L'exemple du transport ferroviaire au Maroc est assez caractéristique. Le
rappel de quelques faits majeurs me semble nécessaire pour bien comprendre.
1995 est une date marquante : l'ONCF est
au bord de la faillite et entreprend une vaste opération de restructuration. Il
s'est trouvé rapidement face à un défi décisif, celui de s’écarter du domaine
public qui l’immobilisait et d'évoluer vers une entreprise rentable, tournée
vers le client.
Jusqu'à cette date, outre la mauvaise gestion des
ressources humaines, la contrainte commerciale a toujours été laissée de côté. L'inadaptation
de l’offre était ainsi manifeste : les trains voyageurs étaient en grand nombre
et les arrêts multiples dans des gares peu fréquentées. Si bien que le taux
d’occupation ne dépassait pas 31% (61% en 1983), alors que près de 30% des
trains généraient à peine 1% du chiffre d'affaires. A cause de la voie unique,
les trains « rapides » pouvaient enregistrer jusqu’à 2 heures de
retard. De plus, les jets de pierre contre les trains dans de nombreux points
de passage accentuaient les désagréments et le mécontentement (un problème toujours
d’actualité aujourd’hui).
Volonté d’adaptation aux changements
Les carences commerciales, notamment l'accueil
clientèle et la qualité du service, pesaient de plus en plus lourd dans la
balance. Le déficit d’image était alarmant. L’Office se devait de se repositionner
sur le marché. La voie du salut passait bel et bien par un changement de
culture.
De nos jours, partout dans le monde, les chemins de
fer sont directement touchés par la globalisation et la concurrence. C'est bien
ce qui ressortait déjà des assises du congrès ferroviaire tenues en octobre
1997 à Marrakech. Désormais, il est question d'adaptation aux changements et de
gestion moderne du rail. (1) Il s'agit de chercher la
meilleure approche du marché, en tenant compte essentiellement des besoins
fondamentaux des clients. Le règle de conduite s’énonce ainsi : « Dans
l'optique marketing, la vocation d'une compagnie ferroviaire ne se définit pas
par sa seule expertise technique – faire rouler des trains – mais par sa
capacité d'adaptation aux besoins à satisfaire et qui peuvent être variés
selon la clientèle : vitesse et ponctualité pour les hommes d'affaires, tarifs
accessibles pour les familles, accueil et service pour les touristes, livraison
porte-à-porte pour le fret des entreprises, etc. ». (2)
L’ONCF s'est donc résolu à créer une
direction commerciale et entreprend, dans le cadre de sa stratégie (adoptée en
1995), d'adapter son offre en matière de transport de voyageurs et de
marchandises. La reconquête des clients devient la préoccupation majeure.
La vente directe des produits (porte-à-porte auprès des entreprises) est à
l'ordre du jour. En 1996, 350 entreprises sont démarchées et, de là, des
milliers de tonnes de trafics nouveaux sont enregistrés.
La nouvelle vision s'appuie sur la diversification
des produits. C'est ainsi que sont proposés des cartes jeunes, des cartes
fidélité, des billets week-end, des carnets à coupons, des trains « promo »
(réductions en fonction du trajet), des tarifs promotionnels pour le fret, etc.
Les horaires sont adaptés aux souhaits et besoins évolutifs des voyageurs, lesquels
commencent à être consultés lors des sondages réalisés dans les trains. La
communication n'est pas négligée : des journées portes ouvertes, notamment,
sont programmées dans les principales gares.
Dès 1999-2000, le changement est patent : alors
qu'auparavant la moindre demande de renseignement par téléphone était perçue
comme un calvaire et un acte désespéré, l'ONCF dispose désormais d'un
site web et d'un call center (Kétary). Le client peut ainsi s'informer
rapidement et même vraisemblablement exprimer son opinion.
La situation n'est certes pas féerique : des coupes
substantielles ont dû être opérées et l'assainissement s'est fait parfois au
détriment du personnel (pertes d'emplois, conflits, tracas divers). Sur le
terrain, la plupart des agents ne sont pas à même d’intégrer le souci du client
dans leurs gestes quotidiens. Outre que de nombreux voyageurs restent debout
sur de longues distances, lorsque les trains s'arrêtent en cours de route, aucune
explication n'est communiquée. Qui plus est, la maintenance du réseau
ferroviaire laisse à désirer, de nombreuses locomotives sont en panne dans les
dépôts et des sommes considérables sont dépensées dans des projets douteux.
Cela signifie tout simplement que l'inertie des « habitudes » ne peut
être surmontée du jour au lendemain et que le chemin est encore long.
Pour autant, le pari sur le marketing
est maintenu. La dynamique amorcée a donné tant bien que mal ses fruits et les
efforts de reconquête des clients se poursuivent. En
2000, l’ONCF se dote d’une base de données et met en œuvre une application
datawarehouse, afin d’organiser l'information dédiée à sa Direction
commerciale et marketing. Dans la foulée, pour simplifier le partage et
l’exploitation des données disponibles, un Intranet est créé. Les nouveaux
dispositifs permettent, entre autres, d’analyser les ventes voyageurs d'une
manière systématique et performante. Ils s’appuient sur des outils Microsoft,
bien adaptés en termes de volumétrie et de rapidité de restitution. (3)
L'arrêté signé en 2002, libéralisant les tarifs du
rail, est venu affermir l’orientation adoptée. La tarification devient de fait plus
souple et plus modulable. Cela permet de lisser la demande en tenant compte des
« creux », de lutter plus ou moins à armes égales contre la
concurrence indirecte relative au transport des marchandises (secteur informel
surtout).
L’année 2002 est aussi celle où l'Office s'est
engagé à mettre en œuvre un Plan d'Action Qualité (PAQ) conformément aux normes
ISO 9000. Un communiqué rendu public dans la presse explique la décision : « En
optant pour le PAQ, l'ONCF veut se démarquer des autres modes de transport par
la réalisation d'une prestation de haute qualité qui répond aux attentes des
clients en matière de confort, de régularité et de sécurité ».
Qu’en est-il depuis lors ?
Le souci du client
Aujourd’hui, l’ONCF affûte sa ligne stratégique, ce qui n’est pas pour déplaire au client.
Le
centre d'appel Kétary continue d'informer le grand public de l'état du trafic. Le taux d’occupation des trains qui était de
31% en 1994 est passé à 58% en 2006.
Engagé dans une
dynamique de croissance, l'Office entend disposer d'une plus grande marge de
manoeuvre dans la conception de son offre et se dote pour cela des outils
nécessaires. Le système tarifaire était fortement handicapé par une formule de
calcul figée et non dégressive. Il s’agit maintenant de « moduler »,
c’est-à-dire appliquer une tarification différenciée selon le profil
socioéconomique des clients ciblés, les zones desservies, les horaires et les grands
événements saisonniers.
L’Office s’investit dans une politique de renforcement de l’offre et d’instauration d’un système de qualité totale (« Horizon 2010 »). Il instaure, à cet effet, un « baromètre qualité », consistant à mener périodiquement (deux fois par an) des études de satisfaction afin de détecter les zones pénalisantes de non-qualité. La première étude, réalisée en
En 2009, une nouvelle offre commerciale est conçue pour adapter en
permanence les produits ferroviaires aux besoins évolutifs des clients, pour assurer
davantage de fréquence et de confort des trains. Près de 17 gares dites de « nouvelle
génération » sont mises en place (Salé Ville, Nador, Safi, Youssoufia, Fès,
Mohammedia, Rabat Ville, aéroport Mohammed V). Les voyages se font de plus en
plus dans des temps réduits et à bord de voitures où nombre de commodités sont
réunies. 174 sillonnent le réseau par jour, au lieu de 136 en 2002.
Tout récemment, pour dynamiser l’offre et offrir aux clients des
avantages exceptionnels, l’ONCF lance 3 nouvelles cartes. La Carte Chabab ,
destinée aux clients âgés de 12 à 26 ans, offre la possibilité de voyages
illimités avec des réductions allant jusqu’à 50%. La Carte Hikma ,
offrant les mêmes avantages, est réservée aux personnes âgées de 60 ans et
plus. Enfin, la Carte
Rails Pass, destinée aux touristes étrangers et
aux MRE, offre une libre circulation sur les lignes nationales durant la
période choisie par le client. (5)
Pour ce qui est de la maintenance du matériel roulant, les activités non liées au métier de base (nettoyage,
gardiennage, etc.) sont externalisées depuis plusieurs années. Il s’agit en
fait de « filialisation », censée permettre de garder le
contrôle. Résultat : avec 3 fois plus d’activités, l’Office fonctionne
aujourd’hui avec 7.800 personnes contre environ 20.000 auparavant. Cette
orientation concerne également les caténaires alimentant les trains : plus
de 50% de cette activité sont assurés par des entreprises privées, le reste est
traité en interne. (6)
L’objectif de
satisfaction du client ne saurait être atteint sans la participation résolue du
personnel. Les salariés,
rappelons-le, sont censés créer de la valeur pour les clients externes. C'est
une pièce maîtresse dans le puzzle de la démarche marketing. La satisfaction du
client externe est un but qui ne peut être atteint que par la participation active
de tous les employés. (7) Les dirigeants décident donc d’abandonner le statut traditionnel
fondé sur les échelles et l’ancienneté en faveur d’un système orienté performance.
L’idée est de garantir l’implication des cheminots dans l’amélioration du
service offert.
L’Office a bouclé
l’année 2010 avec un chiffre d’affaires de 3,09 milliards de dirhams en
progression de 23%. Le résultat d’exploitation a doublé et la capacité
d’autofinancement s’est améliorée de 66%. Celle-ci est à 1,2 milliard de
dirhams contre 723 millions en 2009. Le directeur de l’Office affirme : « Le
modèle économique de l’ONCF est assez particulier dans ce secteur. Ailleurs,
l’investissement, l’extension du réseau et la maintenance sont à la charge de
l’Etat. Dans notre modèle, nous arrivons à dégager une capacité d’autofinancement
qui nous permet de prendre en charge partiellement nos investissements ». (8)
Longtemps attendue, la
transformation de l’ONCF en société anonyme ne va pas tarder à se réaliser (le capital de la future SMCF sera détenu à 100% par l’Etat). Cette
décision donnera lieu sans doute à d’autres mesures, mais il s’agira toujours
de valoriser les besoins et
attentes des clients tout en se préoccupant de la rentabilité.
Thami
BOUHMOUCH
Mars 2012
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(1) Notons au
passage que les activités de l’ONCF ne se limitent pas au transport
ferroviaire. C’est le premier transporteur routier de voyageurs en continuation
des trains dans la zone sud (la société concernée, Supratours, vient de
lancer en plus de nouveaux pôles relatifs à la gestion de parkings et de
centres de vacances). L’Office, à
travers sa filiale Carré, intervient dans le transport routier en continuation
du fret ferroviaire et opère également dans la messagerie. Il dirige la filiale
SBM (Société des basaltes marocains) et détient 64 % de l’hôtel Mamounia.
Voir : http://www.leconomiste.com/article/le-dg-de-l-oncf-au-club-de-l-economiste
03/02/2011
(2) J. Lendrevie et D. Lindon, Mercator,
Dalloz.
(4) Cf. http://www.leconomiste.com/article/un-barometre-qualite-l-oncf 21/10/2005
(5) Cf. http://www.lnt.ma/economie/transport-ferroviaire-%E2%80%9Cd%E2%80%99abord-le-client%
1/07/11
(6) Cf. http://www.leconomiste.com/article/le-dg-de-l-oncf-au-club-de-l-economiste 03/02/2011
(7) Cf. T.
B., « Le premier client marketing est à l’intérieur de l'entreprise »
in http://bouhmouch.blogspot.com
(8) M. Rabie Khlie, http://www.leconomiste.com/article/le-dg-de-l-oncf-au-club-de-l-economiste
3/02/11
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