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30 mars 2014

LES PARTICULARISMES CULTURELS RÉSISTENT AU MARKETING GLOBALISANT



L'ouverture croissante des sociétés humaines, la propagation de plus en plus large des manières de vivre semblent conduire à une forme de nivellement culturel. Des produits divers ont réussi graduellement à imposer un concept à vocation transnationale. Dans les cinq continents, un modèle de consommation prend forme et se répand, un modèle qui implique le recours aux fastfoods, aux micro-ordinateurs, à Internet, aux consoles de jeux, aux téléphones portables et autres tablettes tactiles…
  
Une stratégie planétaire est-elle possible ?
L'extension des moyens d'information, comme l'écrivait P. Moussa il y a plus de cinquante ans, a « joué, au moins tendanciellement, dans le sens de l'unification du monde : les modes de vie de l'Occident sont connus de la terre entière et le désir de s'aligner sur eux est devenu d'autant plus vif ». (1) S’agissant de secteurs de grande consommation, tout se passe comme si les goûts et les attentes tendaient vers une certaine uniformisation. L'imprégnation touche les styles vestimentaires, les appareils multimédia, les goûts alimentaires… L'effet de démonstration conduit à un accroissement de la demande de produits le plus souvent importés.   
Partout, les consommateurs sont poussés à partager les mêmes codes, les mêmes aspirations. Et il n’en va pas autrement en Europe : « La diffusion des modèles culturels américains et la consommation de masse qui s'y rattache ne correspondent pas seulement à un engouement spontané, à une volonté d'imitation des modes étrangères, voire au snobisme des élites, puis de secteurs de plus en plus larges des populations européennes. L'économique, avec ses tendances récentes à l'intégration à l'échelle mondiale et à l'uniformisation des produits et des mythes qu'ils véhiculent, entre pour une bonne part dans la genèse du phénomène… ». (2)  
Les traits sociaux et culturels qui se répandent à l'échelle mondiale s'inscrivent dans la psyché des individus et guident les comportements. Pour que nous soyons les clients des produits étasuniens, il est nécessaire que nous assimilions le style de vie étasunien. C’est ce que voulait dire l’ambassadeur des Etats-Unis au Maroc en 1991 : « Je ne pourrais pas dire que le seul moyen de réaliser ensemble de grandes affaires commerciales serait qu'un plus grand nombre de Marocains puissent comprendre la culture américaine ou avoir une éducation américaine. Mais je dois admettre en même temps que cela pourrait certainement aider ». (3)
McDonald's, Coca-cola, Levis, Hugo Boss ont résolument opté pour une stratégie planétaire. De Casablanca à Rotterdam, d’Istanbul à Montevideo, le profil de l'acheteur est censé être le même. Les grandes marques tendent à mettre en œuvre les mêmes moyens et techniques, à mener les mêmes opérations, en vue d'optimiser les actions régionales. Elles aspirent à une homogénéisation du message publicitaire, à une unification de la démarche créative. La communication, se voulant transnationale, cherche à toucher tout le monde partout de la même façon.    
Pour autant, nombre d’auteurs mettent en garde contre les dangers d’une telle uniformisation. Lorsque des multinationales s’introduisent sur un marché, leur action publicitaire projette une image positive des goûts et des modes de consommation de leurs pays d'origine. A l’inverse, cette action tend à déprécier les normes de conduite locales. C’est, à n’en pas douter, un problème de morale et d'éthique : « On s'interroge aujourd'hui sur l'action des grandes entreprises américaines qui veulent extirper au forceps des traditions enracinées depuis des générations. Elles inondent le Tiers monde de produits de consommation américains et poussent les populations à acheter les symboles de l'american way of life – déodorants, dentifrice, hamburgers, pilules contraceptives. Elles incitent les mères à ne plus allaiter pour mieux leur vendre leurs bouillies en boîte… ». (4)
Le fait est que la mondialisation des manières de vivre a des limites. Elle est difficile à concrétiser sur le terrain. Ici et là, les spécificités culturelles restent fortes. Concevoir et développer des produits pour tous les marchés s’avère prodigieusement complexe. L'entreprise qui se développe à l’étranger, par l'exportation ou par l'implantation, se doit de tenir compte des particularismes culturels et savoir en bénéficier. Les discours globalisants ou tout simplement le besoin de profiter des atouts d'un concept unique se heurtent toujours à la nécessité de se plier aux idéaux de chaque société. Comment une offre pourrait-elle être universelle ? Les gens à travers le monde sont-ils faits du même moule ; ont-ils les mêmes valeurs, la même vision du monde ? Ne faut-il pas « être romain à Rome » ?

Le poids des spécificités culturelles
D’un  point de vue strictement commercial, il serait illusoire et dangereux d'ignorer les différences culturelles. Les clients sont issus de milieux distincts ; ils ont une humanité et des formes de logique propres. Le vélo en Chine et aux Pays-Bas est un objet utilitaire, un moyen de transport, alors qu'aux Etats-Unis c'est un moyen délassant, un véhicule récréatif. Les habitudes vestimentaires et culinaires sont culturelles. Les notions d'échéance et de délais de livraison sont très élastiques selon les cultures… Ce constat simple a conduit à une remise en question des approches universalistes au profit d'une approche réaliste des particularismes culturels.
Il est facile d'apprendre à connaître les lois et institutions d'un pays, mais il en va autrement pour les règles sociales et les dispositions d’esprit. Pour l'homme d'affaires asiatique, s'il faut avoir recours à un contrat, c'est que la relation avec le partenaire commercial est malsaine. S’il arrive que la confiance soit trahie, en particulier dans les entreprises familiales chinoises, le coupable est définitivement rejeté et cette décision est irrévocable. A Taïwan, les éléments fondamentaux de la relation commerciale (comme de la vie ordinaire) sont, par ordre d'importance, les sentiments, puis la rationalité et enfin la légalité. « L'image qui décrit le mieux le monde des affaires en Asie est une série de réseaux enchevêtrés : réseaux de familles et de connaissances, relations fondées sur l'appartenance à une même ethnie, associations d'anciens élèves, clubs mondains et contacts industriels, relations d'affaires ou gouvernementales ». (5)  
Opter pour la différenciation du marketing par culture ou sa globalisation est un enjeu stratégique majeur. « Think global, act local », l’expression est à la mode. Traduisons : ayez une vision internationale, mais adaptez votre produit, votre démarche, votre langage, en fonction des milieux d'accueil. « Les particularismes culturels résistent au discours globalisant qui prétend pouvoir imposer un même produit, dans différents marchés, sans se préoccuper d'adapter sa nature, sa forme, son emballage ou son prix aux conditions de la demande. Le marketing interculturel a pour raison d'être d'essayer d'intégrer les similitudes et les différences dans une stratégie d'ensemble ». (6)
La velléité d'homogénéisation de l’offre achoppe sur le poids du substrat socioculturel. Témoin les grandes écoles de commerce en Europe qui abordent (depuis plus d’une vingtaine d’années) les aspects interculturels dans les cursus de formation. « Car la capacité à tirer profit des situations interculturelles s'appuie sur des habiletés spécifiques en matière de communication, de négociation et de travail en équipes multiculturelles. [...] Il faut comprendre les logiques et systèmes de cohérence interne pour pouvoir décoder les comportements des partenaires et des collaborateurs et les restituer convenablement par rapport à leurs propres attentes ». (7)
Chaque marché a trait à sa propre culture. Dans un contexte d'internationalisation des entreprises, on doit la connaître si l'on veut repérer les opportunités. L'Europe, malgré les diverses affinités et les efforts d'unification, ressemble à un kaléidoscope. Cela a été noté il y a trente ans : « La machine à laver offre un étonnant condensé de cet éclectisme. Les Français réclament à 80 % des machines à chargement par-dessus et chronométriques, c'est-à-dire lavant le linge selon une unité de temps. Les Allemands les préfèrent à chargement frontal et thermostatiques, c'est-à-dire lavant le linge selon une unité de température. Les Italiens, pour leur part, réclament des cuves en inox, alors que l'Europe plébiscite l'émail. Face à pareil melting-pot, difficile de rationaliser la production, de concevoir un appareil standard. [...] Nestlé, pourtant auréolé du titre de firme la plus européenne, confesse disposer de 300 arômes pour le seul Nescafé ». (8)

Quels arguments publicitaires ?
Pour communiquer, le contexte culturel a un impact sur le choix des images, des thèmes et des mots. S’il est vrai que les marques Coca-cola et Pepsi-Cola pénètrent « globalement » les marchés à travers le monde, en transcendant les différences de goût et de saveur, elles s’attachent à modifier « localement » leurs actions de communication et leurs modes de distribution… « Dans le monde entier, Coca-cola propose le même produit, dans les mêmes conditionnements, mais pas tout à fait le même message publicitaire. […] La publicité comparative, autorisée aux Etats-Unis, est interdite dans la plupart des pays. Tel nom, aisément prononçable dans telle contrée (Leclerc en France), ne l'est pas forcément dans telle autre (Etats-Unis), etc. ». (9)


L’argument publicitaire « dents blanches » de telle marque de dentifrice n’est pas approprié dans le sud-est asiatique où l’on mâche du bétel justement pour les teinter. Sur le marché européen, l'alimentation donne lieu à des positions diverses. La notion du bien manger ne fait pas l'unanimité entre Anglais, Allemands, Français, Espagnols ou Italiens. Ainsi, aux Pays-Bas et en Allemagne, la publicité pour les produits allégés met en scène un sportif. En France, en plus de l'aspect forme physique, il faut communiquer sur l'aspect plaisir. Les divergences concernent aussi la cosmétologie et l’automobile. S’agissant du lait corporel, en Allemagne on choisira de communiquer sur l'hygiène ; en France ou en Italie c'est le thème de la beauté qui sera retenu. « L'étude de la relation à la voiture en Italie et en Angleterre, respectivement, permettra une mise en évidence aisée de traits culturels fortement distinctifs inscrits dans les permanences ». (10)
La langue est par excellence l'outil de la communication et de l'expression. En marketing international, c’est en même temps un élément culturel essentiel. C'est le dépositaire des valeurs et aspirations des membres d'une communauté donnée. Trouver un terme générique compréhensible par tous les consommateurs est un exercice difficile. Renault a examiné plus de 3500 noms avant d'opter pour Clio. De nombreux échecs sont liés au fait que le nom choisi est inacceptable dans le pays d'importation. Comment le chocolat allemand appelé Zit ne serait-il pas rejeté sur le marché étasunien, vu que le mot en anglais veut dire bouton d'acné ?
Pour réussir en affaires, on conçoit bien qu’il faille décrypter les particularismes locaux, coller aux spécificités de chaque marché.


Thami BOUHMOUCH
Mars 2014
________________________________________
(1) Pierre Moussa, « Les nations prolétaires », PUF 1959, p. 8.
(2)  Pierre Milza, « Culture et relations internationales », Relations Internationales, n° 24 - Hiver 1980, p. 367.
(3) Interview in La Vie Economique du 27/9/91.
(4) Hiam Alexander Hiam et Charles Schewe, « MBA Marketing – Les concepts », éd. Maxima. p. 124.
(5) Helmut Schütte, journal L'Economiste, 15/2/96.
(6) Geneviève de Béco, « Discours universaliste ou miroir des particularismes... », in : « Management interculturel, mythes et réalités », F. Gauthey et D. Xardel (sous dir. de), Economica 1990, p.45.
(7) Evalde Mutazabi, « Pour un management interculturel »,  Le Monde Initiatives, 27 mai 1992.
(8) Loïc Grasset, « Consommateurs européens : l'utopie du marché unique », L'Usine nouvelle, 14 juin 1990.
(9) Cf. mon article « Puissance et extension du concept Marketing »  http://bouhmouch.blogspot.com/2012/04/puissance-et-extension-du-concept.html  
(10)  G. de Béco, op. cit., page 50.



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