas inscrit dans les registres comptables, se répercute sur la communauté entière.
L'écomarketing, comme le préfixe l'indique, tient compte spécifiquement du problème écologique. Qu'en est-il ?
De nouvelles contraintes, en l'espèce, viennent se greffer à l'activité des entreprises : pression des ONG et des médias, contrôle des pouvoirs publics, barrières non tarifaires dissuasives (les normes écologiques imposées à l'exportation)... Il y a vingt ans, les écologistes en Europe avaient propagé l'image d'immenses décharges débordantes de couches jetables nauséabondes. La multinationale Procter & Gamble (marque Pampers) était obligée de répliquer.
La gestion rationnelle des ressources naturelles, à n'en pas douter, sera l'un des enjeux du développement dans les années à venir. Il y a longtemps que la marque de voiture japonaise Toyota a lancé son modèle Prius, doté de deux moteurs, thermique (essence) et électrique. (7) Ici ou là, des fabricants s'efforcent de tenir compte des nuisances occasionnées par l'acte de production. Ils sont incités à utiliser des substances non toxiques, à adopter des technologies non polluantes, à réparer tant bien que mal les dommages causés à l'environnement.
L'achat vert est devenu une tendance lourde, un signal pour les décideurs. Nombre de produits nouveaux nous sont désormais familiers : les aérosols et les réfrigérateurs sans CFC, les détergents sans phosphates, les piles sans mercure, le carburant «propre», les pots catalytiques, le papier 100 % fibres recyclées, etc. 
Progressivement, une culture managériale de l'environnement prend forme. L'écoproduit se doit de respecter le milieu naturel à tous les stades : extraction de la matière première, processus de production (traitement de l'eau), consommation, élimination après usage (incinération, neutralisation, thermolyse). La conception d'une voiture, par exemple, doit tenir compte non seulement de son usage, mais aussi de sa destinée en fin de parcours (état de carcasse). Il faut déterminer ce qui va être recyclé, réutilisé, composté... Le problème est considéré à la base.

Des préoccupations sociétales
Au Maroc, de telles préoccupations ne sont pas absentes. Ainsi, BMCEbank, qui se veut citoyenne, associe son image aux enjeux écologiques, en collaborant avec le Groupe pour la Défense Stratégique de l'Environnement (GREN). On se rappelle qu'en 1999, la banque avait lancé et financé un programme de plantation de 20.000 arbres en milieu urbain, essentiellement dans les établissements scolaires et publics (hôpitaux, orphelinats). (8) Elle a par la suite participé à la restauration des Jardins Exotiques de Bouknadel, aux campagnes de propreté et d’animation des plages, à la campagne de sensibilisation à la dépollution de l’air. Elle est en outre engagée dans des actions concrètes de réduction de ses consommations de papier, d’eau et d’énergie. En mai 2010, l’adhésion de la banque aux Principes de l’Equateur a consacré son engagement environnemental (financement de projets). Aujourd’hui, la mise en place du Système de Management Environnemental (SME) selon la norme ISO 14001, couvre l’ensemble des activités et produits de la banque. (9)
La société Management Service Environnement à Casablanca propose, justement, aux industriels d'intégrer la composante environnement dans leur mode de management, de réaliser avec eux un état des lieux de l'impact de leurs activités sur le milieu naturel, de les accompagner à la certification ISO 14001, etc.  Nombre entreprises se sont attribué le paramètre écologique en s'imposant le respect des normes internationales. Là encore, la tendance ne date pas d'hier : en 1998, Air Liquide Maroc, Akzo Nobel, BASF Maroc, General Tire, Henkel Maroc, Hoechst Maroc, Afriquia Plastic, Shell du Maroc, Johnson & Johnson, Lever Maroc, OCP (phosphates), SCAM (approvisionnement minier), SCE (engrais et produits chimiques), SNEP (pétrochimie) avaient adhéré à la charte dite «Responsible Care». Il s'agissait d'un code de bonne conduite qui avait pour principe l'amélioration des performances dans le secteur de la santé, de la sécurité et de l'environnement. (10) Aujourd'hui, les chefs d'entreprises membres du réseau (25 en 2011) ont pris note de l’incidence très positive de la charte sur le rendement et la productivité. (11)


L'action des cimenteries s'inscrit dans cette optique. Le programme présenté par l'Association Professionnelle des Cimentiers (APC) date de 1998. Il y était question, entre autres, de mettre en place les instruments de réduction graduelle de l'émission de poussières et de la pollution atmosphérique. Sur le site de Lafarge, on peut lire cette profession de foi : «Pour Lafarge Maroc, la protection de l'environnement répond d'abord à une exigence éthique. Elle part de la conviction qu'il n'est pas de croissance durable sans conciliation de la performance économique et du respect de l'environnement». (12)
Ce sont de telles préoccupations, il y a quinze ans, qui ont amené Nestlé Maroc à modifier le conditionnement du lait en poudre Nido. L'emballage métallique en fer blanc, en effet, a été abandonné au profit d'un conditionnement en carton et aluminium (compte tenu de la rentabilité). La différence est très appréciable, car le carton est plus léger et n'a pas d'impact négatif sur l'environnement ; contrairement au fer blanc, c'est une matière biodégradable.
Les industries chimiques et para-chimiques, quant à elles, sont appelées à mieux intégrer les données écologiques, aussi bien dans leurs décisions d'investissement que dans leur gestion. Progressivement, elles mettent en place des installations d'épuration et des décharges pour leurs déchets industriels.
Oriflamme, la célèbre marque suédoise de cosmétiques, n'est pas en reste. Depuis sa création, elle s'efforce de préserver le fragile équilibre entre les impératifs commerciaux et le souci écologique. Des règles sont ainsi émises : choix systématique des aérosols sans CFC, conception d'emballages recyclables, recours aux tests de produits sur des personnes volontaires et non sur des animaux...
La nécessité de se plier aux normes internationales environnementales se précise en particulier auprès des entreprises marocaines tournées vers l'exportation. Celles qui opèrent dans le secteur de l'agroalimentaire sont engagées à mettre en place un «système d'éco-vigilance» pour protéger le milieu naturel. La compétitivité exige qu'il y ait compatibilité entre la maîtrise des coûts de production et l'enjeu écologique. La démarche tend à s'inscrire dans une optique de qualité totale ; l'environnement et la qualité s'intègrent l'un dans l'autre. «L'éco-efficacité» est devenue rapidement l'une des clés d'accès aux marchés internationaux.
Sur ces marchés, en effet, le label écologique est érigé en condition d'accès. On sait qu'en Europe les produits biologiques gagnent de plus en plus de terrain (yoghourts, œufs, chips, etc.). Si la tendance «bio» en agro-industrie suscite une demande chaque jour plus forte, c'est qu'elle répond à deux exigences : d'une part, une alimentation saine et des composantes précieuses pour l'organisme ; d'autre part, des conditions de production qui tiennent compte de la protection du milieu naturel.

Il apparaît ainsi que le marketing, tout en cherchant à satisfaire des désirs, à vendre des produits et à créer une image de marque, tend à s'imprégner des valeurs morales et sociales de l'heure. L'intégration des préoccupations sociétales, en fin de compte, ne contrarie pas les intérêts des fabricants, en dépit des coûts élevés qu'elle entraîne. Tout se passe comme si l'entreprise œuvrait davantage pour le bénéfice à long terme que pour le gain à court terme. Qui plus est, il est établi que l'impératif écologique fournit un terrain fertile où peuvent se dessiner diverses d'opportunités de profit et de développement.

Thami BOUHMOUCH
Décembre 2012
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(6) En mars 2004, le Secrétariat d'Etat chargé de l'Environnement a publié une brochure intitulée “Les nouvelles lois de protection de l'environnement”.
(7) Le premier modèle a été lancé en 1997. En 2012, la nouvelle Prius Plug-in Hybrid est capable de rouler 25 km en mode électrique grâce à sa nouvelle batterie lithium-ion (consommation/émissions de CO2 réduite). Voir : http://www.turbo.fr/toyota/toyota-prius-3/essai-auto/508857-essai-toyota-prius-3/  Novembre 2012.