Le marketing est un sujet sérieux
qui peut également être passionnant. Nombre d'apprenants l'abordent avec des
sentiments mitigés... Comme toujours, les notions de base sont à la portée de
tout le monde. Parfois certes il faut ramer dur, mais n'est-ce pas le cas de
toutes les disciplines ?
Le marketing doit être appréhendé en
tant qu'optique de gestion, en tant que nouveau paradigme, en tant qu'approche
créative. Mais, avant de chercher à cerner le concept de façon formelle
(article ultérieur), nous avons besoin d'avoir une idée de ce à quoi il ressemble.
L'apparition du marketing est
relativement ancienne. On ne peut réellement dater sa naissance. Cela
d'ailleurs importe peu. Les uns la situent au Japon, d'autres en Allemagne (1).
L'idée prévaut néanmoins que c'est aux Etats-Unis que les règles commerciales,
développées ici et là, ont été systématisées. Dès 1902, en effet, cette
discipline commence à être inscrite aux programmes des universités américaines. Quant à la création des premiers départements
marketing dans les entreprises, divers auteurs la situent aux débuts des années
1930, après les surproductions anarchiques de la décennie précédente.
La science du marketing s'est
développée dans diverses régions du monde parallèlement aux mutations de
l'économie, au développement du commerce, à l'accroissement du bien-être des
populations... et sans doute aussi à l'engouement de tout ce qui provient de
« l'Amérique ».
Ce domaine, à vrai dire, s'est
longtemps cantonné aux problèmes de la distribution des produits. C'est
seulement depuis les années cinquante qu'il s'est élargi à l'ensemble des
activités portant sur le marché. (2) Pour Hiam et Schewe, en effet,
« Il fut un temps où le mot marketing était totalement inconnu dans les
entreprises. Selon le talent des vendeurs ou des détaillants, les produits se
vendaient ou moisissaient sur les rayons, un point c'est tout. L'idée de
marketing, c’est-à-dire la volonté de satisfaire le client, ne s'est
véritablement concrétisée que dans les années 1950 ». (3)
Qu'est-ce au juste le marketing ?
Une première idée du concept
Nous n'allons pas chercher sur le
champ à formuler une définition élargie du marketing. Pour le moment, une
définition lapidaire pourrait suffire :
En
première approximation, on peut définir le marketing comme l'ensemble des
actions destinées à identifier les besoins des consommateurs et à les satisfaire.
Le concept, en s'élargissant singulièrement,
est devenu quelque peu malaisé. Benoun écrit à juste titre que « le
marketing est par essence adaptatif et évolutif, ce qui assure sa survie mais
le rend par ailleurs difficile à appréhender ». (4) Voilà
pourquoi, justement, il importe de l'appréhender à travers l'évolution des
différentes conceptions de l'entreprise.
Un long processus a précédé la
pratique contemporaine du marketing. Quelles circonstances, quels faits ont-ils
marqué son apparition ? Répondre à cette question ne revient nullement à
assouvir une curiosité « académique ». Le but est de comprendre que
chaque conception exprime une vision et des choix, oriente le mode
d'organisation et les outils utilisés. Cerner les conditions socio-économiques
dans lesquelles le marketing s'est développé nous permettra également de bien
saisir son essence, de comprendre son rôle actuel et de mettre le doigt sur les
fondements de la discipline.
Il y a lieu de distinguer
schématiquement quatre conceptions dans la conduite des activités
d'échange : Production -- Produit -- Vente -- Marketing.
Ces conceptions constituent en fait quatre jalons importants du développement du marketing comme science. Chacune est marquée par une philosophie de gestion différente ; chacune consacre la prééminence de l'une ou l'autre des fonctions de l'entreprise.
Ces conceptions constituent en fait quatre jalons importants du développement du marketing comme science. Chacune est marquée par une philosophie de gestion différente ; chacune consacre la prééminence de l'une ou l'autre des fonctions de l'entreprise.
Ce n'est pas à dire pour cela qu'il
faille assimiler ces optiques à des phases historiques, des phases qui se
suivraient de façon linéaire, de sorte que le début de l'une annoncerait la fin
de la précédente. De plus, vu le chevauchement des faits et les disparités
considérables d'un pays à l'autre, la datation n'a qu'une valeur indicative. En
elle-même, pourrait-on dire, elle ne revêt pas un intérêt particulier. Le
raisonnement ici s'appuie sur la manière dont les entreprises perçoivent
le marché et s'organisent pour le conquérir. C'est
l'aspect majeur sur lequel il convient réellement de centrer l'attention.
Le présent article n’entend aborder
que la première conception.
Le temps du pré-marketing
L'approche se situe et se justifie
dans un contexte caractérisé par une faible intensité des échanges. Les
capacités de l'offre sont limitées et les producteurs ont du mal à répondre à
la demande. Le rythme d'innovation technologique est faible et les biens
fabriqués souvent de qualité commune. Les consommateurs – dont le pouvoir
d'achat est limité – n'ont pas la possibilité d'exprimer leurs besoins et ne
sont pas exigeants. A quoi bon s'en soucier ? Leurs besoins sont perçus du
point de vue quantitatif ; ils sont stables ou à peu près identiques.
C'est assez dire que l'offre crée la
demande, que les producteurs n'ont pas de problèmes d'écoulement. L'idée
(implicite) est qu'ils savent « ce qui est bon » pour le
consommateur. La vente est considérée comme allant de soi : il suffit de
produire pour vendre. On est bel et bien sur un marché d'offreurs.
Il est plus difficile de fabriquer un produit que de lui trouver des débouchés.
La grande question est donc de produire (au coût unitaire le plus bas).
Les efforts portent sur la recherche de ressources financières destinées à
accroître les capacités et l'efficacité de production. C'est le règne des
financiers, des ingénieurs et des techniciens (des méthodes d'organisation du
travail industriel se sont développées dans ce contexte).
Cette philosophie de gestion se
situe par excellence dans le passé. Disons qu'elle correspond – en Amérique du
Nord et en Europe – à la période du XIXè siècle et débuts du XXè.
De même elle correspond à la situation vécue autrefois (par la force des
choses) par les pays du camp socialiste.
« Les théoriciens de la
société de consommation affirment qu'autrefois, au début de l'économie
capitaliste et de la production industrielle, [...] les besoins
n'orientaient pas cette production. Les entrepreneurs ne connaissaient pas le
marché, ignoraient les consommateurs. Ils produisaient au hasard, lançant leurs
marchandises sur le marché en attendant l'acheteur, en espérant le consommateur ».
(5)
Au Maroc, du temps de la politique
protectionniste (en particulier entre 1960 et 1983), il suffisait de produire.
L'industrie (rudimentaire), installée à l'abri des frontières, fonctionnait
selon une logique de l’offre. Le spectre de la concurrence étrangère étant
éloigné, des produits de qualité approximative (à des prix élevés) avaient
droit de cité. Rien n'obligeait les patrons d'entreprises à adopter des
principes contraires à leur entendement. Du reste, les consommateurs ne
semblaient pas avoir d'exigences particulières. Tout le monde gagnait de
l'argent et la tendance était de croire que tout le monde savait gérer son entreprise.
Pour autant, on aurait tort de situer cette
conception uniquement dans le passé. Témoin l'état actuel de la promotion immobilière au Maroc. On sait que le
marché est fortement demandeur et l'offre faible.
Pour parvenir à résorber le déficit en logements, la production annuelle
devrait être portée à plus de 131.000 unités (estimation du ministère de
l'habitat en 2011).
Dans ces conditions, les entreprises
engagées dans la construction d'habitats sociaux fonctionnent bel et bien dans
une logique de production. Le résultat est notoire : les bâtiments
construits présentent des carences et des vices à tire-larigot (canalisations
défectueuses, risques de fissuration, peinture et revêtement du sol bâclés,
menuiserie rudimentaire, etc.).
La logique de production, à la
limite, prévaut dans une situation de pénurie, là où la population dans
l'ensemble n'a pas le choix. Tant que le consommateur n'a pas une attitude
proactive, le marketing est absent – et n'est du reste pas nécessaire. Il
serait perçu, sinon comme une charge superflue, du moins comme une
activité accessoire. Disons, en toute rigueur, que l'action sur le marché se
réduit aux techniques commerciales permettant d'écouler au mieux les produits
fabriqués.
Comment dans ce contexte
l'entreprise est-elle organisée ?
La fonction de production prédomine
L'organigramme d'une entreprise,
notons-le, est la schématisation de sa structure interne. Pour ce qui est du
mode fonctionnel, les opérations et les tâches font l'objet d'un regroupement
selon le critère d'appartenance à une fonction. En principe, l'exercice d'une
fonction est assuré par un service, c'est-à-dire un ensemble de moyens humains
et matériels adaptés aux diverses opérations relevant de la fonction. On trouve
néanmoins des situations où telle fonction est assurée par plusieurs services,
ou inversement, tel service assure plusieurs fonctions.
Dans le cas présent, la fonction de
production est primordiale. C'est elle qui focalise l'attention ; c'est sur
elle que portent tous les efforts, car le développement de l'entreprise dépend
de son efficacité technique. Le directeur de la production se voit ainsi
accorder la primauté et impose son point de vue. Il est chargé de la conception
et de la fabrication des produits, comme de leur distribution. A côté de lui,
le directeur financier joue lui aussi un rôle influent : c'est lui qui, entre
autres, réunit les capitaux pour accroître les capacités de production. Un
service commercial – lorsqu'il existe – est chargé de l'administration des
ventes et de l'animation de la force de vente. Celle-ci se contente d'écouler
les produits fabriqués. Il est clair que les problèmes de commercialisation ne
sont abordés qu'une fois les produits mis au point et fabriqués. L'essentiel
est qu'ils soient disponibles – d'où l'intérêt accordé également au système de
distribution.
Ainsi, les tâches concernant le
marché, qui relèvent en temps normal de la fonction commerciale, sont éclatées
entre différents responsables. Par exemple, le service après-vente dépend de la
fonction de production, la fixation des prix et les prévisions des ventes sont
prises en charge par la direction financière. Il y a donc dispersion des
responsabilités, laquelle comporte forcément des risques d'incohérence et
de désaccord.
Le département marketing – dans son
acception moderne – n'existe pas (à moins de confondre, à la légère, la
démarche marketing avec les méthodes d'écoulement des produits fabriqués).
D'aucuns estiment que l'entreprise
s'inscrit dans cette optique lorsqu'elle cherche à produire en masse pour
abaisser le prix de revient. Comme le note T. Levitt, « rien n'est plus
agréable, que de gagner de l'argent en faisant tourner une usine à plein
régime ». (6) Mais la démarche est réfutable : « la
perspective d'abaisser considérablement les coûts unitaires en augmentant la
production constitue un leurre auquel la plupart des sociétés se laissent
prendre. Les espoirs de profit semblent spectaculaires. Tous les efforts se
concentrent sur la production, et l'on néglige le marketing ». (7)
Manifestement, ce mode d'organisation ne convient pas au contexte hautement concurrentiel qui prévaut de nos jours. Le risque est que l'entreprise concernée soit incapable de s'adapter aux conditions changeantes du fonctionnement des marchés.
Récapitulons.
Lorsque la logique de production prévaut, l’organisation est soumise à une vision autoritaire, les décisions sont prises conformément aux vœux des techniciens et des financiers, le client est relégué au second plan et choisit les produits en fonction surtout de leur disponibilité.
Lorsque la logique de production prévaut, l’organisation est soumise à une vision autoritaire, les décisions sont prises conformément aux vœux des techniciens et des financiers, le client est relégué au second plan et choisit les produits en fonction surtout de leur disponibilité.
Thami
BOUHMOUCH
Janvier 2012
_________________________________________
(1) Voir sur ce point Encyclopédie
des affaires, Action marketing, Chapitre : L'origine de la mercatique,
p. 4.
(2) Cf. Sylvie Martin et
Jean-Pierre Védrine, Marketing - Les concepts-clés, Les éd. d'organisation.
(3) Alexander Hiam et Charles
Schewe, MBA Marketing - Les concepts, éd. Maxima.
(4) Marc
Benoun, Marketing, savoirs et savoir-faire, Economica.
(5) Henri Lefebvre, Le Robert
Electronique des citations.
(6) Théodore Levitt, Le
marketing à courte vue, Encyclopédie du marketing, Editions
Techniques 1975.
(7) T.
Levitt, ibid.
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