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20 avril 2012

LE BESOIN : notion et ordre prioritaire [1/3]



La définition proposée dans un article antérieur (1) conduit à faire état d'une série de notions, constituant l'essence du marketing. Or une compréhension approximative de ces notions risque fort de parasiter l'approche du concept. L'économiste P. Samuelson écrivait jadis : « Toute science sociale est influencée par des préconceptions émotionnelles et par des discussions sémantiques portant sur le sens exact des mots ». (2) De telles discussions, notait de son côté H. Mendras, « paraissent byzantines au profane qui croit savoir d'évidence ce dont il parle. C'est une erreur : un peu de byzantinisme épargne bien des confusions par la suite... ». (3)
Il est donc capital de bien s'entendre sur les mots, de préciser le sens de chacune des notions de base. On se limitera ici à celle du besoin.

Le besoin : une notion clé

Situons rapidement la notion de besoin dans la science économique. Celle-ci « recherche comment les hommes et la société décident d'affecter des ressources productives rares à la production de marchandises et services variés... ». (4) De la sorte, l'accent est mis sur la manière dont les hommes tendent, à partir des biens rares (i. e. non illimités) dont ils disposent, à satisfaire au mieux leurs besoins. La consommation signifie expressément « emploi d'un bien ou d'un service à la satisfaction d'un besoin » (5) ; c'est une « destruction de biens » en vue de ce résultat...
Pour autant, l'économique n'est pas focalisée sur la notion de besoin. En marketing, en revanche, cette notion est un élément clé. C'est le point de départ de la décision d'achat, le mobile qui pousse le consommateur à agir. Celui-ci – explicitement ou implicitement, consciemment ou inconsciemment – suscite l'idée qui se métamorphosera en produit. Le besoin est ainsi le pivot de toute orientation stratégique ; il guide l'action commerciale de l'entreprise.
Eclairons cela par un événement fictif.
Imaginons une contrée où toute la population marche pieds nus. Un grand fabricant de chaussures y dépêche l'un de ses techniciens en mission de prospection. A son retour, ce dernier rend compte de ce qu'il a vu ; pour lui « le marché est inexistant »... Un autre fabricant, lorgnant l'opportunité, charge son directeur marketing d'analyser la situation. Celui-ci, rapporte les faits dans ces termes : « personne ne porte de chaussures ici, mais les habitants souffrent des pieds. Ils ont besoin de chaussures. Il faudrait revoir la conception de notre produit, car ils ont des pieds très petits. Il faudrait aussi prévoir un effort de communication sur les bienfaits du port de chaussures... ». (6)
Ce récit rudimentaire a le mérite de suggérer une réalité cruciale : le marketing se fonde sur une logique du besoin. L'identification pertinente d'un besoin donne lieu à l'idée d'un produit, laquelle débouche sur sa conception, puis sur sa commercialisation. Un produit n'est autre qu'une promesse de satisfaction d'un besoin.
Les produits pharmaceutiques, dont la consommation se conforme pourtant strictement à la prescription et au contrôle d'un spécialiste (le médecin), n'échappent pas à la règle : leur élaboration est soumise à l'impératif de résoudre un problème physique ou psychique identifié auprès d'une catégorie de malades. Il faut à cet effet informer et convaincre le médecin-prescripteur des performances du remède, des modes d'administration, etc. Au passage, on notera que les médicaments ne répondent pas seulement à un besoin de survie mais aussi à un besoin de confort et de bien-être.
Ce sont les besoins qui orientent la réflexion et donnent matière à l'imagination commerciale. Loin de se limiter à la vente et la communication, le marketing est une activité créatrice…
Que le besoin soit une donnée incontournable, qui peut le nier ? Mais la notion est sujette à bien des approches possibles et son emploi extensif risque de l'amputer d'une part essentielle de sa précision. Elle nécessite dès lors une explication sans équivoque... Qu'est-ce que le besoin ?

Au premier abord, les besoins sont soit de nature physique ou physiologique, soit de nature psychologique ou socio-affective.
­ Les premiers, appelés aussi besoins « primaires », « innés » ou « absolus », sont inhérents à l'individu, liés à la nature humaine. Par essence, leur manifestation n'émane pas d'une influence extérieure. Exemples : se nourrir, se vêtir, se protéger de l'adversité...
­ Les seconds, appelés aussi besoins « relatifs », « acquis » ou « secondaires », sont liés au milieu social d'appartenance. Ils tiennent directement aux états affectifs, à la situation sociale ou professionnelle de l'individu. Exemples : faire partie d'un groupe, être estimé, être épanoui, se cultiver... Ces besoins ne sont pas saturables.
En somme, le besoin se fonde sur un sentiment de manque que ressent l'individu lui-même – en tant qu'être humain – ou l'individu vivant dans le groupe, dans son environnement communautaire – en tant qu'être social.
Cette classification est réductrice, car on peut bel et bien satisfaire des besoins primaires avec des produits de luxe, des produits qui sont soumis à l'influence sociale, qui ont une valeur de signe importante. Elle ne saurait faire oublier le caractère dichotomique des besoins et des biens qui les satisfont. La démarcation entre ce qui est accessoire (montré avec ostentation) et ce qui est inhérent à l'être humain n'est pas évidente dans de nombreux cas. Par exemple, l'achat d'une tenue vestimentaire répond à un besoin primaire – se protéger du froid – et en même temps à un besoin « relatif » – s'afficher en public, se sentir estimé par son entourage. Une canne à pêche peut servir de moyen pour se nourrir ou/et de support d'une activité de loisir (distraction, épanouissement).

La pyramide Maslow

Abordons la question sous un autre angle. Le besoin peut être analysé à partir de critères d'urgence et de priorité. La notion a fait l'objet d'une étude approfondie par le psychologue-sociologue A. Maslow. La théorie proposée en 1954 vise à expliquer le comportement humain par un nombre restreint de catégories de besoins, représentées sous forme d'une pyramide.


Les besoins, comme le montre le schéma, sont hiérarchisés en cinq niveaux, selon leur ordre d'apparition chez l'individu :
-- Les besoins physiologiques ou besoins primaires sont directement liés à la survie de l'espèce, donc prioritaires : boire, manger, dormir, se chauffer... Ces besoins fondamentaux, partagés par tous les hommes, donnent lieu aux biens de première nécessité comme l'eau, la nourriture (de base), les vêtements, etc.
-- Les besoins de sécurité, de stabilité, de protection (contre les accidents, les intempéries, les agressions naturelles et humaines, les risques économiques...) sont satisfaits pour assurer notre fonctionnement en société. (7) Les biens correspondants sont assez variés : arme de défense, système d'alarme antivol, serrure, assurance, retraite complémentaire, épargne, etc.
-- Les besoins d'appartenance sont des besoins sociaux, d'affection, d'affiliation. L'homme est un « animal social » ; il a besoin d'agir au niveau d'un groupe (famille, collègues, amis...), d'être accepté par ses proches. Il achètera alors des produits symboles, c'est-à-dire dont la consommation permet de revendiquer l'appartenance à un groupe déterminé : telle activité sportive, tel club, telle destination de vacances, etc.
-- Les besoins d'estime ou de prestige sont ressentis par l'homme social qui cherche à être reconnu, valorisé, estimé par soi et par les autres. Ce sont donc aussi des besoins sociaux. Une grande attention est prêtée aux produits pouvant assurer la considération et la confiance en soi, des produits de nature à véhiculer l'image positive recherchée : voiture luxueuse, lunettes ou vêtements d'une grande marque...
-- Les besoins d'accomplissement ou d'autoréalisation sont les plus complexes et les moins palpables. L'individu cherche à s'épanouir personnellement, à se réaliser, à se dépasser. L'accomplissement de soi peut se concrétiser par le choix de divers produits ou activités : lecture et collection de livres, pratique d'un art, participation à un jeu ou une compétition sportive...
Les besoins humains sont organisés de façon hiérarchique, selon un ordre prioritaire : les individus tendent à se consacrer avant tout aux besoins les plus fondamentaux, ensuite ils passent à la catégorie suivante. (8) Un besoin situé à un niveau donné ne pourra être activé et satisfait que lorsque les besoins situés aux niveaux inférieurs ont déjà été satisfaits. Ainsi, il ne sera pas question pour un consommateur de chercher à s'accomplir (échelon 5) tant que ses besoins physiologiques (échelon 1) ne sont pas entièrement satisfaits. Telle est l'idée centrale de Maslow.
En pratique, l'action publicitaire fait souvent appel à ces diverses catégories de besoins. Illustrons cela brièvement par quelques exemples :
Dans le message de Royal Air Maroc concernant la Zénith class (classe Affaires), le besoin d'appartenance est mis en valeur d'abord par les composants visuels : habitacle spacieux, cadre confortable, fauteuils et couverts luxueux. Il l'est également par les éléments verbaux : « Goûtez à l'esprit Zénith », « Vous allez savourer une cuisine raffinée, servie dans une vaisselle de porcelaine ». Le visuel conforte en même temps le besoin de reconnaissance et de prestige ; un besoin dont la stimulation est d'ailleurs renforcée par le mot Zénith (le plus haut degré que l'on puisse atteindre).
Le discours publicitaire des assurances-vie porte d'ordinaire sur le besoin de niveau 2 : « Que deviendra votre entourage si vous disparaissez ? ». Il recourt de plus en plus au besoin de niveau 3 : « Montrez-leur que vous les aimez », voire le niveau 5 : « Vivez intensément, nous serons toujours là ». (9)
Remettons en mémoire d'autres exemples connus. Le message de La Marocaine-Vie, relatif à son concept d'assurance Genetis, mettait l'accent sur le besoin de protection et de sécurité : « Y a-t-il sur terre quelque chose de plus précieux que votre famille ? ». De même celui de Tube et Profil (fabricant de tubes en acier, Casablanca), illustrant l'image d'un siège en acier destiné aux bébés : « La qualité, ça sert à protéger ce que vous avez de plus cher ». Le concessionnaire d'automobiles SCAMA (Auto Hall) communiquait sur le même registre au sujet de son modèle Ford Mondeo : « IPS, le système de protection qui réagit plus vite que le danger ». C'était aussi le cas d'Auto Nejma, concernant Daewoo Cielo : « Belle comme ça, il lui fallait son body gard ». Quant à la publicité du concessionnaire Mitsubishi, elle procédait du besoin d'estime (image de marque) : « Si vous voulez faire partie de l'élite gagnante, prenez le volant d'une Lancer ».

Quelle est la portée de la théorie de Maslow ?
C'est une conception élégante et surtout ambitieuse, car elle vise à expliquer le comportement humain en totalité par un nombre relativement restreint de besoins. Aussi ne peut-elle envisager toutes les circonstances et situations... Que dire, par exemple, du besoin de changement et de nouveauté, de l'envie de s'amuser, de la volonté de respecter l'environnement naturel ? (10) Est critiquable aussi l'hypothèse de hiérarchisation des besoins et de progression par niveau de satisfaction. Il n'est pas établi qu'un individu éprouverait un besoin d'affection ou d'estime seulement lorsque ses besoins primaires sont entièrement satisfaits. La classification sous-estime le poids du milieu d'appartenance : d'aucuns ne vont-ils pas se restreindre en nourriture pour pouvoir s'acheter des habits de prestige ou partir en vacances dans telle destination ? (11)

Thami BOUHMOUCH
Avril 2012
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(1) Cf. article « Saisir le marketing en tant que concept multidimensionnel » http://bouhmouch.blogspot.com/2012/04/de-la-portee-multidimensionnelle-du.html
(2) Paul Samuelson, L'économique, A. Colin, tome 1.
(3) Henri Mendras, Eléments de sociologie, A. Colin.
(4) P. Samuelson, op. cit., tome 1.
(5) Robert L. Heilbroner et Lester C. Thurow, Comprendre la macro-économie, Economica.
(6) Cf. Philip Kotler et Bernard Dubois, Marketing management, Publi-Union Editions.
(7) Ce type de besoin pourrait être qualifié de primaire dans un environnement particulièrement hostile. Ce qui montre que les choses ne sont pas simples.
(8) Cf. sur ce point Russel Boncey, Mind your business, Techniplus.
(9) Cf. Eric Vernette, Marketing fondamental, Ed. Eyrolles.
(10) Voir la liste de ce type de besoins et des produits qui sont censés les satisfaire, proposée par Jean-Paul Sallenave et Alain d'Astous, Le marketing de l'idée à l'action, éd. Simex (Québec).
(11) Cf. sur ce point Yves Cordey et Bernard Perconte, Connaître le marketing, Bréal.

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