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15 mai 2012

ASSIMILER LE CREDO DU MARKETING



« On ne fait rien de bon si on ne parvient pas à toucher le client »
E. Woolard, DuPont de Nemours



L'entreprise, on le sait, adopte une démarche dynamique dans le but d'atteindre (de façon rentable) la satisfaction du client. L'écoute du marché, c'est par-dessus tout un travail de terrain constant, une relation de proximité avec les consommateurs. Ceux-ci se trouvent ainsi au cœur de l'activité commerciale… Dans quelle mesure et de quelle manière ?



Bâtir une relation à long terme

Un point vaut d'être reformulé : la démarche marketing est la traduction opérationnelle (outils et procédés) du principe de souveraineté du client.
Le pouvoir s'est déplacé du producteur vers le consommateur, du vendeur vers l'acheteur. Aujourd'hui, l'entreprise opère dans un système pluraliste qui admet et reconnaît la diversité des préférences. Une concurrence intense, mondiale donne aux consommateurs un choix de plus en plus large. Ceux-ci, d'ordinaire, sont désormais en mesure de dicter leur volonté.
La question banale au point d'être fréquemment oubliée est : que veut le client ? L'entreprise centrée sur le client, comprend qu'elle doit se régler sur ses attentes – formellement exprimées ou inconscientes – et adhère volontiers à l'idée. Elle engage un processus d'interaction intelligente avec le public cible. Celui-ci est l'objet de tous ses soins.

Les producteurs de cinéma étasuniens ont réussi à mettre le contenu de leurs films en harmonie avec les attentes du public international. L’un d’eux a déclaré : « En Europe, on commence par le scénario, puis on cherche un producteur prêt à investir dans le projet. Mais aux Etats-Unis, on cherche d'abord une cible. Les Américains sont plus pragmatiques et plus réalistes sur le plan commercial que les Européens. Ils disent "voilà un film pour l'été" ou "ce film marchera bien dans le sud", plaira particulièrement aux femmes célibataires autour de la trentaine qui vont beaucoup au cinéma, etc. ». (1) Au Maroc, l'essor du secteur cinématographique n'aura lieu que si l'on se conforme aux aspirations du public. Pour faire revenir celui-ci devant le grand écran, il est nécessaire de lui proposer des films « de proximité » (pour reprendre la formule consacrée), des films où il se reconnaît et se retrouve. Le succès, entre autres, de « A la recherche du mari de ma femme » (réalisé en 1993 par A. Tazi) est assez révélateur de l'orientation qu'il s'agit impérativement d'adopter.


Satisfaire le client, c'est donc là le credo du management moderne. De plus en plus d'entreprises le mettent en exergue. Qu'on en juge par le message publicitaire de la marque Siera (électroménager) « Apprenez à reconnaître nos clients... ils sont souriants ». Celui de la société Wincor Nixdorf (matériel informatique) est axé sur la même idée : « Quand expérience et vision convergent vers un même objectif, celui de la satisfaction du client, c'est là l'esprit Wincor Nixdorf ».
De nombreuses études (aux Etats-Unis, en Angleterre, en Suisse...) ont démontré l'incidence de l'orientation client sur la performance de l'entreprise. Comme le relèvent Kotler et Dubois, « c'est la satisfaction du client qui assoit la position commerciale, beaucoup plus durablement que la taille du budget publicitaire ou l'astuce du vendeur ». (2) 
Un point est hors de doute : il est plus coûteux d'attirer un nouveau consommateur que de garder un ancien. (3) Faut-il dépenser de l'argent à profusion pour conquérir de nouveaux clients (difficiles à séduire) alors que les clients actuels sont déjà acquis à la marque ? Nombre de dirigeants se portent volontiers sur l'idée que « ailleurs l'herbe est plus verte » – et les directives destinées à la force de vente entretiennent une telle obsession. Il est tout à fait légitime de chercher à élargir la surface de clientèle, mais certainement pas au détriment des clients existants.
L'entreprise centrée sur le marché cherche à bâtir une relation à long terme. Le taux de rétention de la clientèle est essentiel ; ses effets sur les résultats sont patents. La transmission des matchs de football coûte aux chaînes de télévision des sommes colossales. Pour le directeur général de TVM, la dépense est justifiée : « Le football, c'est important pour nous. Nous couvrons les championnats étrangers, parce que si nous ne le faisons pas, les gens zappent. Et dès que tu perds l'auditoire, il n'y a plus de télé ». (4)
Un client réellement satisfait achète le produit de nouveau (et peut-être d'autres produits de même marque), diffuse une information favorable sur l'entreprise (à un coût nul) et n'est pas tenté de se tourner vers les concurrents. A l'inverse, un client mécontent n'hésite pas à parler autour de lui de sa déception et de son indignation. Lui transmettre trois fois par an des messages de vœux, à la manière de Maroc Telecom, sera-t-il suffisant pour se faire pardonner ?     
Comme le note plaisamment un professionnel, la relation qui existe entre le produit et le consommateur est de même nature que la liaison amoureuse entre deux personnes. Qu'est-ce qu'un succès commercial, un produit réussi, une marque adulée, si ce n'est l'histoire d'une relation très spéciale ? Un produit « désire » un client et doit de ce fait le séduire. Il doit se différencier dynamiquement de celui du concurrent dans la promesse d'une satisfaction durable. Cette vision est admissible par l'esprit autant que pratique.
Le concept de marketing, répétons-le, déborde largement le cadre de l'activité de vente. La vente n'est que l'une des composantes de l'action marketing. C'est le sommet de l'iceberg. C'est une étape critique certes, mais elle est de facto mise au second plan – puisqu'on offre à la clientèle un bien conforme à ses désirs. « Le but du marketing est de rendre la vente superflue ; il consiste à connaître et comprendre le client à un point tel que le produit ou le service lui conviennent parfaitement et se vendent d'eux-mêmes ». (5)
Une telle vision procède-t-elle à proprement parler d'un champ de réflexion nouveau ?

Satisfaire le client : un vieux précepte commercial

Le marketing peut être considéré comme un terme nouveau que l'on a appliqué à une réalité et des usages anciens. L'approche moderne en effet s'appuie sur des pratiques et des techniques utilisées depuis longtemps, comme la réclame, les relations publiques, la promotion des ventes... (6) Nombre d'auteurs soutiennent que « les Chinois avaient déjà cette fibre commerciale axée sur une satisfaction de leurs clientèles ». (7)
Se préoccuper des attentes du marché s'avère un vieux précepte de l'activité commerciale. Les tâches que cela suppose ont toujours été assumées, d'une manière ou d'une autre, là où ont prévalu l'échange volontaire et le jeu concurrentiel. Producteurs et commerçants savaient viscéralement que si le client n'est pas satisfait, il aura tôt fait de s'adresser ailleurs. Ils avaient certainement du bon sens, mais ils ne savaient pas formaliser. C'est la formalisation du bon sens qui a donné lieu au marketing sous sa forme actuelle.
Mais peut-être faut-il remonter aux économistes classiques pour trouver une formulation explicite de la nouvelle conception. Ceux-ci étaient convaincus de la nécessité d'orienter la dynamique de production vers les biens réclamés par le marché. (8) Pour eux, l'entreprise – en déterminant « l'allocation et la combinaison de ressources rares » – a pour rôle de produire des biens et services destinés à satisfaire des besoins.
Le marketing, en effet, est la traduction en règles opérationnelles de gestion des principes énoncés à la fin du XVIIIème siècle. Rappelons-les en peu de mots :
- Le consommateur (« l'homo economicus ») poursuit son intérêt personnel et égocentrique qui l'incite à dépenser. Etant libre et souverain, il procède à des choix individuels. Ces choix varient selon les goûts et les systèmes de valeurs.
- Les choix individuels, impliquant un échange volontaire, se réalisent dans un espace concurrentiel.
- L'échange concurrentiel et volontaire est géré par la « main invisible », qui fait naturellement converger la somme des intérêts individuels vers le bien-être général. La recherche de l'intérêt personnel est le moteur de la croissance. (9)


Telle est l'idéologie qui fonde la démarche marketing. De là, toute organisation économique est amenée à satisfaire les besoins du public, parce que c'est le meilleur moyen d'être rentable et de prospérer. L'économiste J.-B. Say affirmait clairement que les besoins exprimés par les consommateurs « déterminent en tout lieu les créations des producteurs »...
En fait, l'apport du marketing est de tirer de cette idée fondamentale les conséquences – de façon pratique – dans l'action de l'entreprise. Les problèmes sont ainsi résolus de façon méthodique, les tâches sont accomplies et les outils utilisés en harmonie. L'originalité du concept, pour reprendre le néologisme d'origine américaine, réside dans sa formulation managériale, une formulation qui a évolué parallèlement à la transformation progressive et phénoménale du monde des affaires. C'est le constat que fait Flipo : « La nouveauté du XXème siècle consiste seulement en l'utilisation de techniques de plus en plus sophistiquées rendues nécessaires par la complexification impressionnante des relations sociales ». (10)

Le client est le véritable patron

En 1912, un dirigeant américain avait saisi d'instinct le sens du marketing. Lui qui répétait à son personnel que le client est le véritable patron de l'entreprise, affichait dans son catalogue le message suivant : « Pour moi, un article n'est définitivement vendu que lorsqu'il est usé sans que le client ait eu à s'en plaindre. Je remercierai quiconque me retournera un article qui n'a pas donné entière satisfaction... Nous voulons qu'aucun de nos clients n'ait à se plaindre de nous ». (11)
Les passagers de l'avion de la compagnie Lufthansa font l'objet de beaucoup d'attention de la part de l'équipage et le pilote se confond en excuses si l'horaire a subi une minute de retard. La satisfaction du client provient de facteurs multiples, majeurs ou mineurs mais toujours importants. « Si nous faisons ce qu'il faut pour le client, nous n'avons pas de souci à nous faire pour nos parts de marché et nos bénéfices ». (12)
Examinons le cas des pharmacies au Maroc. Vis-à-vis des clients, en règle générale, les employés sont blasés et distants. On connaît bien la scène : un client entre dans l'officine, l'un des vendeurs se rue sur l'ordonnance, apporte les médicaments, bafouille à la hâte la posologie, transmet à la caisse la somme à payer. Soigner l'accueil, répondre aux questions, être aimable : des exigences qui ne viennent pas à l'esprit, étant donné que l'acheteur est censé ne pas avoir le choix...
Aujourd'hui, les choses ne semblent plus ce qu'elles étaient : le chiffre d'affaires des officines a baissé de manière considérable. Dès lors, pour assurer des ventes régulières et sauvegarder leur rentabilité, les pharmaciens sont irrésistiblement portés à développer des actions à destination de la clientèle. D'aucuns l'ont bien compris. Témoin cette pharmacienne à Casablanca : « Pour réaliser un chiffre d'affaires moyen de 1,8 million de dirhams par an, nous sommes obligés de choyer nos clients ». Ainsi, l'accent est mis sur l'accueil, le conseil et l'orientation, les facilités de paiement (allant jusqu'à 30 jours) et la livraison à domicile pour la clientèle régulière. (13)

S'adapter à un public veut dire satisfaire ses goûts, se conformer à ses habitudes et exigences, parler un langage auquel il est sensible. Si la société UPS (messagerie) a mis au point un système informatique sophistiqué, c'est pour permettre à ses clients d'accéder rapidement à toutes les informations relatives aux colis expédiés. Si Toyota a proposé un modèle de voiture doté d'un système combinant le moteur à essence et l'énergie électrique, c'est en réponse à une préoccupation écologique qui s'amplifie... La marque Honda opte résolument pour une politique de « zoning » : chacune des zones géographiques retenues reçoit le modèle qui lui est adapté. Ainsi la version du modèle Accord vendue en Angleterre est plus petite que celle retenue pour le Japon. La City (dérivée de la Civic), commercialisée dans les pays asiatiques, est plus robuste et sensiblement moins chère.
Satisfaire le client n'est pas un devoir, dans le sens de besogne ou pensum, comme semblait le clamer, il y a dix ans, une publicité de IMTC (société de transport maritime, Casablanca) : « Vous satisfaire est notre devoir ». Ce n'est pas non plus un simple slogan. Tel banquier, par exemple, affirme que « la satisfaction du client est une priorité » ; mais la promesse doit être obligatoirement avalisée par la majorité des employés. De plus, lorsqu'un client bénéficie d'un accueil cordial et attentionné, c'est beaucoup plus en raison de l'importance des actifs détenus que la traduction d'une politique réellement raisonnée.
Il va sans dire que l'essentiel n'est pas de construire des phrases, d'agencer des mots alléchants... Revoyons cette annonce: « Quand on s'appelle Crédit Agricole, on a des devoirs d'optimisme envers chacun de vous, où que vous soyez. [...] Chaque jour, le Crédit Agricole est encore plus proche de chez vous, encore plus proche de vous. Vous êtes le futur, vous êtes l'avenir, vous êtes le progrès ». Les discours regorgent de dispositions à bien faire, font preuve de beaucoup de bonne volonté. Ce qui compte toutefois pour la clientèle, c'est la réalité de tous les jours, c'est la qualité du service rendu, la relation de confiance, le contact avec le personnel et la direction.
Mais il y a plus : lorsqu'une publicité fait des promesses simplement pour appâter le client potentiel, la relation est viciée et s'établit sur une sorte d'immoralité. Nombre d'établissements supérieurs privés proclament leur « passion de l'excellence », se targuent d'une « pédagogie proactive », promettent des stages ou/et la poursuite du cursus « à l'étranger »... Mais les bacheliers inscrits ne tardent pas à déchanter. Une école à Casablanca a poussé la témérité jusqu'à annoncer « la garantie d'emploi dès les premiers mois d'obtention du diplôme ».
La satisfaction et la conservation des clients exigent enfin une certaine constance. Il ne s'agit pas de répondre aux moindres « caprices » détectés, de gonfler d'une manière disproportionnée le service marketing, de multiplier anarchiquement les marques, les gammes de produits et les options. On aurait tort de perturber le public cible et les distributeurs en introduisant des changements incessants, sous prétexte de suivre au plus près l'évolution du marché. Certes, l'action marketing ne rime pas avec immobilisme, mais elle a besoin de durée. Il faut au besoin rectifier le tir tout en préservant l'essentiel, c'est-à-dire la personnalité d'une marque, le positionnement choisi...

Thami BOUHMOUCH
Mai 2012
__________________________________________
(1) Cité in L'Economiste du 15/2/96.
(2) P. Kotler et B. Dubois, Marketing management, éd. Publi-Union.
(3) Comme le note C. Demeure, fidéliser un client déjà acquis revient en moyenne six fois moins cher que de transformer un prospect en client. Cf. son ouvrage Marketing, éd. Dalloz.
(4) F. Laraichi, cité in Economie & Entreprises, janvier 2002.
(5) Peter Drucker, cité par Ph. Kotler et B. Dubois, ouvrage op. cit. Ce propos doit être nuancé. Voir l'importance accordée à la vente par les sociétés Xerox Maroc et Marocaine-vie, in article « Le consommateur sous pression » http://bouhmouch.blogspot.com/2012/02/33-le-consommateur-sous-pression-vendre.html
(6) En 1881 la société américaine Procter & Gamble a lancé sa première réclame concernant le savon Ivory. Soixante ans plus tard, ce savon est le premier produit à faire l’objet d’un message publicitaire à la télévision. Ce qui montre bien que le marketing ne saurait être réduit à sa composante publicitaire.
(7) J.-J. Croutsche, Marketing opérationnel : liaisons et interfaces dans l'entreprise,  éditions Eska.
(8) Cf. J. P. Helfer et J. Orsoni, Marketing, éd. Vuibert gestion.
(9) On peut se référer, parmi bien d'autres, à Richard Vairez, Mercatique, éd. Techniplus .
(10) J.-P. Flipo, Les paradoxes du marketing, Revue Française de Gestion sept.-oct. 1982.
(11) Léon Bean, cité par Hiam et Schewe, MBA Marketing – Les concepts, éd. Maxima.
(12) Paul Allaire, patron de Xerox, cité par Hiam et Schewe, ibid.
(13) Cf. à ce sujet Economie & Entreprises, décembre 2000.












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