Série : Compréhension
du consommateur
Pour être
efficaces, on l’a vu, les politiques marketing doivent être définies à travers
une compréhension attentive et constante des tendances comportementales. « Rechercher,
comparer, évaluer, décider, acheter, utiliser ou rejeter des produits, cela
occupe une large part de nos activités quotidiennes de consommateurs ».
(1) La consommation occupe en effet une place considérable
dans notre vie de tous les jours, de par le temps qui lui est consacré et en
raison de sa signification symbolique. Dans ce papier, il s’agit de prendre
conscience de la complexité des phénomènes entourant et déterminant le
comportement d'achat, de bien comprendre que celui-ci, par essence, n’est
qu’une facette du comportement humain.
De la difficulté
d’appréhender l'humain
« Lorsqu'il [l'être humain] a assouvi un désir, il lui en vient un
autre. Quand il est comblé, un autre surgit à sa place, puis un autre encore.
L'état de désir permanent est caractéristique du genre humain ». (2)
Les gens désirent toujours quelque chose... mais toute la question est de
savoir quoi. Dès lors qu’il s’agit d’appréhender l'humain, les difficultés
tendent normalement à apparaitre. A cet égard, si les divers auteurs fournissent
parfois des appréciations discutables, ce n'est pas à proprement parler parce
qu'ils manquent de rigueur, mais parce qu'ils traitent d'une réalité complexe
et équivoque.
La réalité vécue est complexe parce que l’objet étudié évolue en
fonction
de nombreux facteurs formant un ensemble difficile à cerner. « Dans une
société d'hyperconsommation, l'individu va selon l'heure, le jour, la météo,
l'humeur, l'endroit, l'accompagnant, le média, exprimer des besoins et des
envies qui varient du tout au tout. Ce
qui entraînera des choix et donc des achats différents ». (3) La réalité vécue est
équivoque du fait que le comportement humain peut se prêter à plusieurs
explications. « Le consommateur évoluerait tel un caméléon qui,
ajustant son comportement en fonction des circonstances du moment, est souvent
décrit comme volatil et imprévisible. La liberté que donne l'accès à
l'information et à l'offre par Internet a d'ailleurs accentué cette évolution ».
(4) Les
chaussures tout-terrain Timberland, conçues pour la boue et la campagne,
ne sont-elles pas portées sur le bitume par les citadins ? Comme je le
disais précédemment, « le monde réel incite à voir les
choses avec humilité : comprendre l'être humain n'est aucunement une sinécure.
Les praticiens s'efforcent de s'adapter à un consommateur versatile, ambigu,
parfois irrationnel. Il y aura toujours des hiatus entre le produit
proposé, la cible choisie et les moyens adoptés ». (5)
Les raisonnements
et modèles d’antan avaient pour fondement un sujet économique doué de
rationalité. Un processus logique de décision était censé lui permettre d'obtenir
le maximum de satisfaction (« de maximiser son utilité ») à
partir de ressources limitées. C'est cette vision qui a donné lieu aux rabâchages
théoriques sur l’homo œconomicus… Cet atome abstrait, sans
contredit, n'existe pas ; il n'est qu'une hypothèse de travail. Ni la
sociologie, ni la psychologie, ni l’histoire ne prétendent le connaitre. En pratique,
comme le comportement d'achat est loin d’être toujours rationnel, l'efficacité marketing
de ce type de modèle s’avère singulièrement limitée.
Le comportement
d'achat ne se réduit pas à une équation
L'analyse de la
consommation en tant qu'ensemble d'opérations rationnelles et réfléchies semble
ainsi bien révolue. « Il est beaucoup plus difficile d’arriver à des
conclusions pratiques dans les sciences qui traitent du comportement humain que
dans les sciences qui traitent de la matière. Une expérience réalisée sur un
échantillon de corps inorganique permet d’appliquer les résultats obtenus à
l’ensemble des corps de même nature, tandis qu’il n’en est pas de même pour un
échantillon humain. Les hommes d’une société donnée peuvent réagir très
différemment aux mêmes incitations – et à plus forte raison quand ils
appartiennent à des sociétés et à des époques très différentes ». (6)
En micro-économie, conformément
à la courbe de demande individuelle (décroissante), on apprend que le
consommateur achète une plus grande quantité d'un bien si le prix est à un bas
niveau. Mais dans la réalité observée, les gens n’achètent-ils pas un produit
justement parce qu'il est cher ? « De nombreux actes d'achat ont
lieu dans des conditions incompatibles avec la rationalité supposée par la
théorie économique classique. Un exemple évident de tels paradoxes est le
shopping où l'achat est motivé par le plaisir de dépenser son temps, son argent
et ses efforts ». (7)
L'erreur fréquente consistait
naguère à se focaliser sur un homo œconomicus allégorique, à penser que
le comportement humain était réductible à une matrice, à une équation. Il importe
aujourd’hui de réexaminer les
concepts et méthodes conventionnels. Ce sont les outils d’analyse qu’il s’agit
de mettre à plat et de perfectionner. La démarche adoptée ne saurait relever d’une
science infaillible. Il n’y a pas lieu de concevoir des schémas logiques à
partir d’une observation sommaire de l’homme. Les théories psychosociales
mettent plutôt l'accent sur les tendances émotionnelles et
sentimentales du consommateur. Le marketing découvre ainsi toute sa
complexité.
Le manager, malgré
tout, est tenu de connaître le consommateur cible, de l’atteindre, de le
contrôler à un degré ou à un autre. Il est alors conduit à pénétrer le domaine
des sciences humaines, à recourir entre autres à la sociologie, à la
psychologie, à l'anthropologie et même à la psychanalyse (certaines annonces
publicitaires font appel à des pulsions sexuelles inconscientes). Dans ce
domaine, il faut bien l'avouer, la subjectivité est toujours souveraine.
On dira à cet égard
que sur le marché des biens industriels, en comparaison avec celui des biens de
consommation, le comportement d'achat est plus rationnel, vu la contrainte inéluctable
du profit. Mais même en milieu industriel, les aspects subjectifs de l'achat
sont importants – sans doute autant que les caractéristiques objectives.
En définitive, du
fait que le consommateur est volage, subjectif, parfois déraisonnable, les
données de l’équation ne sauraient être simples. De là l’idée d'appréhender son
comportement sous forme de modèles… C’est le sujet du prochain papier.
Thami BOUHMOUCH
Mai 2014
________________________________________
(1) Kotler, Di Maulo, McDougall,
Armstrong, « Le Marketing de la théorie à la pratique », éd. Gaëtan Morin, p. 62.
(2) A. W. Maslow, cité par Alexander
Hiam et Charles Schewe, « MBA Marketing - Les concepts », éd.
Maxima, p. 245.
(3) Nick Alonfsky, « Le consommateur
est avant tout une personne », http://www.e-marketing.fr/Marketing-Direct/Article/-Le-consommateur-est-avant-tout-une-personne--36402-1.htm
(4) Bernard Dubois, Marc Vanhuele,
« Comportement du consommateur », http://www.universalis.fr/encyclopedie/consommation-comportement-du-consommateur/
(5) Mon article : « Le
marketing entre conceptualisation et épreuve du terrain », http://bouhmouch.blogspot.com/2012/01/le-marketing-entre-conceptualisation-et.html
(6) George Soule, « Qu’est-ce
que l’économie politique ? », éd. Nouveaux Horizons, pp. 196-197.
(7) Jacques Lendrevie et Denis Lindon,
« Mercator », éd. Dalloz, p 143.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire