« Le Marketing est un art difficile. On
peut l'apprendre en quelques mois, mais on s'y perfectionne pendant toute sa
vie » P. Kotler
Le marketing, à l'inverse d'une perception de
néophyte, ne se limite pas à des actions de communication et de vente. Il se
situe, non pas seulement au stade final du processus de création (mise en
marché), mais tout au long de ce processus (élaboration du produit) et surtout
à son déclenchement (naissance de l'idée). Il ne s'agit pas de « faire
le marketing » d'un produit dans un sens restrictif et fragmentaire,
par le recours aux techniques publicitaires et promotionnelles. La publicité est
la cerise sur le gâteau, la partie visible de l'iceberg ; elle pourrait masquer
une politique inopérante ou même hasardeuse.
Disons, en peu de mots, que le marketing s'emploie
à assurer l'adéquation entre les besoins d'un public particulier et l'appareil
de production. C'est une démarche qui considère que la satisfaction réelle et
permanente du client est la source ultime de richesse. Le point de départ est
toujours le marché – même lorsque l'initiative est le fait des
scientifiques et des inventeurs. En d'autres termes, l'échange ne peut avoir
lieu par la seule volonté du producteur.
Les vieilles recettes commerciales se révèlent de
plus en plus infructueuses. De nos jours, l'entreprise performante ne se permet
pas de snober le consommateur ; elle s'investit résolument dans une relation
étroite et durable avec lui.
Simple à saisir, le credo du marketing est
toutefois difficile à appliquer. Les théoriciens néo-classiques du XIXè
siècle, on le sait, se sont attachés à définir les conditions dans lesquelles
l’homo economicus détermine son comportement d’échange. Mais le
monde réel incite à voir les choses avec humilité : comprendre l'être humain
n'est aucunement une sinécure. Les praticiens s'efforcent de s'adapter à un
consommateur versatile, ambigu, parfois irrationnel. Il y aura toujours
des hiatus entre le produit proposé, la cible choisie et les moyens adoptés.
L'entreprise, qui plus est, ne peut perdre de vue ni l'offensive des
concurrents (tant nationaux qu'internationaux), ni les contraintes de coût, ni
la progression implacable des nouvelles technologies.
Le marketing est une fonction ambitieuse, complexe
autant que fascinante. Il est parvenu (pour ainsi dire « en douce ») à
métamorphoser les entreprises, à révolutionner les modes de pensée et d'action.
C'est un atout formidable face au renforcement de la concurrence, l'élément clé
dont dépendent la survie et l'essor de l'organisation, un investissement dans
l'avenir. Il est aussi grave de faire abstraction du marketing que de recourir
à des pratiques de gestion et des procédés techniques dépassés.
Personne n'échappe à l'action marketing. Dans un
show-room, vous vous renseignez sur le dernier modèle de voiture Suzuki
et le vendeur vous gratifie d'un joli porte-clés ; vous entrez dans un
libre-service où vous achetez impulsivement des boîtes de Crousty miel
exposées en tête de gondole ; vous trouvez dans votre boîte aux lettres le
prospectus Spécial Ramadan de l'hypermarché Marjane ; vos enfants
s'amusent à collecter les capsules Coca-cola afin de gagner une
motocyclette ; du téléviseur que vous allumez jaillit un spot publicitaire
glorifiant le shampooing Sunsilk ; aussitôt un démarcheur chargé de
gadgets électroniques sonne à votre porte ; le lendemain, une enquêtrice vient
vous interviewer au sujet des cubes de bouillon Idéal... L'omniprésence
du marketing dans la réalité vécue est patente. De fait, la
signification et les fondements de cette branche du savoir gagnent à être
saisis d'une manière rigoureuse.
D'emblée, une question se pose : pour mettre en
œuvre des techniques et un savoir-faire, faut-il nécessairement s'appuyer sur
une conception formalisée ?
Le balancement
entre terrain et théorie
L'idée prévaut que le marketing est une discipline
trop appliquée, trop pratique pour qu'on se laisse aller à des « spéculations
théoriques »... A cet égard, il est souhaitable que soit levée l'équivoque
: tout domaine de la connaissance repose sur une matière théorique qui en donne
une explication d'ensemble. Les techniques et moyens concrets ne sont envisageables,
ne sont accessibles qu'à travers une construction conceptuelle organisée. Pour
reprendre l'expression avisée de l'économiste F. Perroux, « un peu de
théorie éloigne de la réalité et beaucoup y ramène ».
Si le marketing, dans sa conception moderne, est opérationnel
par essence, l'action sur le terrain ne saurait s'abandonner à un
empirisme débridé. D'aucuns diront qu'un imbécile qui marche vaut mieux qu'un
penseur qui reste assis ; mais si l'imbécile va dans le mauvais sens, le
penseur ne sera-t-il pas plus avancé que lui ? Les praticiens et hommes
d'affaires, étant aux prises avec le réel, ont une perception des faits sans
doute différente de celle de l'analyste. Mais ils appréhendent les événements
dans des circonstances particulières et chacun selon un angle de vision qui lui
est propre.
S'il est vrai que le « théoricien » ne
vit pas au jour le jour les épreuves du terrain, il s'attache néanmoins à
saisir les faits dans leur ensemble. Bénéficiant d'un effet de distanciation
appréciable, il examine méthodiquement les phénomènes et fournit une
appréciation intelligible. En prenant la mesure de la réalité observée, il
ordonne la connaissance, propose une construction intellectuelle et synthétique
– dans un but à la fois didactique et décisionnel.
Le marketing, regardé en surface comme un ensemble
de techniques, n'est-il pas avant tout
une démarche et un état d'esprit ? Ne pas l'amarrer à un système conceptuel
cohérent ne conduit-il pas à le réduire à des moyens de vente ? Certes, la
pratique matérielle est indubitablement la raison d'être des constructions
formalisées... Pour autant – en elle-même – elle n'est pas en mesure de faire
avancer la connaissance (organisée). Dès lors, si « les théories sans
faits sont sans objet [...] la pratique des faits sans théorie est tout
aussi illusoire. » (1)
Pour mettre en œuvre avec discernement une démarche
et des outils rigoureux, il est nécessaire de posséder la matière théorique. En
même temps, il est impératif de montrer comment les conceptualisations sont appliquées
dans le contexte réel d'une organisation. Le philosophe grec Aristote disait : « La
réflexion par elle-même n'imprime aucun mouvement, mais seulement la réflexion
orientée vers une finalité d'ordre pratique, c'est elle alors qui engendre la
création ». Les concepts ne sont pas seulement les éléments
constitutifs d'un corps théorique ; ce sont aussi et surtout les clés qui
régissent la perception des faits. Le message publicitaire de Microsoft,
il n’y a pas longtemps, l'exprimait sur un ton plaisant : « c'est très
bien la théorie, surtout quand on peut la mettre en pratique ».
Le balancement entre terrain et théorie est
essentiel. C’est ici le premier point majeur. C’est aussi l’idée directrice d’un
programme d’enseignement : les concepts de base, une fois mis à plat et
clarifiés, sont systématiquement étayés par des exemples issus de la vie des
entreprises. Ces exemples cherchent à refléter la diversité des situations en
touchant des domaines variés. L’apprenant rapproché ainsi de la réalité des choses
est plus motivé et plus réceptif à l'acquisition des connaissances. Dans le
cadre du Master Marketing, par exemple, les cas proposés suscitent l'intérêt à
la fois de l'étudiant et du cadre en exercice ; ils conduisent le premier
à développer une réflexion personnelle sur le caractère vivant de la discipline
et sont perçus par le second comme une occasion de s'interroger sur sa propre
expérience.
N'allons surtout pas croire que les outils
conceptuels sont infaillibles. S'ils sont accessibles à tous, à travers les
livres, les périodiques spécialisés, les sites Internet et les séminaires, leur
application sur le terrain est aussi laborieuse que contingente... Mais de quel
« terrain » est-il question ici ? Dans quelle mesure les concepts et
les schémas sont-ils transposables d'un contexte à un autre ? Quel est notre
champ de référence ?
Le
champ de référence
Le marketing, en tant que système d'action, est
censé être le même partout, puisqu'il s'agirait d'un savoir universel. En fait,
la mise en pratique du concept tient au degré de maturité du marché considéré,
comme aux traits socioculturels du milieu où l'action se déroule. Ainsi,
dans les pays économiquement avancés où la demande atteint un niveau de volume
et de sophistication particulièrement élevé, les marchés sont très segmentés,
l'offre est différenciée et la concurrence intense. Vente par correspondance,
couponnage, essai gratuit, phoning, hard discount, merchandising, panel de
consommateurs, enquête par téléphone, audimat, e-mailing, publicité
contextuelle, chronomarketing, ciblage par Google adwords... sont autant
de vocables et de moyens qui symbolisent les sociétés d'abondance.
Dans un pays comme le Maroc, il est manifeste qu'on
ne saurait transposer systématiquement et à la légère les procédés importés.
Les ouvrages de marketing élaborés par des spécialistes marocains, on le sait,
se comptent sur les doigts... Le propos ici n'est pas de s'étendre sur
l'ampleur du vide ressenti, encore moins de chercher à en expliquer les
raisons. L'essentiel est de noter que les manuels les plus réputés et les plus
répandus, qu'ils soient conçus aux Etats-Unis, au Canada ou en France ne
s'accordent pas strictement avec l'environnement local. Comment d'ailleurs
peut-il en être autrement ?
Le fait est – c'est le second point majeur – que
tout savoir doit le plus possible être ancré dans la réalité vécue. Le marketing n'est pas
une connaissance abstraite ; en tant que pratique, il est toujours incarné,
toujours lié à l'espace. S'agissant de transmettre des concepts et un savoir-faire,
il est indispensable de se mettre au ton du milieu d'appartenance, de regarder
au-dedans de soi. Il n'est que de voir les études de cas utilisées couramment dans
les établissements supérieurs au Maroc : elles portent sur la société Cabas à
Avignon, les supermarchés Panneton à Chicoutimi, l'entreprise Staples dans le
Massachusetts, etc. Non pas qu'il faille se complaire dans un nombrilisme
puéril, laisser de côté les acquis et l'expérience transmis de l'extérieur,
mais il n'est pas bon que l'apprenant se sente constamment déconnecté du
réel, qu'il soit toujours forcé de s'imaginer dans un univers qui n'est pas
le sien.
Au Maroc, les illustrations proposées dans un cours
se doivent ainsi d’être choisies expressément pour tenir compte du contexte local.
Le professeur de Marketing s'attache à appliquer le principe qu'il enseigne :
un produit doit concorder avec les besoins et le milieu de la cible visée.
Coller à la réalité vécue, répétons-le, ne veut dire en aucune façon négation
de l’universel. L'impératif de spécificité ne saurait escamoter la nécessité de
communiquer avec l’autre, de favoriser l’esprit positif, d’assimiler les
nouvelles données.
Thami BOUHMOUCH
20 janvier 2012.
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(1) P. Valette-Florence,
préface à Y. Cordey et B. Perconte, Connaître
le marketing, Bréal 1992, p. 3.
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