«Le seul objectif d'une entreprise est d'augmenter ses bénéfices. En
d'autres termes, toute décision favorable à l'environnement, mais préjudiciable
aux résultats financiers est à éviter» Milton Friedman (en 1970)
La pollution de l'air, des eaux, du
milieu urbain, des océans et même de l'ionosphère, la déforestation et la
désertification... sont toutes liées directement ou indirectement à la
consommation. Les petits sacs en plastique qui pullulent au Maroc sont certes
pratiques et répondent aux besoins immédiats des consommateurs ; ils posent
cependant un problème écologique sérieux : ils ne sont pas recyclables et leur biodégradation
nécessite près de 400 ans. «Nous
ne pouvons pas, dit un haut fonctionnaire, nous attaquer aux entreprises
qui produisent ces sachets puisqu’elles travaillent majoritairement dans
l’informel». (1) De même le conditionnement des boissons gazeuses dans des bouteilles
en plastique non consignées et non destructibles aboutit à un gaspillage (sauf
si la matière est recyclée), comme à l'amplification malavisée du volume des
détritus impérissables.
Concevoir des voitures très puissantes, pour
satisfaire les tendances du marché, se traduit par une surconsommation de
carburant, une pollution plus accentuée et des accidents plus meurtriers. A
Casablanca, circulent chaque jour quelque 596.000 véhicules (non compris les
149.000 motocyclettes non immatriculées). Tous ces engins consomment une
moyenne de 766.960 m3 de produits pétroliers, essentiellement du
diesel. (2) Le gaz
rejeté par les échappements est le responsable principal de la pollution. Le
carburant commercialisé au Maroc (mis à part le gazole 350) contient une dose
excessive de plomb et d'oxyde de souffre. A eux seuls, les véhicules consommant
du diesel rejettent annuellement des centaines de tonnes de poussières de
particules de plomb dans l'air de la ville.
En juin 2012, le Centre International de Recherche contre le Cancer
(CIRC) a fini par classer les gaz d'échappement diesel parmi les
substances cancérigènes.
L'enjeu
environnemental
Au
Maroc, la dégradation écologique et l’épuisement des ressources naturelles ne
font que croître au fil du temps. «Le constat est alarmant : seulement 100 entreprises
ont la certification ISO 14.001 relative au système management de
l’environnement». (3) Un rapport du Conseil National de
l'Environnement (CNE), daté de mai 2009, estime le coût annuel de
dégradation de l’environnement à 3,7% du PIB (8 % en 2000), soit 13 milliards
de dh (20 milliards en 2000) et le coût de remédiation à 1,8% du PIB, alors que
la dépense publique effective en faveur de l’environnement ne dépasse guère
0,7% du PIB par an. (4) «L’analyse de la fiscalité marocaine
montre que le système actuel a une finalité budgétaire prépondérante et peu de
taxes et de redevances ont un objectif d’orientation de comportement visant à
préserver l’environnement». (5)
L'Office Chérifien des Phosphates
(OCP) et les industries pétrochimiques sont parmi les principaux
pollueurs. Le grand public devient un peu plus sensible au problème et une
conscience collective des enjeux de la préservation de la nature se développe. (6)
Les signes de cette sensibilisation ont été perçus déjà en 1998, lorsque le Projet
de Gestion de l'Environnement (PGE) a été mis en œuvre.
Un mouvement de prise de conscience finit normalement par susciter une
action rectificatrice. Un marketing éthique, responsable et sensible aux
préoccupations humaines ne saurait faire abstraction de la détérioration de
l'environnement. Déverser des
produits polluants dans l'océan ou les rivières s'accorde certes avec l'exigence
de rentabilité, mais le milieu naturel en subit lourdement les conséquences. Le
«coût environnemental», qui n'est pas inscrit dans les registres
comptables, se répercute sur la communauté entière.
L'écomarketing, comme le préfixe l'indique, tient
compte spécifiquement du problème écologique. Qu'en est-il ?
De nouvelles contraintes, en
l'espèce, viennent se greffer à l'activité des entreprises : pression des ONG
et des médias, contrôle des pouvoirs publics, barrières non tarifaires
dissuasives (les normes écologiques imposées à l'exportation)... Il y a vingt
ans, les écologistes en Europe avaient propagé l'image d'immenses décharges
débordantes de couches jetables nauséabondes. La multinationale Procter
& Gamble (marque Pampers) était obligée de répliquer.
La gestion rationnelle des
ressources naturelles, à n'en pas douter, sera l'un des enjeux du développement
dans les années à venir. Il y a longtemps que la marque de voiture japonaise Toyota
a lancé son modèle Prius, doté de deux moteurs, thermique (essence) et
électrique. (7) Ici ou là, des fabricants s'efforcent de tenir
compte des nuisances occasionnées par l'acte de production. Ils sont incités à
utiliser des substances non toxiques, à adopter des technologies non
polluantes, à réparer tant bien que mal les dommages causés à l'environnement.
L'achat vert est
devenu une tendance lourde, un signal pour les décideurs. Nombre de
produits nouveaux nous sont désormais familiers : les aérosols et les
réfrigérateurs sans CFC, les détergents sans phosphates, les piles sans
mercure, le carburant «propre», les pots catalytiques, le papier 100 %
fibres recyclées, etc.
Progressivement, une culture
managériale de l'environnement prend forme. L'écoproduit se doit de respecter
le milieu naturel à tous les stades : extraction de la matière première,
processus de production (traitement de l'eau), consommation, élimination après
usage (incinération, neutralisation, thermolyse). La conception d'une voiture,
par exemple, doit tenir compte non seulement de son usage, mais aussi de sa
destinée en fin de parcours (état de carcasse). Il faut déterminer ce qui va
être recyclé, réutilisé, composté... Le problème est considéré à la base.
Des préoccupations sociétales
Au Maroc, de telles préoccupations
ne sont pas absentes. Ainsi, BMCEbank, qui se veut citoyenne, associe
son image aux enjeux écologiques, en collaborant avec le Groupe pour la
Défense Stratégique de l'Environnement (GREN). On se rappelle qu'en
1999, la banque avait lancé et financé un programme de plantation de 20.000
arbres en milieu urbain, essentiellement dans les établissements scolaires et
publics (hôpitaux, orphelinats). (8) Elle a par la suite
participé à la restauration des Jardins Exotiques de Bouknadel, aux campagnes
de propreté et d’animation des plages, à la campagne de sensibilisation à la
dépollution de l’air. Elle est en
outre engagée dans des actions concrètes de réduction de ses consommations de
papier, d’eau et d’énergie. En mai 2010, l’adhésion de la banque aux Principes
de l’Equateur a consacré son engagement environnemental (financement de
projets). Aujourd’hui, la mise en place du Système de Management
Environnemental (SME) selon la norme ISO 14001, couvre l’ensemble
des activités et produits de la banque. (9)
La société Management Service
Environnement à Casablanca propose, justement, aux industriels d'intégrer
la composante environnement dans leur mode de management, de réaliser avec eux
un état des lieux de l'impact de leurs activités sur le milieu naturel, de les
accompagner à la certification ISO 14001, etc. Nombre
entreprises se sont attribué le paramètre écologique en s'imposant le respect
des normes internationales. Là encore, la tendance ne date pas d'hier : en 1998,
Air Liquide Maroc, Akzo Nobel, BASF Maroc, General Tire, Henkel
Maroc, Hoechst Maroc, Afriquia Plastic, Shell du Maroc, Johnson &
Johnson, Lever Maroc, OCP (phosphates), SCAM (approvisionnement
minier), SCE (engrais et produits chimiques), SNEP (pétrochimie) avaient adhéré à la charte dite «Responsible
Care». Il s'agissait d'un code de bonne conduite qui avait pour principe
l'amélioration des performances dans le secteur de la santé, de la sécurité et
de l'environnement. (10) Aujourd'hui, les chefs d'entreprises
membres du réseau (25 en 2011) ont pris note de l’incidence très positive de la
charte sur le rendement et la productivité. (11)
L'action des cimenteries s'inscrit
dans cette optique. Le programme présenté par l'Association Professionnelle
des Cimentiers (APC) date de 1998. Il y était question, entre
autres, de mettre en place les instruments de réduction graduelle de l'émission
de poussières et de la pollution atmosphérique. Sur le site de Lafarge,
on peut lire cette profession de foi : «Pour Lafarge Maroc, la protection de
l'environnement répond d'abord à une exigence éthique. Elle part de la
conviction qu'il n'est pas de croissance durable sans conciliation de la
performance économique et du respect de l'environnement». (12)
Ce sont de telles préoccupations, il
y a quinze ans, qui ont amené Nestlé Maroc à modifier le conditionnement
du lait en poudre Nido. L'emballage métallique en fer blanc, en effet, a
été abandonné au profit d'un conditionnement en carton et aluminium (compte
tenu de la rentabilité). La différence est très appréciable, car le carton est
plus léger et n'a pas d'impact négatif sur l'environnement ; contrairement au
fer blanc, c'est une matière biodégradable.
Les industries chimiques et
para-chimiques, quant à elles, sont appelées à mieux intégrer les données
écologiques, aussi bien dans leurs décisions d'investissement que dans leur
gestion. Progressivement, elles mettent en place des installations d'épuration
et des décharges pour leurs déchets industriels.
Oriflamme, la célèbre marque suédoise de
cosmétiques, n'est pas en reste. Depuis sa création, elle s'efforce de
préserver le fragile équilibre entre les impératifs commerciaux et le souci
écologique. Des règles sont ainsi émises : choix systématique des aérosols sans
CFC, conception d'emballages recyclables, recours aux tests de produits sur des
personnes volontaires et non sur des animaux...
La
nécessité de se plier aux normes internationales environnementales se précise en
particulier auprès des entreprises marocaines tournées vers l'exportation.
Celles qui opèrent dans le secteur de l'agroalimentaire sont engagées à mettre
en place un «système d'éco-vigilance» pour protéger le milieu naturel.
La compétitivité exige qu'il y ait compatibilité entre la maîtrise des coûts de
production et l'enjeu écologique. La démarche tend à s'inscrire dans une
optique de qualité totale ; l'environnement et la qualité s'intègrent l'un dans
l'autre. «L'éco-efficacité» est devenue rapidement l'une des clés
d'accès aux marchés internationaux.
Sur ces marchés, en effet, le
label écologique est érigé en condition d'accès. On sait qu'en
Europe les produits biologiques gagnent de plus en plus de terrain (yoghourts,
œufs, chips, etc.). Si la tendance «bio» en agro-industrie suscite une
demande chaque jour plus forte, c'est qu'elle répond à deux exigences : d'une
part, une alimentation saine et des composantes précieuses pour l'organisme ;
d'autre part, des conditions de production qui tiennent compte de la protection
du milieu naturel.
Il apparaît ainsi que le marketing,
tout en cherchant à satisfaire des désirs, à vendre des produits et à créer une
image de marque, tend à s'imprégner des valeurs morales et sociales
de l'heure. L'intégration des préoccupations sociétales, en fin de compte, ne
contrarie pas les intérêts des fabricants, en dépit des coûts élevés qu'elle
entraîne. Tout se passe comme si l'entreprise œuvrait davantage pour le bénéfice
à long terme que pour le gain à court terme. Qui plus est, il est établi que
l'impératif écologique fournit un terrain fertile où peuvent se dessiner
diverses d'opportunités de profit et de développement.
Thami
BOUHMOUCH
Décembre 2012
________________________________________
(1)
http://www.lavieeco.com/news/economie/la-degradation-de-l-environnement-coute-au-maroc-13-milliards-de-dh-par-an-13743.html Mai 2009.
(2) Cf. http://www.maghress.com/fr/lematin/29079 Mai 2003.
(3) http://www.financenews.press.ma/portail/Economie/mangement-de-lenvironnement-seules-100-entreprises-sont-conformes-a-liso-14001.html Avril 2012.
(5) http://www.lavieeco.com/news/ op.cit.
(6)
En mars
2004, le Secrétariat d'Etat chargé de l'Environnement a publié une brochure
intitulée “Les nouvelles lois de protection de l'environnement”.
(7)
Le premier modèle
a été lancé en 1997. En 2012, la nouvelle Prius
Plug-in Hybrid est capable de rouler 25 km en mode électrique grâce à sa
nouvelle batterie lithium-ion (consommation/émissions de CO2 réduite). Voir : http://www.turbo.fr/toyota/toyota-prius-3/essai-auto/508857-essai-toyota-prius-3/ Novembre 2012.
(8)
Cf. http://www.leconomiste.com/article/bmce-bank-lance-son-programme-de-plantation-de-20000-arbres
Avril 1999.
(10) Cf. http://www.leconomiste.com/article/chimie-parachimie-le-responsible-care-sinstalle Février 1998.
(11)
Cf. http://www.leconomiste.com/article/883250-responsible-care-le-concept-ne-prend-pas
Mai
2011.
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