L'approche
abordée ici est foncièrement associée à un contexte de consommation de masse,
une économie où les revenus sont élevés et la distribution élargie. Sur un
marché d'acheteurs, où les capitaux affluent et le rythme de production
s'accentue, le problème majeur est d'attirer des clients, de recueillir des
commandes, de réaliser un chiffre d'affaires donné. Lorsque l'offre est
pléthorique et la concurrence se renforce, le risque de mévente est réel.
Le
point de focalisation s'est déplacé : la production n'est plus considérée comme
une fin en soi. Il est plus malaisé de conquérir une clientèle que de
construire une usine. Le simple fait de fabriquer des produits de meilleure
qualité ne suffit pas à garantir leur écoulement. On commence à s'intéresser à
la demande, mais sous un angle particulier : on considère que le produit se vendra
facilement si l'effort de vente est suffisant.
L'idée implicite est que le marché est disposé à tout absorber à condition
d'utiliser les moyens de stimulation des ventes, à condition d'y mettre une
pression suffisante.
Mettre la pression
Une
telle obsession semble s'expliquer ainsi : « Le
prestige d’une marque ainsi que la qualité du produit et du service ne sont
plus aussi déterminants que par le passé, tant le consommateur a du mal à faire
son choix dans la panoplie de produits et services qu’on lui propose tous les
jours. Pour s’imposer dans un tel environnement, il est impératif d’assurer une
présence constante sur le terrain ». (1)
Le mot
d'ordre en tout cas est clair : inciter à l'achat, vendre mieux que les autres,
vendre à tout prix. La croissance de
l'entreprise et parfois sa survie dépendent des quantités vendues, donc de
l'effort de prospection et d'argumentation. Les tâches opérationnelles de vente
revêtent une importance accrue et le sens du contact avec le client potentiel
est primordial.
Cette
approche prévaut sans doute lorsque le producteur est en situation de
surcapacité et doit vendre ce qu'il produit. Elle réussit là où l'entreprise ne
dépend pas d'achats répétés, où les clients potentiels sont particulièrement nombreux
et peu expérimentés. C'est le cas, entre autres, des gadgets vendus par le
porte-à-porte, des vendeurs d'encyclopédies, etc. Elle prévaut aussi dans le
cas des produits « non recherchés » : lorsque le dirigeant est
convaincu que les consommateurs n'achèteront son produit que s'ils y sont incités.
Eclairons
cela par quelques exemples. La Marocaine-Vie,
spécialisée dans l'assurance de personnes, propose des produits variés :
retraite, maladie-hospitalisation, rente-éducation, invalidité-décès... Son ex-directeur,
conscient de l'importance du rôle des vendeurs, disait dans le temps que
« l'assurance vie est un produit qui se vend et qui ne s'achète pas ».
(2) L’expression est assez significative : la force de vente est
le véritable cheval de bataille. L'organisation repose sur le triptyque qualité
de recrutement, motivation, rémunération. De là, la mise en œuvre d'un
programme sérieux de sélection et de renforcement des compétences.
On comprend alors que les commerciaux soient bien rétribués : la part variable représente en moyenne 20% du salaire global, « mais peut aller jusqu’à 50% dans des cas extrêmes ». D’après la dernière enquête du cabinet LMS (en 2011), les salaires bruts vont de 430 à 900 kDH pour un commercial senior, de 189 à 493 kDH pour un ingénieur technico-commercial et de 272 à 612 kDH pour un responsable administration des ventes. (3)
La
logique de vente est caractéristique de certains secteurs tels les services,
les contrats industriels et, dans une moindre mesure, les produits
d'équipement. Il en est ainsi de Xerox
Maroc, qui commercialise des copieurs, des fax, des imprimantes,
des tireuses de plans. En matière de vente, cette entreprise est sans doute
devenue un cas d'école... Une telle logique prévaut également dans le
cas où un parti politique est à
la recherche de suffrages pour son candidat. Celui-ci est « vendu » aux
électeurs. Toute faiblesse, tout écueil grave sont dissimulés au public, car
l'objectif est de réussir la « vente ». On ne se soucie pas réellement de
ce à quoi le public aspire et on multiplie les efforts destinés à lui faire
accepter le programme choisi.
Lorsqu'une telle approche prévaut, le vendeur est roi, son prestige s'accroît. La vente supplante peu à peu la production et prend une place prépondérante. Aussi, une structure ad hoc efficiente est-elle mise en place. Le directeur commercial est chargé de réaliser le niveau de ventes désiré par l'entreprise. Il est responsable de la force de vente, de l'organisation de la distribution physique et des promotions. Il martèle un message unique : vendre. Il arme ses équipes des arguments les plus appropriés, les plus percutants. Cependant, ni la gestion de la gamme des produits, ni la fixation des prix n'entrent dans son champ d'action. Elles demeurent sous la responsabilité du service de production.
La
logique de la vente à l'arraché
Le
succès et la compétitivité reposent donc sur la force de vente. L'entreprise
cherche à faire coïncider la demande avec le produit qu'elle offre. Le syndrome
de la myopie marketing (évoqué
dans la partie 2/5), se manifeste sous un angle singulier : on admet que le
consommateur potentiel ne peut résister à des arguments probants ; il ne peut
qu'être séduit par un discours commercial alléchant.
La
satisfaction du besoin est, pour ainsi dire, masquée ou jugée secondaire par
rapport à la conclusion de l'acte de vente. T. Levitt a raison de préciser : « La
vente s'intéresse aux astuces et aux techniques qui obligent les gens à
échanger leur argent contre votre produit. Elle ne touche pas aux valeurs
en cause dans l'échange. A l'inverse du marketing, la vente classique ne
définit pas l'acte commercial comme un effort intégré pour découvrir, créer,
amplifier et satisfaire les besoins du consommateur. Ce dernier n'est seulement
qu'un anonyme de passage que l'on peut, moyennant quelque habileté, débarrasser
de son argent ». (4)
Les
commerciaux sont préoccupés plus par leur commission (et leur avancement) que
par l'appréciation du prospect. Des techniques de vente persuasives ou sous pression (hard selling) sont
utilisées et toute l'énergie se concentre sur la nécessité de conclure la
transaction. Il s'agit de placer le produit et de passer à la vente suivante.
C'est la logique du bulldozer, de la vente à l'arraché. (5)
Le
vendeur doit coûte que coûte gagner la confiance des clients. C'est un
personnage ouvert, rusé, beau parleur. Il applique hardiment l'astuce du « pied dans la porte », des méthodes
égocentriques, voire même des manœuvres suspectes. Il sait « noyer le poisson » et peut être poussé à
embobiner son interlocuteur, à lui forcer la main, à faire en sorte qu'il dise
oui. Il a appris à s'adapter au langage de chacun, à esquiver les objections, à
chasser les réticences, à faire une multitude de promesses.
Le
client potentiel est obligé de se battre et, dans bien des cas, il a le
sentiment d'être « un quartier de bœuf
jeté aux piranhas ». La relation vendeur-client est donc essentiellement
antagoniste. C'est un jeu à somme nulle. « Un recours trop enthousiaste
à la publicité et à la vente débouche à la limite sur un marketing de
manipulation ou un marketing sauvage, dont l'objectif est de plier la demande
aux exigences de l'offre ». (6)
Ce type
d'approche, en un mot, est centré sur
l'entreprise. Là encore, on « oublie » de se préoccuper des besoins du
consommateur. Le manager adopte l'attitude « nez dans le guidon » et perd le recul nécessaire à la préparation
du moyen terme.
Il est
possible de vendre un produit à un individu qui n'en a pas réellement besoin, mais les chances sont très minces de réussir cet
exploit une seconde fois avec le même individu. Comme la satisfaction et la fidélité
des acheteurs ne constituent pas le souci majeur, l'optique vente comporte
ainsi le risque de détruire le marché, la confiance faisant défaut. Les
méthodes utilisées, en fin de compte, tendent à ternir l'image du métier.Récapitulons.
Vous adoptez une approche focalisée sur la vente, lorsque
vous vous préoccupez surtout du chiffre d'affaires, vous supposez que le
consommateur achètera (beaucoup) s'il fait l'objet d'un effort de vente appuyé,
les besoins de vos vendeurs sont valorisés.
Thami
Bouhmouch
Février 2012
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(1) Cf. La Vie éco
du 3/08/11
: http://www.lavieeco.com/news/la-vie-eco-carrieres/salaires-des-commerciaux-au-maroc
(2) M. Baddou, in L'Economiste
du 19/02/98 : http://www.leconomiste.com/article/comment-la-marocaine-vie-interesse-ses-vendeurs
(3) Cf. La Vie éco, op. cit.
(4) Théodore Levitt, Le
marketing à courte vue, Encyclopédie du marketing, Ed.
Techniques.
(5) Voir le cas
du commercial dans le secteur bancaire : http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/secteur-bancaire-le-client-nest-pas-roi.html
(6) J-J. Lambin, Le marketing
stratégique, McGraw Hill. Des exemples de ces pratiques sont décrits par
l'auteur.
i appreciate !!! very good job
RépondreSupprimerThank you.
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