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21 juillet 2012

MARKETING INTERFACE [2/2] : une philosophie managériale



« Il est difficile d'imaginer que le département marketing n'ait pas toujours existé » Philip Kotler

L'adoption de l'approche moderne du marketing introduit de nouveaux paradigmes, réoriente les modes de gestion, a des répercussions sur la structure. C'est ce qu'il convient d'examiner.

Management et marketing évoluent de concert. Comme en témoigne Levitt, « le marketing est une conception majeure du management qui influence la politique générale de l'entreprise ». (1) Le marketing, dans sa position de front et son envergure stratégique, promet un management ouvert aux exigences du marché à travers toute l'entreprise. Il est d'une telle importance qu'il conditionne les principales orientations de la politique de l'entreprise. Davantage qu'un ensemble de techniques, il devient une philosophie managériale.
Le concept de marketing management procède justement de cette influence fondamentale. Pour Michon, c'est une « démarche par laquelle une organisation atteint ses objectifs au moyen de la création et du développement permanent de produits et services qui satisfont les besoins et attentes d'une population cible ». (2) Une ligne stratégique établit nécessairement les axes à suivre en vue de satisfaire le client. Les clés du succès résident dans la volonté des dirigeants de traduire leur projet en actes quotidiens au niveau de l'ensemble de l'organisation. De l'appareil de production au service après-vente, en passant par les achats, les employés parlent tous le même langage. Le projet retenu devient l'épine dorsale de l'entreprise.
Dans la pratique de tous les jours, il est vrai, un nombre très restreint de salariés communiquent avec les clients. Mais tous les acteurs ont un rôle à jouer. « Cela force tout le monde à avoir une vision intégrative globale : toute l'entreprise fait du marketing et pas seulement le département qui en porte le nom ». (3) A cet égard, l'approche qualité des techniciens ne peut-elle pas être interprétée comme une récupération de l'impératif et de la logique du marketing ? Dans un monde concurrentiel, chacun se sent pleinement impliqué, y compris au sommet de la hiérarchie. Témoin l'ex-directeur de l'hôtel Sheraton à Casablanca, qui ne déléguait pas entièrement la fonction commerciale. De temps à autre, il se chargeait lui-même de vendre son hôtel, prenait contact avec les entreprises et les tours opérateurs...
Le marketing, à la limite, pourrait ne pas figurer dans l'organigramme. S'il est intégré en tant que philosophie dans l'ensemble des tâches accomplies (développement du produit, évaluation de la concurrence, gestion de la distribution...), s'il est plus proche de la ligne de front, son impact n'en sera que plus fort. Peu importe qu'un service ad hoc soit ou non instauré si la fonction est présente partout et assumée par tous. Autant dire que les processus l'emportent sur les structures.
Le marketing, en prenant de l'ampleur, devient plus diffus dans l'entreprise. Il tend en quelque sorte à être l'affaire de tous, comme en témoignent Hiam et Schewe : « Son actualité et sa pertinence se confirment chaque jour, et pourtant les services marketing ne se sont pas développés en conséquence. Et ce n'est peut-être pas plus mal, car on s'aperçoit d'une chose : tous les managers, tous les employés se mettent à se lancer dans le marketing sans le savoir. Que font-ils d'autre en effet quand ils décident de se mettre à la place du client pour trouver la meilleure solution à tous les niveaux... ». (4)
B. Saporta, qui rejette toute « correspondance automatique entre structure marketing et pratique marketing », affirme que celui-ci est « un engagement de tous au sein de l'entreprise et non uniquement une question de structure ». (5) Michon abonde dans ce sens : « On a longtemps considéré que c'était aux seuls experts de marketing et aux vendeurs de se préoccuper du client. En réalité, chacun dans l'entreprise doit comprendre comment fonctionne la relation avec les clients, comment s'élabore et se met en œuvre un plan de marketing et comment il doit personnellement y contribuer ». (6)
Ce qui fait dire à Colcombet que « les concepts et les méthodes marketing [sont], au moins en partie, appropriés par des fonctions de l'entreprise, jadis éloignées des préoccupations et attentes des clients ». (7) Penser client est donc une obsession à l'échelle de l'entreprise et non le propre du seul département marketing. Le rôle à la fois subtil et hautement décisif du marketing est particulièrement illustré dans cette boutade : « Quand le financier parle, tout le monde l'écoute ; quand le technicien parle, tout le monde l'écoute ; quand l'homme de marketing parle, tout le monde donne son avis... ». (8)
Reprenons le cas-exemple de 3M. (9) En 1990, aux Etats-Unis, cette entreprise a mis sur pied un programme d'introduction d'une partie de son personnel de la branche santé dans l'environnement hospitalier des clients. Le but était d'observer ceux-ci dans leur lieu de travail afin de mieux les connaître et de comprendre scrupuleusement leurs besoins. De l'ouvrier spécialisé au cadre dirigeant, tous les collaborateurs sont amenés à constater de visu à quoi servent et comment sont utilisés les articles fabriqués.

La nécessaire atmosphère de concorde
La satisfaction réelle des clients dépend donc de tous les acteurs de l'entreprise. Les décisions prises par les uns et les autres ne sauraient diverger. La cohérence est d'autant plus nécessaire que le monde des affaires est de plus en plus complexe. Parler le même langage, travailler en osmose, c'est avant tout bien s'entendre et vivre en bonne intelligence. Pour fonctionner, la structure nécessite donc une entente réelle entre la direction marketing et les autres fonctions.


Dans la réalité observée, hélas, les tensions et les conflits sont monnaie courante. Confucius, le philosophe chinois, disait à peu près ceci : « N'oublie pas que quand tu veux faire quelque chose, tu as contre toi : les gens qui voulaient faire la même chose, les gens qui voulaient faire le contraire et la masse d'individus qui ne voulaient rien faire ». (10) Au Maroc, le mode d'organisation de l'entreprise se doit d'évoluer compte tenu des nouveaux paramètres du marché. Mais la mise en place d'une direction marketing est un processus hautement délicat et nécessairement progressif. L'emplacement du marketing à un échelon élevé de l'organigramme ou seulement sa présence dans l'organisation suscitent partout des réticences, voire de l'hostilité.
Souvent, on se heurte à une incompréhension radicale entre les responsables marketing et les services de production. Les premiers doivent constamment se vendre aux seconds. Il faut sans relâche répéter que la technologie est jugée à l'aune du client, que l'argent ne saurait être dépensé en dehors de toute préoccupation marketing, qu'avant de réaliser un produit il faut s'assurer de pouvoir le vendre... Des tensions altèrent aussi les relations avec la direction des ressources humaines et surtout avec la direction financière. Le financier est tourmenté par les bilans et les contraintes de budget ; il perçoit l’investissement marketing en « comptable » ; les retombées à terme des sondages et des campagnes de communication lui échappent.
Que dire des rapports entre le directeur marketing et le personnel commercial ? Ils sont, dans de nombreux cas, empreints de méfiance et de rivalités irraisonnées. Le premier, focalisé sur l'innovation et l'image, cherche à étendre son autorité sur toutes les activités ayant un impact sur le client. Le second, obsédé par les ventes et les marges, n'accepte guère de voir son rôle et son poids diminuer.
« Mes trente commerciaux n'ont même pas été conviés au gala organisé par le marketing en l'honneur de nos clients ! », grogne ce directeur commercial. (11) C'est ce genre d'atmosphère conflictuelle qui règne un peu partout dans les entreprises marocaines. Les commerciaux n'hésitent pas à afficher devant les clients leur antipathie à l'égard de l'équipe marketing. Les antagonismes peuvent s’envenimer au point de faire appel à l’arbitrage de la direction générale. La lutte de pouvoir, la jalousie larvée et les divergences quotidiennes empêchent le partage d'informations et l'action en synergie. Les conséquences peuvent se révéler désastreuses : produit inadéquat ou lancement retardé, clients perdus au profit de la concurrence…
Pourtant, la montée des rivalités sur le marché et la versatilité des clients condamnent les deux fonctions à travailler ensemble. Les hommes de marketing ont besoin d'une relation forte, d'un flux d'informations riches et fiables venant du commercial.  S'agissant du client, ils ont pour rôle de synchroniser la relation, de l'orchestrer – un rôle que le commercial est appelé normalement à reconnaitre. De fait, le renforcement du département marketing ne doit nullement être perçu comme une menace pour le statut, le pouvoir et la liberté d'action des uns et des autres. La fonction marketing se déploie trop souvent – bien à tort – au détriment de la fonction commerciale. Ce n'est pas rendre service aux entreprises que de mettre en opposition les fonctions marketing, vente, production, finances et ressources humaines.
Le marketing tend à transformer l'organisation et s'améliore réciproquement au contact de tous les acteurs. « Dans une entreprise où règne une vraie collaboration, le personnel adhère à une vocation qui transcende les fonctions ou postes individuels. Pour la réaliser, les individus sont disposés à renoncer à leurs intérêts égocentriques au nom de l'intérêt général de l'entreprise ». (12)
C'est ici qu'intervient la notion de technostructure proposée par Galbraith. Celui-ci a raison lorsqu'il note : « Dans la grande entreprise, [...] nul n'a, à lui seul, tous les éléments nécessaires pour décider de lancer un nouveau produit, d'ouvrir une usine supplémentaire ou de s'implanter sur de nouveaux marchés. Il faut faire appel aux connaissances, à l'expérience et au jugement des gestionnaires, des directeurs commerciaux, des ingénieurs, des scientifiques, des avocats, des comptables, des chefs de personnel ou de tous autres dépositaires d'un savoir spécialisé. Chacun contribue en apportant la parcelle de son expérience de spécialiste ». (13)

Récapitulons.
Le marketing, appréhendé dans une approche systémique, donne lieu à une collaboration active et cohérente avec les autres fonctions. Son introduction dans la structure implique une coopération de tous les acteurs. Ceux-ci s'activent autour d'un projet fédérateur, adhèrent à l’idée et œuvrent réellement pour cela.

Thami BOUHMOUCH
Juillet 2012
__________________________________________
(1) Th. Levitt, Marketing à courte vue, Encyclopédie du marketing, Ed. Techniques.
(2) Ch. Michon, Le diagnostic commercial de l'entreprise, Editions Liaisons.
(3) A. et A. Zeyl, Plans marketing, Vuibert gestion.
(4) Alexander Hiam et Charles Schewe, MBA Marketing - Les concepts, éd. Maxima. Je souligne.
(5) B. Saporta, Marketing industriel, Ed. Eyrolles.
(6) Ch. Michon, op. cit.
(7) E. Colcombet, Les indicateurs de performance du marketing, Revue Française du Marketing, n° 155 - 1995/5.
(9) Cf. mon article Rester en phase avec le marché : http://bouhmouch.blogspot.com/2012/06/rester-en-phase-avec-le-marche.html
(12) R. Whiteley et D. Hessan, Les avantages compétitifs de l'entreprise orientée clients, éd. Maxima. Souligné par moi.
(13) John K. Galbraith, Tout savoir ou presque sur l'économie, éd. Seuil,


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