« Un client
Sony qui n’obtiendrait pas une tranquillité grâce à un produit qui fonctionne […], ne serait pas seulement insatisfait. D’une certaine façon,
il se sentirait trahi. » Michel
Pierret
La satisfaction du
client – le but ultime – se prête-t-elle aisément à la mesure ? Il faut en
convenir : s'il existe des méthodes ou même des normes pour chiffrer la
production, les stocks et les créances, l'évaluation de la satisfaction n'est soumise
à aucune méthodologie systématique et rigoureuse… Ce n'est pas à dire pour cela
qu'il faille méconnaître les exigences des consommateurs. Au Maroc, satisfaire
le client est un concept plus qu'une réalité. Ils sont légion les vendeurs qui
se focalisent sur la conclusion de la vente sans aucun égard pour l'acheteur.
La transaction est conçue comme une
opération sans lendemain. Lorsqu'un client achète un produit, il espère forcément être satisfait.
Sera-t-il pour autant fidèle ?
L'impératif de
fidélisation
Vendre un produit
est une chose, satisfaire et fidéliser l'acheteur en est une autre. « L'entreprise,
disait T. Levitt, doit apprendre à penser qu'elle ne produit pas des
biens et des services, mais qu'elle achète des clients et qu'elle fait ce qui est
nécessaire pour que les gens aient envie de devenir ses clients ». (1)
Gardons à l'esprit que le
marketing commence avec la détermination des besoins et se poursuit avec la satisfaction répétée de ces besoins.
La réussite commerciale ne se mesure pas au nombre de clients
acquis, mais à leur taux de fidélité.
La gageure est
d'attirer toujours plus de clients et de retenir en même temps les
anciens. Considérons le produit Hifad
Express de RMA Watanya : le
client sinistré est remboursé sans tarder. Comptant sur le bouche-à-oreille, la
compagnie vise à gagner de nouveaux clients, tout en gardant les clients
acquis. On peut dire autant de Royal Air
Maroc : le produit Safar flyer permet
à l’adhérent de cumuler les miles et bénéficier de billets gratuits. Au Centre Relation Clients de Hyundai à Casablanca, un panneau s'adresse aux visiteurs : « Satisfaits, dites-le aux autres ! Sinon, revenez vers nous ! ».
La rétention des
clients constitue la préoccupation majeure. Un client fidèle est un client qui
manifeste un attachement certain à une marque. D'aucuns diront qu'il devient la
« propriété » de la marque. Si vous êtes noté 4 sur 5, cela signifie que
vous êtes bon, mais cela ne vous mettra pas à l'abri de l'offensive d'un rival
plus habile. C'est dire qu'un consommateur « simplement satisfait » n'est pas forcément fidèle. On sait que, même si un automobiliste se
montre satisfait de sa voiture actuelle, rien ne l'empêchera d'opter pour une
autre marque lors de l'achat de la prochaine.
On
notera au passage qu'il ne s'agit pas de surévaluer les attentes du client, de répondre
outre mesure aux desiderata… L'état de satisfaction est proportionné à l'état
souhaité ; c'est un sentiment relatif. « Un
consommateur n’attend pas que vous fassiez
tout, il n’attend pas que vous soyez parfait, il attend que vous respectiez la
promesse que vous lui avez faite.
Quand vous allez chez un hard discounter, vous acceptez de faire la
queue aux caisses, vous venez chercher un prix et acceptez l’attente. Si vous
allez chez un distributeur haut de gamme, vous estimez que vous ne devez pas
attendre parce que vous payez un produit
cher et que le service est induit ». (2)
Cela étant, la perte de
clients a des effets néfastes sur le résultat d’exploitation. On connait la
règle : il est beaucoup plus coûteux d'attirer un nouveau client que de garder
un ancien. La fidélité des clients génère à terme plus de profits, devient un
facteur de rentabilité très puissant. Les moyens mis en œuvre permettent d'ailleurs
une meilleure visibilité des dépenses de marketing.
L'écoute du client étant
devenue incontournable, l'information apparaît comme un capital inestimable. Une
telle préoccupation tend dès lors à se cristalliser autour du fameux Customer
Relationship Management (CRM) ou Gestion de la Relation Client (GRC). (3)
Il s'agit bel et bien d'un outil stratégique. Quelle est sa portée ?
Le CRM est une
démarche permettant d'identifier, d'attirer, de choyer et de fidéliser le
public cible – tout en assurant la rentabilité de l'entreprise. On s'efforce de
connaître les habitudes du client, de savoir ce qu'il pense et ce qu'il dit,
d'anticiper ses désirs, de trouver de nouvelles opportunités. En cas de
défection, il importe de déceler et de comprendre les causes réelles. Le
consommateur est regardé un peu comme un alter ego ; il devient le cœur
d'un processus interactif qui
couvre les principales dimensions de l'activité : marketing, production,
distribution, service après-vente... En pratique, la GRC permet de se démarquer
de la concurrence ; si elle est performante, elle procure à coup sûr un avantage concurrentiel appréciable. (4)
Des outils de
communication sont destinés à établir une relation interactive et durable avec le client. L'objectif est
de passer d'un marketing destiné à la « masse » à un marketing capable de
traiter chaque client d'une manière individuelle. La relation est établie
désormais à une échelle industrielle. Le
pôle « Service » de l'entreprise Ventec (climatisation, réfrigération) assure le bon fonctionnement du matériel installé, la maintenance et les dépannages. Des
visites préventives sont prévues dans le contrat.
Le marketing relationnel n'a pas un
objectif de prospection mais de fidélisation. On ne saurait donc le confondre
avec une notion proche : le Marketing
one to one. Celui-ci permet une
relation individualisée avec le client, mais le but est de prospecter et vendre.
C'est ainsi que lorsque l'acheteur potentiel d'un ordinateur choisit un modèle
doté d'une configuration personnalisée, le PC est conçu (assemblé) suivant la
commande.
Attention : si l'entreprise
s'emploie à créer une relation de proximité, organisée et inscrite dans la
durée, elle ne tourne pas le dos pour cela aux exigences commerciales
immédiates. « Si on n'arrive pas à prouver que le CRM est un outil marketing qui sert concrètement
à vendre des voitures et pas seulement à augmenter la fidélité, qui ne sera
mesurable que dans quatre ou cinq ans, on court à l’échec ». (5)
Information et
technologies
L'information est le préalable méthodologique nécessaire à la mise en œuvre du marketing. Les données recueillies dans le cadre de
la relation client sont au cœur des stratégies de fidélisation. C'est le
facteur clé ; elles valent largement l'argent et l'énergie dépensés pour les acquérir.
DIGRESSION
La boîte secrète
Vous contactez n'importe quel concessionnaire automobile chevronné et
vous lui demandez de vous révéler le secret de sa réussite. Ne soyez pas
surpris s'il sort une boîte de son tiroir et vous assure qu'elle est son outil
le plus précieux. Vous l'ouvrez avec impatience et vous vous apercevez qu'elle
contient des fiches classées par ordre alphabétique avec des informations sur
chaque client ou prospect contacté durant sa carrière.
Les informations inscrites sur les fiches sont banales : nom et adresse
du client, date de transaction, modèle acheté, prix de vente, dernière date de
réparation de la voiture... Vous remarquerez également des dates en bas de page
: l'une correspond à l'anniversaire du client et l'autre indique l'expiration
de son contrat de leasing.
Le concessionnaire vous explique : “Je ne vends pas des voitures, je
construis des relations durables”. Son plus grand atout est cette fiche que
vous avez entre les mains.
David Schmittlein, Une base de données pour fidéliser vos clients,
L'Economiste du 13/06/2000.
La volonté de bâtir
une relation avec le client n'est pas un fait nouveau. Le changement actuel
réside, non pas dans l'idée ou la disposition d'esprit, mais dans le recours méthodique
et organisé à l'information. « La nouveauté ne vient pas du fait que
les gens se lèvent tout à coup le matin
en pensant "client, client, client" ; c’est que les gens vivent
concrètement l’orientation client. Ils ressentent naturellement aujourd’hui
qu’ils ont besoin de l’information
client pour progresser. Désormais, les entreprises voient les données
clients comme quelque chose d’essentiel à leur activité, qu’il
s’agisse des ventes, de la production, de la finance... Ça s’est
fait naturellement ». (6)
La démarche
aujourd'hui permet de pratiquer un marketing relationnel à partir d'une base de données spécifique. La base de
données (BdD) rassemble les éléments les plus significatifs de la relation avec
le client (montant des achats, habitudes de consommation, réclamations, centres d’intérêts…).
Elle permet de dresser un profil précis de chaque client, d'identifier les plus
rentables, d'adapter l'offre à leur personnalité, d'anticiper leurs réactions. Une
donnée n'est retenue que si elle a une probabilité suffisante de servir dans l'action
commerciale. La tâche n'est pas facile : toutes les données n'étant pas
pertinentes pour la prise de décision, il est nécessaire de les sélectionner
avant de les saisir. (7)
Les
ambitions de la GRC sont devenues réalisables grâce aux technologies de
l’informatique et des systèmes d'information. De nouveaux outils
permettent d'aller au delà d'une vision fondée sur les relations passées, pour
une gestion prévisionnelle du client, de son potentiel et de ses
besoins. L’écoute des clients, la réactivité de l'entreprise se font en temps réel. La technologie accroit
la puissance de l'équipe marketing. « Elle
permet aujourd'hui d'examiner la valeur de chaque client au cas par cas, afin
de permettre une optimisation maximale de la valeur du portefeuille ». (8)
La solution CRM s'appuie
sur des outils (matériel, applications) pour travailler l'information – très
exactement pour transformer les données en informations. (9) A
chaque fois qu'une transaction est effectuée, l'entreprise a l'occasion de
capter l'information susceptible d'enrichir et de renforcer ses rapports futurs
avec ses clients. Au surplus, quantité de données sont fournies par le service
après-vente et les call centers. (10)
« Le point de
départ est de savoir utiliser et mettre en musique la connaissance du
client ». (11) L'essentiel, en effet, n'est pas de recueillir
l'information mais de pouvoir y accéder facilement, de savoir l'organiser et s'en servir d'une manière pertinente. Il faut être en mesure de s'y
retrouver, d'exploiter des données multiples, redondantes, incomplètes, parfois
contradictoires. C'est là que réside toute la difficulté.
En fait, le CRM se
fonde moins sur des bases de données sophistiquées que sur le rapport intime
avec la clientèle. Il n'est pas question de se renseigner tous azimuts sur des
individus, d'emmagasiner l'information dans des fichiers disproportionnés, mais
de bâtir des relations tangibles et convaincantes. « Le discours des fournisseurs de technologie est
très (trop) marqué par la dimension technologique. La valeur d'une solution de
GRC n'est pas dans la débauche technologique, mais bien dans la valeur que l'on crée grâce au traitement de
l'information client ». (12)
Le système GRC n'est pas nécessairement
complexe. Les solutions techniques proposées sont désormais accessibles même pour
les petites structures, à des coûts peu élevés. Des applications web en ligne peuvent
être utilisées sans qu'il soit nécessaire d'acheter ou d'installer des logiciels
(hormis les frais d'abonnement). Ces solutions toutefois s'appuient sur un
processus interfonctionnel, exigent un engagement
total à l'échelle de l'entreprise. (13)
Dialogue et communication
La solution CRM marque
le passage du monologue au dialogue
avec les clients. L'entreprise ne considère plus les consommateurs comme des
éléments passifs. Le marketing relationnel est par essence un marketing de communication. Une communication en direction des clients (mailing,
sites web, e-mail, SMS…) mais aussi en
provenance des clients (centres d'appel, numéros verts, e-mail, enquêtes).
Le call
center est une organisation
constituée de moyens humains et techniques (téléphonie, informatique,
Internet), ayant pour mission de suivre les relations avec les clients et les
prospects. Des bases de données sont donc établies et actualisées
régulièrement. L'idée pour l'essentiel (outre éventuellement les consignes de
vente) est d'informer les clients, de leur apporter des solutions personnalisées,
de consolider la relation que l'entreprise entretient avec eux.
Au Maroc, cette
activité connaît un engouement remarquable. Axée sur des opérations de relation
clients au nom d'entreprises locales et multinationales, elle compte des dizaines
de centres et emploie des milliers de téléopérateurs. Depuis l'avènement du
couplage téléphonie/informatique, le centre d'appels devient un outil
incontournable ; il est perçu comme un canal privilégié d'interaction avec le
client. C'est un poste stratégique que l'entreprise, il y a peu, acceptait
difficilement de sous-traiter. Mais, vu le coût élevé et le niveau de
compétences exigé, la tendance aujourd'hui semble plus à l'externalisation.
Tel n'est pas le
cas de Royal Air Maroc, dont le call center est une structure interne
(les téléopérateurs sont des employés de la compagnie). Le service, en mesure
de traiter jusqu'à 4000 appels quotidiens (24h/24), répond aux questions
concernant les tarifs, les vols, les horaires, les correspondances, les
réservations, etc. Pour les dirigeants, gérer en interne la relation clients,
c'est garantir une maîtrise de toute l'activité et en être l'acteur. La
solution d'externalisation a été ainsi écartée (il y a plus de dix ans) : « Quand
on externalise, on ne voit que les chiffres et non plus la qualité des services
rendus, or nous nous devons de connaître nos clients, les fidéliser et
anticiper sur leurs besoins ».
(14)
Quant au numéro vert, il permet à un abonné
professionnel de prendre à sa charge toute communication téléphonique provenant
de zones géographiques préalablement sélectionnées. Outil efficace dans le
cadre d'actions commerciales et marketing, le numéro vert permet un contact
direct avec les clients et prospects. Au Maroc, de nombreux concessionnaires
d'automobiles misent sur les numéros verts pour développer leurs relations avec
les clients. C'est le cas d'Auto-Hall (Ford, Mitsubishi),
de CAF (Volkswagen), de Japan Motors (Toyota), de Fiat
Auto, de SMEIA et d'Univers Motors. Les numéros
affichés dans les annonces publicitaires permettent de maintenir le contact
avec le public, de le renseigner sur la voiture désirée. De plus, les appels
sont censés évaluer l'intérêt des prospects et être intégrés dans les bases de
données.
Le fait demeure que
la réalité observée n'est pas à la hauteur de la volonté affichée, car rares sont les structures qui adoptent une démarche
marketing opérante et font l'effort de capitaliser les données recueillies.
Au téléphone, il arrive que l'unique interlocuteur ne soit pas disponible.
L'appelant doit donc attendre, renouveler son appel plusieurs fois. Les
réponses sont parfois hésitantes ou inachevées. D'aucuns, en fin de compte,
perçoivent le numéro vert comme un effet de mode peu efficace, une expérience
mitigée...
Thami
BOUHMOUCH
Juin 2012
_____________________________________________
(1) Théodore
Levitt, Le marketing à courte vue, Encyclopédie du marketing,
Editions Techniques 1975.
(2) Stéphane Marchet, Livre blanc sur la Gestion de la Relation
Client, in http://www.scribd.com/doc/3620950/livre-blanc-relation-client Voir aussi : http://issuu.com/jfdi/docs/ebg-livre-blanc-relation-client_-_jer_me_delacroix
(3) Au Maroc, le
concept se développe rapidement. Des sociétés spécialisées en solutions CRM
voient le jour, comme V-LooKup (créée en 2002) ou Integrytis (en 2006). D'aucuns préfèrent parler de CVM (Customer
Value Management)…
(4) Cf. « S'armer d'un avantage
concurrentiel », in http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/sarmer-dun-avantage-concurrentiel.html
(5) Bertrand de la Selle , http://www.scribd.com/doc/3620950/livre-blanc-relation-client
(6) B. de
la Selle, ibid. Je souligne.
(7) Cf. « L’information, outil de décision et de gestion » http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/reduire-le-risque-par-linformation.html
(8) Lionel Miraton, Introduction à la GRC, http://www.netalys.com
(9) Wal-Mart, une grande entreprise
américaine de distribution, possède
un entrepôt de données capable de stocker 1,2 million de milliards de
caractères. Cf. Claude Demeure, Marketing, éd. Dalloz.
(10) Pour plus de
détails, voir : « Fichez vos clients pour mieux les séduire », in
L'Essentiel du Management, juillet 1997.
(11) Jean-Paul
Baradel, La banque de nouvelles proximités, Banque Stratégie, mars 2002.
(12) Lionel
Miraton, op.cit.
(14) Propos tenus
par le manager du call center de la RAM , rapportés par la revue Economie
& Entreprises, février 2001.
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