L'attentat
incroyable [11 septembre 2001] contre les Etats-Unis amène à se poser deux questions : s'agit-il du
premier acte du "choc des civilisations" ? Au-delà du désir de laver
l'affront, ne convient-il pas de réfléchir avec lucidité sur les causes de la
tragédie ?
1. Une précipitation symptomatique
Dans les
médias européens, d'aucuns ont dit et répété que « nous sommes tous américains, car nous avons les mêmes valeurs ».
Le périodique français l'Express
annonce dare-dare sur sa couverture que « les islamistes déclarent la guerre à l'Occident ». Alors que
l'enquête sur les auteurs du drame n'est pas achevée (le FBI étudie des
milliers de pistes), les nations du Nord sont persuadées que l'ennemi vient
d'ailleurs. Dans les débats télévisés, les adjectifs « islamiste », « islamique » et « musulman » sont utilisés sans
scrupule l'un pour l'autre. L'amalgame est de mauvais augure.
Le
communiqué désignant « officiellement » Ben Laden comme « suspect n° 1 » est destiné au
subconscient : le terme « suspect »
a spontanément pris le sens de « coupable ». Les médias semblent
avoir un compte à régler et donnent libre cours à des propos haineux. Très
rapidement, on s'est mis à parler du « Bien »
contre le « Mal ». Sharon,
habitué à l'instar de tous ceux qui l'entourent aux fourberies les plus
répugnantes, s'est rangé comme il se doit du côté du « Bien ». Voila la brute sanguinaire
qui se hâte d'enfiler un habit blanc, qui croit pouvoir faire oublier ses
crimes abjects.
La
diabolisation du monde arabo-musulman est menée tambour battant. Un peu
partout, les ressortissants de pays arabes sont soupçonnés, menacés par la
population, interpellés sans ménagement par la police (à New York, en Belgique,
en Allemagne...). Sur le plateau d'une chaîne de télévision suisse, un rabbin
et un représentant de la communauté musulmane étaient invités. Le premier était
serein, affichait un air hautain et un sourire narquois ; le second paraissait
inquiet, déprimé et constamment sur la défensive. C'est une scène pénible qui
en dit long sur la portée de la propagande sioniste et sur la tension qui doit
régner en ce moment en Europe.
Focaliser
l'attention sur les images d'une poignée de gosses palestiniens exprimant leur
joie trahit une intention malveillante. Ce chahut, dépourvu de signification
réelle, a servi de pâture à des commentateurs très sérieux. En tout état de
cause, peut-on s'attendre à voir la victime pleurer à chaudes larmes sur les
malheurs de son bourreau ?
C'est
ici le premier point majeur : il est manifeste qu'il y avait, en Amérique et en
Europe (surtout), une prédisposition
générale pour le lynchage médiatique
des Arabes et des Musulmans. L'attitude des médias et de l'homme de la rue met
au jour un sentiment profond et plus ou moins larvé. Elle remet en mémoire les
analyses de Mahdi Elmandjra. Selon lui, la crise entre le Nord et le Sud est,
en profondeur, liée à des systèmes de
valeurs. Il y a plus de vingt ans, il affirmait : « le problème le plus sérieux dans le dialogue
Nord-Sud n'est pas de nature économique, il se situe au niveau des mentalités
et d'un impérialisme culturel ethnocentrique et arrogant qui empêche toute
communication véritable » [revue
Futuribles, Paris, n° 34, juin 1980]. De là,
il soutenait que les conflits à l'avenir seront des conflits de civilisation et résulteront davantage de problèmes de
communication culturelle que de problèmes économiques et politiques [cf. son ouvrage "Al harb al hadariya al oula",
éd. Oyoun 1991].
2. Le terreau de la violence
Tous les
médias et hauts responsables ont naturellement exprimé leur compassion et leur
solidarité avec la nation américaine (un tel élan, hélas, n'a pas fonctionné
ailleurs dans des circonstances comparables). Il importe à présent – c'est le
second point majeur – de s'interroger sur le
pourquoi des actes perpétrés. S'interroger ne veut pas dire approuver,
blanchir.
Adoptons
l'hypothèse que la responsabilité de Ben Laden ait été démontrée. Il serait
judicieux de chercher à comprendre les raisons de la haine que cet homme voue à
l'Etat américain. D'abord, il y a la présence outrageuse des soldats américains
sur le sol saoudien. Ensuite, on sait que l'implantation de l'Etat d'Israël en
terre de Palestine n'a apporté que les malheurs et la dévastation. Les accords
signés sont systématiquement foulés aux pieds. Des enfants sont tués et des
maisons détruites quotidiennement avec l'arsenal et le soutien insolent des
Américains. Que dire du génocide insupportable perpétré sous nos yeux en Irak
depuis 1990 ? Que faut-il penser des bombardements arrogants et irresponsables
des objectifs civils en Libye (1986), d'une fabrique de médicaments au Soudan,
etc. ?
Le fait
est que l'Amérique n'a jamais eu une attitude humaine à l'égard des peuples
qu'elle a décidé de vouer aux gémonies, ni la moindre idée de l'ampleur de leurs
souffrances et de leur ressentiment. Des actes criminels à grande échelle sont
commis sans aucun scrupule et dans l'indifférence générale des nations. Le terrorisme d'Etat est invariablement
justifié et ne soulève aucune condamnation.
Les
jeunes qui se font exploser dans les rues de Tel-Aviv et ceux qui se font
écraser contre des tours de 110 étages auraient sans doute bien aimé continuer
à vivre. Se préparer pour une mort violente n'est certainement pas une
distraction. […] Il ne suffit pas de maudire les auteurs des attentats, il
importe de comprendre la cause pour laquelle ils ont accepté de
sacrifier leur vie.
Maintenant
que la colère s'est décantée, les Américains vont peut-être comprendre qu'on
récolte toujours ce qu'on a semé. Eradiquer les causes du drame ne se limite
pas à démanteler un réseau ou à supprimer physiquement des individus. Au risque
peut-être de choquer le lecteur (vu l'aspect tragique des évènements), je
dirais ceci : si les attentats pouvaient réellement faire prendre conscience
des souffrances et des profondes injustices qui persistent dans le monde,
notamment mettre fin à l'agonie des enfants irakiens, arrêter la folie meurtrière
des hordes sionistes, rendre au peuple palestinien sa dignité et tout ce qui
lui a été dérobé, bannir l'infamie du précepte du deux-poids deux-mesures, amener les nations dominantes à ne plus
cautionner les dirigeants rétrogrades et oppresseurs (qu’elles ont elles-mêmes
mis en selle), etc. à ce moment là, on pourra dire que « à quelque chose malheur est bon ».
Peut-être le monde sera-t-il alors plus vivable.
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