Voici une des notions simples que
tout étudiant en Marketing se doit d’appréhender : sur le marché, un
besoin conduit à la recherche de solutions pour le satisfaire. L’acheteur
potentiel – surtout lorsque l'achat est prémédité – tend normalement à s'informer
afin d'effectuer le bon choix. Ce qu’il comprend et retient des renseignements
transmis influe directement sur sa décision (achat ou non-achat). Mis à part
les cas routiniers où le recours à la mémoire (l’apprentissage) suffit
amplement, l’information requise est obtenue auprès de sources diverses,
tels le vendeur (ou lieu de vente), un message publicitaire, un prospectus, un
site web, un périodique, les membres de l’entourage (famille, amis, voisins).
Le paysage
commercial dans lequel nous évoluons a connu des mutations majeures, vu la multiplication
des produits offerts ainsi que les nouveaux procédés de vente. Ce développement
impose aux producteurs et commerçants de s'adapter aux nouvelles règles de
fonctionnement concurrentiel. Comment concevoir une économie libérale, fondée sur la liberté de
choisir, sans admettre la nécessité de donner au consommateur les
moyens d’exercer ses choix en parfaite connaissance de cause ? Lors de
l'achat d'une voiture, par exemple, d’aucuns ignorent l'existence du crédit
bail mobilier ou leasing. Combien savent que la formule de la LOA (location
avec option d'achat) est mieux adaptée et comporte des avantages non
négligeables (taux moins élevés, exonération de TVA) ? Les organismes
concernés ont pourtant intérêt à communiquer ces informations, surtout qu'ils
ont un gage sur le véhicule acheté. Les acheteurs savent-ils tous qu'on ne
devient propriétaire du véhicule qu'au terme du contrat, qu’ils ne peuvent
quitter le territoire sans autorisation du crédit bailleur ?
L'information recueillie sur le
produit offert précède le choix du consommateur, réduit l'incertitude, permet
de prendre une décision éclairée. Or l’indication du prix est la clé de voute
de cette information. D’où la nécessité d’un affichage sans équivoque.
Dissimulations et artifices
Au Maroc, le défaut d'affichage
des prix est devenu une pratique à laquelle la société semble s’être habituée. Rares
sont ceux qui le regardent comme un handicap sérieux, à l'origine
d'innombrables malentendus et tromperies. Comme je
l’ai noté dans un précédent billet, « on a beau se convaincre qu'il s'agit là [l'affichage des prix] d'un des principes de la culture
industrielle (transparence au niveau des transactions commerciales) les
marchands lui opposent un niet
catégorique. Quelle que soit la marchandise (fruit, pâtisserie, parfum, jouet,
vêtement, ustensile de cuisine...), l'acheteur potentiel se fait communiquer
les prix oralement, article par article. A aucun moment les gens ne se
plaignent de ce rituel laborieux et déraisonnable... » (1)
Combien cela me coûtera-t-il ?
C'est la question que chacun se pose au moment de souscrire à un crédit. Les
publicités, loin de fournir une information préalable fiable, s'avèrent un
véritable sac d'embrouilles : dans le secteur de l'automobile, quelques-unes
indiquent la mensualité à régler sans préciser la durée, ni l'apport initial,
d'autres seulement le taux, en dissimulant les frais de dossier et la prime
d'assurance. Résultat : l'individu en situation de choix ne peut
apprécier, ni faire une comparaison rationnelle des conditions de crédit. En
l'absence d'une contrainte réglementaire réelle, les quiproquos sont
inévitables : taux réel, dégressif, constant, hors taxes, TTC ? On se doit
d'expliquer, entre autres, que si la durée est prolongée, la mensualité est
faible mais la charge des intérêts est élevée... En fait le coût du crédit dépend
du taux, de la mensualité, de la durée et des frais dits accessoires (frais de
dossier, prime assurance). Les organismes de financement, même lorsqu'ils
proposent des simulations pour convaincre les clients potentiels, ne les renseignent
pas de manière exhaustive. Des éléments sont toujours occultés.
Du
côté des banques, l’affichage est certes strictement imposé… mais il y a
toujours moyen de louvoyer, de trouver un biais. Je me cite encore : « il
arrive souvent que le tableau sur lequel sont inscrits les taux de référence et
les prix des prestations de service soit placé dans un coin pratiquement hors
de portée de la clientèle et du public. Les responsables ne perçoivent pas ce
défaut d'affichage comme une marque d'opacité. Ils ne sont pas à même de
comprendre que le renseignement arraché oralement est loin d'être clair et
suffisant ». (2)
La sensibilité de l'individu en
matière d'information dépend de ses prédispositions vis-à-vis de la marque
concernée mais aussi du degré de clarté du stimulus. Il y a dix ans,
rappelons-nous, Maroc telecom et Méditel avaient axé leurs actions de
promotion sur des données floues, incomplètes et contradictoires. Ainsi les
messages publicitaires, les prospectus et surtout les vendeurs ne précisaient
pas que la durée de communication s'entendait en tarif réduit, ils mélangeaient
prix hors taxes et prix TTC, etc. Le client se trompait souvent sur le prix à
payer et les avantages obtenus. La situation aujourd'hui est meilleure, mais le
client n’est toujours pas à l’abri des non-dits et des manipulations.
Le défaut d’affichage a pour
corollaire logique le marchandage. La
personne qui se fait communiquer le prix oralement est portée à le discuter, à
vouloir l’abaisser. La pratique est fastidieuse et suscite le doute et la
méfiance. Elle donne lieu à une perte de temps inadmissible et à tous les abus.
Que de touristes ont été trompés et écœurés… A l’heure où l’on parle
d’assainissement, il importe de réfléchir à la question.
L’affichage clair des prix assure la transparence dans les transactions et la
protection du consommateur. Un
commerçant est tenu de communiquer ses prix de manière écrite et bien visible. Lorsqu'il
expose ses produits avec des prix convenablement affichés, il s'engage à les
céder aux conditions qu'il a lui-même définies. Dans un supermarché, vous
tombez sur un article à un prix relativement bas. Arrivé à la caisse, une surprise vous attend : le montant
requis est bien plus élevé que celui affiché en rayon ; il s’agit, vous
dit-on, d’une erreur. Le phénomène est persistant et a pris une grande ampleur,
mais rares sont ceux qui s’en rendent compte (à la caisse, les clients ont l’air
absorbé, ramassent la marchandise tête baissée).
Affichage : que dit la loi ?
Les autorités publiques sont
conscientes de la nécessité de l’affichage des prix et la loi est assez
explicite sur ce point. Une campagne nationale pour l’affichage des prix a déjà
eu lieu en avril-mai 2002 sur la base d’un dispositif réglementaire strict. La
loi 06-99 sur la liberté des prix et de la concurrence reconnaît certes le
principe de la libre détermination des prix des biens et services, mais elle
impose des règles de transparence dans les transactions commerciales. L’obligation
d’afficher les prix est stipulée sans équivoque : « Tout vendeur de produit ou tout prestataire
de services doit par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou tout autre
procédé approprié, informer le consommateur
sur les prix et les conditions particulières de la vente ou de la
réalisation de la prestation ». (3)
Si le produit est exposé à
l’extérieur du lieu de vente (vitrine, étalage), l’affichage du prix doit éviter
au client potentiel de pénétrer à l’intérieur pour en prendre connaissance. Si
le produit est exposé à l’intérieur (étagère, présentoir), son prix doit être mis en
évidence par le biais d’écriteau, d’étiquette ou autres, de sorte que le client
ne soit pas contraint d’en faire la demande. « L'écriteau doit être placé sur le produit ou
à proximité immédiate ; indiquer le prix en monnaie nationale TTC, en
caractères parfaitement visibles et lisibles […] L'étiquette ne peut être utilisée que lorsque le consommateur à la
possibilité matérielle de prendre directement le produit en main : elle
doit être placée ou attachée sur le produit lui même ou son emballage […] Le prix des prestations de services doit
faire l'objet d'un affichage dans les lieux où elles sont proposées au public ». (4)
S’agissant des services, les
modalités d’affichage diffèrent selon la nature de la prestation et son lieu
(hôtel, café, salon de coiffure). Le législateur, en mettant ce dispositif en
place, entend protéger le consommateur et n’admettre aucun manquement. Le
non-affichage du prix, considéré comme un délit, est passible d’une amende
allant de 1.200 à 5.000 dh.
Voilà pour le principe. Le problème
au Maroc, comme dans bien d’autres domaines, se situe aux niveaux de l’adhésion
sociale, de l’application effective, du suivi administratif. Aujourd’hui, le
défaut d’affichage apparaît encore et toujours parmi les types d’infraction les
plus rencontrées par les services de contrôle. A cet égard, l’indulgence de
l’Etat n’est pas du tout compréhensible : il sanctionne sévèrement
l’automobiliste qui omet de mettre la
ceinture de sécurité, mais ferme les yeux sur les
abus commis au grand jour par les commerçants et prestataires de
services.
Odd princing : de la magie ?
Que
dire maintenant de cette pratique, très répandue dans les grandes surfaces, appelée
Odd pricing ? C’est
le prix fixé juste en dessous du nombre entier le plus proche (se terminant par 95 ou 99) afin de créer un effet psychologique favorable auprès
du consommateur. Comment cette astuce est-elle perçue par le grand
public ?
Déjà lorsque le prix comporte une virgule, il donne l’impression d’avoir été « étudié »
scrupuleusement avant d’être affiché ; de là, il parait crédible et suscite
une certaine confiance. Mais il y a aussi l’idée de seuil psychologique. Si, par exemple, le prix indiqué est de 9,95
dh, il est situé dans la fourchette inférieure à 10 dh, ce qui est censé
déclencher la décision d’achat. Tant que ce seuil (prix rond) n’est pas
franchi, la demande est assurée. L’observation attentive du consommateur – vu
qu’il est exposé à un flux continu de prix – montre qu’il ne retient que
les chiffres avant la virgule. L’impact sur son esprit et son comportement est considérable :
il a la sensation que l'article « n’est
pas cher ». De plus, lorsqu’il se rappelle ou reprend lui-même le montant annoncé,
il y a de fortes chances pour qu’il l’arrondisse au dirham inférieur. C’est là
que se situe la victoire du vendeur. D’où l’appellation « prix magique »
ou « prix en trompe-l'œil ».
Le consommateur doit pouvoir se fier au prix affiché. Celui-ci, à l’évidence, doit être univoque
et lisible. Curieusement, un magasin comme Metro affiche ses prix, souvent TVA incluse, parfois hors taxes, selon la catégorie de produit. Les clients,
n’étant pas en état d’alerte permanent, se trompent à tous les coups. Devinez maintenant
comment l’hypermarché Marjane s’y
prend pour indiquer le prix de 5,95 dh sur un écriteau. Le spectacle vaut le
détour : le chiffre 5 est démesuré, la virgule est bien sûr absente, les
décimales 95 sont minuscules, griffonnées maladroitement et surtout mises à
l’écart dans le coin de l’affiche, d’une manière telle que personne ne peut les
voir. L’auteur de ce petit stratagème sait ce qu’il fait : un dirham est
ainsi soutiré, sans coup férir, à des dizaines de milliers d’acheteurs et pour chacun
des articles concernés. Interrogé à ce sujet, un responsable explique :
« il n’y a aucune intention de
tromper, c’est simplement du marketing ».
Qui serait à même de mettre fin aux abus flagrants qui guettent au quotidien le consommateur marocain ? D’abord, l’Etat : responsable de l’ordre public, il est tenu d’intervenir régulièrement et dispose pour cela des moyens de coercition appropriés. Souvent, seule la sanction peut réfréner les déviances. Ensuite, les associations des consommateurs ont un rôle à jouer et on peut déplorer qu’elles ne soient pas suffisamment actives pour prêter la main à l’Administration. Enfin, il y a l’implication décisive du consommateur lui-même : étant directement en situation, c’est à lui de s’élever contre les manœuvres frauduleuses, d’exiger des explications sur les clauses douteuses, de réclamer plus de transparence, de faire prévaloir ses droits. Au Maroc, peut-être plus qu’ailleurs, l’individu est faible face aux producteurs et commerçants ; il semble avoir pris l’habitude de se résigner… Mais les esprits vont sûrement évoluer, qui sait ?
Qui serait à même de mettre fin aux abus flagrants qui guettent au quotidien le consommateur marocain ? D’abord, l’Etat : responsable de l’ordre public, il est tenu d’intervenir régulièrement et dispose pour cela des moyens de coercition appropriés. Souvent, seule la sanction peut réfréner les déviances. Ensuite, les associations des consommateurs ont un rôle à jouer et on peut déplorer qu’elles ne soient pas suffisamment actives pour prêter la main à l’Administration. Enfin, il y a l’implication décisive du consommateur lui-même : étant directement en situation, c’est à lui de s’élever contre les manœuvres frauduleuses, d’exiger des explications sur les clauses douteuses, de réclamer plus de transparence, de faire prévaloir ses droits. Au Maroc, peut-être plus qu’ailleurs, l’individu est faible face aux producteurs et commerçants ; il semble avoir pris l’habitude de se résigner… Mais les esprits vont sûrement évoluer, qui sait ?
T. Bouhmouch
Rédigé le 13 octobre 2011
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(3) Article 47 de la Loi
n° 06-99 sur la liberté des prix et de la concurrence : http://www.droit-afrique.com/images/textes/Maroc/Maroc%20-%20Loi%20concurrence.pdf
(4) Site du Ministère de l’Industrie,
du Commerce et des Nouvelles Technologies http://www.mcinet.gov.ma/mciweb/mciweb/
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