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9 juin 2011

LE MARKETING OBEIT-IL A UNE MORALE ÉGOÏSTE ? [1/2]




Le marketing, du moins dans sa perspective formalisée, est une idée relativement nouvelle dans la pratique des échanges. Désormais, l'entreprise s'oriente systématiquement vers le marché. Elle sait que sa pérennité dépend fondamentalement de son aptitude à satisfaire les besoins actuels et futurs du consommateur. Elle veut comprendre celui-ci afin de répondre à l'exigence de valeur qu'il a définie et à laquelle il s'attend. (1)
Sans un tel credo, l'entreprise pourra innover ou s'engager massivement dans une campagne promotionnelle, ses produits demeureront sur les étalages. Vous aurez beau trouver votre produit merveilleux, votre avis ne vaudra rien si les clients potentiels ne le partagent pas.

L'impératif de rentabilité
Pour autant, l'optique marketing ne constitue pas une fin en soi. Mis à part le cas d'une action caritative, le marketing n'est pas d'essence philanthropique, n'est pas animé par un élan altruiste. L'entreprise, par définition, est une organisation à but lucratif ; elle n'a pas pour vocation principale de “faire plaisir” à ses publics. S'agissant de l'activité marchande, l'essentiel est de réaliser non pas un chiffre d'affaires important, mais un chiffre d'affaires rentable.
De là cette évidence banale : on ne saurait tout sacrifier au client, vendre en dessous du seuil de rentabilité. (2) Un produit réussi est un produit qui, tout en répondant strictement aux désirs du consommateur, est vendu avec profit. Il n'est que de voir les banques : ne tendent-elles pas à accroître le revenu par client tout en comprimant les coûts de distribution des produits offerts ? Ne cherchent-elles pas à parer à l'érosion des marges commerciales en développant de nouveaux produits, en se tournant vers de nouveaux métiers ? C'est que “les actionnaires réclament un taux de retour sur fonds propres de 15 %”(3) Le football n'échappe pas à la règle : les clubs les plus prestigieux (surtout anglais) savent allier la passion du jeu à l'attrait du gain.
L'exemple de l’ONCF est significatif à cet égard. Il y a dix ans, l'office a commencé à chercher la meilleure approche du marché. Si la reconquête des clients est devenue la préoccupation majeure, l’objectif est indubitablement d’améliorer les recettes. Il s’agit, entre autres, de développer les créneaux rémunérateurs, en supprimant les trains qui roulent à vide ou dont la rentabilité n’est pas assurée. Le résultat est palpable : une réduction de 30 % de l'offre correspondant à 2 % du chiffre d'affaires, une suppression de 480 arrêts inutiles par jour sur un total de 1450. L'entreprise a terminé l'exercice 2001 avec un résultat net de 283 millions de DH, soit une amélioration de 9,3 % par rapport à l'année précédente.
Pourquoi les sociétés de mobilier de bureau (telles Burog et SMES) se focalisent-elles sur le secteur privé ? La raison est simple : “le marché public est un marché intéressant en termes de chiffre d'affaires, mais difficilement gérable eu égard aux problèmes de paiement”. (4)


Les besoins sont donc entendus dans un sens restrictif : seuls ceux qui sont solvables et rentables entrent en ligne de compte. L'homme de marketing s'intéresse aux publics qui détiennent les moyens financiers leur permettant de se porter demandeurs sur le marché ; il se soucie normalement de la rentabilité attachée à toutes les actions envisagées. Il est clair que la combinaison optimale des moyens mis en œuvre (les variables du mix) est celle qui maximise les profits.
Le profit (5) est l'un des rouages fondamentaux de la sphère marchande. C'est la carotte qui sert de stimulant à l'efficience. C'est à la fois la rémunération du risque assumé par l'entrepreneur et la condition des investissements de demain. C'est ce qui sert à orienter les masses de capitaux disponibles vers les produits les plus demandés...
Ces propositions font partie des lieux communs de la littérature économique courante. Faut-il s'appesantir sur la nécessité de gagner, de prospérer ? Sans le profit, l'entreprise est-elle viable ? L'action sur le marché serait vaine, voire dommageable, si elle ne devait aboutir à une amélioration de la rentabilité.
Considérons le cas des chaînes de fast-food. Afin d'augmenter le taux de rotation des clients et d'éviter que ceux-ci ne s'attardent (de façon infructueuse) devant leur repas achevé, des études ergonomiques ont permis de mettre au point un système original et efficace. Les sièges ont été étudiés pour offrir un confort relatif durant un temps déterminé, correspondant à la durée moyenne de consommation d'un hamburger-frites. Passé ce délai, la station assise tend à devenir inconfortable.
A Attijari Cetelem (crédit et leasing, Casablanca), la sélection des candidats au crédit se fait avec toutes les précautions nécessaires. “Notre métier, dit son directeur général, est de récupérer les crédits encore plus que de les vendre”. (6) Pour qu'un client puisse bénéficier d'un taux à faible prime de risque, son dossier est étudié avec beaucoup d'attention. A chaque élargissement de la cible correspond une hausse de la prime de risque. Le but est de répondre aux attentes des clients, tout en se prémunissant contre les mauvais payeurs. Le gérant d'une société de crédit à la consommation abonde dans ce sens : “Le problème actuel n'est pas tant d'accorder des crédits que de se faire rembourser. En effet, la gestion du risque est d'autant mieux maîtrisée que les sociétés de crédit ont à leur disposition les méthodes de scoring et les garanties des employeurs”. (7)
Dans le système bancaire marocain, l'état de surliquidité actuel (du moins en 2002 et 2003) est tel que certaines banques refusent les dépôts dont le terme dépasse six mois et acceptent difficilement ceux dépassant trois mois. L'argumentation est assez simple : “pourquoi voulez-vous que nous acceptions un argent qu'il faut rémunérer alors que, faute de projets à financer, il ne nous rapporte strictement rien ?”. (8)
Cela amène à se demander : l'objectif de profit et le souci du client sont-ils conciliables ?

Satisfaction et rentabilité
Autrefois, l'économiste et sociologue Veblen distinguait curieusement “l'homme d'affaires” du “capitaine d'industrie” : le premier ne s'intéresserait qu'au profit, tandis que le second n'aurait d'autre but que la production de biens. Selon lui, la tâche de l'homme d'affaires n'est pas d'aider à fabriquer des produits mais de contrarier le flux de production. Il disait en substance : “Faire de l'argent et faire des produits sont deux choses bien différentes et souvent même contradictoires”. (9)
Cette allégation dénote une vision hérétique de la réalité. La volonté de produire conformément aux vœux du marché et l'exigence de rentabilité, non seulement ne sont pas incompatibles, mais elles vont de pair. “Choisir la rentabilité client comme objectif de gestion mais aussi comme préalable à l'action commerciale permet de générer de nouvelles créations de valeur. Nouvel indicateur, il s'agit d'une voie parallèle de connaissance du client”. (10)
Le profit constitue un indicateur de performance autant que l'écoute du client. Une entreprise n'existe et ne prospère que pour autant qu'elle sache satisfaire les besoins de ses clients, tout en améliorant son résultat d'exploitation, tout en faisant valoir les intérêts des investisseurs. (11) Qu'on en juge par les propos d'un dirigeant d'entreprise : “Chez 3M, nous nous engageons à satisfaire nos clients en leur offrant une qualité supérieure, à offrir un retour sur investissement intéressant grâce à une croissance durable et fructueuse...”. (12)
Tout compte fait, le taux de satisfaction ne doit pas être perçu comme un but (une fin) mais comme un moyen. Cela veut dire qu'en créant de la valeur, en s'adaptant à la demande – et par cela même – l'entreprise compte atteindre les objectifs fixés (croissance de la part de marché, rentabilité, puissance et pérennité...). Le marketing, pour reprendre un aphorisme connu, est “l'art de plaire à son marché en satisfaisant son patron”.
L'industrie pharmaceutique est appelée à concilier une logique matérialiste et une logique éthique : celle du profit et celle de la santé des patients. Un laboratoire pharmaceutique, ayant pour mission de fournir (à travers le médecin) les substances destinées à soulager ou à guérir les malades, est astreint – à l'instar de toute entreprise – à des objectifs de rentabilité et de croissance. La philosophie centrale est toujours la même : réaliser des profits sur la base d'un travail utile à l'individu et la collectivité...
Il y a lieu d'insister : le profit est un dérivé naturel d'une chose bien faite et non une fin en soi. Il provient non pas du volume des ventes mais de la satisfaction/rétention de la clientèle cible. Sans l'existence de clients réguliers et en nombre suffisant, il n'y a pas de profit. Affirmer que celui-ci est l'objectif de l'entreprise n'est donc pas pertinent. “Cela s'est révélé aussi vain que de dire que l'objectif de la vie est de manger. La nourriture est une condition et non un objectif de l'existence. Sans nourriture, la vie s'arrête. Les profits sont une condition de l'entreprise. Sans profits, l'entreprise s'arrête”. (13)
Que veut le consommateur ? Que veut l'entreprise ? Les deux questions sont concomitantes. Le marketing suppose un juste équilibre entre les deux exigences. Le but est de bâtir un partenariat win/win avec le client. “Si le profit est bien au centre des préoccupations, il ne se fait plus au détriment du consommateur, mais avec son concours, son assentiment et sa satisfaction post-achat”. (14)
Producteurs et consommateurs ont pour ainsi dire les mêmes intérêts.

Thami BOUHMOUCH
Extrait de l’article publié in Cahiers de recherche en management (CRESCA, Casablanca), volume I, n° 1, décembre 2006.
______________________________________________
(1) André Boyer - Les contradictions éthiques de l'entreprise, Revue marocaine de commerce et de gestion (Tanger), juin 2005.  pp. 13-14
(2) Il ne s'agit pas de se focaliser sur la rentabilité à court terme – une tendance qui pourrait se révéler dangereuse pour la survie de l'entreprise.
(3) Un dirigeant de la BMCI, cité par Economie & Entreprises, septembre 2000.
(4) Le directeur général de SMES, in Economie & Entreprises, septembre 2000.
(5) Profit et rentabilité ne sont pas des termes équivalents... mais ce n'est pas le lieu d'en discuter. Disons brièvement que la rentabilité est la capacité à générer des bénéfices. C'est le rapport entre les profits et les capitaux engagés.
(6) Cité in Economie & Entreprises, février 2001.
(7) Propos rapporté par La Vie Eco du 7 mars 2003.
(8) Un banquier de la place, in La Vie Eco, ibid.
(9) G. Soule - Qu'est-ce que l'économie politique ? Nouveaux Horizons 1980 p. 181 et Robert L. Heilbroner - Les grands économistes, Seuil 1971, pp. 218-219
(10) ­ J.-F. Dupont - La rentabilité client comme point de départ, Banque Stratégie, mars 2000, p. 18.
(11) cf. A. Boyer, op. cit., p. 17.
(12) Un des dirigeants de la société, cité in L'Economiste du 9 octobre 1997.
(13) ­ Théodore Levitt - L'imagination au service du marketing, Economica 1985, p. 16.
(14) J.-J. Croutsche - Marketing opérationnel : liaisons et interfaces dans l'entreprise,  Editions Eska 1993, p. 16.

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