A l’heure actuelle, il est
question plus que jamais de maitrise des coûts, d'encadrement de qualité,
d'amélioration constante des performances. Les cadres d'entreprise sont
appréciés non pas selon leur ancienneté ou leur propension à se soumettre, mais
eu égard à leurs compétences, à leurs capacités d'initiative, à leurs
dispositions à faire évoluer le système. Or ces attributs sont intimement liés
au savoir-faire et à la qualification des hommes. La valeur du potentiel humain
n'est-elle pas avant tout celle de la formation reçue ?
Hier encore, l'Université
marocaine, après avoir été le vivier traditionnel de recrutement des cadres,
s'exposait à bien des critiques. Il fallait bien se rendre compte que son
efficacité n'était pas à la mesure des défis qui la guettaient. En témoigne la
durée moyenne nécessaire - qui
dépassait six ans - pour l'obtention d'une
licence. En témoigne surtout l'énorme déperdition sans qualification après deux
ou trois années d'études. Bien plus, chaque année des milliers de licenciés
allaient au-devant du monde du travail. Qu'ils soient mis en difficulté dès le
premier contact, pourquoi s'en étonner eu égard au hiatus entre le savoir
acquis (dans des conditions souvent insatisfaisantes) et la pratique sur le terrain ?
Jusqu’ici, j’ai utilisé volontairement
le temps du passé : est-ce à dire que les mauvais souvenirs sont derrière
nous ? Depuis l’année 2004-2005, à n’en pas douter, des progrès notables
ont été accomplis sur la base d'une nouvelle architecture pédagogique (LMD). Malgré tout, d’aucuns disent que la grosse industrie universitaire publique
produit des profils qui ne correspondent pas pleinement aux besoins des organisations.
Dans quelle mesure le reproche est-il fondé aujourd’hui?
Les choses étant ce qu'elles
sont, ce problème ne saurait être abordé sans un maximum de précautions. D'ores
et déjà, il importe de bien comprendre que tout
système éducatif est soumis à des contraintes. L'environnement évolue rapidement et la maîtrise de cette évolution
n'est pas facile. Pour résoudre continuellement le problème de
l'inadéquation formation-emploi il faut que l'appareil de formation ait une
flexibilité interne et une capacité de réponse tout à fait prodigieuses.
Peut-on d'ailleurs prédire quels seront les profils et les compétences demandés
dans dix ans ?
Une évaluation et une réforme du
système universitaire ont eu lieu. L'Université, qui a vocation pour former des
économistes, des juristes, des géologues, des chimistes, doit aussi faire face
aux besoins pressants en spécialistes de maintenance et de contrôle qualité, en
commerciaux, en fiscalistes de haut niveau, besoins ressentis par le secteur
privé comme par l'administration. L'idée a prévalu que les Facultés futures
doivent abandonner leur monolithisme traditionnel pour prendre une structure
multiforme.
C'est à cet impératif que les
Licences professionnelles (bac + 3) et les Masters (bac + 5) sont destinés à
répondre. Mis en chantier il y a près de trois ans, ils visent à greffer sur les connaissances
générales du lauréat un complément de formation devant aboutir aux profils
recherchés. L'initiative a en vue de diversifier l'enseignement public par la
proposition de filières spécialisées. Les programmes portent sur des
disciplines correspondant à des besoins clairement exprimés : marketing,
relation client, gestion, finance, logistique, communication, droit de
l'entreprise, génie civil, biologie, topographie, etc. On notera au passage que la conformité de l'architecture pédagogique globale aux normes internationales facilite la mobilité des lauréats.
Beaucoup de choses ont changé,
notamment pour ce qui est du contenu des cours, des moyens didactiques
disponibles, de la formulation des sujets d’examen (faisant
appel plus à la compréhension qu’à la mémorisation). Pour la première fois à
l'Université les contrôles continus sont institués et les stages en entreprise
font partie intégrante du cursus de formation.
Toutes les difficultés ne sont
pas pour autant aplanies. Les premiers lauréats de Licence Professionnelle, au
contact avec le monde professionnel, n'ont pas tardé à le savoir : nombre de
leurs interlocuteurs ne faisaient pas de différence entre le nouveau diplôme et
la licence "classique". Les enseignants, au même titre que les
étudiants, ont bien sûr pris acte de cette anomalie. Il y a lieu maintenant (le
plus tôt sera le mieux) d'organiser périodiquement une opération de communication auprès des entreprises et des formateurs
d'opinion. L'objectif est de toucher un public très large par le biais
d'actions médiatiques d'envergure, de former une image institutionnelle
positive de la Licence
professionnelle.
Cela
étant, un problème délicat et inattendu semble pouvoir naître de
l’introduction inaccoutumée (a priori
discordante) de l’argent dans l’espace universitaire. On sait que les nouvelles
filières sont souvent payantes. Or, il est manifeste que l’apport en numéraire
par l’apprenant pourrait – si l’on n’y prend pas garde – entrer en
contradiction avec l’objectivité et les exigences pédagogiques, peut-être à la
limite entamer la sérénité des professeurs.
C’est précisément cette dissonance
que l’on peut hélas reprocher à quelques écoles privées de la place.
Il n’y a
pas lieu ici de crier au loup, mais simplement d’appréhender une dégradation
possible. Il est absolument hors de question que l’étudiant établisse le
moindre lien entre le paiement dont il s’acquitte et le diplôme obtenu. Ce
principe sine qua non vaut d’être
formulé et souligné avec force.
Les étudiants se sont toujours
sentis concernés au plus haut point par le débat sur la place de l'Université
dans le paysage économique. Ils tendent de plus en plus à se départir de leur
attitude passive. Un nouvel état d'esprit, de nouveaux comportements sont en
train de prendre forme. Il est indispensable que de telles dispositions soient
approuvées et stimulées.
Si l'on pose que les filières
auxquelles aspirent les étudiants doivent être conçues en tenant compte des
exigences du marché, il est clair que le rôle de l'universitaire demeure capital
: c'est à lui qu'il revient de conceptualiser la réalité sur le terrain. Mais
qui donc mieux que les entreprises peut diagnostiquer les besoins en formation
et en établir le profil précis ? Les organismes patronaux et les fédérations
professionnelles s'avèrent donc à coup sûr des partenaires précieux, ils
peuvent contribuer à l'identification de ces besoins.
Le monde des affaires doit résolument se mettre de la partie. Nul
doute qu'en restant à l'écart des systèmes de formation, les entreprises
s'exposent à rencontrer des difficultés croissantes pour trouver des réponses
appropriées à leurs besoins. L'attitude timorée qui consiste à accepter des
stagiaires à contrecœur équivaut à se détourner de ses responsabilités
économiques et sociales. Pour les étudiants, trouver un stage ressemble à une
gageure. On ne s'étonnera pas de les voir se contenter de propositions à cent
lieux de leur formation. Il faut en convenir : lorsqu'une entreprise confie un
travail à un stagiaire, elle ne lui fait pas une faveur. Ce dernier, s'il
maîtrise ses connaissances et s'il est bien orienté, peut apporter une aide
fort appréciable (1).
Dans la sphère universitaire, un
changement de fonds doit être opéré pour répondre aux impératifs de l'emploi,
en associant le secteur privé à la formation dispensée. Il serait souhaitable
d'élaborer un programme de jumelage
entre l'Entreprise et l'Université, de coupler les filières efficientes avec
les chambres de commerce et d'industrie.
A
cet égard, des problèmes de financement se posent avec acuité. La
solution résidera sans doute dans un cofinancement engageant et l'Etat et
l'Entreprise. Celle-ci est portée à s'engager sans équivoque dans des projets
de formation, pas seulement en créant et en parrainant des écoles privées, mais
en finançant dans les établissements publics les filières d'avenir, en prenant
en charge les programmes de formation-stage, etc.
Nombre d'entreprises mettent en
place des projets de mécénat, en créant des fondations qui s'occupent du
patrimoine culturel, de sport ou d'arts plastiques. Curieusement, le domaine de
l'enseignement demeure ignoré. Pourtant un
mécénat éducatif aurait un effet
bénéfique immédiat sur l'image de l'entreprise, tout en favorisant à terme une
certaine adéquation formation-emploi.
T. BOUHMOUCH
Rédigé le
19/05/2011, retouché le 03/09/2011.
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(1) Notons au
passage, sans y insister, qu'un mois de stage s'avère souvent insuffisant :
l'entreprise n'a pas vraiment le temps de former l'étudiant, ni de bénéficier
de son regard neuf...
Bonsoir M.Bouhmouch,
RépondreSupprimerVotre article est très pertinent et dans lequel on trouve des propositions de réformes sérieuses,
je voudrais simplement ajouter une autre difficulté qui bloque -à mon avis- l'évolution naturelle et l'adéquation des programmes universitaire avec les besoins réels des entreprises en terme de qualification et rend par la suite toute réforme incapable d'atteindre les objectifs escomptés !!
Autant qu'étudiant de la FSJES ain chok je sais très bien que le niveau de la langue française (la langues avec laquelle les cours se présentent) est très bas y compris le mien.
Naturellement quand le canal des messages (informations, concepts...) fait défaut la communication se voit donc coupée accompagnée d'une surcharge très remarquable dans les amphis...
Une telle situation ne peut que mettre le professeur dans un monologue par excellence et rend impossible le passage des messages nobles de l'enseignant.
L'exception pourrait toujours exister (des étudiants qui ne sont pas intéressés malgré qu'ils maitrisent la langue pourtant que d'autre -malgré leurs lacunes- ils fournissent un effort non négligeable et ils s'en sortent bien finalement).
La question fondamentale pour moi c'est de réfléchir sur les moyens qui sont faisable( tenant compte de la réalité de notre établissement) pour aider l'étudiant lambda à évoluer efficacement en maitrisant de plus en plus la langue qui présente un double défis ( langue de l'enseignement et du travail à la fois).
Je pense que des efforts devraient être fournis dans ce sens en renforçant les cours de la langue et communication et puisque les programmes sont relativement chargés des cours d'été représentent une bonne idée...
je vous remercie
ZERHOUNI Abdellah
Monsieur Zerhouni,
RépondreSupprimerIl est rare qu’un étudiant ou un ex-étudiant d’une faculté marocaine reconnaisse le problème épineux de la langue d’enseignement. Primo : le français n’est pas notre langue maternelle. Secundo : l’écrasante majorité des étudiants ont auparavant suivi des cours principalement en langue arabe. Ils arrivent dans l’enseignement supérieur, font l’effort de comprendre le professeur, mais sont absolument incapables de s’exprimer. Ni oralement, ni par écrit. Le drame est perceptible le jour de l’examen : la majorité des candidats ne saisissent pas le sens des questions posées et donc répondent totalement à côté. Le plus grave est que leur réponse est souvent singulièrement inintelligible…
Au Maroc, il faut bien le dire, le choix du français est davantage politique que culturel, car de nos jours, tout le monde sait que la langue de la science et de la connaissance, des médias et de la technologie est L’ANGLAIS.