Série : Compréhension du consommateur
Par qui, par quoi le consommateur est-il influencé ? Il est
influencé par ses attaches culturelles, par son
milieu social et par la famille à laquelle il appartient. « L’individu
n’est pas socialement isolé. Il s’inscrit aux différentes périodes de sa vie dans une histoire familiale dont il est un des acteurs… ».
(1) Pour
bien comprendre ses choix et préférences, il importe d’entrée de jeu de le situer par rapport à son entourage familial.
Un individu
appartient en fait à deux familles : celle où il naît – famille dite
d'orientation – et celle qu'il crée lorsqu'il se marie – famille de procréation.
(2) Par suite, la famille est
considérée dans deux perspectives : au sens restreint, elle se limite aux parents
et enfants ; au sens élargi, elle comprend en plus les oncles, tantes,
grands-parents et beaux-parents. Dans sa famille d'orientation, l'individu
acquiert des valeurs et des attitudes. Une fois marié, il continue de subir d’une
manière plus ou moins inconsciente l'influence de ses parents. En pratique, c’est
sur la famille réduite (nucléaire) que le marketing focalise l’attention.
La famille est l'entité
de référence la plus immédiate, la première à laquelle l'individu s'identifie. Elle
exerce l'influence la plus profonde et la plus durable sur sa personnalité et sa
manière de vivre. C'est un milieu de socialisation, au sein duquel se
forment les opinions et les habitudes de consommation. L'attitude de la famille
à l'égard de la religion, de l'hygiène, des loisirs, des cigarettes, des
sucreries… a un effet direct sur les décisions d’achat. Les préférences
alimentaires sont formées par les modes de consommation de la famille. Ainsi, pour
manger un œuf à la coque, un Marocain utilisera du cumin, alors qu’un Européen optera
pour le poivre.
L’influence
respective des époux
Il y a lieu de
noter ici que les besoins et l'utilisation des produits ne sont pas
nécessairement individuels. De nombreux produits sont destinés à satisfaire des
besoins collectifs (achats multipolaires). Dans un tel cas, c'est la
famille (le ménage) qui est considérée comme unité consommatrice (ou unité de
prise de décision). Tout se passe au sein du foyer comme s’il y avait un
partage de responsabilités, une sorte de division de tâches.
L'époux et l'épouse,
on s’en doute, pèsent chacun d'un certain poids sur les choix de consommation. Mais
quelle est la structure réelle des rôles dans le processus d’achat ? La
première typologie en la matière, développée en 1959 par D. Wolfe (en
s’inspirant de la classification de P. Herbst), identifie quatre configurations
ou types possibles de prises de décisions. (3)
1. Le cas d’une décision
autonome se présente lorsque l’époux choisit une banque, souscrit
à une assurance automobile, s’achète une crème à raser ou un PC portable, comme
lorsque l’épouse s’achète des produits cosmétiques, un sac à main ou une
revue. Sur le marché de la puériculture, il s’avère que les femmes décident
seules.
2. L’influence
dominante de l'épouse est observée au moment de l’achat des produits
alimentaires, des ustensiles de cuisine, des vêtements des enfants, de l’aménagement
intérieur du logement. Le rôle traditionnel de la femme est fondamentalement le
même que l'on soit au Maroc, au Mexique, en Russie ou au Sénégal. Tous les
distributeurs de mobilier et d’appareils ménagers vous diront que c'est la
femme qui décide généralement du choix des produits. Cela a été relevé, il n’y
a pas longtemps, par les responsables de Kitéa, de Kaoba et ceux du Comptoir de
l'Electroménager.
3. L’influence
dominante du mari est établie en cas d’achat d’une voiture, de réparations mécaniques
ou domestiques, de placements financiers, de souscription à une assurance-vie
et de toute autre acquisition ayant une incidence financière future sur la
famille.
4. La décision
syncrétique, c'est-à-dire prise conjointement par le couple, a lieu lorsqu’il
s’agit d’acquérir un appareil audiovisuel ou un logement, de choisir un
établissement scolaire pour les enfants ou une destination de vacances. Plus
l'achat est impliquant, plus les conjoints interviennent en commun dans la
décision.
A partir de cette
typologie, des analyses graphiques ont été proposées. H. Davis et B. Rigaux ont
proposé en 1974 une conceptualisation triangulaire de la répartition des
influences au sein du couple pour un large éventail de produits. (4) Une
autre version de cette analyse a été élaborée par B. Rigaux-Bricmont en 1978 pour
divers produits importants. (5)
De cela il résulte
que l’influence respective des époux varie notablement selon la nature/catégorie
du produit. Elle varie aussi selon les phases du processus d'achat : reconnaissance du
problème, recherche de l’information, évaluation des solutions et choix final. Ainsi,
pour l'achat d'une voiture ou d’un appartement, les recherches d'informations
sont menées par le mari, mais l'influence de l'épouse est importante au moment
de la décision… La répartition des influences dépend en fait fondamentalement du
milieu social du couple, selon son niveau d'éducation, selon qu’on se
trouve dans un environnement rural ou urbain. On notera cependant avec Dubois et Vanhuele que « la plupart des dépenses relèvent de
décisions communes et il est souvent difficile de départager les rôles ». (6)
Quoi qu’il en soit,
la répartition des influences n'est pas figée ; elle évolue avec
le temps : d'une part, les hommes aujourd’hui en viennent, à un degré ou à un autre,
à participer aux tâches quotidiennes ; d'autre part, les femmes étant plus
actives, apportent au foyer des ressources significatives et, de là, ont leur
mot à dire lors des achats importants. On se doit de tenir compte d'une telle
évolution lorsqu'il s'agit d'identifier une cible ou d’élaborer un message
publicitaire… Il est vrai, pour ce qui est du Maroc, que la distribution des
tâches ménagères n'a évolué que dans un nombre réduit de foyers…
L'influence des
enfants et adolescents
Le père et la mère n’ont
pas le monopole du pouvoir de décision au sein du foyer. Les enfants et adolescents exercent une
influence importante sur l'achat de certains produits, tels les vêtements, l’alimentation,
les loisirs, les fast-foods, les jouets, les multimédias, les destinations de vacances,
etc. Leur influence varie selon l'âge et selon que le produit leur est destiné
ou pas. Dans les magasins de meubles par exemple, il est manifeste que le choix
de l'enfant est déterminant pour ce qui concerne sa propre chambre. Plus les
enfants grandissent, plus leur implication est importante. Leur statut et leur pouvoir
de décision varient aussi considérablement selon les classes sociales.
Les adolescents, vis-à-vis
de leurs parents, jouent le rôle d’initiateurs en apportant des
informations pratiques ; ils constituent parfois de puissants
conseillers (achat d'une voiture, choix du lieu de vacances). Ils
introduisent dans la famille de nouvelles idées ou de nouveaux comportements
(loisirs, mode). Une étude effectuée aux Etats-Unis a montré l'influence
des enfants sur la vente des céréales. (7) Au Maroc, la décision
d'acheter un ordinateur pour la maison est soumise aux exigences des enfants. Ce
sont eux qui poussent souvent les parents à l'achat et les incitent à se connecter
à Internet.
Cela étant, il se
révèle que l’enfant adopte une démarche assez peu rationnelle : « il
regarde assez peu les prix de vente et les conditionnements et n’effectue pas
de comparaison entre les produits ». (8)
Les implications en Marketing
Saisir
l'implication de chacun des membres de la cellule familiale dans le processus
d'achat revêt une grande importance. Il s’agit de savoir qui exprime le besoin,
qui apporte l'information, qui décide (produit, marque, lieu, moment), qui
achète, qui consomme, qui a le plus d'influence… Le responsable marketing est
tenu de savoir comment se répartissent les rôles, de comprendre la façon dont
les membres interagissent. Il doit à
partir de là adopter une stratégie spécifique, concentrer ses efforts
sur une cible clairement identifiée (époux, épouse, enfant), définir les
caractéristiques de son produit, concevoir les axes publicitaires ou les
messages promotionnels, choisir les médias appropriés.
L'efficacité de ces
actions est directement conditionnée par la connaissance de la structure
interne du comportement d'achat en famille, elle dépend de l'identification des
acteurs principaux (initiateur, décideur, acheteur, consommateur). S’agissant
de publicité, on gagne à connaître l'impact que le message peut avoir sur l'un
ou l'autre membre de la famille.
Traditionnellement,
la ménagère est le principal acheteur de la cellule familiale pour les produits
de grande consommation. Cela explique l'attention quasi-exclusive que lui
portent les marques concernées. L'épouse, s’impliquant directement dans l'achat
des couches ou la nourriture pour bébés, c’est à elle que s'adressera la publicité.
A l’inverse, une revue féminine n’est pas un support adéquat pour promouvoir des
produits financiers.
L’action, s’il y a
lieu, doit tenir compte des enfants (initiateurs, décideurs). « Le rôle
prescripteur de l'enfant est devenu un élément clé des stratégies marketing de
nombreuses marques, qui savent combien elles peuvent compter sur ces petits
alliés pour avoir les parents à l'usure… ». (9) S’agissant
des céréales, la conception du
conditionnement et le message publicitaire s’adressent expressément aux
enfants. La marque Signal a entrepris à Casablanca de distribuer des tubes de dentifrice à la
sortie des écoles et clubs juniors de football…
Thami BOUHMOUCH
Juin 2014
________________________________________
(1) R. Ladwein, Le comportement du consommateur et de l’acheteur, éd.
Economica, p. 64.
(2) Cf. A. Hiam et Ch. Schewe, MBA Marketing - Les concepts,
éd. Maxima, p. 262.
(4) Cf. J.-J. Croutsche, Marketing
opérationnel : liaisons et interfaces dans l'entreprise, éditions Eska, pp. 192-193.
(5) Cf. J. P. Helfer et J. Orsoni, Marketing,
éd. Vuibert gestion, pp.121-122.
(6) B. Dubois et M. Vanhuele, Comportement du consommateur, http://www.universalis.fr/encyclopedie/consommation-comportement-du-consommateur/
(7) Cf. A.
Hiam
et Ch. S., op. cit. p. 263.
(8) E. Vernette,
Marketing fondamental, éd. Eyrolles, p. 58.
(9) B. Dubois et M. Vanhuele, op. cit.
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