« Ecouter
le client, produire ce dont il a besoin, c'est simple et cela fonctionne »
F. Michelin
L'entreprise
s'attache à satisfaire ses clients – réellement, efficacement et d'une manière
dynamique. Elle se doit alors d'agir avec méthode pour les écouter et comprendre
leurs attentes. Qu'en est-il ?
La
satisfaction des besoins requiert des activités de recherche pour bien les
identifier. Le vrai marketing est terriblement exigeant : il s'agit non pas de
passer son temps le regard tourné vers les bilans, mais d'être à l'écoute du
client et de se mettre à sa place. Avec une part de marché d'environ 28 %, Steelcase
Strafor (mobilier de bureau, Mohammedia)
compte aujourd'hui se positionner en tant que leader sur le marché
national. Ce succès, si l'on en croit ses dirigeants, est dû à une politique de
proximité vis-à-vis de la clientèle : optimisation du service, réduction des
délais de livraison et surtout écoute des desiderata...
La
clé du succès passe toujours par le culte du client. C'est lui qui détient la
vérité ; c'est lui qui fait vivre l'entreprise, lui confère assise, légitimité
et pérennité. La voix du client est, dans un sens, plus importante que la voix
hiérarchique ; elle contribue à développer la rationalité, à améliorer la
qualité et la réactivité de l'entreprise.
A
l’évidence, il ne suffit pas de dire « On vous écoute »
(slogan de Acer) ou « L'important c'est vous » (slogan
de Axa Assurance). Le manager doit avoir un tempérament marketing très affirmé,
être proche à la fois intellectuellement et physiquement de sa clientèle,
savoir se remettre en cause. Une telle attitude exige beaucoup de
détermination et une certaine humilité. Tel hôtel propose des menus diététiques
et des espaces non-fumeurs. D'où provient l'idée ? Tout simplement de l'écoute de
ce que l'on répète à la réception de l'établissement.
Depuis
bien longtemps, les dirigeants de la seconde chaîne de télévision marocaine ont
l'aplomb de snober les critiques formulées dans la presse. Ils se contentent de
parler de « programmes de proximité » ou d'« ancrage
dans le tissu social marocain ». Du temps du cryptage, le mensuel de
la chaîne faisait cas de lettres inodores et insignifiantes… Pourquoi, entre
autres, des documentaires appréciés par le public instruit sont-ils diffusés
aux alentours de 9 heures ou après 23 heures, c'est-à-dire à des moments où les
personnes concernées sont au travail ou au lit ?
A
l'opposé, Redal (distributeur d'eau et d'électricité, région de
Rabat-Salé) multiplie les services pour se rapprocher concrètement de ses
clients. Dès 2003, la société a mis sur pied des agences mobiles dans des
véhicules aménagés. Ces structures d'accueil, qui effectuent des tournées dans
les quartiers éloignés (par exemple Bouknadel), permettent aux clients d'obtenir
diverses prestations sans avoir à se déplacer loin de chez eux. Par cette
action de proximité (au sens spatial), les responsables de Redal – pourtant
en situation de monopole – comptent instaurer la confiance dans leurs relations
avec les habitants des zones périphériques.
Dans
un régime de concurrence, l'entreprise pilotée client est à l'affût du
changement pour rester en phase avec le marché. Les choix de consommation sont
des choix individuels ; ils varient selon les goûts, les aspirations et les
dispositions d'esprit. Les individus eux-mêmes changent avec le temps ;
leurs désirs évoluent. Comprendre le client n'est certainement pas une tâche
facile. Dans bien des cas observables, celui-ci est versatile et ambigu, n'est
pas toujours à même d'exprimer clairement ses besoins.
L'information,
outil de décision
La
complexité de l'environnement a progressivement conduit l'entreprise à créer et
renforcer la fonction marketing. Le marché devient l'objet privilégié de toutes
sortes d'études. Aujourd'hui, plus que jamais, il n'est question de créer des
produits et de s'efforcer ensuite de les écouler. On interroge les clients –
effectifs et potentiels – et surtout on écoute leurs réponses. Il s'agit de
comprendre le pourquoi et le comment d'un acte d'achat. Les besoins exprimés constituent
en quelque sorte une « prise de commande » à laquelle il est
impératif d'apporter une réponse adéquate. (1)
Face
aux risques qui s'accentuent, la fonction d'étude et de suivi du marché prend
de nos jours une importance croissante. L’entreprise
apparaît bel et bien comme un système ouvert, un système qui introduit des
informations pour les transformer en décisions et en actions. (2)
Elle est appelée à analyser, à mesurer et prévoir la demande ainsi que les
facteurs qui l'influencent. Elle est tenue de s'informer sur toutes les composantes
de l'environnement qui sont susceptibles de favoriser ou de perturber son
activité (position des principaux concurrents, rôle des intermédiaires,
technologie, etc.). Ses besoins en information sont donc immenses.
L'analyse
marketing aboutit à un constat lucide de la situation présente et donne lieu à
des décisions qui orientent le devenir de l'entreprise sur une période plus ou
moins longue (délimitation du domaine d'activité, choix du marché cible,
modification d'un emballage, etc.)… Encore faut-il que l'entreprise soit à même
de réagir, non seulement d'une manière efficace, mais également très vite. Le
marketing, outre la nécessaire interaction avec le client, c'est également une vitesse
d'exécution et beaucoup de vivacité. (3) A quoi serviraient
les données amassées (quel que soit le degré de fiabilité) si leur collecte
s'est prolongée pendant des mois et par suite n'est pas arrivée à temps ? La rapidité est décisive
; il faut impérativement être le premier.
Un
travail permanent de terrain
Il ne
faut pas se méprendre : l'écoute du marché ne fait pas nécessairement appel à
des procédés rigoureux de collecte d'informations. Les contacts informels
avec les clients finals et les distributeurs revêtent une importance
particulière. Ils permettent souvent de révéler des tendances et des
préoccupations que les études programmées ne parviennent pas à détecter.
L'écoute
du marché, c'est par-dessus tout un travail
de terrain constant, une
relation de proximité avec les consommateurs. Il n'est que de constater
le revirement de Coca-cola. La firme à Atlanta a abandonné la vision
antérieure reposant sur le « think global, act global » et l'a
remplacée par le concept « think local, act local ». Ce sont
en effet les besoins identifiés localement qui déterminent la ligne stratégique
adoptée par les filiales (validée par la compagnie).
Observer
de près le client, c'est se mettre dans sa peau, éprouver par expérience ses
besoins. En France, le CGI (Crédit
Général Industriel) assure le financement de diverses activités
professionnelles. Les cadres impliqués sont obligatoirement formés au produit
financé. Son PDG affirme : « Nous voulons être des spécialistes des
métiers que nous finançons. Nous formons nos vendeurs aux techniques de ces
marchés. Nous serons toujours compétitifs auprès des boulangers si nous savons
faire du pain. [...] A la création de C.G. Mer, tous les commerciaux ont
fait 8 jours de croisière ». (4)
La
relation de proximité c'est aussi tout faire pour détecter le mécontentement
après (ou pendant) l'achat. Aujourd'hui encore beaucoup trop de managers ne
comprennent pas que « le client est roi ». A titre d'exemple, les
responsables de l'hypermarché Marjane gagneraient indéniablement à faire
eux-mêmes la queue aux caisses, lors des heures de pointe, afin de ressentir
réellement les contrariétés et les tensions vécues par les clients.
« Retail is
detail » : c'est
ce que disent à juste titre les Anglo-saxons. En
d'autres mots, ce qui est perçu parfois comme une bagatelle peut se révéler
crucial. L'observation et l'investigation informelle
permettent de détecter les insatisfactions cachées, celles qui rebutent
le client, mais dont il ne se plaint pas expressément. Le client d'une
compagnie d'assurance ou d'un organisme de crédit est-il à même de lire les
imprimés qu'il est poussé à signer (clauses du contrat) ? Au téléphone, parvient-il
à joindre un responsable et combien de temps doit-il patienter ?
Aux
Etats-Unis, la société 3M a introduit dans le milieu hospitalier un
groupe d'employés de la branche du matériel médical. L'idée étant que, pour
connaître les utilisateurs (médecins, infirmières) et comprendre leurs
exigences, le meilleur moyen est de partager leur existence, de les observer
pendant le travail. Il s'agit de vérifier de visu le mode d'utilisation des
produits fabriqués. C'est ainsi que les initiatives d'amélioration se sont
multipliées au sein de l'entreprise. Un ingénieur de production a dit : « Nous
sentons littéralement le pouls de nos clients. Nous voyons de près leurs
problèmes et leurs insatisfactions ». (5)
Les clients réclament
Un
acheteur insatisfait qui décide de se plaindre doit être remercié (au
sens littéral). C'est une occasion à saisir pour se rattraper, apporter les
corrections appropriées. Prendre la peine de faire une réclamation (de vive
voix, par téléphone ou par écrit), c'est déjà montrer qu'on a une relation
forte avec la marque. C'est mieux que de ne pas se plaindre et de s'adresser
ailleurs. Les insatisfactions constituent donc une source d'information
précieuse. Il est impératif de reconnaître le bien-fondé de la plainte,
de s'excuser et remédier au problème (réparer, remplacer ou
dédommager).
Tendanciellement,
l'insatisfaction des clients sanctionne la firme en menaçant sa
croissance et sa survie. L'enjeu est capital : il s'agit à tout prix d'éviter
qu'une attente considérée comme certaine soit déçue, que l'acheteur soit saisi
par la crainte d'avoir fait un mauvais choix. Le sentiment de doute intellectuel,
la désillusion et le malaise qui surviennent après l'achat – appelés en psychologie dissonance cognitive –
peuvent discréditer une entreprise, au moins pour une longue période. La
réaction de l'acheteur déçu et frustré peut revêtir diverses formes :
réclamation tapageuse, abandon du produit, rejet définitif de la marque, bouche-à-oreille
défavorable…
Manifestement,
les patrons marocains ne perçoivent pas bien l'impact considérable du
bouche-à-oreille sur le cours des affaires. « Pour chaque plainte d'un
client qui arrive jusqu'à vos oreilles, il y en a 26 dont vous n'entendez
jamais parler. Ces 26 clients mécontents
le feront savoir à 22 autres personnes en moyenne dont 13 %, à leur tour, en
parlent à plus de 20 personnes ». (6) A cet égard, le rôle du service après-vente devient crucial.
C'est une composante marketing très sensible dans le processus de fidélisation
du client. Ce n'est pas un « mal nécessaire ». Au Maroc, les professionnels
du secteur électroménager semblent l'avoir bien compris, eux qui s'efforcent de résoudre les problèmes du client dans
les meilleurs délais (Electrolux et Whirlpool notamment).
La
ligne stratégique adoptée par Sopriam porte en particulier sur
l'exécution rapide des travaux dans les ateliers. Il faut dire que la plupart
des interventions n'exigent pas plus d'une heure de travail. Des sommes
importantes sont allouées au service après-vente et l'atelier « travaux
rapides » est doté des équipements nécessaires. Le concessionnaire
dispose d'un service carrosserie très performant : sur 3.000 mètres carrés,
trois cabines de peinture sont à l'œuvre…
Tant
d'efforts sont fournis, tant de soins sont apportés pour que le produit offert
mérite l'honneur d'achats ultérieurs.
Thami
BOUHMOUCH
Juin
2012
____________________________________________
(1) Nota bene
: l'information, regardée comme la « matière première principale »,
n'est pas un remède miracle. Elle permet seulement de réduire l'incertitude, de
limiter le risque.
(2) Déjà dit dans
l'article S'informer pour prendre des risques calculés, in http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/sinformer-pour-prendre-des-risques.html
(3) Au Maroc,
notons-le au passage, le manager n'est pas pleinement maître de son temps. Il
se heurte à différents blocages exogènes (administratifs, logistiques...). Il
évolue dans un environnement où la notion de temps n'est pas strictement intégrée
dans les mentalités.
(4) B. Libert,
cité par Bernard Prouvost, Innover dans l'entreprise, les clés pour agir,
Dunod. Il est l'un des 43 dirigeants
d'entreprise ayant participé à une enquête réalisée par l'auteur.
(5) Cité par R. Whiteley et D. Hessan, Les
avantages compétitifs de l'entreprise orientée clients, éd. Maxima.
(6) Jay Conrad Levinson, Guérilla marketing, éd. Businessman
First.
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