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9 juin 2014

CONSOMMATION : LA REPARTITION DES INFLUENCES DANS LA FAMILLE


Série : Compréhension du consommateur


Par qui, par quoi le consommateur est-il influencé ? Il est influencé par ses attaches culturelles, par son milieu social et par la famille à laquelle il appartient. « L’individu n’est pas socialement isolé. Il s’inscrit aux différentes périodes de sa vie dans une histoire familiale dont il est un des acteurs». (1) Pour bien comprendre ses choix et préférences, il importe d’entrée de jeu de le situer par rapport à son entourage familial.
Un individu appartient en fait à deux familles : celle où il naît – famille dite d'orientation – et celle qu'il crée lorsqu'il se marie – famille de procréation. (2)  Par suite, la famille est considérée dans deux perspectives : au sens restreint, elle se limite aux parents et enfants ; au sens élargi, elle comprend en plus les oncles, tantes, grands-parents et beaux-parents. Dans sa famille d'orientation, l'individu acquiert des valeurs et des attitudes. Une fois marié, il continue de subir d’une manière plus ou moins inconsciente l'influence de ses parents. En pratique, c’est sur la famille réduite (nucléaire) que le marketing focalise l’attention.
La famille est l'entité de référence la plus immédiate, la première à laquelle l'individu s'identifie. Elle exerce l'influence la plus profonde et la plus durable sur sa personnalité et sa manière de vivre. C'est un milieu de socialisation, au sein duquel se forment les opinions et les habitudes de consommation. L'attitude de la famille à l'égard de la religion, de l'hygiène, des loisirs, des cigarettes, des sucreries… a un effet direct sur les décisions d’achat. Les préférences alimentaires sont formées par les modes de consommation de la famille. Ainsi, pour manger un œuf à la coque, un Marocain utilisera du cumin, alors qu’un Européen optera pour le poivre.

L’influence respective des époux
Il y a lieu de noter ici que les besoins et l'utilisation des produits ne sont pas nécessairement individuels. De nombreux produits sont destinés à satisfaire des besoins collectifs (achats multipolaires). Dans un tel cas, c'est la famille (le ménage) qui est considérée comme unité consommatrice (ou unité de prise de décision). Tout se passe au sein du foyer comme s’il y avait un partage de responsabilités, une sorte de division de tâches.
L'époux et l'épouse, on s’en doute, pèsent chacun d'un certain poids sur les choix de consommation. Mais quelle est la structure réelle des rôles dans le processus d’achat ? La première typologie en la matière, développée en 1959 par D. Wolfe (en s’inspirant de la classification de P. Herbst), identifie quatre configurations ou types possibles de prises de décisions. (3)
1. Le cas d’une décision autonome se présente lorsque l’époux choisit une banque, souscrit à une assurance automobile, s’achète une crème à raser ou un PC portable, comme lorsque l’épouse s’achète des produits cosmétiques, un sac à main ou une revue. Sur le marché de la puériculture, il s’avère que les femmes décident seules. 

2. L’influence dominante de l'épouse est observée au moment de l’achat des produits alimentaires, des ustensiles de cuisine, des vêtements des enfants, de l’aménagement intérieur du logement. Le rôle traditionnel de la femme est fondamentalement le même que l'on soit au Maroc, au Mexique, en Russie ou au Sénégal. Tous les distributeurs de mobilier et d’appareils ménagers vous diront que c'est la femme qui décide généralement du choix des produits. Cela a été relevé, il n’y a pas longtemps, par les responsables de Kitéa, de Kaoba et ceux du Comptoir de l'Electroménager.   
3. L’influence dominante du mari est établie en cas d’achat d’une voiture, de réparations mécaniques ou domestiques, de placements financiers, de souscription à une assurance-vie et de toute autre acquisition ayant une incidence financière future sur la famille.
4. La décision syncrétique, c'est-à-dire prise conjointement par le couple, a lieu lorsqu’il s’agit d’acquérir un appareil audiovisuel ou un logement, de choisir un établissement scolaire pour les enfants ou une destination de vacances. Plus l'achat est impliquant, plus les conjoints interviennent en commun dans la décision.
A partir de cette typologie, des analyses graphiques ont été proposées. H. Davis et B. Rigaux ont proposé en 1974 une conceptualisation triangulaire de la répartition des influences au sein du couple pour un large éventail de produits. (4) Une autre version de cette analyse a été élaborée par B. Rigaux-Bricmont en 1978 pour divers produits importants. (5)
De cela il résulte que l’influence respective des époux varie notablement selon la nature/catégorie du produit. Elle varie aussi selon les phases du processus  d'achat : reconnaissance du problème, recherche de l’information, évaluation des solutions et choix final. Ainsi, pour l'achat d'une voiture ou d’un appartement, les recherches d'informations sont menées par le mari, mais l'influence de l'épouse est importante au moment de la décision… La répartition des influences dépend en fait fondamentalement du milieu social du couple, selon son niveau d'éducation, selon qu’on se trouve dans un environnement rural ou urbain. On notera cependant avec Dubois et Vanhuele que « la plupart des dépenses relèvent de décisions communes et il est souvent difficile de départager les rôles ». (6) 

Quoi qu’il en soit, la répartition des influences n'est pas figée ; elle évolue avec le temps : d'une part, les hommes aujourd’hui en viennent, à un degré ou à un autre, à participer aux tâches quotidiennes ; d'autre part, les femmes étant plus actives, apportent au foyer des ressources significatives et, de là, ont leur mot à dire lors des achats importants. On se doit de tenir compte d'une telle évolution lorsqu'il s'agit d'identifier une cible ou d’élaborer un message publicitaire… Il est vrai, pour ce qui est du Maroc, que la distribution des tâches ménagères n'a évolué que dans un nombre réduit de foyers…

L'influence des enfants et adolescents
Le père et la mère n’ont pas le monopole du pouvoir de décision au sein du foyer. Les enfants et adolescents exercent une influence importante sur l'achat de certains produits, tels les vêtements, l’alimentation, les loisirs, les fast-foods, les jouets, les multimédias, les destinations de vacances, etc. Leur influence varie selon l'âge et selon que le produit leur est destiné ou pas. Dans les magasins de meubles par exemple, il est manifeste que le choix de l'enfant est déterminant pour ce qui concerne sa propre chambre. Plus les enfants grandissent, plus leur implication est importante. Leur statut et leur pouvoir de décision varient aussi considérablement selon les classes sociales. 
Les adolescents, vis-à-vis de leurs parents, jouent le rôle d’initiateurs en apportant des informations pratiques ; ils constituent parfois de puissants conseillers (achat d'une voiture, choix du lieu de vacances). Ils introduisent dans la famille de nouvelles idées ou de nouveaux comportements (loisirs, mode). Une étude effectuée aux Etats-Unis a montré l'influence des enfants sur la vente des céréales. (7) Au Maroc, la décision d'acheter un ordinateur pour la maison est soumise aux exigences des enfants. Ce sont eux qui poussent souvent les parents à l'achat et les incitent à se connecter à Internet.
Cela étant, il se révèle que l’enfant adopte une démarche assez peu rationnelle : « il regarde assez peu les prix de vente et les conditionnements et n’effectue pas de comparaison entre les produits ». (8)

Les implications en Marketing
Saisir l'implication de chacun des membres de la cellule familiale dans le processus d'achat revêt une grande importance. Il s’agit de savoir qui exprime le besoin, qui apporte l'information, qui décide (produit, marque, lieu, moment), qui achète, qui consomme, qui a le plus d'influence… Le responsable marketing est tenu de savoir comment se répartissent les rôles, de comprendre la façon dont les membres interagissent. Il doit à partir de là adopter une stratégie spécifique, concentrer ses efforts sur une cible clairement identifiée (époux, épouse, enfant), définir les caractéristiques de son produit, concevoir les axes publicitaires ou les messages promotionnels, choisir les médias appropriés.
L'efficacité de ces actions est directement conditionnée par la connaissance de la structure interne du comportement d'achat en famille, elle dépend de l'identification des acteurs principaux (initiateur, décideur, acheteur, consommateur). S’agissant de publicité, on gagne à connaître l'impact que le message peut avoir sur l'un ou l'autre membre de la famille.
Traditionnellement, la ménagère est le principal acheteur de la cellule familiale pour les produits de grande consommation. Cela explique l'attention quasi-exclusive que lui portent les marques concernées. L'épouse, s’impliquant directement dans l'achat des couches ou la nourriture pour bébés, c’est à elle que s'adressera la publicité. A l’inverse, une revue féminine n’est pas un support adéquat pour promouvoir des produits financiers.

L’action, s’il y a lieu, doit tenir compte des enfants (initiateurs, décideurs). « Le rôle prescripteur de l'enfant est devenu un élément clé des stratégies marketing de nombreuses marques, qui savent combien elles peuvent compter sur ces petits alliés pour avoir les parents à l'usure… ». (9) S’agissant des céréales, la conception du conditionnement et le message publicitaire s’adressent expressément aux enfants. La marque Signal  a entrepris à Casablanca de distribuer des tubes de dentifrice à la sortie des écoles et clubs juniors de football…  

Thami BOUHMOUCH
Juin 2014
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(1) R. Ladwein, Le comportement du consommateur et de l’acheteur, éd. Economica, p. 64.
(2) Cf. A. Hiam et Ch. Schewe, MBA Marketing - Les concepts, éd. Maxima, p. 262.
(4) Cf. J.-J. Croutsche, Marketing opérationnel : liaisons et interfaces dans l'entreprise,  éditions Eska, pp. 192-193.
(5) Cf. J. P. Helfer et J. Orsoni, Marketing, éd. Vuibert gestion, pp.121-122.
(6)  B. Dubois et M. Vanhuele, Comportement du consommateur,  http://www.universalis.fr/encyclopedie/consommation-comportement-du-consommateur/
(7) Cf. A. Hiam et Ch. S., op. cit. p. 263.
(8) E. Vernette, Marketing fondamental, éd. Eyrolles, p. 58.
(9) B. Dubois et M. Vanhuele, op. cit.


1 juin 2014

MODELISER LE COMPORTEMENT D'ACHAT


Série : Compréhension du consommateur

Le consommateur est regardé à juste titre comme versatile et imprévisible. La part d’irrationalité et d’affectivité dans ses prises de décision est suffisamment tangible pour ne pas être réfutée. Vouloir expliquer et comprendre le comportement d'achat, c'est vouloir expliquer et comprendre le comportement humain (cf. papier précédent)… Mais comprendre quoi au juste ? Dans quelles conditions particulières se déroule le processus d’achat ? Quelles sont les variables susceptibles de l'affecter ? L'entreprise cherche non seulement à élucider les choix et préférences de l’acheteur, mais éventuellement à les prédire. De ce fait, comme les phénomènes examinés sont difficiles à saisir, l’analyste s'efforce de les représenter sous forme d’un modèle descriptif.
  
De nos jours, pour arriver à cerner les habitudes de consommation de sa clientèle, l'entreprise ne peut plus compter sur les seuls contacts physiques. D’où le recours aux travaux de praticiens et de chercheurs en marketing. Certes, les consommateurs ne sauraient être mis sous équation, n’entrent pas réellement dans des catégories prédéfinies. Le processus d’achat, néanmoins, a fait l’objet d’une modélisation. Il a été modélisé synthétiquement, du fait même de la complexité observée et malgré celle-ci. Un modèle, selon une conception communément admise, est « un construit théorique qui simplifie la réalité au moyen d'un schéma présentant une structure logique ». (1)
Les modèles synthétiques expliquent les comportements par le jeu d'associations stimulus-réponse. L’analyste, en effet, « propose d’appréhender l’acheteur ou le consommateur comme un système générant des réponses consécutivement à des stimulations marketing ». (2) Sans prétendre reproduire la réalité stricto sensu, l’approche théorique fournit une représentation simplifiée du processus d’achat et permet une meilleure compréhension de la formation des préférences. Simplifier ne veut nullement dire dénaturer les faits, ni supprimer tel ou tel facteur déterminant. « Les modèles doivent être suffisamment simples pour pouvoir être effectivement utilisables tout en étant suffisamment élaborés pour ne pas tomber dans la caricature ». (3)  
Le plus connu des modèles descriptifs introduits en marketing, présenté dans la figure ci-après, est sans conteste celui de J.-A. Howard et J.-N. Sheth (1969). Il met en évidence les éléments constituants, jugés essentiels, ainsi que les relations existant entre ces éléments.


Le modèle global simplifié fait apparaître quatre blocs d’éléments :
1. L'acte d'achat suppose le suivi d'un processus par le consommateur. Il commence par la détection d'un besoin – lequel est soumis à diverses stimulations. Dans sa vie quotidienne, l’individu réagit en particulier aux signaux incitatifs émis par l'entreprise. Ce sont les stimuli commerciaux, le point d'entrée du modèle. Ils correspondent aux différentes variables de l'action marketing : caractéristiques du produit, forme du conditionnement, niveau du prix, opération promotionnelle, message publicitaire, prospectus distribué, action du vendeur… De tels inputs sont les facteurs qui déclenchent le processus d'achat. La sensibilité du consommateur aux informations d’entrée dépend de ses prédispositions vis-à-vis de la marque et aussi du degré de clarté du stimulus.  
2. Le processus de décision (interne) intervient à la suite de l’exposition aux stimuli. Les comportements de réponse sont déterminés par l’exploitation ou la transformation de l’information reçue (activement ou passivement). Celle-ci, à l'intérieur de la « boîte noire » du consommateur, est décodée, traitée et analysée. Une fois acceptée, elle est stockée dans sa mémoire. Ce processus est l'élément fondamental du modèle. Il diffère suivant la rationalité de l'individu et sa vision propre des choses.
Chercheurs et praticiens consacrent beaucoup de temps à l'étude de l'impact des stimuli marketing sur les décisions d’achat. Il s'agit de comprendre le mieux possible pourquoi un consommateur retient ou non une information, comment se transforment dans son esprit (cerveau) les signaux transmis.
3. L'acte d'achat suppose ensuite la manifestation d’une réponse (output). L’information traitée est ainsi transformée en une réponse observable : achat ou non-achat. Une réponse d’achat est bien sûr adoptée si l’attitude à l’égard du produit est positive. En fait, la décision porte sur divers éléments ou facettes et donne lieu à plusieurs choix : le produit, la marque, le budget consacré, le point de vente, le moment d'achat…
4. L’appréciation des signaux reçus et les décisions ne s'effectuent pas dans le vide : le consommateur est soumis – consciemment ou non – à l’influence subtile de facteurs endogènes (personnels) et de facteurs exogènes (liées à l’environnement social)… Chacun d’eux influe dans des proportions plus ou moins grandes sur le comportement d'achat.
Les facteurs endogènes, spécifiques à l'acheteur, influent directement sur les réactions à l'environnement commercial. Un individu donné ne ressemble pas tout à fait à un autre. Il a ses propres motivations et croyances, une expérience personnelle, une image de lui-même, une profession et des revenus particuliers, des attitudes et un tempérament spécifiques. Il est également influencé par des facteurs d'environnement, tels la famille d’appartenance, les groupes de pairs ou d’aspiration auxquels il se réfère, la classe sociale dont il est membre, la culture dans laquelle il baigne...  

Il apparaît ainsi que le comportement d'achat, pour l’essentiel, est la résultante d’un processus de décision et de variables d'influence (explicatives). L'homme de marketing exerce peu de contrôle sur ces diverses composantes ; pour autant, il doit les appréhender avec la plus grande rigueur possible et en tenir compte dans ses décisions.

Thami BOUHMOUCH
Juin 2014
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(1) Ph. Kotler, V. Di Maulo, G. McDougall, G. Amstrong, Le marketing de la théorie à la pratique, éd. Gaëtan Morin, p. 62.
(2) Richard Ladwein, Le comportement du consommateur et de l’acheteur, éd. Economica, p. 259.
(3) Guy Audigier, Les études marketing, éd. Dunod, p. 41.