[Article rédigé le 03/01/12 en réaction à un plaidoyer pour la laïcité au Maroc, publié sur le site Demainonline le 26/12/11.]
J’ai lu la « lettre ouverte au néo-messie Benkirane... », publiée sur le site Demainonline le 26/12/11.
Les commentaires consécutifs sur le PJD, la religion et la laïcité montrent que le public marocain n'est pas un corps inerte. Cependant, pour que le débat soit judicieux, on gagnerait à éviter l'extrémisme et les mystifications. L'arrogance naïve et la calomnie caractérisent les propos de l’auteure. Celle-ci, qui joue aux boutefeux, s’essaye manifestement à vicier le débat.
En fait, en elle-même, cette lettre importe peu. Ce sont les
élucubrations déjà entendues ailleurs qui m’intéressent. Maintenant, on prend
l'habitude d'opposer la modernité à l'obscurantisme, le progrès au dogmatisme, l'ouverture
à la négativité. Bref, le blanc contre le noir... Dans quel but ? A l'évidence,
les condamnations et l'exclusion de l'autre ne nous mèneront nulle part.
La jeunesse marocaine semble ébahie par les oripeaux de
l’Occident. Elle veut à n’importe quel prix lui ressembler, l’imiter, le
suivre. Imiter quoi ? Imiter la discipline sociale, le dévouement à
l’œuvre collective, l’attitude agissante, le sens du rationnel, le goût de la
progression, l’esprit inventif ? Non, il ne s’agit pas de cela. Ce qu’on veut,
c’est la « modernité » dans toute sa splendeur. C’est-à-dire :
la religion maintenue à l’écart de la sphère publique, le piétinement des
valeurs morales, le dévergondage débridé. Voilà où on en
est. Culturellement extravertis, les peuples subjugués s’hypnotisent sur
les effets de démonstration au détriment des priorités. Cela
me rappelle le Brésil des années soixante : comme le rapportait E.
Carneiro il y a plus de trente an : les minorités privilégiées «
singeaient jusqu’à l’absurde le mode de vie, les idées, les conduites,
l’habillement des Parisiens. Les dames de la haute société de Rio portaient des
manteaux de fourrure sous les tropiques » (1)
En Occident, les mots Islam, musulman, islamisme
sèment la panique dans la faune des nigauds. Mais qu’en terre d’Islam quelques
illuminés se mettent de la partie pour reprendre les amalgames et les insultes,
je n’arrive pas à m’y faire. Ce que certains appellent la laïcité, à bien y
réfléchir, c’est la porte ouverte à tous les dérapages moraux. L’Islam,
au-delà des pratiques rituelles, est une culture et une civilisation. Perdre les repères
religieux, c'est vivre sans boussole, sans conviction, sans freins, sans
scrupules. Le glissement est graduel...
Du reste, la « laïcité » dont on se gargarise ici a-t-elle
un sens réel en Europe ? La naïveté n’est pas pardonnable. La religion y est
bel et bien présente dan le champ public. En
France, par exemple, on sait que la plupart des jours fériés ont
une signification chrétienne (Noël, Pâques...). En famille, les fêtes religieuses jouent un rôle important
dans la transmission du patrimoine culturel. Sarkozy déclarait, en octobre
2010, lors d’une rencontre avec des cardinaux à Rome :
« L’Église ne peut pas être
indifférente aux problèmes de la société à laquelle elle appartient en tant
qu’institution, pas plus que la politique ne peut être indifférente au fait
religieux et aux valeurs spirituelles et morales. Il n’y a pas de religion sans responsabilité sociale, ni de politique
sans morale ». Cherchez
l’erreur : la France ne reconnait aucun culte, conformément à la loi du 9 décembre 1905 concernant la
séparation des Eglises et de l’Etat. (2)
Sarkozy, encore lui, n’hésite pas – en sa
qualité de président de la république – à se signer en entrant dans une
église... Jacques Chirac, lui aussi en tant que chef d'Etat, participait à des cérémonies religieuses et multipliait les témoignages de servilité à l'égard du Vatican. (3) La famille Obama ne se rend-elle
pas à l'église pour assister à la messe du dimanche ? En mai dernier, une vingtaine de
producteurs d’émissions religieuses de service public en Europe se sont réunis
aux Pays-Bas. Cette rencontre (annuelle) a porté sur les messes télévisées
ainsi que sur le planning des célébrations en Eurovision pour 2012 et 2013. (4)
On veut la « modernité » et on se prend à
discourir sur la « laïcité » à qui mieux mieux. Mais le syndrome de
la modernité mimétique, notamment dans les pays d’Islam, n'est pas seulement un fait de réduction-appropriation ; il peut
aboutir, il aboutit souvent à des transpositions incohérentes, appauvrissantes,
voire pernicieuses. Ces pays, disait l’écrivain iranien Ehsan Naraghi, doivent cesser de se comporter comme le
corbeau de la fable, voulant imiter la démarche de la colombe, finit par
oublier sa propre façon de marcher ». Il n’est que de voir la Moudawana :
l'exemption de la présence du tuteur lors de la contraction du mariage autorise
tous les débordements.
Considérons le scénario : une jeune fille décide de son mariage loin de ses
parents – qui deviennent, selon le schéma importé, la partie négligeable
; plus tard, elle leur annonce la nouvelle sans ménagement (de préférence par téléphone). J'ai vu
la scène sous d'autres cieux et saisi avec stupeur l'ampleur des dégâts
affectifs et du ressentiment éprouvés...
Que dire de « l'égalité » des sexes ? Les
mouvements féministes et la querelle à ce sujet prêtent à sourire. La femme
marocaine ne fera pas sa place dans la société à coups de réglementations. Dans
nombre de secteurs de l'activité sociale elle n'a pas besoin de la générosité
masculine du « quota », qui ne fait d'ailleurs qu'entériner la vision
de sa prétendue infériorité. Les faits donnent à penser que tout est question
de détermination et de confiance en soi. Selon le mot saisissant de l'écrivain
nigérian Wole Soyinka, « le tigre ne
clame pas sa tigritude, il saute ». A mon sens, les femmes aspirent à
être respectées spontanément, naturellement, sincèrement, pas sous la
contrainte d'une législation. Prenons le cas standard d'un homme et son épouse,
des employés tous les deux. De retour du travail, l'un s'installe devant la
télévision, l'autre se dirige vers la cuisine avant de s'occuper des enfants et
du ménage. Cette réalité n'est-elle pas tout simplement le résultat du degré de
conscience du mari ? La loi peut-elle éliminer de tels abus ? Pourrait-elle
instaurer l'équité et l'estime là où les prédispositions intellectuelles ne le
permettent pas ? Le véritable changement est foncièrement une affaire d'état
d'esprit et d'éducation.
Nombre d’intervenants étrangers s’immiscent à la dérobée dans notre quotidien. Une masse de dollars et d'euros est déversée sur la « société civile » pour que celle-ci soutienne des modèles s'inscrivant dans une vision occidentale de la vie et de la société. On nous paye pour qu'on fasse ce qu'on nous dicte de faire. Et nous nous prenons insensiblement à jeter le discrédit sur nos propres ancrages culturels. Les prises de position ici et là montrent de façon claire l'instance à laquelle on se réfère pour introduire le changement (rappelez-vous : l’auteur de la lettre ouverte en appelait de façon grotesque à un ministre français !).
Nombre d’intervenants étrangers s’immiscent à la dérobée dans notre quotidien. Une masse de dollars et d'euros est déversée sur la « société civile » pour que celle-ci soutienne des modèles s'inscrivant dans une vision occidentale de la vie et de la société. On nous paye pour qu'on fasse ce qu'on nous dicte de faire. Et nous nous prenons insensiblement à jeter le discrédit sur nos propres ancrages culturels. Les prises de position ici et là montrent de façon claire l'instance à laquelle on se réfère pour introduire le changement (rappelez-vous : l’auteur de la lettre ouverte en appelait de façon grotesque à un ministre français !).
Il importe de bien comprendre que les islamistes qui ont récusé, il y a dix ans, les modifications apportées à
Ce sont les dérives qu’on se doit de refuser. Il en est
ainsi du cas des « mères célibataires ». Certes, ce problème n'a pas
à être associé systématiquement à la prostitution et à la dépravation. Je pense
à ces bonnes arrachées à leurs familles, souvent illettrées, victimes d'un abus
de pouvoir, qui se trouvent subitement rejetées avec un bébé sur les bras. Pour
autant, ne perdons pas de vue qu’en Occident, la largeur d'esprit en l’espèce a
conduit à un libertinage que nous ne pourrions jamais accepter. Le Maroc est un
pays musulman.
On en arrive à la question de la polygamie. Cette pratique – après tout
rarissime – porte souvent préjudice à la première épouse. Elle devrait sans
doute être soumise à l'autorisation du juge... Prenons garde tout de même aux
comparaisons simplistes. La polygamie dans les sociétés islamiques est-elle
moins morale, moins inique que la pratique, répandue en Europe, qui consiste à
« prendre » une maîtresse ? En
Europe, des entreprises fabriquent et vendent des alibis (invitation à une
conférence, billet d'avion, factures, etc.) pour ceux qui cherchent à tromper
leurs femmes d'une façon « élégante et fiable »... Est-ce cette orientation
sociale que l’on voudrait transposer ?
A l'heure où tous les discours portent sur la globalisation,
d'aucuns semblent croire en la possibilité d'un saut décisif par simple
transposition de schémas et de pratiques importés. Or, si changer constitue a
priori un signe d'évolution, il est
grave qu'il prenne la forme d'un reniement de soi. De même qu'un enfant se
développe en devenant un adulte, non en mettant un long pantalon, une nation se
développe à partir de ce qu'elle est. L'approche du Maroc en termes d'ouverture
et de modernisation ne doit en aucune façon verser dans l'égocentrisme des
métropoles, ni exclure la possibilité d'une évolution particulière.
Au-delà des contraintes matérielles et mesurables, les
sociétés musulmanes ont besoin de représentations propres à guider l'action.
Comment peuvent-elles survivre dans un univers de nationalismes exacerbés en
effaçant chez elles ce qu'il convient d'intégrer et de dépasser ? Comment
surmonter les diverses formes de dépersonnalisation ? C'est que le
changement social/économique ne se réduit pas à des modifications
quantitatives. Il est, à bien des égards, le fait d'hommes pleinement
conscients de leur individualité historique, qui se sentent appartenir à un
« Nous ».
Chaque société, à
partir de sa dynamique endogène, se singularise par des mécanismes du
changement propres à elle. A la réflexion, le monde entier a besoin de se
repenser sur des bases éthiques.
Thami BOUHMOUCH
Publié le 15/01/12 in :
______________________________________________________________
(1)
Edson Carneiro, cité par Jean Ziegler, Retournez les fusils, Manuel de
sociologie d’opposition, Seuil 1981, p. 27.
(2)
Cf. http://lebloglaicdechamps.over-blog.com/article-quand-le-president-de-la-republique- Je souligne.
salam si Bouhmouch
RépondreSupprimerquelle n'a été ma surprise de lire un article dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est d'une grande sagesse et d'une indépendance d'esprit qui manque tant à la pensée unique fancophone. C'est très rassurant de découvrir que l'on n'est pas un marsien et que d'autres marsiens existent sur cette terre nourrie du sang de martyrs morts pour que dure la fierté d'être ce que nous sommes .
cordialement .
Bonjour,
RépondreSupprimerUtiliser une langue étrangère (pour des raisons historiques et aussi par goût personnel), absorber les apports exogènes, s'ouvrir sur le monde en devenir... Oui, mais en refusant catégoriquement le déracinement et la domestication culturels. Il n'est pas question d’acquiescer à la prétention exorbitante de l'Occident à l'universalité. Accueillir sans subir...
Votre commentaire m'a fait plaisir.
Cordialement.
bonjour
RépondreSupprimermerci pour votre réponse. ''Francophonie '' n'est pas synonyme de tare si on sait maîtriser la langue sans qu'elle ne nous le rende. Je pense même que plus on maîtrise de langues plus on se rapproche de Dieu puisque c'est par le pouvoir des mots qu'Adam en a imposé aux anges dans le livre sacré. Ce ci bien sûr , quand ils savent le lire sans complexe culturel et sans le filtre empoisonné des lectures braquées qui sont légions depuis qu'un monsieur Abdelwahab en a décidé ainsi sous le haut patronage de la colonisation anglaise.
cordialament et en attente de plus d'articles intéressants.
La laïcité n'est pas la solution ! L'être humain a un père : Dieu !
RépondreSupprimerSi on supprime à des enfants leurs parents, l'expérience nous indique que cela amène à la catastrophe. Les communistes avaient créé des écoles où y étaient pensionnaires des enfants pris à leurs parents dès le plus jeune âge. La majorité d'entre eux devenaient débiles.
Une société sans dieu, donc sans père, le devient aussi !
Reste à trouver le vrai Dieu ! pour l'instant nous allons vivre la fin des temps actuels. L'Antéchrist devrait apparaitre !
http://effondrements.wordpress.com/2012/07/15/preparons-nous-a-larrivee-prochaine-de-lantechrist-ou-djalal/