Les contrecoups
de la démographie
Toute entreprise
se préoccupe de la répartition de la population sur son territoire de
prédilection. Les supermarchés
ne s'implantent dans une ville que si le nombre d'habitants dépasse un seuil
déterminé. La croissance de la population, à
n’en pas douter, influe sur le positionnement géographique des
enseignes de distribution. Au-delà des leviers de performance comme l’image, les
prix, l’éventail de références, il s’agit bien de se partager la masse des
consommateurs supplémentaires. A l’export, il se révèle que
l'entreprise a besoin de mesurer le degré de concentration de la demande dans le pays client,
en évaluant notamment le nombre de grandes villes (disons de plus de
750.000 habitants). « La Chine, les Etats-Unis et l'Allemagne
[…] sont généralement considérés comme des pays
difficiles à couvrir (du point de
vue de la distribution et des ventes). D'ailleurs, dans le cas de la Chine, cet
handicap oblige un grand nombre
d'entreprises à
effectuer des estimations du potentiel par ville
et à étudier la Chine non pas en
tant que pays, mais
en tant que région composée d'un
grand nombre de sous-ensembles de villes-Etats ». (1)
Au Maroc, l’époque n’est pas si lointaine où les
pharmaciens étaient en colère contre les critères d'installation des officines
et dénonçaient le caractère anarchique des ouvertures. Le chiffre d'affaires baissait
et la situation se dégradait. A. Abed
(Fédération des Syndicats des Pharmaciens) disait : « Nous avons
proposé qu'en plus de la distance, qui est de 300 mètres, à respecter entre
deux officines, on ajoute un autre critère : le nombre d'habitants. Pour la viabilité
économique d'une officine, il faut qu'il y ait 5.000 habitants pour une
pharmacie ». (2)
A terme, les déplacements de
la campagne vers la ville se répercutent infailliblement sur les
comportements d’achat et de là sur l’orientation de la demande. Dans les grandes
villes, les revenus sont relativement élevés et les points de vente offrent une
grande variété de produits. Le passage à un monde urbain et salarié tend ainsi à
modifier radicalement les goûts et désirs des consommateurs. On s’aperçoit, sous l’impact des conditions démographiques, que le changement des
manières de vivre stimule la demande, encourage l'investissement, active la
production de biens, agit en fin de compte sur la cadence de l’économie.
A cet égard, quelques exemples viennent à l’esprit : l'évolution des ventes
des couches-culottes est à coup sûr fortement liée à celle des naissances… De
même, le nombre de mariages peut avoir une conséquence sur l’activité des
agences de voyage, qui peuvent développer des formules adaptées aux jeunes
mariés (voyage de noces…).
A l’inverse, la chute de la nuptialité et la progression des célibataires, comme
c’est le cas en Europe, ont suscité l’émergence du « marché de la solitude » ;
d’où l’offre de plats surgelés en portions individuelles, la conception de
formules de voyages pour personnes seules, l’essor des agences matrimoniales,
etc.
Le Maroc connaît une baisse du
rythme démographique résultant d'un recul spectaculaire de l’indice de fécondité. Dans le milieu urbain, la famille
nombreuse n'est pas à la mode. Les femmes veulent des enfants, sans pour cela
sacrifier leur vie personnelle ou professionnelle. Entre
1998 et 2008, le taux d’accroissement annuel de la population est
passé de 1,49 à 1,08 %. En moyenne, le nombre d’enfants par femme s’élève à 2.2
en 2011, contre 2,8 en 1998 et 5,2 dans les années 80. Une telle évolution influe
sur « les conditions de confort dans les ménages : la densité
d’occupation des logements est passée à 1,6 personne par pièce contre 1,9 dix
ans plus tôt ». (3) Quoi qu’il en soit, le pays
enregistre en moyenne quelque 2000 nouveau-nés par jour. Cet afflux d'enfants, on
s’en doute, influe sur les ventes de jouets, de vêtements, de nourriture pour
bébés, de confiseries…
Un peu partout dans le monde, l'espérance
de vie s’allonge. Il y a de plus en plus de retraités vivant de plus en
plus longtemps… On devine là encore l'impact de cet accroissement, en valeurs
absolue et relative, sur la consommation. Dans les pays riches en particulier, les
personnes âgées constituent un
marché important pour les agences de voyage, les formes calmes de loisir, les
médias, les restaurants... En France, les retraités ont vu leur pouvoir d'achat
augmenter d’une façon considérable. Pour satisfaire cette cible, des produits spécifiques
ont été lancés : des formules « Grand Age » de résidences
locatives, de résidences médicalisées haut de gamme, d'assistance médicale, de services
bancaires… La société Bouygues (résidences « Mélodies »),
le groupe Accor (pensions « Retraitel »), Parismédica
(aide-soignante, aide-ménagère), Société Générale (prêts personnels
au-delà de 65 ans...), Mondial-Assistance (télé-assistance), etc. Aux
Etats-Unis, notons-le, le marché des muppies
(professionnels de haut rang en fin de carrière) est depuis longtemps bien
plus rentable que celui des yuppies (jeunes
urbains professionnels). La marque Wrigley a même lancé un chewing-gum adapté
aux prothèses dentaires.
Une étude
(réalisée par UBS Wealth Management Research) a été consacrée au vieillissement
de la population dans les pays développés et à ses conséquences, tant
positives que négatives, sur la demande de produits. Elle a examiné notamment l’impact
sur la santé, les biens de consommation et les technologies. Selon cette étude,
« les retombées de l’évolution démographique sur les secteurs
d’activité et les entreprises seront lourdes et requerront une bonne
compréhension des principaux problèmes rencontrés par chaque secteur. […] De
nouveaux secteurs, tels que la robotique et l’équipement médical à domicile,
vont s’imposer pour répondre aux besoins de clients âgés ». (4)
L’évolution
démographique est un des défis du responsable marketing. Les
jeunes générations, nées au 21ème siècle, sont plus à l’aise que
leurs aînés pour ce qui est des nouvelles technologies et génèrent des
comportements sans cesse renouvelés. Pour les producteurs, il s’agit de
continuer à servir la demande actuelle tout en tenant compte de la nouvelle. Le
problème est que les changements ont lieu à une cadence particulièrement
rapide.
Observations/précisions
1. Un point vaut d’être rappelé : « la
taille réelle du marché ne dépend pas des seuls effectifs démographiques mais
de l’existence d’un pouvoir d’achat et d’un vouloir d’achat. Elle dépend en somme du nombre
d’individus intéressés par le produit (compte tenu de leurs besoins), ayant la volonté de
l'acquérir et disposant pour ce faire des ressources nécessaires (l’argent) ».
(5) Le marché est un cadre
de référence pour toute prise de décision, mais l’appréciation ne se ramène pas simplement à un
problème de nombre… On comprend dès lors l'objection de T. Levitt : « Croire
que l'augmentation de la population et son enrichissement suffisent à assurer
l'expansion d'une profession rassure les industriels ; ils calment ainsi
l'appréhension que l'avenir leur inspire. Si les clients se multiplient et
achètent toujours plus de vos produits ou de vos services, l'avenir vous semble
plus sûr que si votre marché se réduit ». (6)
2. L'entreprise ne peut pas soumettre
l'évolution de l'environnement démographique à sa volonté, ne peut pas obliger
les couples à avoir davantage d'enfants. Néanmoins, elle est en mesure d'adapter
sa stratégie pour en tenir compte. La stagnation de la population est une
opportunité pour le secteur des voyages et loisirs, vu que les foyers à un ou
deux enfants ont davantage de temps et d'argent à consacrer aux distractions. Une
telle stagnation en revanche constitue une menace pour les entreprises
spécialisées dans l'alimentation infantile ou les jouets. C’est pour cette
raison que Gerber, le fabricant d'aliments pour bébé, s’est résolu à
diversifier son activité dans l’assurance, l’imprimerie, les aliments pour
adolescents et adultes.
3. Un dirigeant avisé s’efforcera de prévoir
l’évolution de son offre future, compte tenu de celle de la population… A
ce titre, il n’y a pas à craindre un mouvement erratique ou un retournement
brusque. « Heureusement, les prévisions démographiques sont
relativement fiables, et une entreprise n'a guère de chances d'être surprise
par un mouvement de population inattendu ». (7)
Thami BOUHMOUCH
Avril 2014
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(2) Cité
par La Vie
éco du 18 mai 2001.
(5) Mon
précédent papier : « La
notion de marché sous l’angle du marketing » http://bouhmouch.blogspot.com/2013/06/la-notion-de-marche-sous-langle-du.html
(6) T. Levitt, Le marketing à courte
vue, Encyclopédie du marketing, Editions Techniques 1975.
(7) P. Kotler et B. Dubois, Marketing
management, Publi-Union Editions.
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