Une philosophie de gestion particulière prend forme
à la suite du changement radical des conditions socio-économiques et des
positions des acteurs en présence. Examinons le nouveau contexte sous une forme
synthétique.
La production de masse (en série) s'est amplifiée
et la demande correspondant au noyau central du marché (besoins de base,
attentes du plus grand nombre) tend à être saturée. Les revenus étant
relativement élevés, les besoins ne se limitent plus aux produits essentiels.
L'individu cherche des produits pouvant répondre pleinement à ses désirs.
Ceux-ci évoluent et se diversifient. Des groupes distincts de consommateurs
formulent des besoins spécifiques.
Une concurrence intense, des clients avertis
L'acte de consommation, à un degré ou à un autre,
symbolise le standing et l'appartenance sociale. La notion de marque commande
plus qu'avant la décision d'achat. L'extension de la grande surface bouleverse
les comportements et modifie sensiblement le paysage de la distribution. Qui
plus est, le progrès
technologique s'accélère, se
généralise et se systématise dans la plupart des secteurs industriels (services
de recherche/développement). Non seulement les produits offerts sur le marché
(ayant la même fonction) sont intrinsèquement peu différents les uns des
autres, mais leur conception est remise en question à un rythme beaucoup plus
rapide qu'autrefois.
La concurrence est partout et de plus en plus vive, les marges tendent à se réduire.
Il est nécessaire plus qu'avant de se distinguer de l'adversaire, de fragmenter
le marché, de repérer les potentiels inexploités, de saisir les opportunités.
Des couples produits/marchés de plus en plus précis sont destinés à des
segments de plus en plus réduits.
La tâche décidément n'est pas facile : la clientèle
est de plus en plus exposée et sollicitée. Elle est mieux informée, donc plus
avisée, plus exigeante (sur la valeur d'usage et la valeur d'image), de
moins en moins crédule... Pour autant, si les attentes et les habitudes d'achat
sont plus difficiles à cerner, elles doivent être systématiquement identifiées
et étudiées. Il s'agit moins de conquérir que de fidéliser.
Le marketing s'impose de lui-même lorsque l'offre
d'un bien s'avère pléthorique. Il
s'exerce dans un environnement de concurrence – le consommateur étant libre d'accepter
ou non le produit proposé. C'est dans un tel contexte que le marketing est mis
en œuvre et trouve son champ d'application normal. En l'absence de concurrence,
il perdrait sa raison d'être. Plus la compétition est rude, plus le poids du
marketing est important.
Le marketing – du moins dans sa perspective
formalisée – est une idée nouvelle dans la pratique des échanges. Désormais,
l'entreprise sait que sa pérennité dépend fondamentalement de son aptitude à
satisfaire les besoins actuels et futurs du public cible. Elle veut le comprendre
afin de lui apporter les réponses qu'il attend. De là, les clients potentiels
sont individualisés et connus ; on les observe, on les consulte pour mieux
connaître leurs désirs, puis on élabore les produits souhaités. C'est grâce aux
informations collectées que des produits nouveaux sont créés ou des produits
anciens sont modifiés. La nouvelle approche devient un formidable atout face
aux assauts menaçants de la concurrence.
Bon nombre d'auteurs s'accordent à dire que le
marketing est né aux Etats-Unis aux débuts des années 1930, après les
surproductions incontrôlées de la décennie précédente (déjà dit : partie 1/5). Il fallait réorganiser l'économie en
fonction des besoins réels de la population (New Deal). De
l'impératif de production, l'entreprise se tourna vers le marché et la
satisfaction des clients. Les premières études de marché sont réalisées et les
premiers manuels portant sur les principes du marketing sont publiés. En 1952,
le patron du conglomérat américain General Electric (appareils
électroménagers, notamment) déclara que son entreprise serait désormais organisée en fonction du client. Dans le monde des affaires, ce changement de
philosophie est crucial.
Au Maroc,
c'est vraisemblablement aux débuts des années 1980 que l'on assiste à la
création de départements spécifiquement dédiés au marketing (dont les tâches ne
se confondent pas avec les activités de vente et de commercialisation).
Aujourd'hui, l'abondance de l'offre locale, combinée à l'ouverture commerciale
et médiatique du pays donnent naissance à un nouveau type de consommateur. La
tendance qui prend forme est marquée par la volonté de satisfaire les besoins identifiés
(y compris ceux qualifiés de « secondaires ») et par la recherche de
produits de meilleure qualité. Sur le marché de l'huile de table, par exemple, la donne a
notablement changé : Lesieur Cristal, l'opérateur historique qui
agissait pour le compte de l'Etat, est contraint de s'adapter et faire face aux
défis imposés par la libéralisation (effective dès 2000). Il n'est plus question de penser à la production
d'abord, au marché ensuite. Maintenant que le client est devenu la référence
suprême, le fabricant se met à faire cas à la fois des conditions de
production, de son potentiel humain et de son approche marketing.
Le marketing, une fonction stratégique
Le marketing, une fonction stratégique
Adopter la démarche marketing implique naturellement
la mise en place d'une structure interne appropriée. Le responsable de
fabrication, pas plus que celui des ventes, n'est en mesure de dicter à un public
avisé ce qu'il doit acheter. Il n'est plus question de tout miser sur un simple
service commercial – focalisé, rappelons-le, sur les moyens de stimulation des
ventes. Maintenant les entreprises se dotent de structures marketing
modernes, renforcent les fonctions de surveillance des marchés et d'analyse de
l'environnement. Faute de pouvoir suivre le mouvement, elles risquent d'accuser
un retard cumulatif, de se trouver rapidement dépassées ou même évincées.
Le marketing s'est ainsi progressivement étoffé et
s'est transformé en un département
spécifique (peu importe que la
dénomination « marketing » soit ou non indiquée de façon
formelle dans l'organigramme). Il devient la fonction stratégique essentielle,
une fonction dont la prééminence s'impose progressivement dans les esprits.
C'est la fonction qui conditionne la survie et la prospérité de l'entreprise.
Son influence est telle que la division des ventes en est devenue un à-côté. Le
budget qui lui est consacré ne cesse d'augmenter ; il dépasse parfois le budget
de production.
Le
directeur marketing prend sur lui les activités qui, dans d'autres structures,
sont éclatées entre divers services : choix des marchés, conception des
produits, fixation des prix, prévision des ventes, actions de promotion, politique
de distribution, animation de la force de vente, service après-vente, etc. Il a
pour tâche d'analyser les attentes du marché, puis de transmettre l'information
recueillie aux départements de recherche/développement et de production.
Concrètement,
cela signifie qu'il oriente la politique du produit et en assume la responsabilité.
C'est à lui qu'il incombe d'élaborer les plans marketing, de prendre en charge
la gestion des produits existants et l'extension des gammes. Il coordonne le
lancement et le développement des produits nouveaux. Il peut être amené à
mettre en œuvre des actions publicitaires et promotionnelles, à assumer la
formation de l'équipe de vente. Le travail est effectué en collaboration
étroite avec la direction commerciale, ainsi qu'avec les départements de R/D et
de production.
Ces faits étant exposés (parties 1 à 4), dans quelle perspective faut-il les envisager ?
Un point mérite mention :
le but principal de l'examen comparatif des quatre approches n'est pas, à proprement parler et dans
l'absolu, de plébisciter l'une au détriment des autres. D'abord, l'appréciation
d'une optique doit partir de l'état du marché, de l'importance relative de
l'offre et de la demande. Il importe beaucoup que les données internes (organisation,
compétences, mentalité des décideurs) soient en phase avec les données externes (contexte économique, intensité
de la concurrence, position des clients). Dans un cas comme dans l'autre, tout déphasage peut s'avérer dangereux pour
l'entreprise.
De plus, l'état du marché et les contraintes de
l'environnement peuvent, à un moment donné, imposer des orientations et des
actions – a priori en contradiction
avec le concept de marketing. Ainsi, à certains stades de l'évolution du
marché, l'entreprise peut axer sa démarche sur le produit, peut être amenée à
privilégier la finance ou la vente... mais, dans la durée, la logique permanente (prééminence du client) n'est
pas pour autant remise en cause.
Si, par exemple, la société SMES (mobilier
de bureau, Casablanca) accorde une grande importance au travail des
commerciaux, ce n'est pas à dire pour cela qu'elle ne prête pas attention aux
exigences de ses clients. Vu la nature de son segment principal – les
entreprises – le rôle de la force de vente est par nécessité affermi et
valorisé. Inversement, le fait que la compagnie aérienne RAM soit en principe centrée sur le client (orientation imposée par l'open sky et adoptée tant bien
que mal depuis près de vingt ans), ne l'empêche pas d'accorder une grande
importance aux efforts de vente. Il n'est que de voir la carte de fidélisation
lancée en mars 2003 au profit des agents de voyage et de comptoir. Baptisée Imtiyaz
Plus, cette carte permet de récompenser les vendeurs (voyages en avion,
nuitées à l'hôtel...) proportionnellement au volume de billets vendus. (1)
D'aucuns se sont même risqués à regarder le
marketing comme un concept « contingent » (conditionnel) :
dans des circonstances extrêmes, le dirigeant serait amené à « l'estomper »,
à ne pas s'y conformer d'une manière stricte. Ainsi, « en situation de
forte turbulence, les coûts associés à l'ajustement aux besoins changeants des
consommateurs peuvent se révéler prohibitifs. Pas question alors de chercher à
s'y adapter, comme le suggérerait une démarche marketing orthodoxe »...
(2)
On le voit, rien n'est simple : la réalité sur le
terrain peut parfois s'écarter quelque peu des schémas explicatifs.
Récapitulons.
Thami BOUHMOUCH
Récapitulons.
Lorsque la philosophie de gestion est centrée sur le
client, le
produit proposé s'adapte étroitement aux attentes du marché et le marketing est regardé comme la
fonction stratégique essentielle. Il s'agit moins de conquérir que de fidéliser.
Thami BOUHMOUCH
Février 2012
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(2) Jean-Emile Denis, communication à la
conférence sur “Le marketing et le Private Banking”, 16-17 mars 1999,
Genève (fascicule).
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