La variable institutionnelle peut favoriser
ou freiner l'activité de l'entreprise, offrir ou supprimer des opportunités. Le
champ et les moyens d'action marketing sont délimités par le système politique,
législatif (réglementation en vigueur) et administratif (intervention de l'Etat
dans la vie économique). Les décisions sont en effet soumises à des obligations
dans les domaines de la production, la commercialisation, la communication et
la distribution. Les pratiques managériales, les choix stratégiques ne s’effectuent
pas sans contrainte. Bien qu’ils émanent d’une direction souverainement indépendante,
ils se déploient assurément dans un cadre légal déterminé.
La liberté d’action n'est pas
l'absence de règles
En système libéral, on sait que l'essentiel
de la vie économique repose sur l'activité d’agents privés. « L'entreprise
alimente le processus de changement et en constitue même la pièce maîtresse.
Or, qui dit changement dit nécessairement déséquilibre. Aussi, l'entreprise
est-elle un agent de déséquilibre. Il revient aux autres institutions et
notamment à l'Etat d'agir pour canaliser ce déséquilibre ». (1) Sur
le marché, les producteurs n'ont donc pas les mains libres. Ils sont libres
d'agir dans leur propre intérêt, à condition de respecter les intérêts
collectifs. « Tout comme les automobilistes doivent connaître et
respecter le code de la route, les managers doivent connaître et respecter les
lois et règlements qui s'appliquent à leur activité sous peine d'encourir des
sanctions pénales et de ternir l'image de leur entreprise ». (2)
Si l'investissement productif et la
création de richesses relèvent pour une large part de l'entreprise, l'Etat
demeure le seul acteur à même de garantir le cadre et le climat de confiance
indispensables. Il garde ses responsabilités de régulateur et veille à
l'ordre public économique, en fixant les règles du jeu. De fait, la loi
consacre la notion de liberté économique, sous réserve de la sanction des procédés
abusifs. La réglementation vise, selon le cas, à défendre les intérêts des
entreprises les unes par rapport aux autres et à protéger les consommateurs
contre les pratiques frauduleuses. L’autorité publique assure la sécurité des
transactions et veille au respect du libre jeu de la concurrence, c'est-à-dire
au fonctionnement normal des mécanismes du marché.
Rendre l'environnement institutionnel
favorable et incitateur est une priorité majeure. Le Maroc, il y a moins de
vingt ans, a entamé un véritable remodelage de son paysage législatif. Les nouveaux
textes régissant le droit des affaires imposent à tout chef d'entreprise de s'entourer
du maximum de garanties juridiques. Il s'agit de réussir le passage d'un cadre réglementaire
permissif à un cadre très contraignant. Les obligations légales ont trait directement
aux composantes de l'action marketing. Une série d'arrêtés et de décrets
se rapportent à divers aspects de la consommation, tels que les prix (obligation
d’affichage), la composition des produits (nature des ingrédients), le contenu des
étiquetages, l’action publicitaire, les pratiques commerciales (offres abusives),
la distribution (procédures, contrats), etc.
Impact sur l'activité de
l'entreprise
Considérons quelques exemples
révélateurs concernant le Maroc.
C’est à la suite des mesures de restructuration
du marché de l'automobile que le retour en force de la marque Ford a été décidé
: les droits de douane sur les
véhicules importés montés ont été réduits et les importations de voitures d'occasion fortement limitées. Ces deux
mesures réglementaires ont été décisives… A l’inverse, l'étroitesse du marché
des médicaments trouve son origine, outre la faiblesse du pouvoir d'achat, dans
le pourcentage faible de population bénéficiant d'une couverture sociale. On
pense que l'adoption de l'Assurance Maladie Obligatoire donnera un coup de
fouet à l'ensemble du secteur de la santé (laboratoires, pharmacies)…
Les médicaments, justement, sont soumis
à des textes réglementaires, vu l'impact social que toute modification peut avoir.
Toute révision des prix doit faire l'objet d'une décision du Ministère de la Santé…
De même, le commerce de boissons alcoolisées est strictement réglementé. Les
distributeurs doivent d’abord obtenir une licence. Outre que les ventes après
20 heures ne sont pas autorisées, la publicité est interdite à la télévision et
la radio… S’agissant par ailleurs de
l’étiquetage des produits conditionnés, on sait qu’un décret impose
l’indication des dates de péremption de façon
apparente et en caractères lisibles.
Les produits mis en vente sont d’ordinaire
contrôlés. Le service de la répression des fraudes peut prélever des échantillons
pour analyse, effectuer des saisies et procéder à la destruction des produits
impropres à la consommation. Il soumet les cas de manipulation frauduleuse à la
justice… Sur un autre plan, dans le secteur des télécoms, la loi accorde à
l'ANRT le pouvoir de veiller au respect de la concurrence. Cet organisme
dispose d'une panoplie d'outils permettant de déceler toute concurrence
déloyale… Quant aux banques, désormais obligées (depuis 1996) d'adapter leurs documents
aux nouvelles normes juridiques, elles sont tenues d'informer leurs clients des
dispositions du Code de Commerce, sous peine de sanctions.
Le fait est que l'impact de la
réglementation dépend de la sévérité avec laquelle elle est appliquée. Observons le cas du secteur
avicole (élevage des volailles) : le contrôle du produit revient au
ministère de la Santé et s'exerce par le biais des communes. Mais les médecins mobilisés
ne disposent pas de moyens techniques suffisants pour contrôler la qualité des
produits et au besoin sévir. Le seul contrôle s’appuie sur l'observation de
visu. On exige l'éviscération, mais les bouchers refusent de s'exécuter ;
on finit alors par s’incliner parce que le phénomène est généralisé. Ajoutons à
cela les problèmes des magasins d'abattage illégal et du contrôle vétérinaire :
il existe un texte réglementant cela, sans que l'on prenne la peine de
l'appliquer réellement.
Pour ce qui est enfin de la contrefaçon,
le législateur ne confère aucun droit de contrôle à l'OMPIC et les sanctions
prévues n'ont qu'un effet palliatif. Un problème qui s’ajoute aux pratiques de piratage,
très répandues dans le pays, au grand dam des professionnels concernés.
Le juriste d'entreprise et le jeu
politique
Au Maroc, le nombre de réglementations
auxquelles l'entreprise doit se conformer s'est accru de façon continue au
cours des deux dernières décennies. Face à la complexité du droit des affaires,
ne pouvant maîtriser tous les aspects juridiques, les managers s'exposent à des
risques certains. Les textes doivent être pleinement connus et respectés. La
politique marketing notamment est réglée par tout un maquis de normes et réglementations.
Telle décision est-elle conforme à la loi ? Quelle action prohibée doit-on éviter ?
L’organisation se doit alors de recourir,
outre la fiduciaire et l'avocat, aux services d'un conseiller juridique, d'intégrer
sa contribution dans le processus décisionnel. Un tel intervenant a vu son
champ d'activité s'élargir à de nombreux domaines. Pour bien jouer son rôle de conseil
et de prévention, il est tenu de maitriser toutes les facettes du paysage juridique.
Il a pour rôle de veiller à la légalité des décisions prises, à la sécurité
juridique des opérations traitées. Il est associé aux montages juridiques et
financiers avant leur mise en application. Il indique les moyens juridiques
possibles et imagine des solutions originales permettant aux dirigeants d'atteindre
leurs objectifs. Autant dire qu’il concilie entre les impératifs réglementaires
et les vœux de l'entreprise.
Cela amène à se demander : les dirigeants
prennent-ils leurs décisions en se pliant expressément aux lois en vigueur, ou bien
s’efforcent-ils d’accorder celles-ci avec leurs décisions ? Au 19ème
siècle, un patron américain, refusant les contraintes légales que lui indiquait
le juriste d'entreprise, s’emporta : « Je ne veux pas d'un juriste pour me
dire ce que je ne peux pas faire ! Je le paye pour me dire comment faire ce que
je veux faire ». (3)
On s’aperçoit au fond que le monde
des affaires est loin de subir passivement les contraintes juridiques. A
un moment où l'entreprise marocaine est appelée à relever les défis de la
compétitivité, il s'agit d'occuper le terrain, d'influer directement sur les
décisions politiques qui conditionnent la vie économique. Pour que le patronat ait
davantage son mot à dire dans le Maroc nouveau, il se devait d’investir le
champ politique. Ainsi, en siégeant à la Chambre des Conseillers (dès 1996), il
est désormais en mesure de donner directement son point de vue sur la politique
gouvernementale ou même d’user de son pouvoir de sanction.
Aujourd'hui, la CGEM ne peut se contenter
de défendre des intérêts corporatistes ; elle s'impose comme un partenaire
incontournable dans l'élaboration des nouvelles règles. On sait qu’elle a
participé à la mise en place du code du travail en émettant des remarques sur
le licenciement et le dialogue social ; elle a aussi initié la
codification du droit de grève. De nouvelles méthodes sont désormais utilisées
: sensibilisation des parlementaires lors du vote de lois concernant
l'entreprise, contacts avec les formations politiques, coordination avec les
pouvoirs publics…
Thami
BOUHMOUCH
Avril 2014
__________________________________________
(1)
Mohammed Chiguer,
« Y a-t-il une culture propre à l'entreprise ? », Revue
Marocaine de droit et d'économie du développement, n° 28 - 1992, p. 167.
(2) Alexander Hiam et Charles Schewe,
« MBA Marketing – Les concepts », éd. Maxima. p. 93.
(3) Robert
L. Heilbroner, « Les grands économistes », Seuil
1971,
pp. 198-199.
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