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25 janvier 2012

1/5. LA PREHISTOIRE DU MARKETING Il suffit de produire pour vendre



Le marketing est un sujet sérieux qui peut également être passionnant. Nombre d'apprenants l'abordent avec des sentiments mitigés... Comme toujours, les notions de base sont à la portée de tout le monde. Parfois certes il faut ramer dur, mais n'est-ce pas le cas de toutes les disciplines ?
Le marketing doit être appréhendé en tant qu'optique de gestion, en tant que nouveau paradigme, en tant qu'approche créative. Mais, avant de chercher à cerner le concept de façon formelle (article ultérieur), nous avons besoin d'avoir une idée de ce à quoi il ressemble.

L'apparition du marketing est relativement ancienne. On ne peut réellement dater sa naissance. Cela d'ailleurs importe peu. Les uns la situent au Japon, d'autres en Allemagne (1). L'idée prévaut néanmoins que c'est aux Etats-Unis que les règles commerciales, développées ici et là, ont été systématisées. Dès 1902, en effet, cette discipline commence à être inscrite aux programmes des universités américaines. Quant à la création des premiers départements marketing dans les entreprises, divers auteurs la situent aux débuts des années 1930, après les surproductions anarchiques de la décennie précédente.
La science du marketing s'est développée dans diverses régions du monde parallèlement aux mutations de l'économie, au développement du commerce, à l'accroissement du bien-être des populations... et sans doute aussi à l'engouement de tout ce qui provient de « l'Amérique ».
Ce domaine, à vrai dire, s'est longtemps cantonné aux problèmes de la distribution des produits. C'est seulement depuis les années cinquante qu'il s'est élargi à l'ensemble des activités portant sur le marché. (2) Pour Hiam et Schewe, en effet, « Il fut un temps où le mot marketing était totalement inconnu dans les entreprises. Selon le talent des vendeurs ou des détaillants, les produits se vendaient ou moisissaient sur les rayons, un point c'est tout. L'idée de marketing, c’est-à-dire la volonté de satisfaire le client, ne s'est véritablement concrétisée que dans les années 1950 ». (3)
Qu'est-ce au juste le marketing ?

Une première idée du concept
Nous n'allons pas chercher sur le champ à formuler une définition élargie du marketing. Pour le moment, une définition lapidaire pourrait suffire :
En première approximation, on peut définir le marketing comme l'ensemble des actions destinées à identifier les besoins des consommateurs et à les satisfaire.
Le concept, en s'élargissant singulièrement, est devenu quelque peu malaisé. Benoun écrit à juste titre que « le marketing est par essence adaptatif et évolutif, ce qui assure sa survie mais le rend par ailleurs difficile à appréhender ». (4) Voilà pourquoi, justement, il importe de l'appréhender à travers l'évolution des différentes conceptions de l'entreprise.
Un long processus a précédé la pratique contemporaine du marketing. Quelles circonstances, quels faits ont-ils marqué son apparition ? Répondre à cette question ne revient nullement à assouvir une curiosité « académique ». Le but est de comprendre que chaque conception exprime une vision et des choix, oriente le mode d'organisation et les outils utilisés. Cerner les conditions socio-économiques dans lesquelles le marketing s'est développé nous permettra également de bien saisir son essence, de comprendre son rôle actuel et de mettre le doigt sur les fondements de la discipline.
Il y a lieu de distinguer schématiquement quatre conceptions dans la conduite des activités d'échange : Production -- Produit -- Vente -- Marketing.
Ces conceptions constituent en fait quatre jalons importants du développement du marketing comme science. Chacune est marquée par une philosophie de gestion différente ; chacune consacre la prééminence de l'une ou l'autre des fonctions de l'entreprise.
Ce n'est pas à dire pour cela qu'il faille assimiler ces optiques à des phases historiques, des phases qui se suivraient de façon linéaire, de sorte que le début de l'une annoncerait la fin de la précédente. De plus, vu le chevauchement des faits et les disparités considérables d'un pays à l'autre, la datation n'a qu'une valeur indicative. En elle-même, pourrait-on dire, elle ne revêt pas un intérêt particulier. Le raisonnement ici s'appuie sur la manière dont les entreprises perçoivent le marché et s'organisent pour le conquérir. C'est l'aspect majeur sur lequel il convient réellement de centrer l'attention.
Le présent article n’entend aborder que la première conception.


Le temps du pré-marketing
L'approche se situe et se justifie dans un contexte caractérisé par une faible intensité des échanges. Les capacités de l'offre sont limitées et les producteurs ont du mal à répondre à la demande. Le rythme d'innovation technologique est faible et les biens fabriqués souvent de qualité commune. Les consommateurs – dont le pouvoir d'achat est limité – n'ont pas la possibilité d'exprimer leurs besoins et ne sont pas exigeants. A quoi bon s'en soucier ? Leurs besoins sont perçus du point de vue quantitatif ; ils sont stables ou à peu près identiques.
C'est assez dire que l'offre crée la demande, que les producteurs n'ont pas de problèmes d'écoulement. L'idée (implicite) est qu'ils savent « ce qui est bon » pour le consommateur. La vente est considérée comme allant de soi : il suffit de produire pour vendre. On est bel et bien sur un marché d'offreurs. Il est plus difficile de fabriquer un produit que de lui trouver des débouchés. La grande question est donc de produire (au coût unitaire le plus bas). Les efforts portent sur la recherche de ressources financières destinées à accroître les capacités et l'efficacité de production. C'est le règne des financiers, des ingénieurs et des techniciens (des méthodes d'organisation du travail industriel se sont développées dans ce contexte).
Cette philosophie de gestion se situe par excellence dans le passé. Disons qu'elle correspond – en Amérique du Nord et en Europe – à la période du XIXè siècle et débuts du XXè. De même elle correspond à la situation vécue autrefois (par la force des choses) par les pays du camp socialiste.
« Les théoriciens de la société de consommation affirment qu'autrefois, au début de l'économie capitaliste et de la production industrielle, [...] les besoins n'orientaient pas cette production. Les entrepreneurs ne connaissaient pas le marché, ignoraient les consommateurs. Ils produisaient au hasard, lançant leurs marchandises sur le marché en attendant l'acheteur, en espérant le consommateur ». (5) 
Au Maroc, du temps de la politique protectionniste (en particulier entre 1960 et 1983), il suffisait de produire. L'industrie (rudimentaire), installée à l'abri des frontières, fonctionnait selon une logique de l’offre. Le spectre de la concurrence étrangère étant éloigné, des produits de qualité approximative (à des prix élevés) avaient droit de cité. Rien n'obligeait les patrons d'entreprises à adopter des principes contraires à leur entendement. Du reste, les consommateurs ne semblaient pas avoir d'exigences particulières. Tout le monde gagnait de l'argent et la tendance était de croire que tout le monde savait gérer son entreprise.
Pour autant, on aurait tort de situer cette conception uniquement dans le passé. Témoin l'état actuel de la promotion immobilière au Maroc. On sait que le marché est fortement demandeur et l'offre faible. Pour parvenir à résorber le déficit en logements, la production annuelle devrait être portée à plus de 131.000 unités (estimation du ministère de l'habitat en 2011).
Dans ces conditions, les entreprises engagées dans la construction d'habitats sociaux fonctionnent bel et bien dans une logique de production. Le résultat est notoire : les bâtiments construits présentent des carences et des vices à tire-larigot (canalisations défectueuses, risques de fissuration, peinture et revêtement du sol bâclés, menuiserie rudimentaire, etc.).
La logique de production, à la limite, prévaut dans une situation de pénurie, là où la population dans l'ensemble n'a pas le choix. Tant que le consommateur n'a pas une attitude proactive, le marketing est absent – et n'est du reste pas nécessaire. Il serait perçu, sinon comme une charge superflue, du moins comme une activité accessoire. Disons, en toute rigueur, que l'action sur le marché se réduit aux techniques commerciales permettant d'écouler au mieux les produits fabriqués.
Comment dans ce contexte l'entreprise est-elle organisée ?

La fonction de production prédomine

L'organigramme d'une entreprise, notons-le, est la schématisation de sa structure interne. Pour ce qui est du mode fonctionnel, les opérations et les tâches font l'objet d'un regroupement selon le critère d'appartenance à une fonction. En principe, l'exercice d'une fonction est assuré par un service, c'est-à-dire un ensemble de moyens humains et matériels adaptés aux diverses opérations relevant de la fonction. On trouve néanmoins des situations où telle fonction est assurée par plusieurs services, ou inversement, tel service assure plusieurs fonctions.
Dans le cas présent, la fonction de production est primordiale. C'est elle qui focalise l'attention ; c'est sur elle que portent tous les efforts, car le développement de l'entreprise dépend de son efficacité technique. Le directeur de la production se voit ainsi accorder la primauté et impose son point de vue. Il est chargé de la conception et de la fabrication des produits, comme de leur distribution. A côté de lui, le directeur financier joue lui aussi un rôle influent : c'est lui qui, entre autres, réunit les capitaux pour accroître les capacités de production. Un service commercial – lorsqu'il existe – est chargé de l'administration des ventes et de l'animation de la force de vente. Celle-ci se contente d'écouler les produits fabriqués. Il est clair que les problèmes de commercialisation ne sont abordés qu'une fois les produits mis au point et fabriqués. L'essentiel est qu'ils soient disponibles – d'où l'intérêt accordé également au système de distribution.
Ainsi, les tâches concernant le marché, qui relèvent en temps normal de la fonction commerciale, sont éclatées entre différents responsables. Par exemple, le service après-vente dépend de la fonction de production, la fixation des prix et les prévisions des ventes sont prises en charge par la direction financière. Il y a donc dispersion des responsabilités, laquelle comporte forcément des risques d'incohérence et de désaccord.
Le département marketing – dans son acception moderne – n'existe pas (à moins de confondre, à la légère, la démarche marketing avec les méthodes d'écoulement des produits fabriqués).
D'aucuns estiment que l'entreprise s'inscrit dans cette optique lorsqu'elle cherche à produire en masse pour abaisser le prix de revient. Comme le note T. Levitt, « rien n'est plus agréable, que de gagner de l'argent en faisant tourner une usine à plein régime ». (6) Mais la démarche est réfutable : « la perspective d'abaisser considérablement les coûts unitaires en augmentant la production constitue un leurre auquel la plupart des sociétés se laissent prendre. Les espoirs de profit semblent spectaculaires. Tous les efforts se concentrent sur la production, et l'on néglige le marketing ». (7)
Manifestement, ce mode d'organisation ne convient pas au contexte hautement concurrentiel qui prévaut de nos jours. Le risque est que l'entreprise concernée soit incapable de s'adapter aux conditions changeantes du fonctionnement des marchés.

Récapitulons
Lorsque la logique de production prévaut, l’organisation est soumise à une vision autoritaire, les décisions sont prises conformément aux vœux des techniciens et des financiers, le client est relégué au second plan et choisit les produits en fonction surtout de leur disponibilité.

Thami BOUHMOUCH
Janvier 2012
_________________________________________
(1) Voir sur ce point Encyclopédie des affaires, Action marketing, Chapitre : L'origine de la mercatique, p. 4.
(2) Cf. Sylvie Martin et Jean-Pierre Védrine, Marketing - Les concepts-clés, Les éd. d'organisation.
(3) Alexander Hiam et Charles Schewe, MBA Marketing - Les concepts, éd. Maxima.
(4) Marc Benoun, Marketing, savoirs et savoir-faire, Economica.
(5) Henri Lefebvre, Le Robert Electronique des citations.
(6) Théodore Levitt, Le marketing à courte vue, Encyclopédie du marketing, Editions Techniques 1975.
(7) T. Levitt, ibid.

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