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23 mars 2012

LE MARKETING : UNE DEMARCHE EN BOUCLE




Deux articles antérieurs ont mis en évidence l'inversion de l'objet, le revirement complet par rapport au mode centré sur l’entreprise (1) : le point de départ n'est plus la fonction de production mais le marché et son environnement (compte tenu des ressources et des objectifs de l'entreprise).


La figure ci-après synthétise le sens des 3 conceptions centrées sur l’entreprise (production, produit, vente).  
Ainsi, lorsque la démarche marketing est absente, le fabricant propose le produit qu'il croit meilleur, fixe son prix en tenant compte des contraintes de production, formule son message publicitaire en fonction de sa propre vision, opte pour le mode de distribution qui, à ses yeux, est le plus commode ou le plus avantageux. C'est a posteriori que des efforts sont fournis pour assurer l'adaptation de la demande aux décisions prises, aux exigences de la production. Une telle situation a été désignée par l’économiste J. K. Galbraith, à la fin des années 60, par la notion de « filière inversée » : c’est l’entreprise qui influence le consommateur (notamment par la publicité) pour qu’il achète ce qu’elle produit.
Lorsque l'approche marketing est mise en œuvre, la construction de l'offre est déterminée non par le producteur mais par l'acheteur. L'époque n'est pas si lointaine où c'était l'ingénieur qui concevait intégralement les voitures ; désormais, le psychosociologue – à l'instigation et au service du marketing – assume un rôle décisif. N'est-ce pas lui qui fournit une appréciation des motivations profondes, des tendances émotionnelles et des comportements du consommateur cible ?
Par-dessus tout, le nouveau paradigme repose sur un mouvement qui forme une boucle en permanence. Le processus, comme le montre la figure ci-après, est pour ainsi dire sans fin. (2)




Clarifions schématiquement le sens des flèches :
1. Le marché, ses principaux acteurs et les composantes de son environnement constituent le point de départ. Les attentes des consommateurs en particulier sont étudiées par le service marketing puis transmises (dans une sorte de cahier des charges) aux responsables de la production. La réflexion précède l'action. Le système d'information permet d'obtenir les données (quantitatives et/ou qualitatives) nécessaires à la prise de décision. Connaître le public cible, grâce aux études de marché, est nécessaire pour prendre les décisions appropriées : caractéristiques du produit, prix de vente, mode de distribution, message publicitaire, etc.
2. Outre les données collectées, la firme arrête des objectifs, prend en considération ses propres ressources et contraintes. Sur cette base, le produit est élaboré, puis mis sur le marché. Il fait l'objet d'une action commerciale cohérente. En ce sens, la démarche est progressive : bien connaître le marché (phase analytique), décider ensuite (phase stratégique), puis agir (phase opérationnelle). L'achat signifie qu’un flux de satisfactions, c'est-à-dire un bien-être matériel ou/et psychologique, s'écoule du producteur vers le consommateur.
3. L'effet retour (feed back) en provenance du marché revêt une grande importance. Le marché et son environnement ne sont jamais figés mais évoluent constamment : les consommateurs peuvent exprimer des attentes différentes, les concurrents introduire des produits novateurs, les pouvoirs publics imposer de nouvelles règles, etc. « Il s’agit d’être en permanence à l’écoute des changements, de saisir les opportunités éventuelles et de réagir aux menaces pouvant provenir de divers intervenants ». (3) Des informations sont recueillies de nouveau et un autre cycle commence.
Pour illustrer un tel processus, considérons l'exemple d'une banque de la place.

Les revirements de la BCP
La Banque Centrale Populaire dispose en Europe, dès 1973, d'un réseau de plusieurs agences à vocation internationale. Depuis le milieu des années 1980, le comportement des différentes générations de MRE évolue continuellement. La banque est de ce fait tenue de changer d'orientation, de modifier son offre afin de suivre le mouvement.
Autrefois, la BCP se limitait essentiellement à un seul créneau : le transfert des ressources des MRE au profit de la famille restée au pays... Mais les besoins n'ont pas tardé à évoluer.
La deuxième génération, désormais plus bancarisée, s'oriente davantage vers le commerce et les affaires, procède à des arbitrages selon des critères rationnels (opportunités, rentabilité, rémunération des dépôts). Disposant d'une épargne et d'un savoir-faire, elle opte parfois pour l'investissement au Maroc (lorsque les conditions offertes sont favorables). La banque a dès lors cherché à l'accompagner dans cette nouvelle dynamique. Cela s'est traduit par la création d'agences particulièrement orientées vers les opérations internationales, qualifiées de « banques de seconde génération ». La nouvelle offre consiste dans la mise en œuvre de structures dédiées à l'entrepreneuriat. La clientèle cible a droit à des informations touchant les conditions et le montage des dossiers d'investissement, des propositions de produits de financement, une assistance dans les démarches administratives, etc.
Parallèlement, une autre orientation se dégage : bien des MRE tendent à préférer la consommation à l'épargne. Le mode de vie a changé et de là les transferts commencent à baisser. Qui plus est, à l'âge de la retraite, la population de première génération prend conscience de son enracinement dans le pays d'accueil (présence des enfants et petits enfants). Ceux qui avaient acheté un logement au Maroc tentent de le revendre. Des demandes de re-transfert de fonds sont alors formulées. Quant à la troisième génération, elle est plutôt une population estivale. Les jeunes naturalisés (d'office) qui viennent dans le pays pendant les vacances ont besoin d'être accompagnés par des produits adaptés (packages vacances)...
Aujourd’hui, la BCP renforce son positionnement sur le segment des MRE en lançant les solutions Bladi, une nouvelle gamme de produits et services : Bladi express assure la disponibilité des fonds le jour même des transferts via le réseau Chaabi Bank ; E-Bladi permet le transfert d’argent via Internet ; les Packs bladi proposent des réductions extra-bancaires auprès de plusieurs partenaires au Maroc et à l’étranger ; Bladi Asfar offre, en partenariat avec Royal Air Maroc, des réductions et des avantages multiples lors des voyages au Maroc ; Bladi invest est destiné à encourager l’investissement au Maroc… (4)
Un point est hors de doute : l'entreprise qui ne se conforme pas aux évolutions de la demande et n'ajuste pas son offre en conséquence est – souvent à brève échéance – vouée à l'échec (digression ci-après).

DIGRESSION
Domino's Pizza, malade de son égocentrisme
Domino's Pizza semblait être l'exemple même d'une entreprise à la vocation claire. Pendant trente ans, elle n'a rien proposé d'autre que des pizzas et du Coca-cola (et pas même du Coca-cola light). […] Et quelle conscience de sa compétence de base ! Elle était synonyme de rapidité. L'entreprise était célèbre pour sa garantie de livraison en trente minutes.
[…] Pizza Hut s'efforçait d'écouter ce que voulaient les clients – et les clients en voulaient davantage. Pizza Hut menait l'offensive en proposant des pâtes minces, des pâtes épaisses, des sodas de toutes sortes, des salades. De quoi faire un vrai dîner. Et c'était exactement ce que les clients commençaient à désirer.
La pizza-Coca de Domino's était devenue ringarde et avait figé une offre sur une cible qui exprimait désormais d'autres demandes. […] La pizza n'était plus un petit festin pour résidence universitaire mais une denrée hebdomadaire sur la table familiale. Les clients commençaient à demander de la variété. La rapidité de livraison elle-même n'était plus un avantage. C'était un acquis. Quelle supériorité restait-il à Domino's Pizza face à Pizza Hut ? A l'évidence, aucune.
[…] Il fallut attendre que Pizza Hut et Domino's Pizza soient au coude à coude, les deux entreprises détenant chacune 30 % du marché américain, pour que la seconde réalise enfin son erreur stratégique. Elle était restée trop longtemps cramponnée à un objectif désormais sans rapport avec ce qui intéressait les clients.   
R. Whiteley et D. Hessan, Les avantages compétitifs de l'entreprise orientée clients, éd. Maxima.


Il n'y a pas de ligne d'arrivée
La satisfaction du client n'est pas – stricto sensu – l'aboutissement de la démarche marketing. Celle-ci, répétons-le, ne se termine jamais. Les actions mises en œuvre influent sur la situation de départ, de telle manière que tout est toujours à recommencer. Cela fait penser au châtiment légendaire de Sisyphe qui, dans la mythologie grecque, devait pousser éternellement un rocher jusqu'en haut de la colline, pour le voir aussitôt retomber à son point de départ. 
Rien n'est plus normal : l'homme de marketing ne s'endort pas sur l'acquis. Il sait qu'il est plus facile de perdre un client que de le conquérir. Son travail est sans cesse remis en question. C'est une chaîne continue d'activités ayant pour but d'ajuster l'offre aux besoins et désirs des consommateurs. Sans cet ajustement, il n'y a pas de vente, donc pas d'entreprise.
L'entreprise pilotée client est en phase avec son marché, admet le renouvellement constant des paramètres et des cohérences. Elle est adaptable et réactive. C'est affaire de conviction et d'engagement. Un fabricant d'automobiles, par exemple, a grand intérêt à savoir ce que les clients pensent du système de climatisation, de l'ordinateur de bord, de l'airbag, de la version diesel, du garnissage des sièges... Quel est le véritable apport d'une boîte à gants réfrigérée, de l'ouverture à distance du coffre, de la commande radio au volant, etc. ? Seuls les utilisateurs peuvent répondre utilement et en connaissance de cause.
Il s'agit d'une écoute permanente, d'un processus continu qui amène à réviser les actions en fonction du temps qui s'écoule. Comment expliquer la réussite commerciale fulgurante au Maroc de la marque coréenne LG (électroménager) ? Son directeur local répond : « On a travaillé avec acharnement et détermination durant ces trois dernières années. On a en particulier essayé de comprendre le consommateur marocain, d'aller au-devant de ses besoins, d'être réactif ». (5) S'il faut écouter le marché, activement et sans relâche, c'est parce qu'un succès en marketing n'est jamais définitif.

Considérons à présent le cas de Procter & Gamble, le fabricant (entre autres) de couches-culottes. Ce sont l'écoute, la compréhension et le suivi des exigences des consommatrices qui lui ont permis d'améliorer son offre. Le lancement de Pampers Ultra avait assuré à la marque une avance certaine. Le défi était double : le produit devait assurer à la fois une grande capacité d'absorption et le confort d'une couche sèche en surface. L'adjonction d'un gélifiant a permis non seulement d'atteindre ce but mais aussi de réduire l'épaisseur de la couche. Cette prouesse technique a conduit rapidement les concurrents à lancer des produits similaires. 
Par la suite, P&G introduit sa gamme Pampers filles/garçons. Le nouveau produit améliore l'ancien et répond à de nouvelles attentes : épouser les différences anatomiques des bébés. Puis est venu le temps des Couches compactes : elles allient esthétique et confort tout en étant ultraminces et ultra absorbantes. Après cela, la société introduit dans les couches une crème conçue pour la peau fragile du bébé...
Le mouvement se poursuit sans répit. Aujourd'hui, le lancement de Pampers Cruisers apporte d’autres nouveautés : la couche tient bien aux cuisses, aux fesses et à la taille, ce qui permet au bébé de se déplacer et de jouer en toute liberté. Elle a une surface absorbante 20 % plus grande que les précédentes… 
Cet exemple illustre bien la nature dynamique du couple produit-marché. Il témoigne du va-et-vient permanent entre les attentes du marché et la conception du produit. Le manager suit de près les changements de la demande et agit en conséquence. Dans la course à la performance, il n'y a pas de ligne d'arrivée. La démarche se renouvelle continuellement. Sa boucle ne se referme pas.

Thami BOUHMOUCH
Mars 2012
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(1) Cf. « Le marketing tourné vers le client », in : http://bouhmouch.blogspot.com/2012/02/45-le-marketing-tourne-vers-le-client.html et « Le concommateur acteur principal », in : http://bouhmouch.blogspot.com/2012/02/55-le-consommateur-acteur-principal.html
(2) Cf. sur ce point l'exposé clair de Eric Vernette, Marketing fondamental, éd. Eyrolles. Voir également Vincent Amiel, L'étude de cas en marketing, Les éd. d'Organisation. A l'opposé, A. Hiam et Ch. Schewe n'ont pas tout à fait raison lorsqu'ils écrivent : « il suffit d'inverser complètement la proposition et de se placer dans l'optique du client et non plus dans celle de l'entreprise ». Cf. MBA Marketing - Les concepts, éd. Maxima.
(3) T. Bouhmouch, « L’information, outil de décision et de gestion », in : http://bouhmouch.blogspot.com/2011/09/reduire-le-risque-par-linformation.html
(5) Ki Ji Song, directeur général pour le Maroc, propos recueilli par le journal ALM du 14-16 novembre 2003.


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