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28 avril 2014

LES FACTEURS DÉMOGRAPHIQUES : QUELLES IMPLICATIONS MARKETING ?




Les précédents papiers ont beaucoup insisté sur la nécessité de bien connaître le marché. Or celui-ci est à l'évidence constitué d'un nombre donné d’individus – des individus exprimant des besoins humains. L’état quantitatif de la cible présente un intérêt certain pour l'entreprise. Il en est ainsi de la taille de la population, de ses variations structurelles, de sa répartition sur un territoire, de l'évolution de l'urbanisation, du taux de natalité, etc. Toutes ces caractéristiques sont riches d'implications marketing… On sait que l’opération de segmentation repose d’ordinaire sur des critères sociodémographiques, tels que le sexe, l’âge, la profession, l’habitat, la taille du foyer. De la sorte, chacun des sous-ensembles de consommateurs identifiés a ses préférences et son mode de vie propres. C’est ce qui permet au manager de bien définir sa/ses cible(s) et planifier le développement de son marché.

Les contrecoups de la démographie
Toute entreprise se préoccupe de la répartition de la population sur son territoire de prédilection. Les supermarchés ne s'implantent dans une ville que si le nombre d'habitants dépasse un seuil déterminé. La croissance de la population, à n’en pas douter, influe sur le positionnement géographique des enseignes de distribution. Au-delà des leviers de performance comme l’image, les prix, l’éventail de références, il s’agit bien de se partager la masse des consommateurs supplémentaires. A l’export, il se révèle que l'entreprise a besoin de mesurer le degré de concentration de la demande dans le pays client, en évaluant notamment le nombre de grandes villes (disons de plus de 750.000 habitants). « La Chine, les Etats-Unis et l'Allemagne […] sont généralement considérés comme des pays difficiles à couvrir (du point de vue de la distribution et des ventes). D'ailleurs, dans le cas de la Chine, cet handicap oblige un grand nombre d'entreprises à effectuer des estimations du potentiel par ville et à étudier la Chine non pas en tant que pays, mais en tant que région composée d'un grand nombre de sous-ensembles de villes-Etats ». (1)
Au Maroc, l’époque n’est pas si lointaine où les pharmaciens étaient en colère contre les critères d'installation des officines et dénonçaient le caractère anarchique des ouvertures. Le chiffre d'affaires baissait et la situation se dégradait.  A. Abed (Fédération des Syndicats des Pharmaciens) disait : « Nous avons proposé qu'en plus de la distance, qui est de 300 mètres, à respecter entre deux officines, on ajoute un autre critère : le nombre d'habitants. Pour la viabilité économique d'une officine, il faut qu'il y ait 5.000 habitants pour une pharmacie ». (2)

A terme, les déplacements de la campagne vers la ville se répercutent infailliblement sur les comportements d’achat et de là sur l’orientation de la demande. Dans les grandes villes, les revenus sont relativement élevés et les points de vente offrent une grande variété de produits. Le passage à un monde urbain et salarié tend ainsi à modifier radicalement les goûts et désirs des consommateurs. On s’aperçoit, sous l’impact des conditions démographiques, que le changement des manières de vivre stimule la demande, encourage l'investissement, active la production de biens, agit en fin de compte sur la cadence de l’économie.
A cet égard, quelques exemples viennent à l’esprit : l'évolution des ventes des couches-culottes est à coup sûr fortement liée à celle des naissances… De même, le nombre de mariages peut avoir une conséquence sur l’activité des agences de voyage, qui peuvent développer des formules adaptées aux jeunes mariés (voyage de noces…). A l’inverse, la chute de la nuptialité et la progression des célibataires, comme c’est le cas en Europe, ont suscité l’émergence du « marché de la solitude » ; d’où l’offre de plats surgelés en portions individuelles, la conception de formules de voyages pour personnes seules, l’essor des agences matrimoniales, etc.
Le Maroc connaît une baisse du rythme démographique résultant d'un recul spectaculaire de l’indice de fécondité. Dans le milieu urbain, la famille nombreuse n'est pas à la mode. Les femmes veulent des enfants, sans pour cela sacrifier leur vie personnelle ou professionnelle. Entre 1998 et 2008, le taux d’accroissement annuel de la population est passé de 1,49 à 1,08 %. En moyenne, le nombre d’enfants par femme s’élève à 2.2 en 2011, contre 2,8 en 1998 et 5,2 dans les années 80. Une telle évolution influe sur « les conditions de confort dans les ménages : la densité d’occupation des logements est passée à 1,6 personne par pièce contre 1,9 dix ans plus tôt ». (3) Quoi qu’il en soit, le pays enregistre en moyenne quelque 2000 nouveau-nés par jour. Cet afflux d'enfants, on s’en doute, influe sur les ventes de jouets, de vêtements, de nourriture pour bébés, de confiseries…
Un peu partout dans le monde, l'espérance de vie s’allonge. Il y a de plus en plus de retraités vivant de plus en plus longtemps… On devine là encore l'impact de cet accroissement, en valeurs absolue et relative, sur la consommation. Dans les pays riches en particulier, les personnes âgées constituent un marché important pour les agences de voyage, les formes calmes de loisir, les médias, les restaurants... En France, les retraités ont vu leur pouvoir d'achat augmenter d’une façon considérable. Pour satisfaire cette cible, des produits spécifiques ont été lancés : des formules « Grand Age » de résidences locatives, de résidences médicalisées haut de gamme, d'assistance médicale, de services bancaires… La société Bouygues (résidences « Mélodies »), le groupe Accor (pensions « Retraitel »), Parismédica (aide-soignante, aide-ménagère), Société Générale (prêts personnels au-delà de 65 ans...), Mondial-Assistance (télé-assistance), etc. Aux Etats-Unis, notons-le, le marché des muppies (professionnels de haut rang en fin de carrière) est depuis longtemps bien plus rentable que celui des yuppies (jeunes urbains professionnels). La marque Wrigley a même lancé un chewing-gum adapté aux prothèses dentaires.


Une étude (réalisée par UBS Wealth Management Research) a été consacrée au vieillissement de la population dans les pays développés et à ses conséquences, tant positives que négatives, sur la demande de produits. Elle a examiné notamment l’impact sur la santé, les biens de consommation et les technologies. Selon cette étude, « les retombées de l’évolution démographique sur les secteurs d’activité et les entreprises seront lourdes et requerront une bonne compréhension des principaux problèmes rencontrés par chaque secteur. […] De nouveaux secteurs, tels que la robotique et l’équipement médical à domicile, vont s’imposer pour répondre aux besoins de clients âgés ». (4)
L’évolution démographique est un des défis du responsable marketing. Les jeunes générations, nées au 21ème siècle, sont plus à l’aise que leurs aînés pour ce qui est des nouvelles technologies et génèrent des comportements sans cesse renouvelés. Pour les producteurs, il s’agit de continuer à servir la demande actuelle tout en tenant compte de la nouvelle. Le problème est que les changements ont lieu à une cadence particulièrement rapide.

Observations/précisions
1. Un point vaut d’être rappelé : « la taille réelle du marché ne dépend pas des seuls effectifs démographiques mais de l’existence d’un pouvoir d’achat et d’un vouloir d’achat. Elle dépend en somme du nombre d’individus intéressés par le produit (compte tenu de leurs besoins), ayant la volonté de l'acquérir et disposant pour ce faire des ressources nécessaires (l’argent) ». (5) Le marché est un cadre de référence pour toute prise de décision, mais l’appréciation ne se ramène pas simplement à un problème de nombre… On comprend dès lors l'objection de T. Levitt : « Croire que l'augmentation de la population et son enrichissement suffisent à assurer l'expansion d'une profession rassure les industriels ; ils calment ainsi l'appréhension que l'avenir leur inspire. Si les clients se multiplient et achètent toujours plus de vos produits ou de vos services, l'avenir vous semble plus sûr que si votre marché se réduit ». (6)
2. L'entreprise ne peut pas soumettre l'évolution de l'environnement démographique à sa volonté, ne peut pas obliger les couples à avoir davantage d'enfants. Néanmoins, elle est en mesure d'adapter sa stratégie pour en tenir compte. La stagnation de la population est une opportunité pour le secteur des voyages et loisirs, vu que les foyers à un ou deux enfants ont davantage de temps et d'argent à consacrer aux distractions. Une telle stagnation en revanche constitue une menace pour les entreprises spécialisées dans l'alimentation infantile ou les jouets. C’est pour cette raison que Gerber, le fabricant d'aliments pour bébé, s’est résolu à diversifier son activité dans l’assurance, l’imprimerie, les aliments pour adolescents et adultes.

3. Un dirigeant avisé s’efforcera de prévoir l’évolution de son offre future, compte tenu de celle de la population… A ce titre, il n’y a pas à craindre un mouvement erratique ou un retournement brusque. « Heureusement, les prévisions démographiques sont relativement fiables, et une entreprise n'a guère de chances d'être surprise par un mouvement de population inattendu ». (7)

Thami BOUHMOUCH
Avril 2014
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(2) Cité par La Vie éco du 18 mai 2001.
(5) Mon précédent papier : « La notion de marché sous l’angle du marketing »  http://bouhmouch.blogspot.com/2013/06/la-notion-de-marche-sous-langle-du.html  
(6) T. Levitt, Le marketing à courte vue, Encyclopédie du marketing, Editions Techniques 1975.
(7) P. Kotler et B. Dubois, Marketing management, Publi-Union Editions.

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