« Il y a dans notre pays, un marché de l’islamophobie. Un créneau.
Une clientèle » Denis Sieffert
Dans les pays de
tradition chrétienne, les polémiques virulentes qui touchent
aujourd'hui les divers courants politiques au sujet des citoyens musulmans sont
hautement alarmantes. En France notamment, le traitement de la
spécificité musulmane fait l’objet d’une instrumentalisation politicienne dégradante.
Des rites alimentaires calomniés à la récusation du voile, du soutien quasi officiel aux caricatures insultantes à la campagne contre les prières de rue et au « grand débat sur l’islam ». Tout se passe comme si on voulait rendre
l'islam invisible et inodore – voire indolore. Pour bien entériner ce climat hostile, voilà que les autorités ont décidé
(avril 2011) de fermer l’IFESI (Institut français d’Etudes et de Sciences
Islamiques), pour « des raisons de sécurité ».
L'islamophobie progresse, se durcit
Ici et là, les conversions à l'islam sont
légion. « C'est un fait
connu qu'aux Etats-Unis, en Europe et dans le monde entier l'islam est la
religion dont l'expansion est la plus rapide ».
(1)
Y a-t-il lieu de s'en inquiéter, de se mobiliser pour y mettre le holà ?
Les grands noms du
gotha de l’extrême droite européenne se rencontrent, avec l'assentiment du
pouvoir, pour débattre des dangers d’une Europe « en voie de s’halaliser ».
La
France de Sarkozy et de Hollande vire doucement vers une islamophobie
décomplexée, qui fait revenir à l'esprit les pires moments de son histoire. Les
rafles au faciès et la chasse aux porteuses de foulard ne font-elles pas penser
au sort subi par les Juifs sous Pétain, par les Algériens sous Papon ? Voilà que l'ultra sioniste Valls appelle à la dénonciation
contre « les dérives de l'Islam ». Il « préfère menacer, interdire et
réprimer. Il perpétue ainsi une logique coloniale dans laquelle deux humanités
ontologiquement différentes ont des droits distincts : "liberté
d’expression" pour les occidentaux, injonction au silence pour les autres ».
(2) Ch. Chitour s'interroge : « Ne sommes-nous pas en train de
voir se profiler une version revue et corrigée d’un néo-maccarthysme ? ». (3)
Par les temps qui courent, les citoyens musulmans en Europe sont au quotidien
l'objet de regards hostiles, de propos injurieux, de discriminations et persécutions multiples.
M. Tubiana écrit : « Assignés à résidence
communautaire, ils [les Français musulmans] sont toujours désignés par
leur origine (immigrés de la deuxième, troisième ou, bientôt, quatrième
génération) ou par leur appartenance religieuse. Les Musulmans français ou pas
sont sommés de faire leur examen de conscience et de répondre de nos peurs
collectives ». (4) Cette frange de la population subit une politique de deux-poids-deux-mesures impudente. Les autorités entendent poursuivre pénalement toute personne consultant un site « jihadiste
», lutter contre le « prosélytisme » au sein des prisons et vont jusqu'à
prohiber toute dénonciation des menées islamophobes. S'il faut, à juste titre, s’opposer
avec fermeté aux exercices militaires en situation irrégulière, pourquoi accepter que des éléments
d’extrême droite reçoivent un entrainement au sein de l’armée américaine pour ensuite
commettre des agressions sur le sol national ? F. Hollande a dit récemment : « chaque
fois qu'un juif est pris pour cible en tant que juif Israël est concerné ».
(5) Et s'il s'agit d'un Musulman ?...
Le ressentiment
des Musulmans est bel et bien fondé. « Pour en comprendre l’origine, il faut
sans doute accepter de quitter quelques instants le confort de l’inusable
référence au "salafisme" ou au "jihadisme" de cette poignée
de jeunes ou de moins jeunes qui semblent vouloir claquer la porte de la
République. Et considérer plus courageusement le profond déficit de
représentation dont souffre la communauté musulmane de France ». (6)
L'acharnement
antimusulman connaît un regain sans précédent ; il progresse, s’épanouit, s’exprime en
toute bonne conscience. Tel parti
politique joue la carte islamophobe pour monter dans les sondages. On
est au Front national parce que, pour l'essentiel, on est contre les Musulmans. « Les propos qu’on tenait sous le manteau il y a
quelques années émergent aujourd’hui dans la sphère publique ». (7) La porte est grande ouverte à la surenchère. Dans cette escalade, il faut voir le résultat de dix
ans de banalisation d’un discours de rejet et de haine.
En
France, selon les chiffres communiqués par le baromètre annuel de la Commission
nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), il y a eu en 2011 une « hausse
de la méfiance à l’égard des Musulmans » : 51 % des sondés ont
estimé que les Musulmans formaient « un groupe à part » (+ 6 points par
rapport à 2009) et 59 % qu’il y avait trop d’immigrés en France (+ 12
points). (8) Un biais insidieux altère immanquablement les résultats
obtenus.
Parler de « communauté musulmane », c'est suggérer que les
Musulmans n’appartiennent pas, ou pas vraiment à l'entité nationale. Demander à l'enquêté si « la présence musulmane est-elle
plutôt une menace ? », revient à l'inquiéter, à jeter
le trouble et donc à donner corps à ladite menace. Ainsi, les sondages peuvent indubitablement
susciter les partis pris et la ségrégation.
Considérons le cas du visa Schengen. Les critères effectifs de choix des pays relèvent bel et bien de l’islamophobie
institutionnelle. Sont dispensés du visa les « pays amis », ceux de peuplement
blanc et réputés chrétiens. L'Europe entend se préserver de l'ébranlement des
identités nationales par un « islam conquérant » (comme d'ailleurs
par une « négritude envahissante »). Selon E. Miguel, « l’idéologie
du visa Schengen
[…] est une idéologie de guerre. Elle constitue un nouveau syndrome des
fléaux et crimes contre l’humanité, dont historiquement est coutumière l’Europe
comme l’inquisition ou autres guerres de religions, l’esclavagisme
transatlantique, le colonialisme, l’impérialisme, les guerres mondiales, les
pogroms, les déportations… ». (9)
Tartufferies,
perte des valeurs
L'animosité et
la malveillance à l'égard de « ces gens qui ne sont pas
comme nous » persisteront tant qu’on n’aura pas mis le doigt sur la source
principale du problème : l'ignorance. Comment s'y prendre avec des opinions
publiques désinformées, souvent fanatisées ? Comment
expliquer que l’intégrisme est un contre-exemple de l’islam, que les signes
extérieurs ne sont pas le substrat religieux ? V. Geisser affirme : « Aujourd’hui, l’islam
n’est plus considéré comme l’ennemi de la chrétienté mais plutôt comme l’ennemi
de la modernité, des droits de l’homme, de l’égalité des sexes, etc. Nous
sommes passés d’une peur ancienne à une peur moderne, d’un racisme avec
des présupposés religieux, à un racisme avec des présupposés dits modernistes. »
(10) On s'adresse au Musulman avec arrogance, comme s’il ne pouvait
accéder à la dignité que s’il s’occidentalise sans conditions.
De plus en plus, les gens
se lâchent, sont prêts à dire tout et n’importe quoi sans tabous. Il en
est ainsi de ce jugement à l'emporte-pièce : « le problème c’est
que ces pays [musulmans] ne sont jamais libres tant qu’ils se réfèrent à
l’islam, car l’islam porte en lui le germe de la soumission. On ne peut pas
être libre et soumis en même temps ». (11) Mais E. Dermenghem
fait état d'un autre son de cloche : « Dire "Dieu est le plus
grand", c'est fermer la porte à toute servitude. C'est se proclamer et
se réaliser fondamentalement libre ». (12) L. Gardet, dans ce
sens, disait il y a trente ans : « La remise active de soi à Dieu, sans
réserve et en toute confiance, qui est le sens le plus vrai et le plus
intérieur du mot islam lui-même, peut et doit être comme un ferment sans cesse
activé d'humanisme musulman. Vouloir s'aligner sur une certaine notion moderne
de l'exercice de la liberté, conçue comme une liberté sans frein et sans
limite, pour le mal comme pour le bien, serait pour la pensée musulmane se
renier elle-même. Quand Dieu n'existe pas, tout est permis… ». (13)
En
France, en janvier dernier, une proposition de loi a été votée au Sénat, visant
à priver de travail les assistantes maternelles de confession musulmane. Une
nouvelle attaque contre une catégorie de population a lieu sous couvert de
« laïcité » et de « neutralité ». L'argument est mis en avant curieusement dans une république où les attributs de l’Eglise ont été laïcisés (dans
les 11 jours chômés de l’année, 9 sont à caractère religieux).
La grande
Europe a peur des petites filles voilées ; un morceau de
tissu la met en émoi…Qu'importe que les personnes concernées aient raison ou pas
de se couvrir la tête ? A cet égard, une précision
s'impose : nulle
part dans le Coran,
il n’est fait explicitement mention de voile (hijab) recouvrant le visage,
cachant les cheveux (encore moins tout le corps). M. Kacimi en dit ceci : « Cette croyance était si
répandue dans les pays d’Orient, notamment en Mésopotamie, qu’elle a fini par
avoir force de loi. Aussi, le port du voile est-il rendu obligatoire dès le
XIIe siècle avant J.-C. […]. Il faudra attendre l’avènement du
christianisme pour que le voile devienne une obligation théologique, un
préalable à la relation entre la femme et Dieu ». (14)
Dans le contexte actuel, lorsqu'on parle de
laïcité, il faut souvent comprendre islamophobie. Désormais, l'imposture est
manifeste. Non seulement l'argument a
l'air imparable, mais il drape la xénophobie d'un halo de respectabilité. Le
site Afrik.com a posé la question de
savoir si la finance islamique est « une
atteinte à la laïcité ». Z. Ben Terdeyet a
répondu : « Généralement, ses détracteurs n’ont aucune
connaissance du sujet et focalisent sur le mot "islamique" qui a été
galvaudé en France. C’est une manière de faire de la finance autrement. Elle
s’adresse à tous les Français, sans aucune distinction quant à la religion,
l’origine ethnique ou sociale. Elle entre uniquement dans la sphère privée du
citoyen en tant que nouveau choix de mode de consommation, car de quoi
parle-t-on finalement ? Il s’agit de proposer des produits de financement
pour l’accession à la propriété ou l’achat de biens de consommation tels que la
voiture ou l’électroménager ». (15)
L'hostilité islamophobe se niche derrière un autre argument : « la défense de la
liberté d'expression ». Encore là, les tartufferies sont
flagrantes. En France notamment, que dit la loi de 1905 ? « Elle
dit que nous sommes libres. Libres de choisir en conscience notre religion et
de la vivre comme bon nous semble, sans faire de prosélytisme et sans devoir la
cacher ou la renier dans la sphère publique. Libres de s’habiller comme il nous
plait, de porter une barbe ou de se couvrir la tête si on le souhaite ». (16)
Manifestement, on est loin du compte… La « liberté d’expression »
chantée par les médias occidentaux est perçue, de plus en plus et à juste titre,
comme la liberté d’insulter l’islam et les Musulmans. Sinon, quel sens a-t-elle,
dans un Etat de droit, lorsqu'elle sert de prétexte à la stigmatisation et à l’incitation
à la haine religieuse ?
Le racisme antimusulman, notamment en Europe, est aujourd'hui
le symptôme d’une société qui va mal. Ce qui est en jeu, tout compte fait, c’est la démocratie, pas seulement le sort des Musulmans. Comme le note
M. Cherif, « l’islam réintroduit le débat de fond, celui sur la question du
sens et de la justice, dans une société qui a besoin d’équilibre, car malgré
les prodigieux progrès technoscientifiques se profile la déshumanisation. C’est
l’ère de la dégradation intellectuelle, du recul du droit, de la crise de la
modernité européenne ». (17)
Thami BOUHMOUCH
Novembre 2012
Article publié in :
Article publié in :
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(2)
Youssef Girard, http://www.ism-france.org/analyses/Liberte-d-expression-a-geometrie-variable-article-17384?ml=true
Septembre 2012.
(3) Chems Eddine Chitour, http://www.mondialisation.ca/le-sort-des-musulmans-au-xixe-siecle-la-troublante-analogie-avec-les-juifs-du-xxe-siecle/5307093?print=1
Octobre 2012.
(4) Cité par
Ch. Chitour, http://www.legrandsoir.info/Une-laicite-a-geometrie-variable-Le-proces-recurrent-de-l-Islam.html Avril 2011.
(5) Cf.
http://blanrue.blogspot.com/2012/11/la-republique-israelienne-de-france-et_1.html Novembre 2012.
(6) François Burgat, http://www.ism-france.org/analyses/Radicalisation-de-l-islam-signe-d-un-ressentiment-plus-profond-des-musulmans-article-17466?ml=true Octobre
2012.
(7) Vincent Geisser (entretien), http://www.michelcollon.info/Vincent-Geisser-Lutter-contre-l.html Juin
2011
(8)
Cf. http://www.europalestine.com/spip.php?article7552
Août 2012.
(9) Esteban Miguel, http://www.legrandsoir.info/l-impot-visa-rapporte-1-milliard-d-euros-par-an-a-l-u-e.html Septembre 2010.
(10) Vincent Geisser (entretien), op. cit.
(12) Emile Dermenghem,
cité par Marcel Boisard, in Marc Agi (sous la dir.), Islam et droits de
l'homme, éd. Des idées et des hommes, éd. Des idées et des hommes, 2007, p.
67.
(13)
Louis Gardet, Ouvrir les frontières de l'esprit,
in Marc Agi, op. cit., p. 112.
(14) Mohamed Kacimi, http://www.slateafrique.com/97015/linvention-du-voile-religion-machisme Octobre
2012.
(15) Zoubeir
Ben Terdeyet (entretien), http://www.afrik.com/article19443.html Avril 2010.
(16) Marwan Muhammed, http://www.foulexpress.com/2011/03/debat-sur-la-laicite-un-musulman-repond-a-cope/
Mars 2011.
(17) Mustapha Cherif, http://www.saphirnews.com/Reponse-a-Angela-Merkel-le-fond-du-debat_a11932.html Octobre 2010.
Bonsoir Thami,
RépondreSupprimerJe vais publier ce soir ce bel article.
Amitiés.
Jacques
Merci Jacques,
RépondreSupprimerJ'apprécie beaucoup l'intérêt que tu portes au sujet.
A bientôt de te lire.
Bonjour Thami,
RépondreSupprimerCi-dessous, les échanges de commentaires avec Steve Williams, médecin, sur fassebook,
Steve Williams Très bon article...!
il y a 12 heures · J’aime
Jacques Tourtaux Jacques Tourtaux C'est un ami prof marocain qui commente souvent mon blog
il y a 8 heures · J’aime · 1
Steve Williams Il a une vraie profondeur de vue et un sens très mesuré de l'analyse...Cela rend ses articles bien agréables à lire...!
il y a 8 heures · J’aime
Jacques Tourtaux Jacques Tourtaux Ce soir, il est venu commenter mon blog. Il est très brillant. Nous avons de bonnes discussions car je réponds à tous les commentaires sur mon blog. Avec Thami, c'est un régal de le lire.
Les échanges de commentaires avec M. Williams m'honorent. Je suis enchanté, Jacques, de la marque de gentillesse et d'attention que tu me portes. A très bientôt.
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