Série : Compréhension
du consommateur
Au long des
articles précédents, nous avons vu que les entreprises performantes sont foncièrement
centrées sur le client ; elles sont à l’écoute de ses desiderata et s’efforcent
de comprendre son comportement. « Le client est roi », dit l’adage bien connu… mais que veut le roi ? L’incapacité des managers à appréhender la
façon d’agir de
leur cible explique en partie l’échec de leurs
stratégies. Il s’agit non pas de
trouver des clients pour ses produits, mais de trouver des produits pour ses clients.
Il y a
donc lieu de saisir sans équivoque la relation entre la compréhension du
comportement d'achat et l'action marketing. (1)
Un point de passage
impératif
Au Maroc, le marché
s'accroît tous les ans d’environ 750.000 personnes. Les Marocains aujourd’hui consomment
plus, mais aussi d’une manière différente. Naguère, ils achetaient du chocolat
pour l'offrir ; actuellement, et de plus en plus, ils l'achètent pour leur
propre consommation. L'extension de la grande surface a bouleversé les manières
de vivre. Certaines dépenses ont pris une place importante dans le budget des
ménages (santé, logement), tandis que d’autres ont vu leur part reculer
(alimentation)… Avant d'agir sur un marché, il est indispensable de le
comprendre, c'est-à-dire de comprendre la façon dont les consommateurs se
conduisent et comment leurs dispositions d’esprit évoluent au cours du temps. Il
en est ainsi lorsqu’on cherche à lancer un nouveau produit, à réhabiliter une
marque dévalorisée, à augmenter sa part de marché, à ouvrir un point de vente, à
lancer un spot à la télévision, etc. Il y eut une époque où une équipe
commerciale pouvait se faire une idée claire de sa clientèle à travers son
expérience directe de vente. De nos jours, la croissance des marchés comme
celle des entreprises a accentué la distance séparant les producteurs de leurs
clients. Pour autant, aller au-devant du client pour bien l’identifier, l’écouter,
se rendre compte de ses exigences est une nécessité absolue ; c’est le
meilleur levier de progrès. Le praticien du marketing se doit d’être proche
intellectuellement et physiquement de sa clientèle cible.
Le couple
produit-marché est par nature dynamique. L'entreprise centrée sur le client
engage un processus d'interaction avec lui. Le client est celui
qui détient la vérité et représente le but ultime de l'activité. C'est
« l'élément d'actif » (Levitt) le plus important. En 1952, les
dirigeants de General Electric déclaraient que leur organisation évoluait
en fonction du client. En 2000, le PDG de Procter & Gamble affirmait que le
consommateur était le véritable patron de l’entreprise. Le satisfaire ne devait
plus être une vue de l’esprit mais le but de toutes les décisions à prendre.
Il y a sur le
marché une grande diversité de produits et de marques destinés à répondre à des
besoins identiques ou similaires. Un shampooing sert au lavage des
cheveux ; or quelque 70 modèles et marques sont proposés à la vente.
Pourquoi ? Parce que les consommateurs n'ont pas les mêmes préférences ; ils
diffèrent considérablement quant à leur âge, leur revenu, leur degré de
scolarité, leur système de valeurs, etc. De la distinction des différents
groupes d’individus procède la segmentation du marché. « En allant au-delà des caractéristiques
démographiques du client par l’acquisition d’une meilleure connaissance de son
environnement, son comportement, ses préoccupations et ses aspirations, le but
est de segmenter plus finement et de comprendre pour chaque segment les leviers à actionner et
les arguments à mettre en avant tout
au long du cycle d’achat ». (2)
L’étude du
comportement d’achat, à l’évidence, n'est pas une fin en soi ; elle permet
d’adapter les décisions commerciales aux catégories ciblées. Elle constitue la
pierre angulaire de la philosophie et de la pratique du marketing. C'est un
point de passage impératif si l'on souhaite retenir les options stratégiques
les plus appropriées et maîtriser l'action sur le terrain. C’est la connaissance factuelle du client qui oriente
l’offre produit et les actions publicitaires.
Une connaissance factuelle
La démarche marketing
s'appuie sur le principe de souveraineté de l'acheteur. Celui-ci est
responsable de ses actes et capable de décider. Le fabricant conçoit le produit
adéquat et s’efforce d'amener le consommateur cible à l'acheter. Il faut donc
faire en sorte que ce produit soit préféré, qu'il soit choisi parmi d'autres répondant
au même besoin. D'où la nécessité de bien comprendre comment se forment les préférences
afin de pouvoir les influencer à son avantage… Mais comprendre quoi ?
Untel s’apprête à
acheter un téléviseur (un produit visible socialement). Ayant fait le tour de
plusieurs points de vente, il est perplexe face à la grande diversité des marques,
des modèles, des caractéristiques et des prix. Il trouve dans sa boite aux lettres
le prospectus du magasin Cosmos proposant un crédit gratuit sur l’équipement
audiovisuel. Après réflexion, il opte pour la marque Siéra. Mais, le
jour même, un collègue de travail lui conseille plutôt de prendre Sony.
Le lendemain finalement, il se rend au magasin Cosmos et achète la
marque préconisée.
Pour comprendre ce
qui a entouré et orienté le comportement de cet acheteur, il faut se pencher
sur chacune des étapes menant à la consommation, s'interroger sur les motifs de
son comportement (statut social, qualité de l’image), identifier les diverses
influences auxquelles il a été soumis (épouse, vendeur, collègue). Il
s’agit de savoir dans quelles conditions
se déroule l’acte d’achat, comment le consommateur reçoit l'information
sur une marque (prospectus, presse, affiches, entourage), comment il l'utilise,
comment se forment ses préférences, comment
il se décide (réflexion, hésitations, coup de tête), quelles sont ses réactions
après l'achat (déception, inquiétude)…
Pour
le
manager, le problème essentiel
consiste à identifier le mode de fonctionnement de cette « boîte
noire » que constitue l'acheteur. Il s'agit de comprendre ses motivations,
ses attitudes, sa manière de vivre, ses critères de choix, son degré
d’implication. Il s’agit de savoir qui achète quoi, quand et pourquoi… Prendre
la mesure de tout cela permet-il réellement au praticien d’influer sur les
comportements d’achat, de les infléchir en sa faveur ? Le problème n'est
pas simple : « L’achat d’un même produit admet par exemple des
motivations très différentes selon les acteurs considérés, au même titre qu’un
même besoin peut conduire à l’achat de produits très différents. Face à une
telle variété de situations, on est en droit de supposer que l’influence sur
l’achat souhaitée par les praticiens ne peut être totale ». (3) Les
choix de consommation en effet varient selon les goûts, les aspirations et les
dispositions d'esprit. Les individus eux-mêmes changent avec le temps, ont de plus en plus de choix, sont de plus en plus inconstants.
N’oublions pas – comme
nous le verrons dans l’article suivant – que l’acheteur dont on cherche à
expliquer et prévoir les comportements est un être humain…
Thami BOUHMOUCH
Mai 2014
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(1) Dans ce papier, seul le marché des
biens de consommation est pris en considération.
(3) Richard Ladwein, Le comportement
du consommateur et de l’acheteur, Economica 1999, p. 14.
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