« On ne fait rien de bon si on ne parvient pas à toucher le client »
E. Woolard, DuPont de Nemours
L'entreprise, on le sait, adopte une démarche
dynamique dans le but d'atteindre (de façon rentable) la satisfaction du
client. L'écoute du marché, c'est par-dessus tout un travail de terrain
constant, une relation de proximité avec les consommateurs. Ceux-ci se trouvent
ainsi au cœur de l'activité commerciale… Dans quelle mesure et de quelle
manière ?
Bâtir une relation à long terme
Un
point vaut d'être reformulé : la démarche marketing est la traduction
opérationnelle (outils et procédés) du principe de souveraineté du client.
Le
pouvoir s'est déplacé du producteur vers le consommateur, du vendeur vers
l'acheteur. Aujourd'hui, l'entreprise opère dans un système pluraliste qui
admet et reconnaît la diversité des préférences. Une concurrence intense,
mondiale donne aux consommateurs un choix de plus en plus large. Ceux-ci, d'ordinaire,
sont désormais en mesure de dicter leur volonté.
La
question banale au point d'être fréquemment oubliée est : que veut le
client ? L'entreprise centrée sur le client, comprend qu'elle doit se
régler sur ses attentes – formellement exprimées ou inconscientes – et adhère
volontiers à l'idée. Elle engage un processus d'interaction intelligente avec le
public cible. Celui-ci est l'objet de tous ses soins.
Les producteurs
de cinéma étasuniens ont réussi à mettre le contenu de leurs films en harmonie
avec les attentes du public international. L’un d’eux a déclaré : « En
Europe, on commence par le scénario, puis on cherche un producteur prêt à
investir dans le projet. Mais aux Etats-Unis, on cherche d'abord une cible. Les
Américains sont plus pragmatiques et plus réalistes sur le plan commercial que
les Européens. Ils disent "voilà un film pour l'été" ou "ce film
marchera bien dans le sud", plaira particulièrement aux femmes
célibataires autour de la trentaine qui vont beaucoup au cinéma, etc. ». (1) Au
Maroc, l'essor du secteur cinématographique n'aura lieu que si l'on se conforme
aux aspirations du public. Pour faire revenir celui-ci devant le grand écran,
il est nécessaire de lui proposer des films « de proximité » (pour reprendre la formule consacrée), des
films où il se reconnaît et se retrouve. Le succès, entre autres, de « A la recherche du
mari de ma femme » (réalisé en 1993 par A. Tazi) est assez révélateur de l'orientation qu'il
s'agit impérativement d'adopter.
Satisfaire le client, c'est
donc là le credo du management moderne. De plus en plus d'entreprises le
mettent en exergue. Qu'on en juge par le message publicitaire de la marque
Siera (électroménager) « Apprenez à
reconnaître nos clients... ils sont souriants ».
Celui de la société Wincor Nixdorf (matériel informatique) est axé sur
la même idée : « Quand expérience et
vision convergent vers un même objectif, celui de la satisfaction du client,
c'est là l'esprit Wincor Nixdorf ».
De
nombreuses études (aux Etats-Unis, en Angleterre, en Suisse...) ont démontré
l'incidence de l'orientation client sur la performance de l'entreprise. Comme le relèvent
Kotler et Dubois, « c'est la
satisfaction du client qui assoit la position commerciale, beaucoup plus
durablement que la taille du budget publicitaire ou l'astuce du vendeur ». (2)
Un
point est hors de doute : il est plus coûteux d'attirer un nouveau consommateur
que de garder un ancien. (3) Faut-il dépenser de l'argent à
profusion pour conquérir de nouveaux clients (difficiles à séduire) alors que
les clients actuels sont déjà acquis à la marque ? Nombre de dirigeants se
portent volontiers sur l'idée que « ailleurs l'herbe est plus verte
» – et les
directives destinées à la force de vente entretiennent une telle obsession. Il
est tout à fait légitime de chercher à élargir la surface de clientèle, mais
certainement pas au détriment des clients existants.
L'entreprise
centrée sur le marché cherche à bâtir une relation à long terme. Le taux de
rétention de la clientèle est essentiel ; ses effets sur les résultats sont
patents. La transmission des matchs de football coûte aux chaînes de télévision
des sommes colossales. Pour le directeur général de TVM, la dépense est
justifiée : « Le football, c'est
important pour nous. Nous couvrons les championnats étrangers, parce que si
nous ne le faisons pas, les gens zappent. Et dès que tu perds l'auditoire, il
n'y a plus de télé ». (4)
Un
client réellement satisfait achète le produit de nouveau (et peut-être d'autres
produits de même marque), diffuse une information favorable sur l'entreprise (à
un coût nul) et n'est pas tenté de se tourner vers les concurrents. A
l'inverse, un client mécontent n'hésite pas à parler autour de lui de sa
déception et de son indignation. Lui transmettre trois fois par an des messages
de vœux, à la manière de Maroc Telecom, sera-t-il suffisant pour se
faire pardonner ?
Comme
le note plaisamment un professionnel, la relation qui existe entre le produit
et le consommateur est de même nature que la liaison amoureuse entre deux
personnes. Qu'est-ce qu'un succès commercial, un produit réussi, une marque
adulée, si ce n'est l'histoire d'une relation très spéciale ? Un produit « désire » un client et doit de ce fait le séduire.
Il doit se différencier dynamiquement de celui du concurrent dans la promesse
d'une satisfaction durable. Cette vision est admissible par l'esprit autant que
pratique.
Le
concept de marketing, répétons-le, déborde largement le cadre de l'activité de
vente. La vente n'est que l'une des composantes de l'action marketing. C'est le
sommet de l'iceberg. C'est une étape critique certes, mais elle est de facto
mise au second plan – puisqu'on offre à la clientèle un bien conforme à ses
désirs. « Le but du marketing est de rendre la vente superflue ;
il consiste à connaître et comprendre le client à un point tel que le produit
ou le service lui conviennent parfaitement et se vendent d'eux-mêmes ». (5)
Une
telle vision procède-t-elle à proprement parler d'un champ de réflexion nouveau
?
Satisfaire
le client : un vieux précepte commercial
Le
marketing peut être considéré comme un terme nouveau que l'on a appliqué à une
réalité et des usages anciens. L'approche moderne en effet s'appuie sur des
pratiques et des techniques utilisées depuis longtemps, comme la réclame, les
relations publiques, la promotion des ventes... (6) Nombre d'auteurs
soutiennent que « les Chinois avaient
déjà cette fibre commerciale axée sur une satisfaction de leurs clientèles ». (7)
Se
préoccuper des attentes du marché s'avère un vieux précepte de l'activité
commerciale. Les tâches que cela suppose ont toujours été assumées, d'une
manière ou d'une autre, là où ont prévalu l'échange volontaire et le jeu
concurrentiel. Producteurs et commerçants savaient viscéralement que si le
client n'est pas satisfait, il aura tôt fait de s'adresser ailleurs. Ils
avaient certainement du bon sens, mais ils ne savaient pas formaliser. C'est la
formalisation du bon sens qui a donné lieu au marketing sous sa forme
actuelle.
Mais
peut-être faut-il remonter aux économistes classiques pour trouver une formulation
explicite de la nouvelle conception. Ceux-ci étaient convaincus de la
nécessité d'orienter la dynamique de production vers les biens réclamés par le
marché. (8) Pour eux, l'entreprise – en déterminant « l'allocation et la
combinaison de ressources rares
» – a
pour rôle de produire des biens et services destinés à satisfaire des besoins.
Le
marketing, en effet, est la traduction en règles opérationnelles de gestion
des principes énoncés à la fin du XVIIIème siècle. Rappelons-les en
peu de mots :
- Le consommateur (« l'homo economicus ») poursuit son intérêt personnel et
égocentrique qui l'incite à dépenser. Etant libre et souverain, il procède à
des choix individuels. Ces choix varient selon les goûts et les systèmes de
valeurs.
- Les choix
individuels, impliquant un échange volontaire, se réalisent dans un espace
concurrentiel.
- L'échange
concurrentiel et volontaire est géré par la « main invisible », qui fait
naturellement converger la somme des intérêts individuels vers le bien-être
général. La recherche de l'intérêt personnel est le moteur de la croissance. (9)
Telle
est l'idéologie qui fonde la démarche marketing. De là, toute
organisation économique est amenée à satisfaire les besoins du public, parce
que c'est le meilleur moyen d'être rentable et de prospérer. L'économiste J.-B.
Say affirmait clairement que les besoins exprimés par les consommateurs « déterminent en tout
lieu les créations des producteurs »...
En
fait, l'apport du marketing est de tirer de cette idée fondamentale les
conséquences – de façon pratique – dans l'action de l'entreprise. Les problèmes
sont ainsi résolus de façon méthodique, les tâches sont accomplies et les
outils utilisés en harmonie. L'originalité du concept, pour reprendre le
néologisme d'origine américaine, réside dans sa formulation managériale,
une formulation qui a évolué parallèlement à la transformation progressive et
phénoménale du monde des affaires. C'est le constat que fait Flipo : « La nouveauté du XXème
siècle consiste seulement en l'utilisation de techniques de plus en plus
sophistiquées rendues nécessaires par la complexification impressionnante des
relations sociales ». (10)
Le client
est le véritable patron
En
1912, un dirigeant américain avait saisi d'instinct le sens du marketing. Lui
qui répétait à son personnel que le client est le véritable patron de
l'entreprise, affichait dans son catalogue le message suivant : « Pour moi, un
article n'est définitivement vendu que lorsqu'il est usé sans que le client ait
eu à s'en plaindre. Je remercierai quiconque me retournera un article qui n'a
pas donné entière satisfaction... Nous voulons qu'aucun de nos clients n'ait à
se plaindre de nous ». (11)
Les
passagers de l'avion de la compagnie Lufthansa font l'objet de beaucoup
d'attention de la part de l'équipage et le pilote se confond en excuses si
l'horaire a subi une minute de retard. La satisfaction du client provient de
facteurs multiples, majeurs ou mineurs mais toujours importants. « Si
nous faisons ce qu'il faut pour le client, nous n'avons pas de souci à nous
faire pour nos parts de marché et nos bénéfices ». (12)
Examinons
le cas des pharmacies au Maroc. Vis-à-vis des clients, en règle générale, les
employés sont blasés et distants. On connaît bien la scène : un client entre
dans l'officine, l'un des vendeurs se rue sur l'ordonnance, apporte les
médicaments, bafouille à la hâte la posologie, transmet à la caisse la somme à
payer. Soigner l'accueil, répondre aux questions, être aimable : des exigences
qui ne viennent pas à l'esprit, étant donné que l'acheteur est censé ne pas
avoir le choix...
Aujourd'hui,
les choses ne semblent plus ce qu'elles étaient : le chiffre d'affaires des
officines a baissé de manière considérable. Dès lors, pour assurer des ventes
régulières et sauvegarder leur rentabilité, les pharmaciens sont
irrésistiblement portés à développer des actions à destination de la clientèle.
D'aucuns l'ont bien compris. Témoin cette pharmacienne à Casablanca : « Pour réaliser un
chiffre d'affaires moyen de 1,8 million de dirhams par an, nous sommes obligés
de choyer nos clients ». Ainsi, l'accent
est mis sur l'accueil, le conseil et l'orientation, les facilités de paiement
(allant jusqu'à 30 jours) et la livraison à domicile pour la clientèle
régulière. (13)
S'adapter
à un public veut dire satisfaire ses goûts, se conformer à ses habitudes et
exigences, parler un langage auquel il est sensible. Si la société UPS (messagerie)
a mis au point un système informatique sophistiqué, c'est pour permettre à ses
clients d'accéder rapidement à toutes les informations relatives aux colis
expédiés. Si Toyota a proposé un modèle de voiture doté d'un système
combinant le moteur à essence et l'énergie électrique, c'est en réponse à une
préoccupation écologique qui s'amplifie... La marque Honda opte
résolument pour une politique de «
zoning
» : chacune des
zones géographiques retenues reçoit le modèle qui lui est adapté. Ainsi la
version du modèle Accord vendue en Angleterre est plus petite que celle
retenue pour le Japon. La City (dérivée de la Civic),
commercialisée dans les pays asiatiques, est plus robuste et sensiblement moins
chère.
Satisfaire
le client n'est pas un devoir, dans le sens de besogne ou pensum, comme
semblait le clamer, il y a dix ans, une publicité de IMTC (société de
transport maritime, Casablanca) : « Vous satisfaire est
notre devoir ». Ce n'est pas non
plus un simple slogan. Tel banquier, par exemple, affirme que « la satisfaction du
client est une priorité » ; mais la promesse
doit être obligatoirement avalisée par la majorité des employés. De plus, lorsqu'un
client bénéficie d'un accueil cordial et attentionné, c'est beaucoup plus en
raison de l'importance des actifs détenus que la traduction d'une politique
réellement raisonnée.
Il va
sans dire que l'essentiel n'est pas de construire des phrases, d'agencer des
mots alléchants... Revoyons cette annonce: « Quand on s'appelle
Crédit Agricole, on a des devoirs d'optimisme envers chacun de vous, où que
vous soyez.
[...] Chaque jour, le Crédit Agricole est encore plus proche de
chez vous, encore plus proche de vous. Vous êtes le futur, vous êtes l'avenir,
vous êtes le progrès ». Les
discours regorgent de dispositions à bien faire, font preuve de beaucoup de
bonne volonté. Ce qui compte toutefois pour la clientèle, c'est la réalité de
tous les jours, c'est la qualité du service rendu, la relation de confiance, le
contact avec le personnel et la direction.
Mais
il y a plus : lorsqu'une publicité fait des promesses simplement pour appâter
le client potentiel, la relation est viciée et s'établit sur une sorte
d'immoralité. Nombre d'établissements supérieurs privés proclament leur « passion de
l'excellence », se targuent d'une
« pédagogie proactive », promettent des
stages ou/et la poursuite du cursus « à l'étranger »... Mais les
bacheliers inscrits ne tardent pas à déchanter. Une école à Casablanca a poussé
la témérité jusqu'à annoncer « la garantie
d'emploi dès les premiers mois d'obtention du diplôme ».
La
satisfaction et la conservation des clients exigent enfin une certaine constance.
Il ne s'agit pas de répondre aux moindres « caprices » détectés, de
gonfler d'une manière disproportionnée le service marketing, de multiplier
anarchiquement les marques, les gammes de produits et les options. On aurait
tort de perturber le public cible et les distributeurs en introduisant des
changements incessants, sous prétexte de suivre au plus près l'évolution du
marché. Certes, l'action marketing ne rime pas avec immobilisme, mais elle a
besoin de durée. Il faut au besoin rectifier le tir tout en préservant
l'essentiel, c'est-à-dire la personnalité d'une marque, le positionnement
choisi...
Thami
BOUHMOUCH
Mai
2012
__________________________________________
(1) Cité in L'Economiste du 15/2/96.
(2) P. Kotler et
B. Dubois, Marketing
management, éd. Publi-Union.
(3) Comme le note
C. Demeure, fidéliser un client déjà acquis revient en moyenne six fois moins
cher que de transformer un prospect en client. Cf. son ouvrage Marketing, éd. Dalloz.
(4) F. Laraichi,
cité in Economie & Entreprises, janvier 2002.
(5) Peter Drucker,
cité par Ph. Kotler et B. Dubois, ouvrage op.
cit. Ce propos doit être nuancé. Voir l'importance accordée à la vente par
les sociétés Xerox Maroc et Marocaine-vie, in article « Le consommateur sous pression » http://bouhmouch.blogspot.com/2012/02/33-le-consommateur-sous-pression-vendre.html
(6) En 1881 la
société américaine Procter & Gamble a lancé sa première réclame
concernant le savon Ivory. Soixante ans plus tard, ce savon est le
premier produit à faire l’objet d’un message publicitaire à la télévision. Ce
qui montre bien que le marketing ne saurait être réduit à sa composante
publicitaire.
(7) J.-J. Croutsche, Marketing
opérationnel : liaisons et interfaces dans l'entreprise, éditions Eska.
(8) Cf. J. P. Helfer et J. Orsoni, Marketing, éd. Vuibert gestion.
(9) On peut se
référer, parmi bien d'autres, à Richard Vairez, Mercatique, éd. Techniplus .
(10) J.-P. Flipo, Les paradoxes du marketing, Revue Française de Gestion
sept.-oct. 1982.
(11) Léon Bean,
cité par Hiam et Schewe, MBA Marketing – Les concepts, éd. Maxima.
(12) Paul Allaire,
patron de Xerox, cité par Hiam et Schewe, ibid.
(13) Cf. à ce sujet Economie
& Entreprises, décembre 2000.
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