Série : Compréhension du consommateur
L’article
précédent a cherché à saisir la notion de culture, à situer l’acheteur par
rapport à celle-ci. Le présent article traite de son impact manifeste sur les
choix de consommation et de là sur les décisions de l'entreprise.
La dimension culturelle des choix de consommation
L’action
marketing s’appuie nécessairement sur le substrat socioculturel du comportement
d’achat. Pourquoi ?
Parce
que « l’anthropologie nous apprend qu’un individu doit être situé par
rapport à sa culture pour être bien
compris » (1) ; il ne peut être appréhendé indépendamment du
milieu dans lequel il vit. La culture touche tous les aspects
de l’action humaine ; elle a une incidence plus ou moins forte, plus ou moins
perceptible sur les attitudes et les modes de consommation. Elle constitue un
puissant facteur explicatif de l'achat ou du non-achat. A
un degré ou à un autre, c'est toujours à travers la culture que la
définition des besoins s'effectue. (2) « Ainsi les
faits sociaux ne sont pas anodins. Ils relèvent d’une logique propre à la
culture qui impose des obligations, des interdictions et qui situe les
individus les uns par rapport aux autres, au travers de statuts et de rôles
parfaitement codifiés ». (3)
L'éclairage culturel permet de bien comprendre la signification attachée
à divers actes de consommation (alimentation, cadeaux, cérémonies, loisir) et,
de là, le rôle qu'y jouent les produits désirés. Au Maroc, par exemple, la
consommation de miel est concentrée sur le mois de Ramadan (près de 90 % de la
quantité totale). L’efficacité de l’action de l'entreprise, à n’en pas douter, est
conditionnée par la connaissance du champ de référence culturel, par l’aptitude
à s'adapter aux contraintes qu’il engendre et à en saisir les opportunités.
Implications en
marketing
La culture ne se
situe donc pas hors du territoire du marketing, s'inscrit bel et bien dans son
champ d'action. (4) Elle influe, d'une façon ou
d'une autre, sur les décisions relatives au marketing-mix. Il en est
ainsi essentiellement des composantes du produit, du conditionnement, de l’étiquetage,
de la politique de communication (contenu du message, choix du vocabulaire). « Le discours [publicitaire] propose un miroir
culturel – en général flatteur – au destinataire, interpellé à la fois comme
individu suprême, le client, et comme membre d'une communauté
culturelle… ». (5) Sur la publicité
du bouillon Idéal, on peut lire : « les tablettes Idéal respectent
parfaitement les prescriptions musulmanes en matière d’abatage et de
fabrication ». Au mois de Ramadan, Pizza Hut et McDonald’s
proposent des menus spéciaux (menus f’tour), organisent des soirées et
des jeux pour l’occasion. Lorsque
le jour de l’An est tombé pendant ce mois, comme de 1996 à 2000, l'activité des
importateurs-distributeurs d'alcools s’est ralentie.
Considérons cet autre
exemple révélateur : lorsque la station-service Somepi à Casablanca a
introduit le lavage self-service (en 1994), son dirigeant s’était rapidement rendu
compte que des utilisateurs, moyennant 10 dh de plus, préféraient faire laver
leurs voitures par autrui (par brosse). Il avait donc installé des
« pistes assistées » à côté des pistes self-service. Manifestement,
le contexte n’était pas propice à l'esprit du self-service…
Ne perdons pas de
vue la sous-culture : elle offre également des contraintes et des
opportunités. Au besoin, on se doit d'adapter l'action commerciale aux
caractéristiques distinctes des communautés culturelles ciblées – pour ce qui est du langage
utilisé, du nom de la marque, du mode de distribution. En matière de
publicité, les axes et thèmes seraient choisis en fonction des catégories
identifiées. « La question essentielle est de savoir si les
sous-groupes sont assez importants en nombre pour qu’une offre particulière
leur soit accordée ». (6) On gagne aussi à savoir s’ils
sont réellement sources de différenciation dans le mode de consommation.
Rappelons
enfin que l'entreprise ne se contente pas de s’adapter au milieu socioculturel ;
parfois elle s’emploie à l’influencer. Son action conduit à
produire, renforcer ou reconstruire certains codes et significations. Elle participe
à la conversion du système de référence au sein duquel elle évolue et peut même,
en le forçant, le dénaturer. En 2000, le magasin Style de Vie à
Casablanca invitait ses clients potentiels à « fêter la Saint Valentin ».
Un an après, le bijoutier Azuelos transmettait le même message : « Il
y a des dates que l'on n'oublie pas… 14 février, Saint Valentin ». Cette
distorsion insolite par rapport à la réalité culturelle au Maroc était un fait inédit.
Culture et
globalisation
La
notion de culture est particulièrement importante dans le contexte d’ouverture
mondiale des marchés, pour la simple raison que les représentations et idéaux diffèrent
selon les pays. L'entreprise qui entend s'implanter dans un espace ou y
exporter ses produits doit à coup sûr tenir compte des singularités culturelles de celui-ci. Nombre de dirigeants ont appris à leurs
dépens qu'on ne saurait exporter un concept sans adaptation. Les débuts
difficiles de Disneyland Paris en sont un bon exemple.
Aujourd’hui, invoquant la nécessité
de rationalisation et d’optimisation,
les publicités cherchent à être transnationales,
à toucher tout le monde de la même façon. Or, on l’a dit, les populations ici
et là n'ont pas les mêmes formes de logique ;
les mots et les images n'ont pas partout le même sens. La création publicitaire ne saurait avoir un caractère universel. Les
axes et thèmes publicitaires sont conçus normalement en fonction du contexte socioculturel. La publicité des voitures
Daihatsu, montrant un homme avançant vers une femme avec un bouquet de fleurs à
la main, est-elle transposable en dehors du monde occidental ? S’agissant d’un produit comme le lait
corporel, notons-le, on communique sur l'hygiène
en Allemagne, sur la beauté en
Italie et en France.
Il y a danger à
croire qu'une même stratégie marketing aboutirait en toutes circonstances à des
résultats identiques dans des pays différents. Les Marocains sont différents
des Allemands : ils portent les mêmes Nike, mais voient et sentent les choses
de façon différente. Le fauteuil d’un
PDG marocain doit avant tout refléter le prestige, alors qu’un PDG allemand en attend
plus d'ergonomie et d'efficacité.
Les dissemblances
culturelles ont une profonde incidence sur la mise en œuvre des plans marketing à
l’étranger. Il
est impossible de faire abstraction des particularismes. « Une
appellation, une photographie peuvent choquer dans un pays et être fort bien
adaptés dans un autre ». (7) Les publicitaires occidentaux
recourent souvent à des sous-entendus sexuels dans leurs messages. Au Japon, au Brésil et en Suède, la nudité frontale est fréquente à la télévision. A l’opposé, en Malaisie les vêtements sexy sont prohibés.
« Les
compagnies américaines qui produisent et distribuent leurs produits en Europe
ont dû apprendre que les stratégies commerciales ne pouvaient pas toujours être
exportées sans transposition en Europe. Le conception des produits elle-même
doit être différente parfois ». (8) Dans les restaurants KFC en Chine, la décoration met en exergue la
grande muraille, les ombres chinoises, les cerfs volants ; la communication se réfère aux
valeurs de solidarité et à l’esprit de famille…
Pour l'entreprise
exportatrice, la langue est un élément culturel essentiel. Les
différences ayant trait au langage et à ses significations particulières sont à
l'origine parfois de graves malentendus. De nombreux échecs sont liés au fait
que le nom du produit soit inacceptable dans le pays d'importation. Il y eut
une époque où les Allemands ont essayé de lancer leur chocolat aux Etats-Unis sous
la marque Zit, sachant qu’en anglais le mot veut dire bouton d'acné. Il
en était de même de la marque Colgate qui cherchait à lancer son dentifrice Cue
dans les pays francophones. Quant à la firme Général Motors, elle
n’est pas parvenue jadis à diffuser son modèle de voiture « Nova » en Amérique Latine, parce qu’on
avait perdu de vue qu'en espagnol « no
va » signifie « ne marche
pas »… (9)
Thami BOUHMOUCH
Septembre 2014
____________________________________
(1) J. P. Helfer et J.
Orsoni, Marketing, éd. Vuibert gestion, p. 117.
(2) Cf. mon
article : L'entreprise dans son environnement socioculturel (n° 2, avril
2011), http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/lentreprise-dans-son-environnement.html
(3) R. Ladwein, Le comportement du consommateur et de l’acheteur, éd.
Economica,
p. 31.
(4) Cf. mon article : Le culturel
n’est pas hors du territoire du marketing (n° 107, mars 2014), http://bouhmouch.blogspot.com/2014/03/le-culturel-nest-pas-hors-du-territoire.html
(5) Geneviève de Béco, Discours
universaliste ou miroir des particularismes..., Management interculturel,
mythes et réalités, F. Gauthey et D. Xardel (sous dir. de), Economica, p. 48.
(6) J. P. Helfer et J. Orsoni, op.
cit., p. 118.
(7) Ouvrage ibid., p. 117.
(8) J. Lendrevie et D. Lindon, Mercator,
Dalloz, pp. 161-162.
(9) Cf. mon article : L'entreprise
dans son environnement socioculturel, op cit.
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