L'ouverture croissante des sociétés
humaines, la propagation de plus en plus large des manières de vivre semblent
conduire à une forme de nivellement culturel. Des produits divers ont réussi graduellement
à imposer un concept à vocation transnationale. Dans les cinq continents, un modèle de consommation prend forme et
se répand, un modèle qui implique le recours aux fastfoods, aux micro-ordinateurs,
à Internet, aux consoles de jeux, aux téléphones portables et autres tablettes
tactiles…
Une stratégie planétaire est-elle possible ?
L'extension des moyens
d'information, comme l'écrivait P. Moussa il y a plus de cinquante ans, a
« joué, au moins tendanciellement, dans le sens de l'unification du
monde : les modes de vie de l'Occident sont connus de la terre entière et le
désir de s'aligner sur eux est devenu d'autant plus vif ». (1)
S’agissant de secteurs de grande consommation, tout se passe comme si les goûts
et les attentes tendaient vers une certaine uniformisation. L'imprégnation
touche les styles vestimentaires, les appareils multimédia, les goûts
alimentaires… L'effet de démonstration conduit à un accroissement de la demande
de produits le plus souvent importés.
Partout, les consommateurs
sont poussés à partager les mêmes codes, les mêmes
aspirations. Et il n’en va pas autrement en Europe : « La
diffusion des modèles culturels américains et la consommation de masse qui s'y
rattache ne correspondent pas seulement à un engouement spontané, à une volonté
d'imitation des modes étrangères, voire au snobisme des élites, puis de
secteurs de plus en plus larges des populations européennes. L'économique, avec
ses tendances récentes à l'intégration à l'échelle mondiale et à
l'uniformisation des produits et des mythes qu'ils véhiculent, entre pour une
bonne part dans la genèse du phénomène… ». (2)
Les traits sociaux et culturels qui
se répandent à l'échelle mondiale s'inscrivent dans la psyché des individus
et guident les comportements. Pour
que nous soyons les clients des produits étasuniens, il est nécessaire que nous
assimilions le style de vie étasunien. C’est ce que voulait dire l’ambassadeur
des Etats-Unis au Maroc en 1991 : « Je ne pourrais pas dire que le seul
moyen de réaliser ensemble de grandes affaires commerciales serait qu'un plus
grand nombre de Marocains puissent comprendre la culture américaine ou avoir
une éducation américaine. Mais je dois admettre en même temps que cela pourrait
certainement aider ». (3)
McDonald's, Coca-cola, Levis, Hugo
Boss ont résolument opté pour une stratégie planétaire. De Casablanca à
Rotterdam, d’Istanbul à Montevideo, le profil de l'acheteur est censé être le
même. Les grandes marques tendent à mettre en œuvre les mêmes moyens et techniques, à mener
les mêmes opérations,
en vue d'optimiser les actions régionales. Elles aspirent à une homogénéisation
du message publicitaire, à une unification de la démarche créative. La
communication, se voulant transnationale, cherche à toucher tout le monde
partout de la même façon.
Pour autant, nombre d’auteurs
mettent en garde contre les dangers d’une telle uniformisation. Lorsque des multinationales s’introduisent
sur un marché, leur action publicitaire projette une image positive des goûts
et des modes de consommation de leurs pays d'origine. A l’inverse, cette action
tend à déprécier les normes de conduite locales. C’est, à n’en pas douter, un problème de morale et d'éthique :
« On s'interroge aujourd'hui sur l'action des grandes entreprises
américaines qui veulent extirper au forceps des traditions enracinées depuis
des générations. Elles inondent le Tiers monde de produits de consommation
américains et poussent les populations à acheter les symboles de l'american way
of life – déodorants, dentifrice, hamburgers, pilules contraceptives. Elles incitent
les mères à ne plus allaiter pour mieux leur vendre leurs bouillies en boîte… ».
(4)
Le fait est que la mondialisation des
manières de vivre a des limites. Elle est difficile à concrétiser sur le
terrain. Ici et là, les spécificités culturelles restent fortes. Concevoir et
développer des produits pour tous les marchés s’avère prodigieusement complexe.
L'entreprise qui se développe à
l’étranger, par l'exportation ou par l'implantation, se doit de tenir
compte des particularismes culturels et savoir en bénéficier. Les discours globalisants ou tout simplement
le besoin de profiter des atouts d'un concept unique se heurtent toujours à la
nécessité de se plier aux idéaux de chaque société. Comment une offre pourrait-elle être universelle ? Les
gens à travers le monde sont-ils faits du même moule ; ont-ils les mêmes
valeurs, la même vision du monde ? Ne faut-il pas « être romain à
Rome » ?
Le poids des spécificités
culturelles
D’un
point de vue strictement commercial, il serait illusoire et dangereux
d'ignorer les différences culturelles. Les clients sont issus de milieux distincts
; ils ont une humanité et des formes de logique propres. Le vélo en Chine et
aux Pays-Bas est un objet utilitaire, un moyen de transport, alors qu'aux
Etats-Unis c'est un moyen délassant, un véhicule récréatif. Les habitudes
vestimentaires et culinaires sont culturelles. Les notions d'échéance et de
délais de livraison sont très élastiques selon les cultures… Ce constat simple
a conduit à une remise en question des approches universalistes au profit d'une
approche réaliste des particularismes culturels.
Il est facile d'apprendre à
connaître les lois et institutions d'un pays, mais il en va autrement pour les
règles sociales et les dispositions d’esprit. Pour l'homme d'affaires asiatique, s'il faut avoir recours à
un contrat, c'est que la relation avec le partenaire commercial est malsaine. S’il
arrive que la confiance soit trahie, en particulier dans les entreprises
familiales chinoises, le coupable est définitivement rejeté et cette décision
est irrévocable. A Taïwan, les éléments fondamentaux de la relation commerciale
(comme de la vie ordinaire) sont, par ordre d'importance, les sentiments, puis
la rationalité et enfin la légalité. « L'image
qui décrit le mieux le monde des affaires en Asie est une série de réseaux
enchevêtrés : réseaux de familles et de connaissances, relations fondées sur
l'appartenance à une même ethnie, associations d'anciens élèves, clubs mondains
et contacts industriels, relations d'affaires ou gouvernementales ». (5)
Opter pour la différenciation du
marketing par culture ou sa globalisation est un enjeu stratégique majeur. « Think
global, act local », l’expression est à la mode. Traduisons : ayez une
vision internationale, mais adaptez votre produit, votre démarche, votre
langage, en fonction des milieux d'accueil. « Les particularismes
culturels résistent au discours globalisant qui prétend pouvoir imposer un même
produit, dans différents marchés, sans se préoccuper d'adapter sa nature, sa
forme, son emballage ou son prix aux conditions de la demande. Le marketing interculturel
a pour raison d'être d'essayer d'intégrer les similitudes et les différences
dans une stratégie d'ensemble ».
(6)
La velléité d'homogénéisation de
l’offre achoppe sur le poids du substrat socioculturel. Témoin les grandes
écoles de commerce en Europe qui abordent (depuis plus d’une vingtaine d’années)
les aspects interculturels dans les cursus de formation. « Car
la capacité à tirer profit des situations interculturelles s'appuie sur des
habiletés spécifiques en matière de communication, de négociation et de travail
en équipes multiculturelles. [...]
Il faut comprendre les logiques et systèmes de cohérence interne pour pouvoir
décoder les comportements des partenaires et des collaborateurs et les
restituer convenablement par rapport à leurs propres attentes ». (7)
Chaque marché a trait à sa propre
culture. Dans un contexte d'internationalisation des entreprises, on doit la
connaître si l'on veut repérer les opportunités. L'Europe, malgré les diverses affinités
et les efforts d'unification, ressemble à un kaléidoscope. Cela a été noté il y
a trente ans : « La machine à laver offre un étonnant condensé de cet
éclectisme. Les Français réclament à 80 % des machines à chargement par-dessus
et chronométriques, c'est-à-dire lavant le linge selon une unité de temps. Les
Allemands les préfèrent à chargement frontal et thermostatiques, c'est-à-dire
lavant le linge selon une unité de température. Les Italiens, pour leur part,
réclament des cuves en inox, alors que l'Europe plébiscite l'émail. Face à
pareil melting-pot, difficile de rationaliser la production, de concevoir un
appareil standard. [...]
Nestlé, pourtant auréolé du titre de firme la plus européenne, confesse
disposer de 300 arômes pour le seul Nescafé ». (8)
Quels arguments publicitaires ?
Pour communiquer, le contexte
culturel a un impact sur le choix des images, des thèmes et des mots. S’il est
vrai que les marques Coca-cola et Pepsi-Cola pénètrent
« globalement » les marchés à travers le monde, en transcendant les
différences de goût et de saveur, elles s’attachent à modifier
« localement » leurs actions de communication et leurs modes de
distribution… « Dans le monde entier, Coca-cola propose le même produit, dans les
mêmes conditionnements, mais pas tout à fait le même message publicitaire. […]
La publicité comparative, autorisée aux Etats-Unis, est interdite dans la
plupart des pays. Tel nom, aisément prononçable dans telle contrée (Leclerc en France), ne l'est pas forcément
dans telle autre (Etats-Unis), etc. ». (9)
L’argument publicitaire « dents
blanches » de telle marque de dentifrice n’est pas approprié dans le
sud-est asiatique où l’on mâche du bétel justement pour les teinter. Sur le
marché européen, l'alimentation donne lieu à des positions diverses. La notion
du bien manger ne fait pas l'unanimité entre Anglais, Allemands, Français,
Espagnols ou Italiens. Ainsi, aux Pays-Bas et en Allemagne, la publicité pour
les produits allégés met en scène un sportif. En France, en plus de l'aspect
forme physique, il faut communiquer sur l'aspect plaisir. Les divergences
concernent aussi la cosmétologie et l’automobile. S’agissant du lait corporel,
en Allemagne on choisira de communiquer sur l'hygiène ; en France ou en Italie
c'est le thème de la beauté qui sera retenu. « L'étude de la
relation à la voiture en Italie et en Angleterre, respectivement, permettra une
mise en évidence aisée de traits culturels fortement distinctifs inscrits dans
les permanences ». (10)
La langue est par excellence l'outil
de la communication et de l'expression. En marketing international, c’est en
même temps un élément culturel essentiel. C'est le dépositaire des valeurs et aspirations
des membres d'une communauté donnée. Trouver un terme générique compréhensible
par tous les consommateurs est un exercice difficile. Renault a examiné plus de
3500 noms avant d'opter pour Clio. De nombreux échecs sont liés au fait
que le nom choisi est inacceptable dans le pays d'importation. Comment le
chocolat allemand appelé Zit ne serait-il pas rejeté sur le marché
étasunien, vu que le mot en anglais veut dire bouton d'acné ?
Pour réussir en affaires, on conçoit
bien qu’il faille décrypter les particularismes locaux, coller aux spécificités
de chaque marché.
Thami
BOUHMOUCH
Mars
2014
________________________________________
(1) Pierre Moussa, « Les
nations prolétaires », PUF 1959, p. 8.
(2)
Pierre Milza, « Culture et relations
internationales », Relations Internationales, n° 24 - Hiver 1980, p.
367.
(3)
Interview in La
Vie Economique du 27/9/91.
(4)
Hiam Alexander
Hiam et Charles Schewe, « MBA Marketing – Les concepts », éd.
Maxima. p. 124.
(5) Helmut Schütte,
journal L'Economiste, 15/2/96.
(6)
Geneviève de
Béco, « Discours universaliste ou miroir des particularismes... »,
in : « Management interculturel, mythes et réalités », F.
Gauthey et D. Xardel (sous dir. de), Economica 1990, p.45.
(7) Evalde Mutazabi, « Pour un
management interculturel », Le
Monde Initiatives, 27 mai 1992.
(8) Loïc Grasset, « Consommateurs
européens : l'utopie du marché unique », L'Usine nouvelle, 14 juin
1990.
(9) Cf. mon article « Puissance
et extension du concept Marketing » http://bouhmouch.blogspot.com/2012/04/puissance-et-extension-du-concept.html
(10) G. de Béco, op. cit., page 50.
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