« Quand le financier
parle, tout le monde l'écoute ; quand le technicien parle, tout le monde
l'écoute ; quand l'homme de marketing parle, tout le monde donne son avis » Anonyme
La satisfaction du client (de façon
rentable) est le credo du marketing. Elle procède de facteurs multiples,
majeurs ou mineurs mais toujours déterminants. L'écoute du marché, c'est
par-dessus tout un travail de terrain constant, une relation de proximité avec
le public cible… Pourquoi revenir sur ce lieu commun ? C'est pour dire que le
marketing ne se réduit aucunement à des techniques de conquête du marché. C'est un état d'esprit qui doit se refléter
dans le système de management de l'entreprise. Son introduction dans la structure implique une coopération
active de tous les services, de tous les collaborateurs. Il est devenu une philosophie managériale. Une culture
client s'intègre à la vision directrice adoptée, inspire le mode d'organisation,
devient le credo commun. C'est le sujet abordé ici.
L'entreprise
est une entité multiforme et complexe, dont l'action procède de la combinaison
de moyens humains et matériels très variés. L'organisation des opérations les
unes par rapport aux autres, le système de relations qui s'instaure entre
elles, caractérisent la structure. En effet, « établir la
structure d'une entreprise revient à déterminer et à mettre en œuvre les
liaisons qui unissent entre elles les différentes fonctions de l'entreprise
». (1)
Cela appelle trois questions :
comment le marketing fonctionne-t-il au sein de l'entreprise ? Comment se
situe-t-il par rapport aux autres fonctions ? Comment sa place dans la
structure est-elle perçue ?
Le primat
du marketing
D'entrée de jeu, convenons d'un fait
évident : cadres et employés ne sont pas tous radicalement focalisés sur
l'écoute et la satisfaction du client. L'ingénieur de production, le
scientifique (R/D), le financier, le directeur des ressources humaines (DRH),
le comptable, le responsable des achats ont chacun des préoccupations, une
logique et des contraintes propres. L'un va s'intéresser aux procédés
industriels et au choix des équipements, l'autre aux contraintes et
opportunités que comporte l'évolution technologique, l'autre encore va centrer
l'attention sur l'évaluation financière interne et les possibilités de
financement, etc. Tous ces responsables ont leur mot à dire, tous exercent une
action tangible sur le fonctionnement de l'organisation. Aucun n'a raison ou
tort dans l'absolu.
Considérons en particulier le rôle
joué par le directeur financier. Il est regardé comme l'aboutissement de
tous les services, la plaque tournante de l'entreprise. Toutes les décisions
stratégiques transitent par son bureau. Détenir la clé de la caisse est une
grande responsabilité. En ces temps de recherche acharnée de compétitivité, le
financement au moindre coût devient une préoccupation majeure.
Ce responsable influent a pour tâche
essentielle de procurer à l'entreprise les capitaux requis pour son activité,
de contrôler la rentabilité, de gérer les fonds perçus et engagés. Il élabore
les budgets et les bilans financiers, se charge du suivi de la trésorerie et du
contrôle de gestion. Son rôle est particulièrement important dans une société
cotée en bourse.
Cela étant, qu'en est-il du
marketing ? T. Levitt écrit : « Une
entreprise, c'est deux choses : de l'argent et des clients. De l'argent pour
démarrer, des clients pour continuer et de l'argent encore pour garder les
clients existants et attirer des nouveaux. Les deux activités pivot de toute
entreprise sont donc le marketing et les finances ». (2) Ce
point de vue, partagé par nombre d'auteurs, gagne à être nuancé quelque peu. Il
tombe sous le sens que s'il n'y a pas de ventes, il n'y a pas de rentrées
d'argent et le financier n'a rien à gérer. Seuls des clients intéressés et
comblés apportent le cash flow. L'obtention et l'affermissement de
résultats probants (part de marché, croissance, image de marque...) prévalent
indubitablement sur les efforts d'évaluation. « Marquer des points, pour
reprendre une réflexion pertinente, n'est-il pas plus important que les
additionner » ?
De plus, il est indéniable que les
décisions financières sont prises d'ordinaire après coup. C'est ce qui
ressort de l'analyse de Whiteley et Hessan : « Comme les données financières portent sur des
résultats enregistrés bien après les actes et les décisions qui en sont
la cause, elles constituent des indicateurs trop tardifs pour contribuer à
prévenir les problèmes et à assurer la santé de l'entreprise ». (3)
Dans cette optique, Drucker est
encore plus convaincant : « La comptabilité financière, le bilan, le compte
de résultat, l'allocation des coûts, etc. sont une radiographie de
l'entreprise. Mais de même que les maladies dont on meurt le plus – maladies
cardiaques, cancer, maladie de Parkinson... – ne sont pas visibles aux rayons
X, une perte de prestige ou une incapacité à innover ne s'inscrivent dans les
chiffres du comptable qu'une fois le dommage subi ». (4)
En cas de difficultés, en effet, un
financier tendrait à restreindre les budgets, à freiner les investissements
(particulièrement ceux occasionnés par le marketing), voire à préconiser une
baisse des effectifs. Ce faisant, est-il à même de neutraliser les causes
réelles d'une situation fâcheuse ? Est-ce aux dispositifs financiers
d'expliquer le pourquoi des revers éventuels subis sur le marché ?
Le fait est que toute activité au
sein de l'entreprise est amarrée à une seule et même finalité suprême : attirer
et retenir un nombre suffisant de clients solvables. Levitt a
raison lorsqu'il note : « Peu importe le
va-et-vient de la mode et des idées, la seule chose essentielle, impérative et
donc inévitable, et à laquelle on doit toujours revenir, c'est le marketing
». (5)
Le
marketing se caractérise fondamentalement par sa situation à la jonction du marché
et de l'entité de production. C'est en quelque sorte le porte-parole du
consommateur au sein de la structure. C'est bien du ressort de la fonction
marketing de s'assurer que les besoins du marché sont perçus et satisfaits
correctement. L'entreprise comprend le lien entre son intérêt incessant pour le
client et l'amélioration de sa position concurrentielle. Ses performances et sa
prospérité dépendent essentiellement d'options propres au marketing.
Une
multitude de décisions en effet sont prises en fonction du client, soumises ipso
facto au credo du marketing. Le produit qu'il faut fabriquer n'est pas
celui que le patron croit meilleur, mais celui que le consommateur demande. Le
prix de vente se fonde, par-dessus tout, non pas sur le coût de production,
mais sur ce que le public cible est prêt à payer. L'action de communication
doit se focaliser, non pas sur ce que l'on pense soi-même de la marque, mais
sur ce qui pourrait inciter le prospect à acheter. Le choix du canal de
distribution doit porter non pas sur le mode le plus avantageux ou celui qu'on
connaît le mieux, mais sur celui qui répond pleinement aux exigences de
l'acheteur.
Comme le note Kotler, « il est
difficile d'imaginer que le département marketing n'ait pas toujours existé
». (6) C’est parce que le marché est au centre des préoccupations,
que la satisfaction des besoins (solvables et rentables) est le but suprême de l'organisation
que le marketing occupe une place privilégiée.
Il y a lieu d'insister : si le
responsable marketing est placé à un échelon élevé de l'organigramme, ce n'est
pas pour faire bonne figure. Rattaché à la Direction Générale, il inscrit son
action conformément aux grandes orientations tracées ; il a pour mission de
mener les études et investigations nécessaires, en tenant compte des données
actuelles et futures du marché. Il repère les domaines d'activité les plus
prometteurs et évalue l'attrait de nouveaux concepts de produits ; il identifie
les facteurs cruciaux de succès et propose de nouvelles actions. Il reste en
veille sur les évolutions mondiales intéressant le secteur pour permettre à
l'entreprise d'anticiper et de gérer le présent avec efficacité et
clairvoyance.
Le marketing « est un radar et un
phare : il guide et éclaire ». (7) C'est, pourrait-on dire, le
poumon de l'entreprise, le cœur de son activité. Il pèse sur les décisions
majeures, y compris celles prises par la direction générale. Tendanciellement,
il exerce une action sur les compétences requises, l'organisation de l'activité
et les méthodes de travail. C'est le noyau des activités existantes, la fonction
primordiale autour de laquelle gravitent toutes les autres. Drucker en dit
ceci : « Le marketing est trop essentiel pour être considéré comme une
fonction à part [...] Il embrasse toute l'entreprise, considérée du
point de vue de son aboutissement final, à savoir le client » (8)
Rôle
unique et interrelation
Que le marketing ait un rôle unique,
l'argumentation semble s'imposer à l'esprit...
Il n'en reste pas moins qu'au sein de la structure, aucun acteur ne peut
être tenu pour négligeable. Eclairons cela par quelques exemples.
Le marketing est de nature à susciter
l'idée d'une innovation en vue d'apporter une meilleure réponse à la demande. Cette
initiative dépend par essence du savoir et des possibilités technologiques.
Ainsi, les données relatives aux consommateurs, une fois rassemblées et
traitées, sont transmises au service de
recherche/développement, lequel fournit le soutien scientifique et
technique au développement des produits préconisés. Qui plus est, rappelons-le,
(9) dans nombre de secteurs, les produits sont réellement poussés
par la technologie, sont le fruit avant tout de l'imagination du
chercheur dans son laboratoire. Il arrive aussi parfois que les grandes idées
naissent dans le service de fabrication, ou lors du contrôle de la qualité, ou
même dans le bureau du PDG. (10)
D'autre part, considérons le cas où
les produits commandés arrivent constamment en retard chez le client
(consommateur ou distributeur). Le système
de production et le service logistique seraient tôt
ou tard pressés de soutenir le rythme de la demande, ce qui entraînerait
éventuellement leur refonte ou leur modernisation. En l'espèce, le service
marketing, mû par l'impératif de satisfaction et de fidélisation, ne serait-il
pas pleinement impliqué ? Les procédés et capacités techniques influent
indubitablement sur le processus de création de la valeur offerte au client. De
même, la fonction achat et approvisionnement, située en
amont de la chaîne – étant donné son impact sur les caractéristiques du produit
en aval – est perçue dans une optique marketing.
La qualité de l'action marketing se
rapporte également à la sphère des ressources humaines. Les DRH en effet
concourent activement à l'adaptation de l'entreprise à son marché. Ils
soutiennent pleinement les efforts de recrutement, de formation et de
motivation des équipes de marketing. Ils prennent une part active dans le
diagnostic commercial, comme dans la propagation de la culture client.
Les actions commerciales et
marketing requièrent nécessairement une assise financière, comme elles
ont un impact certain sur les résultats obtenus. Comment prendre des risques et
garantir aux actionnaires le retour sur investissement qu'ils demandent ? Il
est clair que les performances réalisées doivent être mesurées et chiffrées. Le
décideur marketing est bel et bien engagé dans l'évaluation des enjeux
financiers de sa politique. Il est tenu d'apprécier les risques encourus lors
du lancement d'un produit, tant il est vrai que le taux d'échec des idées novatrices
est élevé. (11) Il se doit de raisonner et de réagir non seulement
en termes de clientèle mais aussi en termes de fonds investis. Qu'on en juge
par cette remarque avisée : « Il doit y avoir du comptable dans chaque homme
de marketing. Un plan marketing sans comptes d'exploitation prévisionnels n'est
que du bavardage ». (12)
Le responsable marketing agit, à
certains égards, comme un financier. Il ne saurait se détourner des problèmes
de coût de production et de
commercialisation des produits. Il doit adhérer à la recherche de la
productivité et du rendement.
Baisser les prix (pour déconcerter les concurrents) relève certes de la
politique marketing, mais cela suppose la possibilité – d'un point de vue
technique – de baisser les coûts. Ce qui nous met hors du domaine du marketing stricto
sensu ; d'où l'importance de l'ouverture de celui-ci sur le reste de la
structure.
Par ailleurs, un bon commercial
n'est pas celui qui vend le plus, mais celui qui fait entrer de l'argent en
caisse. Ainsi, en cas de difficultés de trésorerie, le directeur de
marketing est amené à engager les commerciaux à privilégier les encaissements
rapides auprès des clients démarchés.
Inversement, si le marketing exerce
une influence décisive sur la structure, il n'échappe nullement aux contraintes
imposées par les éléments qui la composent. Les interférences, dans les
deux sens, sont tangibles et inévitables. Les acteurs du marketing sont tenus
d'avoir une idée claire du fonctionnement global de l'entreprise (choix,
orientations, forces, contraintes). Une connaissance analytique de la structure
leur est nécessaire. « Le marketing lui-même devient une compétence
transversale ». (13) Il a donc vocation à s'intégrer aux autres
services.
Thami
BOUHMOUCH
Juillet
2012
_______________________________________
(1) M. Celamur, Organisation et
politique générale de l'entreprise, in Action marketing, Encyclopédie
des affaires, volume V.
(2)
Théodore
Levitt, Réflexions sur le management, éd. Dunod.
(3)
R. Whiteley et D. Hessan, Les avantages compétitifs de
l'entreprise orientée clients,
éd. Maxima.
(4) Peter Drucker, cité par R. Whiteley et D. Hessan, ibid.
(5) Th. Levitt,
op. cit.
(6)
Philip
Kotler, Faut-il dissoudre la fonction marketing ?, L'Expansion Management
Review, septembre 1999.
(7) A. et A. Zeyl, Plans marketing, Vuibert gestion.
(8)
Peter
Drucker, cité par A. Hiam et C. Schewe, MBA Marketing - Les concepts...,
éd. Maxima.
(9) Cf. La gestion de
l'innovation au cœur du marketing, in
: http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/la-gestion-de-linnovation-au-cur-du.html
(10) Voir la digression concernant
le walkman de Sony dans l'article Le
binôme marketing – innovation, in
: http://bouhmouch.blogspot.com/2012/04/le-binome-marketing-innovation.html
(11)
Cf. sur
ce point : Le binôme marketing –
innovation, ibid.
(12)
J. Lendrevie
et D. Lindon, Mercator, Dalloz.
(13) Ibid.
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