Si le besoin ressenti donne lieu à
un désir (1), celui-ci prend la forme d'un produit... Qu'est-ce
qu'alors un produit ?
Le produit est le support majeur de
la réponse aux attentes des consommateurs. Une notion simple en apparence, car
elle fait penser spontanément à un objet tangible, palpable. En réalité elle
dépasse largement la dimension physique de l'objet, en réunissant des entités
aussi dissemblables qu'un tube de dentifrice (bien matériel), une assurance-vie
(service), les Palmeraies de Marrakech (destination touristique), une campagne
en faveur de la qualité (idée), un candidat aux élections législatives
(personne). (2)
Au regard du marketing, tous ces éléments constituent des produits, relèvent fondamentalement de la même approche et des mêmes techniques.
L'idée d’un bien corporel (yaourt,
meuble, stylo, tracteur, shampooing...) étant aisément accessible, considérons
les autres entités.
Les services sont des produits
On s'aperçoit d'emblée que la notion
de produit peut englober une variété surprenante d'items. Par exemple, en
matière de transport aérien, le produit désigne l'avion (pièce centrale), une
ligne, une fréquence, un horaire, une classe, l'accueil et l'information des
passagers, le repas servi pendant le vol, etc.
A y regarder de près, la distinction
entre bien matériel et service est loin d'être tranchée. Il y a longtemps, J.
Austruy soulignait le caractère ambigu de la proximité des deux notions : « Le
bien comprend une partie de plus en plus importante de service intégré. Et le
service tend à se cristalliser, à s'objectiver en bien ». (3)
N'oublions pas qu'un produit tangible a pour rôle de procurer un service et la
plupart des services comportent intrinsèquement une composante corporelle.
Ainsi, un restaurant offre des aliments et des boissons. Le constructeur
aéronautique Airbus propose dans le contrat de vente un forfait relatif
à la formation des pilotes, des techniciens et des hôtesses. Biens et services
sont de plus en plus associés pour apporter une satisfaction plus grande au
consommateur.
En ce sens, le marketing des
services n'est pas différent de celui des biens de grande consommation. Une
particularité néanmoins doit être soulignée : un service est produit et
consommé simultanément ; il ne peut être stocké. Le client assiste sur
place à la « production » du service. Cette simultanéité rend les
services périssables. Une capacité de production inutilisée ne permet pas de
résoudre le problème des pointes de demande. Il est clair qu'une place dans un
avion n'est pas réutilisable si elle n'est pas vendue. Elle est perdue à
jamais, car elle ne peut être stockée, ne peut être transférée au jour suivant.
Le produit est un endroit.
Le marketing s'est immanquablement
introduit dans le secteur touristique. Une destination de vacances est regardée
comme un produit, lequel est conçu pour une cible bien déterminée, découle
d'une stratégie concurrentielle, s'appuie sur un avantage stratégique, fait
l'objet d'une politique de valorisation, etc.
La consommation, en l'espèce,
comporte diverses facettes. Ainsi un Marocain passera ses vacances dans le sud
de l'Espagne pour l'une ou/et l'autre de ces raisons : pour le dépaysement,
pour le divertissement et la détente, pour le prestige d'avoir été en Europe
(influence du groupe de référence), pour acheter des souvenirs (visibles socialement),
etc.
Le produit peut même avoir un
« emballage » et se doter d'une marque performante. Il n'est
pas besoin d'insister sur la portée de celle-ci dans le choix final du touriste
potentiel. Par exemple, s’agissant de la Suisse ou l’Espagne, l’approche de la destination
en tant que marque a stimulé la
demande d'une manière significative.
Les destinations touristiques
peuvent-elles être commercialisées comme n'importe quel produit ? C'est un
sujet de débat majeur dans les milieux professionnels concernés. Chacun
s'évertue à trouver la meilleure manière d'attirer et de fidéliser les vacanciers.
Le défi a pris de l'ampleur lorsque les motivations touristiques sont devenues
complexes et incertaines. Il importe de bien saisir les possibilités et les
limites du marketing de destination, de comprendre qu'on ne vend
pas l'Italie comme l'Ile Maurice, tout comme l'Egypte adoptera une approche
différente de celle de la
Yougoslavie.
Le produit est une idée
Comment convaincre les fumeurs de
s'abstenir de fumer ? Comment engager les piétons à emprunter les passages
protégés ? Comment discréditer les produits de contrebande ? Comment enrayer
l'exploitation des domestiques en bas âge ?... Il s'agit de modifier les
attitudes d'une catégorie donnée de personnes afin d'instaurer de nouvelles
valeurs, de nouvelles conduites. Ici, le produit est une idée ; il est élaboré
et fait l'objet d'une action en vue d'un objectif déterminé.
Que l'intervenant soit un ministère,
un office public, une fondation ou une association, le but recherché est de
« vendre » un point de vue, de faire prévaloir une cause sociale, de
susciter l'acceptation d'un comportement. Le champ d'action s'élargit ainsi au marketing social ou marketing des
idées (ayant un but social).
Au Maroc, la pratique ne date pas
d'hier. En 1991, dans le cadre du « Programme
Marocain de Marketing Social », le Ministère de la Santé Publique
lançait une campagne publicitaire en faveur des préservatifs. Il s'agissait alors de sensibiliser l'homme au
problème de la régulation des naissances, de valoriser son rôle, de mettre fin
à la très forte polarisation sur la pilule. Au début de la campagne, le marché
était d'environ un million d'unités ; il est passé à 2,2 millions après un
an et demi. L'année suivante, la seconde phase du programme concernait
l'utilisation de la pilule. (4)
En l'espèce, l'action s'appuyait sur
tous les ingrédients du marketing : volonté de susciter l'adhésion, réalisation
des études préalables, identification des utilisateurs potentiels (cible),
action sur les prescripteurs (gynécologues et généralistes), élaboration d'un
message publicitaire... Le fait que des marques commerciales (Minidril et Microgynon, unifiées sous le nom générique « Kinat Al-hilal »), appartenant à des
laboratoires privés, soient vendues en pharmacie ne saurait nous tromper.
L'objectif est bien la limitation de la natalité. Il s'agit d'un programme à caractère
social. Ce n'est pas un fabricant pharmaceutique qui en est l'initiateur
mais l'autorité publique.
La
campagne contre la contrebande mérite aussi mention. En octobre 1995, un message
publicitaire avertissait le public :
« Acheter des produits de contrebande, c'est illégal, c'est se rendre
complice d'un délit... ». Le second message, émis en été 1997, disait en
substance : « La contrebande détruit l'emploi et la santé ». A
deux reprises, le Ministère des Finances cherchait à couper le courant de
sympathie dont bénéficiaient les contrebandiers au sein de la société. Si
l'objet a changé, le but est toujours le même : promouvoir un comportement
donné.
Quant au message diffusé en octobre
2001 par l'Observatoire national des droits de l'enfant, au sujet de la drogue,
il avait pris des allures menaçantes : « Un jour ou l'autre, les enfants
qui se droguent finissent par s'arrêter » (le visuel montrait le corps
sans vie d'un enfant, entièrement couvert d'un drap blanc). Le message diffusé
au cours de l'été 2002 par la
Commission nationale de moralisation de la vie publique, dans
le but de réfréner la corruption, adoptait aussi un ton menaçant : « Corrompre
ou se laisser corrompre, c'est enfreindre la loi ; le corrupteur et le corrompu
sont complices ». (5)
Aux élections communales de 2009,
le Ministère de l'Intérieur a lancé une campagne en vue d'exhorter les citoyens
à aller voter. Le message était ainsi formulé: « En
participant aux élections, vous contribuez à un acte citoyen et à
l’enracinement de la démocratie ».
En février 2012, le ministère de l’équipement et
des transports a entrepris d’attirer l’attention sur les piétons, à l’occasion de
la journée nationale de la sécurité routière. « Nous sommes tous des
piétons », tel était le slogan de la campagne de sensibilisation. Le but
était de changer les comportements : entre 2004 et 2010, les
piétons représentaient la part la plus importante des tués sur les routes… (6)
Ainsi, en contrepartie de l'idée
transmise, l'organisme émetteur s'attend à une « réponse » déterminée
: l'adhésion à une cause (refus des produits de contrebande, rejet de la drogue)
ou un acte dans le sens souhaité (utiliser un contraceptif, aller voter, emprunter
le passage piéton).
Le
produit est une personne
Le
marketing s'insinue dans les campagnes électorales. Il ne s'agit pas de vendre des
produits, ni de gagner de l'argent. Ce qui est proposé (mis en
« vente ») est une personne, i. e. un leader politique,
un candidat aux élections. Ce qui
est demandé est le vote pour un programme donné.
Au Maroc, lors des dernières élections,
le porte-à-porte était l’un des modes de communication les plus pratiqués. Tout
était centré sur l'emblème et la couleur, en particulier dans le monde rural.
Lorsque le postulant avait affaire à des groupes plus ou moins instruits, il
optait pour le prospectus, simplement glissé dans les boîtes aux lettres... Le marketing
politique néanmoins est à ses premiers balbutiements. Les partis politiques
sont appelés à rénover leur démarche, à mieux coller aux attentes du public
cible, à moduler davantage leur compagne en fonction des catégories sociales. (7)
Le
produit et son entourage
Il ne suffit pas de souligner le
caractère disparate de la notion de produit. Des aspects assez singuliers
restent encore à examiner.
On s'aperçoit que le produit peut
faire intervenir les acteurs chargés
de le mettre en œuvre, l'environnement
physique dans lequel il est réalisé
et parfois le public lui-même qui le
consomme. Ces traits spécifiques ont un impact certain sur les politiques de
marketing.
Ainsi, dans une entreprise de
services, la rencontre du client avec les employés du front line est
capitale. L'attitude et les dispositions au quotidien de ces derniers entrent
impérativement en ligne de compte. Dans une usine, peu importe que tel ou tel
ouvrier soit taciturne ou renfrogné ; dans une banque, au contraire, la
qualité de l'accueil et du contact avec les clients est primordiale. Le personnel
est immanquablement impliqué dans la qualité du produit offert.
Les dirigeants de Royal Air Maroc savent que
l'hôtesse de l'air et le steward sont le premier maillon de la chaîne
marketing. Le client peut ne retenir que l'humeur et le comportement de ces
acteurs pour juger la compagnie. C'est pour cela que la sélection est
impitoyable. Ne devient pas hôtesse de l'air qui veut. Il arrive que sur un
millier de candidatures reçues, seule une cinquantaine franchit les barrières.
La hiérarchie n’est pas en reste. C’est
le cas de cet hôtel de la chaîne Sheraton où les résidents bénéficient
d'une grande attention de la part du directeur. Celui-ci, à l'occasion,
n'hésite pas à saluer les clients, à discuter avec eux afin de connaître leurs
impressions sur l'ambiance générale et la gestion de l'établissement.
La notion de produit englobe des
aspects que l'on ne soupçonne pas au premier abord. S'agissant de l'activité
touristique, le degré de satisfaction dépend certes de la qualité intrinsèque
du produit proposé (chambres confortables, buffets copieusement garnis,
piscine, animation...). Mais il y a des éléments que les opérateurs ne sont pas
à même de maîtriser, tels le comportement des guides et des commerçants, la
propreté des villes et l'environnement global, l'accès aux monuments, etc. Tel
touriste étranger dira qu'il a été satisfait de son hôtel à Fès mais qu'il ne
compte pas revenir parce qu'il a été scandalisé, lors d'une promenade en ville,
par le traitement infligé aux ânes et mulets. Tel autre a beaucoup apprécié la
qualité des repas et la gentillesse des serveurs, mais n'a pas supporté les
excès de saleté dans le voisinage des édifices historiques (comme à Meknès)...
Nombreuses enfin sont les situations
où le consommateur intervient lui-même
dans la configuration et la qualité du produit. Dans les services et les
loisirs, l'auto-définition du produit par le client est essentielle. Le
consommateur participe lui-même à la production du service lorsque celui-ci est
partagé. Il est impliqué dans la création du service dès lors que la production
et la consommation exigent inévitablement sa présence. Ainsi un restaurant sera
apprécié en fonction autant de la qualité des repas et de l'ambiance que de l'allure
générale des clients qui le fréquentent. Le même raisonnement peut être
appliqué à un café, une salle de cinéma, une piscine, un établissement d'enseignement
ou un hôtel.
L'hôtel Hyatt Regency à Casablanca, aujourd’hui connu pour ses salles de conférences et ses dîners
d’affaires, est regardé
comme « l'hôtel de référence pour
les voyageurs professionnels ». Avant 1997, le positionnement était autre : les frasques des « émirs »
et autres dignitaires fortunés du Moyen-Orient avaient entraîné la défection
d'une partie importante de la clientèle. L’enseigne, réalisant à quel point le
« profil » des clients contribuait à sa renommée, devait recentrer son
offre sur la clientèle corporate (d'affaires) et entreprendre le remodelage
de son image. (8)
Récapitulons. Le produit est le point de départ et le point d’arrivée de la
réflexion marketing. Il importe donc de l’élucider, le mettre à plat. Le
définir comme « l’expression physique de la réponse de l'entreprise à
la demande » (dixit les manuels) est source de malentendu : ce
n'est pas une notion élémentaire, immédiatement compréhensible. Il englobe une
variété surprenante d'items. Il peut être un bien matériel, un bien incorporel,
une destination touristique, une idée à but social, un candidat politique.
Thami
BOUHMOUCH
Mai
2012
________________________________________
(1) Cf. l'article « Le besoin : stimulé, canalisé ou
manipulé ? », in http://bouhmouch.blogspot.com/2012/04/le-besoin-stimule-canalise-ou-manipule.html
(2) Cela nous renvoie à l'article :
« Puissance
et extension du concept Marketing », in http://bouhmouch.blogspot.com/2012/04/puissance-et-extension-du-concept.html
(3) Jacques Austruy, Le
scandale du développement, éd. Marcel Rivière.
(4) Depuis l'accord de février
2004, ce programme est désormais piloté par l'Association marocaine de
planification familiale (AMPF), en partenariat avec l'industrie pharmaceutique
et sous la tutelle du Ministère de la
Santé.
(5)
Disons ici,
sans y insister, qu'au Maroc la corruption est entrée dans les mœurs... On ne
combat pas un fléau social par des phrases. La tâche est immense et de longue
haleine : il faut s'employer à la fois à réduire les écarts indécents des
salaires et mettre en application, à tous les niveaux, les sanctions prévues
par la loi. Faute d'une action d'envergure, les injonctions moralisantes ne
sont que du bavardage.
(7) Pour de plus amples
développements, voir l'article : « Puissance et extension du
concept Marketing », op. cit.
(8) La boite de nuit « Black house »
constitue malgré
tout un
bémol : de nouveau, les
nababs du Golfe s’affichent
vulgairement
« avec des
bouteilles de whisky et des professionnelles en robe de léopard ».
Voir : www.tripadvisor.fr/ShowUserReviews-g293732-d303054-r117667872-Hyatt_Regency_Casablanca-
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