Le marketing, en tant que système de
pensée et d'action, s'est considérablement étendu. Il a donné lieu à une
application généralisée à toutes les activités et organisations. Retraçons en peu
de mots le cheminement.
Au départ, les techniques de marketing
étaient conçues pour le secteur de la grande
consommation (produits alimentaires, produits d'entretien...) avant de
s'étendre aux biens semi-durables (électroménager, automobiles...). Plus
tard (autour des années 70), elles ont fait une percée dans les services.
Il s'agit en l'occurrence des entreprises du secteur privé (transport,
assurance, autoroute à péage, école, location de voiture...), pas encore de
celles du secteur public (transport, communication...).
Puis c'est au tour des producteurs
de biens et services industriels de découvrir le marketing. La
catégorie des équipements et moyens matériels, des matières premières et des
produits intermédiaires a longtemps fait l'objet d'une orientation production.
Cela paraît s'expliquer par les caractères spécifiques du secteur : la
clientèle est réduite, la fabrication est tributaire des commandes, l'acheteur
(le directeur des achats) n'agit pas pour son propre compte. Celui-ci est
relativement peu sensible au prix, accorde un intérêt particulier aux attributs
du produit, aux délais de livraison et au service après-vente. Les clients
étant des entreprises (industriels, artisans…), la démarche marketing ne
semblait auparavant ni nécessaire, ni appropriée. Nul ne saisissait l'intérêt
d'adapter le produit aux attentes, ni de recourir à une action commerciale.
La réalité bien sûr est autre : les
achats industriels sont effectués par des individus, qui agissent en fonction
de leur personnalité et leur réceptivité propres. Sous cet angle, de tels
achats ont des traits communs avec les achats personnels ou ménagers. Dans
cette branche du marketing, il est de plus en plus question d'écoute et de
suivi de la clientèle, de collecte d'informations, d'encadrement des vendeurs,
de recours aux outils promotionnels tels que les expositions, les affiches,
etc.
Le marketing a alors gagné les
fabricants de produits de base.
Le PDG d'Usinor-Sacilor (acier, France) affirmait naguère : « Penser acier, c'est penser à notre marché.
Le mythe de la tonne a vécu et il faut aujourd'hui passer d'une logique de
fabricant... à l'écoute du client ». (1) L'industrie métallurgique au Maroc est aux prises avec
la concurrence étrangère, notamment celle de la Turquie et de l'Egypte (cosignataires
d'un accord de libre-échange). Vu l'avantage du faible coût de l'énergie et de
la main-d'œuvre dont bénéficient ces deux pays, les entreprises marocaines
tablent sur l'innovation et la qualité. Par ailleurs, le Maroc, qui augmente
ses capacités de production, se place comme une plate-forme régionale sur les
marchés notamment d'Afrique du nord et d'Afrique de l'Ouest. Dès lors, la
question de l'adaptation du produit aux attentes est incontournable. (2)
Peu à peu, le changement de vision a
gagné les relations avec l'extérieur. Il est alors question de Marketing
international. Celui-ci, est-il un domaine à part ou simplement du
marketing hors frontières ? En tout cas, les transactions entre pays se
révèlent une tâche complexe, compte tenu des conditions économiques, du profil
géographique, de la législation (normes techniques), des ancrages culturels et
du mode de vie pouvant différer sensiblement d'un pays à l'autre. Dans le monde
entier, Coca-cola propose le même produit, dans les mêmes conditionnements,
mais pas tout à fait le même message publicitaire. En Allemagne, les
restaurants McDonald's offrent de la bière plutôt que du Coca. La
publicité comparative, autorisée aux Etats-Unis, est interdite dans la plupart
des pays. Tel nom, aisément prononçable dans telle contrée (Leclerc en
France), ne l'est pas forcément dans telle autre (Etats-Unis), etc. De telles
différences contraignent souvent les dirigeants à modifier les produits
destinés à l'exportation, à adapter le prix et le message publicitaire. Les
politiques marketing adoptées ici ou là sont donc spécifiques.
Poursuivant sa progression
infaillible, le marketing s'est ensuite introduit dans le secteur non
marchand. Ainsi sont apparus le marketing public (composante non
marchande), le marketing social ou marketing des idées (des idées ayant un but
social) ou marketing des organisations à but non lucratif (OBNL), puis le
marketing politique (électoral).
Tout comme les entreprises, les organisations à but non lucratif (ou
sans but lucratif) sont confrontées – à un degré ou à un autre – à des
problèmes de marketing. Elles ont une mission à remplir et œuvrent pour
améliorer le service rendu. Les organisations sociales, philanthropiques ou
caritatives peuvent faire appel aux outils du marketing pour obtenir une
adhésion, des dons ou pour changer les attitudes du public. Telle association a
besoin d'une étude de marché pour savoir quelle est la catégorie à cibler, à
qui elle doit s'adresser en priorité, comment informer le public, le convaincre
et susciter le bénévolat... Au Maroc, les promoteurs d’une campagne de « Solidarité Nationale contre la pauvreté »
sont à la fois l'Etat, les organisations humanitaires et les associations. Le
message transmis met l'accent sur la lutte contre l'analphabétisme et la
pauvreté, ainsi que pour l'intégration des handicapés. Les particuliers et
opérateurs économiques ciblés répondent à l'appel en apportant des dons ou simplement
en achetant un badge ou un timbre dit de solidarité.
Le secteur public
s'est aussi mis à l'heure du marketing. L'Etat, on le sait, est un partenaire
important dans l'économie. Il développe ses activités dans les services publics et l'administration
(ministères, offices, collectivités locales). La communication publique – dans
les domaines de sécurité routière, de la santé, etc. – a pour objet de
provoquer des changements de comportement. Ainsi se posent des problèmes
d'étude de marché, d'identification de la cible, de connaissance des attentes
et des attitudes. « Le marketing, par sa philosophie et ses méthodes,
peut contribuer à redonner au secteur public l'efficacité que les déviations
bureaucratiques lui ont fait perdre ». (3)
Un exemple révélateur : la CNRA (Caisse
Nationale de Retraites et d'Assurances), en juin 2005, a transmis un
questionnaire à tous ses affiliés et organismes employeurs afin de recueillir
leur appréciation du service rendu. Dans la lettre explicative jointe au
courrier, le but était clair : « vos réponses nous permettront d'orienter
nos actions en fonction de vos exigences et de veiller à ce que la qualité de
nos prestations soit à la hauteur de vos attentes ». Une enquête de
satisfaction initiée par un établissement public, n'est-ce pas un bon signe ?
Pour ce qui est des services publics
marchands, le terme client, emprunté au secteur privé, commence à être utilisé.
Au-delà du simple changement sémantique, il s'agit bel et bien d'une évolution
profonde des mentalités. Le citoyen aspire à la rapidité, l'écoute et la
responsabilité dans ses rapports avec l'administration. Celle-ci est appelée à
répondre à des exigences prégnantes : l'apport d'une information transparente
et complète, l'encouragement de l'initiative, des prestations diligentes et
sans détours.
Cette conception ne date pas d’aujourd’hui.
Il y a dix ans, Barid Al-Maghrib – dans le cadre de sa mission de
service public – a lancé sa nouvelle offre de messagerie rapide Amana. Face
à la vitalité de la concurrence, l'opérateur national s'emploie à renforcer sa
présence et son image, à atteindre une part de marché substantielle. La gamme
des produits offerts (Expresse, Iltizam, Imtiyaz) est
destinée à plusieurs cibles : particuliers, professionnels et entreprises. Une
gestion électronique du courrier est mise en place, l'objectif étant de couvrir
40 sites à travers le pays. Chaque colis Amana est doté d'un code à
barres permettant de s'enquérir en temps réel de l'objet envoyé.
Toujours est-il que l'utilisation du
marketing dans le secteur public reste limitée, en raison d'un certain nombre
de particularités : l'activité se situe souvent hors de la sphère marchande de
l'économie (pouvoir politique, gestion non orientée vers le profit) ; elle se
fonde sur les grands principes d'intérêt général ; elle est assujettie au
respect des normes imposées par la loi et recourt aux appels d'offres (pour la
construction d'une école, pour l'acquisition d'équipements, etc.).
Le marketing moderne, enfin, s'étend
à la politique et l'on parlera de marketing électoral ou marketing de l'homme
politique. Il s'agit de « vendre » des candidatures
politiques, de promouvoir la personnalité et les desseins d'un candidat. Le
« marché » est constitué par les citoyens en âge de voter, dont il
faut capter l'attention et obtenir l'adhésion par un vote favorable. L'élection
du candidat est le résultat d'une campagne mettant en application les principes
d'analyse des motivations, de segmentation (de l'électorat), de différenciation
(de la plate-forme électorale)... Les formations politiques visent des cibles
particulières, élaborent des stratégies spécifiques, se soucient de leur image,
recourent à la publicité (films, affiches, prospectus), inventent des slogans,
pratiquent les relations publiques, etc.
En
2001 déjà, l’USFP appuyait
la préparation de son congrès sur les outils modernes du marketing : l'idée
était de vendre une image
sérieusement ternie par trois ans de pouvoir. Un documentaire à la gloire du leader historique fut projeté en grandes pompes à
Casablanca. Parallèlement, un sondage sur le parti a été confié à la société CSA-TMO.
En 2009, un spot exposait l’évolution du mouvement et les
engagements des candidats. Le parti développe désormais des milliers de pages
web avec un recours massif à Face Book, à You Tube et aux blogs. C’est le
premier à avoir mis en place un site exposant le programme électoral de chaque province, les
documents et meetings politiques, etc. (4)
Le marketing est également au cœur
de la stratégie électorale du PPS. Ses dirigeants ont pris conscience assez tôt
de la nécessité de transmettre l'information au grand public sur la base d'une
stratégie de communication en bonne et due forme. On se rappelle que lors des
élections législatives de 2002, le parti avait entrepris de déterminer
scientifiquement le profil des votants potentiels et de mesurer les audiences
par le recours à des micro-sondages. De même, des réunions restreintes ont été
organisées ici ou là avec des citoyens, afin de mesurer le feed-back par
rapport aux valeurs et opinions véhiculées par le parti. « Al kitab »,
un journal de 4 pages distribué gratuitement à cette occasion, expliquait la
vision et les grandes lignes du programme adopté.
En 2011, les principaux
partis politiques ont fait appel à des agences de communication. Le RNI a confié à Saga
Communication la conception de sa stratégie d’approche des électeurs et la
gestion de son site internet. La
campagne électorale du PPS est gérée par l’agence Le Messager, qui a produit un film destiné au grand public. Quant
au PJD, son département de communication produit des films institutionnels et
les slogans du parti, en faisant preuve de beaucoup de professionnalisme. Le
parti met également à profit Internet et les réseaux sociaux. (5)
En dépit des efforts fournis, la
démarche en l'occurrence n'est pas à l'abri de tout reproche – vu notamment le
taux d'analphabétisme et la volatilité des opinions de la population marocaine.
Du reste, il n'y a pas réellement de suffrages transparents (malgré les
promesses officielles) et les candidats aux élections législatives, une fois
élus, changent parfois de camp politique (le phénomène des « transfuges »).
Cela étant, dans cette conception élargie,
on notera qu'il n'est pas question d'entreprises mais d'organisations. Les personnes
ciblées ne sont pas des consommateurs mais des administrés, des citoyens, des
électeurs. Le « produit » (idée, candidat), bien entendu, n'est pas
payant, mais on retrouve toujours la notion
d'échange – c'est-à-dire une adhésion par un changement de comportement ou
un vote favorable.
C'est la puissance du concept qui
explique son extension tous azimuts. Les industries, les services, les
administrations, les associations, les partis politiques adoptent une démarche
marketing fondée sur les attentes et les caractéristiques de la catégorie
ciblée (acheteurs, administrés, adhérents...). En somme, le marketing
« générique » aborde les problèmes de toute organisation désirant faire adopter certains comportements par un
public déterminé. L'objectif n'est donc pas nécessairement de nature
financière (la rentabilité).
Les traits spécifiques de chacun des
domaines influent beaucoup sur la recherche de solutions. Ce ne sont pas
précisément les mêmes méthodes, ni les mêmes moyens employés, selon que le
comportement souhaité est d'acheter un dentifrice ou un lave-linge, d'utiliser
un contraceptif, de faire un don à une association ou de voter pour le candidat
d'un parti politique. Les particularités et les différences, tant aux niveaux
du public visé et des produits qu'à ceux des canaux de distribution et des
médias de communication, font que le marketing s'est progressivement
spécialisé.
Mais
au delà des différences, ce qui fait l'unité profonde des divers champs
d'application, c'est une attitude mentale. L'action s'inspire des mêmes
principes de base, résulte toujours de la même démarche logique. En d'autres
termes, le marketing est envisagé comme un tout, ayant des applications spécifiques diverses. Les nouveaux
domaines sont des cas particuliers d'une discipline générale. Ce sont des
applications d'une même vision d'ensemble.
Thami
BOUHMOUCH
Avril 2012
___________________________________________________
(1)
Cité par Ph.
Kotler et B. Dubois, Marketing management, éd. Nouveaux Horizons.
(3)
R. De
Maricourt et A. Ollivier, Pratique du Marketing en Afrique, éd. Edicef.
(5) Cf. http://www.bladi.net/marketing-electoral.html Nov. 2011
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