« Il est difficile
d'imaginer que le département marketing n'ait pas toujours existé » Philip
Kotler
L'adoption de l'approche moderne du
marketing introduit de nouveaux paradigmes, réoriente les modes de gestion, a
des répercussions sur la structure.
C'est ce qu'il convient d'examiner.
Management et marketing évoluent de
concert. Comme en témoigne Levitt, « le marketing est une conception majeure
du management qui influence la politique générale de l'entreprise ». (1)
Le marketing, dans sa position de
front et son envergure stratégique, promet un management ouvert aux exigences
du marché à travers toute l'entreprise. Il est d'une telle importance qu'il conditionne les principales
orientations de la politique de l'entreprise. Davantage qu'un ensemble de
techniques, il devient une philosophie managériale.
Le concept de marketing
management procède justement de cette influence fondamentale. Pour Michon,
c'est une « démarche par laquelle une organisation atteint ses objectifs au
moyen de la création et du développement permanent de produits et services qui
satisfont les besoins et attentes d'une population cible ». (2) Une
ligne stratégique établit
nécessairement les axes à suivre en
vue de satisfaire le client. Les clés du succès résident dans la volonté
des dirigeants de traduire leur projet en actes quotidiens au niveau de
l'ensemble de l'organisation. De l'appareil de production au service après-vente,
en passant par les achats, les employés parlent tous le même langage. Le
projet retenu devient l'épine dorsale de l'entreprise.
Dans la pratique de tous les jours,
il est vrai, un nombre très restreint de salariés communiquent avec les
clients. Mais tous les acteurs ont un rôle à jouer. « Cela force tout le monde
à avoir une vision intégrative globale : toute l'entreprise fait du marketing
et pas seulement le département qui en porte le nom ». (3) A cet
égard, l'approche qualité des techniciens ne peut-elle pas être interprétée
comme une récupération de l'impératif et de la logique du marketing ? Dans un
monde concurrentiel, chacun se sent pleinement impliqué, y compris au sommet de
la hiérarchie. Témoin l'ex-directeur de l'hôtel Sheraton à Casablanca,
qui ne déléguait pas entièrement la fonction commerciale. De temps à autre, il
se chargeait lui-même de vendre son hôtel, prenait contact avec les entreprises
et les tours opérateurs...
Le marketing, à la limite, pourrait
ne pas figurer dans l'organigramme. S'il est intégré en tant que philosophie
dans l'ensemble des tâches accomplies (développement du produit, évaluation de
la concurrence, gestion de la distribution...), s'il est plus proche de la
ligne de front, son impact n'en sera que plus fort. Peu importe qu'un service ad
hoc soit ou non instauré si la fonction est présente partout et assumée par
tous. Autant dire que les processus
l'emportent sur les structures.
Le marketing, en prenant de
l'ampleur, devient plus diffus dans l'entreprise. Il tend en quelque sorte à
être l'affaire de tous, comme en témoignent Hiam et Schewe : « Son actualité et sa pertinence se confirment
chaque jour, et pourtant les services marketing ne se sont pas développés en
conséquence. Et ce n'est peut-être pas plus mal, car on s'aperçoit d'une chose
: tous les managers, tous les employés se
mettent à se lancer dans le marketing sans le savoir. Que font-ils d'autre
en effet quand ils décident de se mettre à la place du client pour trouver la
meilleure solution à tous les niveaux... ». (4)
B. Saporta, qui rejette toute « correspondance
automatique entre structure marketing et pratique marketing », affirme que
celui-ci est « un engagement de tous au sein de l'entreprise et non
uniquement une question de structure ». (5) Michon abonde dans
ce sens : « On a longtemps considéré que c'était aux seuls experts de
marketing et aux vendeurs de se préoccuper du client. En réalité, chacun dans
l'entreprise doit comprendre comment fonctionne la relation avec les clients,
comment s'élabore et se met en œuvre un plan de marketing et comment il doit
personnellement y contribuer ». (6)
Ce qui fait dire à Colcombet que « les
concepts et les méthodes marketing [sont], au moins en partie,
appropriés par des fonctions de l'entreprise, jadis éloignées des
préoccupations et attentes des clients ». (7) Penser client est donc une obsession à
l'échelle de l'entreprise et non le propre du seul département marketing.
Le rôle à la fois subtil et hautement décisif du marketing est particulièrement
illustré dans cette boutade : « Quand le financier parle, tout le monde
l'écoute ; quand le technicien parle, tout le monde l'écoute ; quand l'homme de
marketing parle, tout le monde donne son avis... ». (8)
Reprenons
le cas-exemple de 3M. (9) En 1990, aux Etats-Unis, cette
entreprise a mis sur pied un programme d'introduction d'une partie de son
personnel de la branche santé dans l'environnement hospitalier des clients. Le
but était d'observer ceux-ci dans leur lieu de travail afin de mieux les
connaître et de comprendre scrupuleusement leurs besoins. De l'ouvrier
spécialisé au cadre dirigeant, tous les collaborateurs sont amenés à constater de
visu à quoi servent et comment sont utilisés les articles fabriqués.
La nécessaire atmosphère de concorde
La satisfaction réelle des clients
dépend donc de tous les acteurs de l'entreprise. Les décisions prises par les
uns et les autres ne sauraient diverger. La cohérence est d'autant plus
nécessaire que le monde des affaires est de plus en plus complexe. Parler le
même langage, travailler en osmose, c'est avant tout bien s'entendre et vivre
en bonne intelligence. Pour fonctionner, la structure nécessite donc une entente réelle entre la
direction marketing et les autres fonctions.
Dans la réalité observée, hélas, les
tensions et les conflits sont monnaie courante. Confucius, le philosophe
chinois, disait à peu près ceci : « N'oublie pas que quand tu veux faire
quelque chose, tu as contre toi : les gens qui voulaient faire la même chose,
les gens qui voulaient faire le contraire et la masse d'individus qui ne
voulaient rien faire ». (10) Au Maroc, le mode d'organisation de
l'entreprise se doit d'évoluer compte tenu des nouveaux paramètres du marché.
Mais la mise en place d'une direction marketing est un processus hautement
délicat et nécessairement progressif. L'emplacement du marketing à un échelon
élevé de l'organigramme ou seulement sa présence dans l'organisation suscitent
partout des réticences, voire de l'hostilité.
Souvent, on se heurte à une
incompréhension radicale entre les responsables marketing et les services de
production. Les premiers doivent constamment se vendre aux seconds. Il faut
sans relâche répéter que la
technologie est jugée à l'aune du client, que l'argent ne saurait être dépensé en dehors de toute
préoccupation marketing, qu'avant de réaliser un produit il faut s'assurer de
pouvoir le vendre... Des tensions altèrent aussi les relations avec la
direction des ressources humaines et surtout avec la direction financière. Le
financier est tourmenté par les bilans et les contraintes de budget ; il
perçoit l’investissement marketing en « comptable » ; les retombées à
terme des sondages et des campagnes de communication lui échappent.
Que dire des rapports entre le
directeur marketing et le personnel commercial ? Ils sont, dans de nombreux
cas, empreints de méfiance et de rivalités irraisonnées. Le premier, focalisé
sur l'innovation et l'image,
cherche à étendre son autorité sur toutes les activités ayant un impact sur le
client. Le second, obsédé par les ventes et les marges, n'accepte guère de voir son rôle et
son poids diminuer.
« Mes
trente commerciaux n'ont même pas été conviés au gala organisé par le marketing
en l'honneur de nos clients ! », grogne ce directeur commercial. (11) C'est ce genre d'atmosphère
conflictuelle qui règne un peu partout dans les entreprises marocaines. Les
commerciaux n'hésitent pas à afficher devant les clients leur antipathie à
l'égard de l'équipe marketing. Les antagonismes peuvent s’envenimer au point de
faire appel à l’arbitrage de la direction générale. La lutte
de pouvoir, la jalousie
larvée et les
divergences quotidiennes empêchent le partage d'informations et l'action en
synergie. Les
conséquences peuvent se révéler désastreuses : produit inadéquat ou
lancement retardé, clients perdus au profit de la concurrence…
Pourtant,
la montée des rivalités sur le marché et la versatilité des clients condamnent
les deux fonctions à travailler ensemble.
Les hommes de marketing ont besoin d'une relation forte, d'un
flux d'informations riches et fiables venant du commercial. S'agissant du client, ils ont pour rôle de
synchroniser la relation, de l'orchestrer – un rôle que
le commercial est appelé
normalement à reconnaitre. De
fait, le renforcement du département marketing ne doit nullement être perçu
comme une menace pour le statut, le pouvoir et la liberté d'action des uns et
des autres. La fonction marketing se déploie trop souvent – bien à tort – au
détriment de la fonction commerciale. Ce n'est pas rendre service aux
entreprises que de mettre en opposition les fonctions marketing, vente,
production, finances et ressources humaines.
Le marketing tend à transformer
l'organisation et s'améliore réciproquement au contact de tous les acteurs. « Dans
une entreprise où règne une vraie collaboration, le personnel adhère à une
vocation qui transcende les fonctions ou postes individuels. Pour la
réaliser, les individus sont disposés à renoncer à leurs intérêts égocentriques
au nom de l'intérêt général de l'entreprise ». (12)
C'est ici qu'intervient la notion de
technostructure proposée par Galbraith. Celui-ci a raison lorsqu'il note
: « Dans la grande entreprise, [...] nul n'a, à lui seul, tous les éléments nécessaires pour décider de
lancer un nouveau produit, d'ouvrir une usine supplémentaire ou de s'implanter
sur de nouveaux marchés. Il faut faire appel aux connaissances, à l'expérience
et au jugement des gestionnaires, des directeurs commerciaux, des ingénieurs,
des scientifiques, des avocats, des comptables, des chefs de personnel ou de
tous autres dépositaires d'un savoir spécialisé. Chacun contribue en apportant
la parcelle de son expérience de spécialiste ». (13)
Récapitulons.
Le marketing, appréhendé dans une approche systémique, donne lieu à une collaboration active et cohérente
avec les autres fonctions. Son introduction dans la structure implique une
coopération de tous les acteurs. Ceux-ci s'activent autour d'un projet
fédérateur, adhèrent à l’idée et œuvrent réellement pour cela.
Thami
BOUHMOUCH
Juillet 2012
__________________________________________
(1)
Th. Levitt, Marketing
à courte vue, Encyclopédie du marketing, Ed. Techniques.
(2)
Ch. Michon, Le
diagnostic commercial de l'entreprise, Editions Liaisons.
(3) A. et A. Zeyl, Plans marketing, Vuibert gestion.
(4)
Alexander
Hiam et Charles Schewe, MBA Marketing -
Les concepts, éd. Maxima. Je souligne.
(5) B. Saporta, Marketing industriel, Ed. Eyrolles.
(6)
Ch. Michon, op. cit.
(7)
E.
Colcombet, Les indicateurs de performance
du marketing,
Revue Française du Marketing, n° 155 - 1995/5.
(8) Adage mentionné in
: http://www.leconomiste.com/article/carrieres-les-reunions-mensuelles-du-club-de-leconomiste-au-casablanca-hyatt-regency-fonctio
(9) Cf. mon article Rester en phase avec le marché : http://bouhmouch.blogspot.com/2012/06/rester-en-phase-avec-le-marche.html
(12) R. Whiteley et D. Hessan, Les
avantages compétitifs de l'entreprise orientée clients, éd. Maxima. Souligné par moi.
(13) John K. Galbraith, Tout
savoir ou presque
sur l'économie, éd. Seuil,
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