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19 avril 2011

ATTENTATS ET INJUSTICES





L'attentat incroyable [11 septembre 2001] contre les Etats-Unis amène à se poser deux questions : s'agit-il du premier acte du "choc des civilisations" ? Au-delà du désir de laver l'affront, ne convient-il pas de réfléchir avec lucidité sur les causes de la tragédie ?

1. Une précipitation symptomatique

Dans les médias européens, d'aucuns ont dit et répété que « nous sommes tous américains, car nous avons les mêmes valeurs ». Le périodique français l'Express annonce dare-dare sur sa couverture que « les islamistes déclarent la guerre à l'Occident ». Alors que l'enquête sur les auteurs du drame n'est pas achevée (le FBI étudie des milliers de pistes), les nations du Nord sont persuadées que l'ennemi vient d'ailleurs. Dans les débats télévisés, les adjectifs « islamiste », « islamique » et « musulman » sont utilisés sans scrupule l'un pour l'autre. L'amalgame est de mauvais augure.
Le communiqué désignant « officiellement » Ben Laden comme « suspect n° 1 » est destiné au subconscient : le terme « suspect » a spontanément pris le sens de « coupable ». Les médias semblent avoir un compte à régler et donnent libre cours à des propos haineux. Très rapidement, on s'est mis à parler du « Bien » contre le « Mal ». Sharon, habitué à l'instar de tous ceux qui l'entourent aux fourberies les plus répugnantes, s'est rangé comme il se doit du côté du « Bien ». Voila la brute sanguinaire qui se hâte d'enfiler un habit blanc, qui croit pouvoir faire oublier ses crimes abjects.
La diabolisation du monde arabo-musulman est menée tambour battant. Un peu partout, les ressortissants de pays arabes sont soupçonnés, menacés par la population, interpellés sans ménagement par la police (à New York, en Belgique, en Allemagne...). Sur le plateau d'une chaîne de télévision suisse, un rabbin et un représentant de la communauté musulmane étaient invités. Le premier était serein, affichait un air hautain et un sourire narquois ; le second paraissait inquiet, déprimé et constamment sur la défensive. C'est une scène pénible qui en dit long sur la portée de la propagande sioniste et sur la tension qui doit régner en ce moment en Europe.
Focaliser l'attention sur les images d'une poignée de gosses palestiniens exprimant leur joie trahit une intention malveillante. Ce chahut, dépourvu de signification réelle, a servi de pâture à des commentateurs très sérieux. En tout état de cause, peut-on s'attendre à voir la victime pleurer à chaudes larmes sur les malheurs de son bourreau ?
C'est ici le premier point majeur : il est manifeste qu'il y avait, en Amérique et en Europe (surtout), une prédisposition générale pour le lynchage médiatique des Arabes et des Musulmans. L'attitude des médias et de l'homme de la rue met au jour un sentiment profond et plus ou moins larvé. Elle remet en mémoire les analyses de Mahdi Elmandjra. Selon lui, la crise entre le Nord et le Sud est, en profondeur, liée à des systèmes de valeurs. Il y a plus de vingt ans, il affirmait : « le problème le plus sérieux dans le dialogue Nord-Sud n'est pas de nature économique, il se situe au niveau des mentalités et d'un impérialisme culturel ethnocentrique et arrogant qui empêche toute communication véritable » [revue Futuribles, Paris, n° 34, juin 1980]. De là, il soutenait que les conflits à l'avenir seront des conflits de civilisation et résulteront davantage de problèmes de communication culturelle que de problèmes économiques et politiques [cf. son ouvrage "Al harb al hadariya al oula", éd. Oyoun 1991].

2. Le terreau de la violence

Tous les médias et hauts responsables ont naturellement exprimé leur compassion et leur solidarité avec la nation américaine (un tel élan, hélas, n'a pas fonctionné ailleurs dans des circonstances comparables). Il importe à présent – c'est le second point majeur – de s'interroger sur le pourquoi des actes perpétrés. S'interroger ne veut pas dire approuver, blanchir.


Adoptons l'hypothèse que la responsabilité de Ben Laden ait été démontrée. Il serait judicieux de chercher à comprendre les raisons de la haine que cet homme voue à l'Etat américain. D'abord, il y a la présence outrageuse des soldats américains sur le sol saoudien. Ensuite, on sait que l'implantation de l'Etat d'Israël en terre de Palestine n'a apporté que les malheurs et la dévastation. Les accords signés sont systématiquement foulés aux pieds. Des enfants sont tués et des maisons détruites quotidiennement avec l'arsenal et le soutien insolent des Américains. Que dire du génocide insupportable perpétré sous nos yeux en Irak depuis 1990 ? Que faut-il penser des bombardements arrogants et irresponsables des objectifs civils en Libye (1986), d'une fabrique de médicaments au Soudan, etc. ?
Le fait est que l'Amérique n'a jamais eu une attitude humaine à l'égard des peuples qu'elle a décidé de vouer aux gémonies, ni la moindre idée de l'ampleur de leurs souffrances et de leur ressentiment. Des actes criminels à grande échelle sont commis sans aucun scrupule et dans l'indifférence générale des nations. Le terrorisme d'Etat est invariablement justifié et ne soulève aucune condamnation.
Les jeunes qui se font exploser dans les rues de Tel-Aviv et ceux qui se font écraser contre des tours de 110 étages auraient sans doute bien aimé continuer à vivre. Se préparer pour une mort violente n'est certainement pas une distraction. […] Il ne suffit pas de maudire les auteurs des attentats, il importe de comprendre la cause pour laquelle ils ont accepté de sacrifier leur vie.
Maintenant que la colère s'est décantée, les Américains vont peut-être comprendre qu'on récolte toujours ce qu'on a semé. Eradiquer les causes du drame ne se limite pas à démanteler un réseau ou à supprimer physiquement des individus. Au risque peut-être de choquer le lecteur (vu l'aspect tragique des évènements), je dirais ceci : si les attentats pouvaient réellement faire prendre conscience des souffrances et des profondes injustices qui persistent dans le monde, notamment mettre fin à l'agonie des enfants irakiens, arrêter la folie meurtrière des hordes sionistes, rendre au peuple palestinien sa dignité et tout ce qui lui a été dérobé, bannir l'infamie du précepte du deux-poids deux-mesures, amener les nations dominantes à ne plus cautionner les dirigeants rétrogrades et oppresseurs (qu’elles ont elles-mêmes mis en selle), etc. à ce moment là, on pourra dire que « à quelque chose malheur est bon ». Peut-être le monde sera-t-il alors plus vivable.

Thami BOUHMOUCH         
Publié dans La Nouvelle Tribune - Casablanca, le 27 septembre 2001.








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