Série : L’acte d’achat
Au stade où l’achat est effectué, on pourrait penser que le processus de décision s’est finalement achevé. Or, les faits qui vont avoir lieu par la suite sont aussi importants que les précédents. A présent – surtout lorsque l’achat est impliquant – le consommateur se demande intérieurement : « ai-je réellement fait le bon choix… m’a-t-on bien renseigné ? »… Il est envahi par un sentiment plus
ou moins aigu de doute et d’inquiétude.
L’inconfort
psychologique après l’achat
Le sujet peut se
trouver dans l’une de ces situations typiques :
- Chez un
concessionnaire automobile, il a signé un bon de commande et versé un acompte pour
le modèle de son choix. Plus tard, il lit les conditions générales de vente et apprend
que « les prix ne sont donnés qu'à titre indicatif, le seul valable
étant celui du tarif en vigueur au jour de la livraison ». Le doute et
l'inquiétude s'installent avant même l'achat définitif…
- Dans une grande
surface, après acquisition d’un lave-linge, il a le pressentiment d’avoir choisi
une marque peu fiable. Le lendemain, il veut se rassurer par téléphone auprès
du technicien-vendeur. Celui-ci fournit des réponses incohérentes et lui dit négligemment
de s’adresser au service après-vente. Il est alors saisi par la crainte d'avoir
fait un mauvais choix.
- Il souscrit à des
actions en bourse par l'intermédiaire de sa banque. La brochure qu’on lui a remise
indique qu'à chaque opération d'achat, une commission est prélevée sur son
compte. Moins d’un an après et contre toute attente, la banque impose un
prélèvement supplémentaire qu'elle appelle « droit de garde du
portefeuille ». Il écrit à ce sujet à la direction ; laquelle ne
répond pas. Il commence à regretter sa décision…
Ainsi, l’acheteur assume
les conséquences de son choix. Auparavant, à l’étape d’évaluation du produit, il
a exprimé des croyances à l'égard de la marque et des attributs retenus ;
il a dit par exemple : « ce produit est fiable car il est fabriqué au
Japon » ou « la garantie de 3 ans est bien la preuve que le
produit est excellent »... Désormais, il est en mesure de vérifier si
ses attentes initiales sont satisfaites. Il se dit satisfait si celles-ci sont
comblées ou même dépassées ; il éprouve une certaine désillusion si le
produit est en deçà de ce qu’il imaginait.
La comparaison entre la performance
escomptée et la performance réelle de l’article acheté fait apparaître (ou non)
un écart. Elle révèle une contradiction entre la satisfaction
anticipée et la satisfaction à l'usage. Ce décalage douloureux est appelé dissonance cognitive. C’est un
état psychologique qui envahit l'individu après l'achat ; c'est le sentiment de doute, d'inquiétude ou de
regret qui survient lorsque l'individu est confronté à des informations en
contradiction avec son attitude préalable, lorsqu'une attente considérée comme
certaine est déçue. La dissonance est grande lorsque l'achat est impliquant, la
dépense importante, le choix difficile à opérer et la décision irrévocable (ou
difficilement révocable).
Considérons le cas
du secteur immobilier au Maroc : on sait que l'image de marque du
promoteur entre peu en ligne de compte. La relation s'arrête à la cession de
l'habitation. L’absence notoire de normes strictes, de suivi technique, de
garantie, de SAV mettent l’acquéreur dans une situation très difficile.
Celui-ci est quasiment sans défense. Après l'acquisition, sa déception est le
plus souvent immense… Comme le marché de l’immobilier leur est largement
favorable, les opérateurs ne voient aucune raison de traiter le client avec
égard.
Par suite, quel est
donc le comportement de l’acheteur déçu ? En vertu du principe
général de refus de la discordance, il tente de minimiser le malaise ressenti,
de renforcer ses croyances initiales. « Cet
état de tension ne pouvant se prolonger indéfiniment, l’acheteur tentera de
recouvrer un état interne consonant, c’est-à-dire une perception ou une
représentation de la situation conforme à la décision qu’il a prise ».
(1) Il
considère de nouveau l’information reçue ou/et recherche l'information
susceptible de le rassurer, de confirmer le bien-fondé de son choix. Il est
amené ainsi à modifier l’acquis cognitif jusqu’à disparition de la
contradiction. Il peut également chercher à éliminer ou au moins atténuer
l’information qui contredit ses croyances.
Le comportement ultérieur
S’intéresser à
l’état psychologique du consommateur immédiatement après l’achat n’est pas
suffisant. Il importe de s’interroger sur ses intentions et son comportement
ultérieurs. En cas de satisfaction, le sujet éprouve de l'enthousiasme et un
nouvel attrait pour le produit. Les croyances favorables se renforcent et développent
une certaine loyauté à la marque. D'où la création d'une habitude d'achat.
Dans le cas d'une évaluation négative, c'est l'inverse : un facteur de
répulsion apparaît, conduisant à un retour contre remboursement, à l’abandon du
produit, au rejet définitif de la marque.
De là, il apparaît
que le processus décisionnel inclut et se complète par une boucle de
rétroaction reliant la phase post-achat à l’un ou l’autre des stades
antérieurs (recherche d’informations ou achat). (2) Ce mécanisme
joue un rôle essentiel. L'insatisfaction implique que la tension n'a pas
diminué ; ce qui peut déclencher un nouveau processus visant à éliminer
cette tension. Le sentiment de satisfaction ou d'insatisfaction a donc nécessairement
des effets sur le comportement ultérieur
de l'acheteur. Ce dernier modifie ses croyances initiales, enregistre
son expérience dans sa mémoire. Il utilisera une telle expérience dans le
processus d'achat futur (pour un produit identique ou des produits semblables).
L'entreprise tient compte
de la satisfaction exprimée mais aussi, à n’en pas douter, de l’intention de
réachat : le client peut être satisfait de son choix sans pour cela
vouloir réitérer l’achat. « L’expérience personnelle est ce qui
influence le plus le jugement d’un individu sur un produit ou une marque. Une
expérience positive renforce les croyances, améliore les attitudes et multiplie donc les chances d’achats répétés ».
(3)
Cela dit, dans la
phase post-achat, le plus important finalement est la capacité de l’acheteur à parler
autour de lui de son expérience. S’il est enchanté, il contribue
activement à un bouche-à-oreille favorable. S’il est déçu, il enclenche
ouvertement un bouche-à-oreille défavorable… Que ressent le client de Kitéa
après acquisition d’un meuble à chaussures, dont la structure se déboîte et
s'effondre sous le poids au bout de quelques mois ? Il se sent floué et ne veut
plus entendre parler de cette marque. Il ne se prive pas d’en parler à ses
proches… « Pour chaque plainte d'un client qui arrive jusqu'à vos
oreilles, il y en a 26 dont vous n'entendez jamais parler. Ces 26 clients mécontents le feront savoir à 22 autres
personnes en moyenne, dont 13 % à leur tour en parlent à plus de 20 personnes.
Un bouche à oreille négatif se répand plus vite que vous ne l'imaginez ».
(4)
L’exemple de
l’activité touristique au Maroc est significatif à cet égard. Le vacancier
désenchanté s’aperçoit que les services et les équipements pour lesquels il a
payé ne sont pas ce qui lui a été promis. A la fin de son
séjour, il quitte le pays avec l'idée qu'il n’y reviendra pas. Il tendra
opiniâtrement à propager sa déception dans son entourage. En matière
commerciale, rien n’est pire que la capacité de l’acheteur à influer
négativement sur la décision de ses proches. (5)
Quelles
sont alors les implications en marketing ? C’est l’objet du prochain article.
Thami BOUHMOUCH
Avril 2015
___________________________________________
(1) R. Ladwein, Le comportement du
consommateur et de l’acheteur, éd. Economica, p. 338.
(2) Cf. article et schéma
in : Le modèle EKB
du comportement d’achat et ses limites. http://bouhmouch.blogspot.com/2015/01/le-modele-ekb-du-comportement-dachat-et.html
(3) A. Hiam et Ch. Schewe, MBA
Marketing - Les concepts, éd. Maxima, p. 286.
(4) J. Conrad Levinson, Guerilla
marketing, Businessman First. NB : ce calcul découle de constats
et d'études statistiques.
(5) Cf. article : La
destination Maroc : où se niche le malentendu. http://bouhmouch.blogspot.com/2012/02/la-destination-maroc-ou-se-niche-le.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire